Corps de l’article

Introduction

La dépendance à Internet et aux jeux vidéo est un véritable problème dans la population étudiante, car elle a un impact sur les capacités cognitives et la santé mentale1. Dans un premier temps, il est nécessaire de faire un état des lieux de la problématique et particulièrement parmi les étudiants en médecine qui auront à utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), à la fois dans une perspective pédagogique au cours de leurs études et dans une perspective diagnostique et thérapeutique au cours de leur profession.

Depuis quelques années, l’usage problématique d’Internet – nommé « addiction à Internet » – fait l’objet d’une attention grandissante dans la littérature professionnelle. Cette addiction pourrait comprendre diverses problématiques vu la variété d’activités disponibles en ligne (jeux, réseaux sociaux, cybersexe, etc.). Les chercheurs semblent s’accorder sur le fait que l’usage problématique cause de la détresse ou a un impact négatif sur le fonctionnement de la personne dans des domaines importants de la vie2, 3, 4. Selon certains auteurs5 « les expressions – cyberdépendance ou cyberaddiction – sont parfois employées de façon interchangeable pour désigner la situation des individus qui ont du mal à contrôler leur utilisation d’Internet au point de provoquer, d’entretenir ou d’amplifier un certain nombre de troubles de santé et de dysfonctionnements psychosociaux tels que la dépression, l’isolement social, une faible estime de soi, des conflits avec la famille et des difficultés scolaires ou professionnelles ». Par ailleurs, les troubles liés aux jeux sur Internet (Internet Gaming Disorder) sont répertoriés depuis peu dans la section 3 du DSM-56.

Il est difficile d’estimer la prévalence réelle de l’addiction à Internet et aux jeux vidéo, car leur utilisation problématique n’est pas clairement définie et les données relatives à la prévalence dépendent notamment des instruments de mesure utilisés, de la manière de sélectionner les échantillons et de faire passer les questionnaires (online ou non)1. Notons d’ores et déjà un probable biais de sélection dans les études basées sur des échantillons recrutés en ligne7.

Selon une revue de la littérature8, les études menées aux États-Unis et en Europe (publiées entre 2000 et 2009) indiquent un taux de prévalence d’addiction à Internet variant de 1,5 à 8,2 %. D’autres revues de la littérature incluant des études menées en Asie rapportent des taux plus étendus, allant de 0,3 à 38 % 10. Deux autres études récentes, bien que portant sur des adolescents, nous semblent importantes à citer. La première, réalisée auprès d’adolescents européens, a révélé une prévalence de 5,2 % d’utilisation pathologique d’Internet pour les hommes et 3,9 % pour les femmes9. La deuxième, réalisée auprès de 4 000 adolescents canadiens, a indiqué une prévalence de 1,3 % d’adolescents souffrant d’une dépendance à internet avec des scores cut-off stricts (IAT moyen > 70). Avec un seuil d’inclusion > 50, 18 % des adolescents étaient considérés comme ayant un problème11.

Chez les étudiants, les estimations de l’usage problématique d’Internet varient de 0 % à 26 % en Europe et aux Etats-Unis12, 13, 14 et de 3 % à 18 % dans d’autres parties du monde (Iran, Taïwan, Chine, Nepal)1, 15, 16, 17, 18.

En ce qui concerne les jeux vidéo, certains auteurs19 estiment qu’entre 6 % et 19 % de la population a une addiction aux jeux vidéo. Une étude réalisée en Allemagne auprès d’étudiants âgés de 13 à 18 ans révélait une prévalence de 1,16 % de jeunes correspondant aux critères d’un trouble lié aux jeux sur Internet selon le DSM-520. Dans une étude21 portant sur 2 356 adolescents (11-18 ans), la prévalence des joueurs pathologiques était de 7,7 % en Espagne et de 14,6 % en Grande-Bretagne.

Les étudiants apparaissent donc comme un groupe particulièrement vulnérable vis-à-vis de l’addiction à Internet. Par ailleurs, plusieurs études ont observé des liens entre les symptômes dépressifs et l’usage problématique d’Internet1, 22. Or, de nombreuses recherches ont mis en évidence des taux élevés de stress et de dépression parmi les étudiants en médecine23. Il nous semblait donc intéressant d’étudier les problèmes d’addiction à Internet et aux jeux vidéo parmi les étudiants en médecine et de voir, entre autres, si ces problèmes étaient corrélés aux scores de stress et de dépression ainsi que de réussite universitaire. Cet article est également l’occasion de réfléchir à la balance avantages/inconvénients de l’utilisation de plus en plus fréquente de ces techniques dans la population cible de l’étude, c’est-à-dire les futurs médecins.

Méthode

Participants et procédure

Un autoquestionnaire a été proposé, sur base volontaire et non rémunérée, à tous les étudiants en médecine de 1re année à l’université de Namur en Belgique, dans le cadre de leur cours de psychologie générale (N = 690). L’annonce a été réalisée en auditoire et par voie d’affiches. Le lien menant au questionnaire était en libre accès sur le « laboratoire virtuel » (site proposant régulièrement différents questionnaires aux étudiants). La récolte a été réalisée de février à mars 2014. Avant de remplir le questionnaire, il était demandé aux étudiants de lire et d’accepter le consentement à participer librement à cette étude. L’échantillon final est constitué de 210 étudiants (62 garçons et 148 filles). Nous avons donc un taux de participation de 30,4 %. L’âge moyen des étudiants ayant répondu est de 18,5 ans (SD = 1).

Récolte des données

Instruments de mesure

Le questionnaire en ligne était composé de questions portant sur des données sociodémographiques et des questionnaires présentés ci-dessous.

L’Internet Addiction Test (IAT)24 est un autoquestionnaire qui estime dans quelle mesure Internet affecte différents aspects de la vie quotidienne d’une personne. Selon certains auteurs, l’IAT est le questionnaire le plus souvent utilisé pour diagnostiquer l’usage problématique d’Internet ou l’addiction à Internet25. L’IAT comprend 20 items côtés sur une échelle de Likert à 6 points, allant de 1 « rarement » à 5 « toujours » avec 0 « ne s’applique pas ». Le score varie de 20 à 100 ; un score plus élevé indiquant davantage de problèmes avec l’utilisation d’Internet. Young24 suggère qu’un score compris entre 20 et 39 correspond à un utilisateur moyen qui garde un contrôle sur son utilisation d’Internet. Un score compris entre 40 et 69 signifie des problèmes fréquents dus à l’utilisation d’Internet, et un score compris entre 70 et 100 signifie qu’Internet est à l’origine de problèmes importants (qu’Internet interfère de manière significative avec la vie de l’utilisateur). Parallèlement, des auteurs26 ont considéré comme « utilisation élevée » ceux qui avaient un score supérieur ou égal à 40 au IAT, indiquant des problèmes occasionnels ou fréquents dus à l’utilisation d’Internet, et comme « utilisation moyenne » ceux qui avaient un score inférieur à 40. Cependant, des chercheurs1 utilisent parfois d’autres cut-off scores et considèrent que des scores de 20 à 49 représentent les utilisateurs moyens, des scores de 50 à 79 les utilisateurs ayant des problèmes occasionnels, des scores entre 80 et 100 correspondant aux utilisateurs dépendants. Parallèlement, selon Khazaal et coll.27 un score supérieur ou égal à 50 suggère des problèmes fréquents dus à l’utilisation d’Internet. Cette échelle présente des qualités psychométriques satisfaisantes et a été validée en français27. Toutefois, une analyse25 a mis en évidence que la fiabilité de l’IAT était plus élevée chez les étudiants et probablement en Asie. En effet, les analyses ont montré que le continent de l’étude affecte de manière significative les résultats concernant la fiabilité, celle-ci diminuant lorsque le continent est l’Europe.

LeProblem Video Game Playing (PVP)19 est un autoquestionnaire permettant de mesurer les problèmes associés aux jeux vidéo. Ce questionnaire, composé de 9 items, intègre les dimensions suivantes : la préoccupation, la tolérance, la perte de contrôle, la poursuite, le manque, la fuite, les mensonges, les actes illégaux, les perturbations familiales et/ou scolaires. Il est composé de 9 items côtés sur une échelle dichotomique : 1 « oui », 2 « non ». Le score total se situe entre 0 et 9. Nous avons utilisé la traduction française28, qui présente des qualités psychométriques satisfaisantes21, 29. Nous avons considéré comme « joueurs problématiques » les étudiants ayant un score supérieur ou égal à 5 et comme « joueurs sociaux » ceux qui avaient un score inférieur à 5. En effet, selon plusieurs auteurs30, ce cut-off score de 5 ou plus est le plus ad hoc pour classer les utilisateurs comme dépendants. Selon des auteurs21, le PVP est le seul instrument qui est capable d’évaluer la majorité des critères de l’Internet Gaming Disorder du DSM-5. Le PVP a été la première échelle validée pour mesurer l’utilisation problématique des jeux vidéo, développé pour détecter les abuseurs de jeux vidéo21.

L’échelle de stress perçu31 (PSS 14 – Perceived Stress Scale en 14 items) est un autoquestionnaire qui évalue l’importance avec laquelle des situations de la vie sont perçues comme stressantes. La PSS 14 utilisée dans cette étude comprend 14 items. Sept des 14 items sont considérés comme étant négatifs et les autres comme étant positifs et reflétant l’aide et l’auto-efficacité perçue. Pour chaque item, le sujet estime sa fréquence d’apparition sur une période récente (le mois écoulé) allant de « jamais » à « très souvent ». Chaque item est coté sur une échelle de type Likert à 5 points (de 0 à 4). Les scores sont obtenus en inversant les réponses aux items positifs (0 = 4, 1 = 3, 2 = 2, 3 = 1, 4 = 0) et ensuite en additionnant tous les scores. Le score total varie de 0 à 56. Un score plus élevé indique un niveau plus important de stress. Cette échelle a été choisie du fait qu’il existe des valeurs comparatives dans la littérature et parce qu’elle porte sur le stress en général et non sur un type spécifique de stress. Cette échelle n’est pas un instrument diagnostique. De ce fait, il n’existe pas de scores permettant d’identifier des niveaux de stress « élevés », « moyens » ou « bas ». Il est seulement possible d’effectuer des comparaisons entre différents groupes ou d’autres échantillons. Des données normatives sur des échantillons représentatifs de la population américaine ont été publiées32. Ces données sont utilisées comme comparaison. Cette échelle présente des qualités psychométriques tout à fait satisfaisantes31, 32. La fiabilité interne (alpha de Cronbach) de l’échelle sur un échantillon américain est de 0,7832. Les validités prédictives et discriminantes de l’échelle ont été démontrées dans plusieurs études qui lient le concept de stress mesuré à des conséquences de santé32.

La MADRS-S33 est la version « patient » de l’échelle de dépression de Montgomery et Asberg (MADRS) de 1979. Il s’agit d’une échelle d’auto-évaluation de la sémiologie dépressive en 9 items. Chaque item est coté de 0 à 6. Le score maximal est de 54. Cette échelle évalue la gravité des symptômes dans des domaines très variés tels que l’humeur, le sommeil et l’appétit, la fatigue physique et psychique et les idées suicidaires. Selon certains auteurs34, la MADRS-S a de bonnes qualités psychométriques. La MADRS-S a une bonne corrélation à la fois avec l’échelle MADRS et l’inventaire de dépression de Beck. Comme noté dans un article35, des scores de 12 à 20 sur la MADRS-S sont considérés comme indicatifs de dépression légère, et des scores supérieurs à 20 suggèrent une dépression modérée à sévère. Des scores au-dessus de 35 sont considérés comme sévères36.

Analyse des données

L’analyse des données a été faite à l’aide du logiciel SPSS, version 21 d’IBM.

Des tests T de Student ont été utilisés pour tester les différences dans les scores moyens d’usage problématique d’Internet et des jeux vidéo entre les deux sexes, les deux catégories d’âge, les niveaux d’étude de la mère et du père, et les deux statuts conjugaux, ainsi que des niveaux de stress, de dépression et de réussite universitaire. Des analyses de variance (ANOVA) à un facteur ont été utilisées pour tester les différences dans les scores moyens d’usage problématique d’Internet et des jeux vidéo en fonction du nombre de frères et soeurs, des niveaux de stress et de dépression.

Résultats

Les caractéristiques sociodémographiques des 210 étudiants ainsi que les résultats des scores d’usage problématique d’Internet et des jeux vidéo sont résumés dans le tableau 1.

Tableau 1

Scores moyens au IAT et au PVP en fonction des variables sociodémographiques

Scores moyens au IAT et au PVP en fonction des variables sociodémographiques

* p < 0,05

-> Voir la liste des tableaux

Les activités sur Internet

Les activités que les étudiants ont sur Internet sont présentées dans le tableau 2. Les plus fréquentes sont : chercher des informations, chatter, et regarder des vidéos ou écouter de la musique.

Tableau 2

Fréquences de 8 activités sur Internet

Fréquences de 8 activités sur Internet

-> Voir la liste des tableaux

L’usage problématique d’Internet

En prenant des cut-off scores stricts1, 27,1 % des étudiants peuvent être classés comme dépendants (score ≥ 80), et 24,4 % comme ayant des problèmes occasionnels (scores 50-79). A côté, 70,7 % sont des utilisateurs moyens (scores 20-49) (voir tableau 3).

L’usage problématique d’Internet en fonction des différentes variables sociodémographiques (voir tableau 1)

Le score moyen d’usage problématique d’Internet est significativement plus élevé chez les garçons que chez les filles. De plus, les étudiants n’ayant pas de frères et soeurs ont un score plus élevé que ceux ayant au moins 3 frères et soeurs. Le score moyen d’usage problématique d’Internet ne varie pas de manière significative en fonction des autres variables sociodémographiques.

Tableau 3

Répartition du nombre et pourcentage d’étudiants dans les différentes catégories de dépendance à Internet en fonction de leur score au IAT, en prenant en compte des cut-off scores stricts

Répartition du nombre et pourcentage d’étudiants dans les différentes catégories de dépendance à Internet en fonction de leur score au IAT, en prenant en compte des cut-off scores stricts

-> Voir la liste des tableaux

Scores d’usage problématique d’Internet en fonction du niveau de réussite universitaire, de stress et de dépression (voir tableau 4)

Au niveau des résultats universitaires, les étudiants estimant être dans la moyenne inférieure ont un score significativement plus élevé d’usage problématique d’Internet que les étudiants estimant être dans la moyenne supérieure.

Tableau 4

Scores moyens au IAT et au PVP en fonction des résultats universitaires, du stress perçu et du score de dépression au MADRS-S

Scores moyens au IAT et au PVP en fonction des résultats universitaires, du stress perçu et du score de dépression au MADRS-S

* p < 0,05

** p < 0,001

-> Voir la liste des tableaux

De plus, les étudiants ayant un stress perçu comme élevé ou très élevé et ceux ayant un score de dépression légère à modérée (au MADRS-S), ont un score significativement plus élevé d’usage problématique d’Internet.

L’usage problématique des jeux vidéo

64,3 % des étudiants ont déclaré ne pas jouer à des jeux vidéo. Parmi ceux jouant à des jeux vidéo, 11,4 % peuvent être considérés comme étant des joueurs problématiques et 88,6 % comme des joueurs sociaux (voir tableau 5).

Tableau 5

Nombre et pourcentage d’étudiants considérés comme joueur social ou joueur problématique en fonction de leur score au PVP

Nombre et pourcentage d’étudiants considérés comme joueur social ou joueur problématique en fonction de leur score au PVP

-> Voir la liste des tableaux

L’usage problématique des jeux vidéo en fonction des différentes variables sociodémographiques (voir tableau 1)

Le score moyen d’usage problématique des jeux vidéo est significativement plus élevé chez les étudiants plus âgés (20 ans ou plus) par rapport aux étudiants plus jeunes (17-19 ans). Le score moyen d’usage problématique d’Internet ne varie pas de manière significative en fonction des autres variables sociodémographiques.

Scores d’usage problématique des jeux vidéo en fonction du niveau de réussite universitaire, de stress et de dépression (voir tableau 4)

Les étudiants ayant un stress perçu comme élevé ou très élevé et ceux ayant un score de dépression modérée (au MADRS-S) ont un score significativement plus élevé d’usage problématique des jeux vidéo.

Le stress perçu

En prenant comme référence l’échantillon de Cohen et Williamson (1988)32 pour lequel la moyenne des personnes âgées de 18 à 29 ans était de 21,1 (SD = 70,2), dans notre échantillon, 1,1 % des étudiants ont un score de stress pratiquement nul, 5,4 % rapportent un stress qu’on peut qualifier de très léger, 52,7 % ont un score de stress moyen, 25,3 % ont un score de stress élevé ; 12,4 % ont un score de stress très élevé et 3,2 % ont un score de stress extrêmement élevé (voir tableau 6).

Tableau 6

Répartition du nombre d’étudiants en fonction du score total qu’ils ont obtenu à l’échelle de stress perçu de Cohen

Répartition du nombre d’étudiants en fonction du score total qu’ils ont obtenu à l’échelle de stress perçu de Cohen

(Effectif : nombre d’étudiants ayant obtenu un tel score total à l’échelle de stress perçu de Cohen).

-> Voir la liste des tableaux

Le niveau de dépression

Selon les sous-groupes couramment utilisés35, 50,5 % des étudiants ont un score indiquant une absence de dépression, 38,8 % ont un score de dépression légère, 10,2 % ont un score de dépression modérée et 0,05 % (1 étudiant) a un score de dépression sévère (voir tableau 7).

Tableau 7

Répartition du nombre d’étudiants en fonction du score total qu’ils ont obtenu à l’échelle de dépression MADRS-S de Montgomery et Asberg

Répartition du nombre d’étudiants en fonction du score total qu’ils ont obtenu à l’échelle de dépression MADRS-S de Montgomery et Asberg

(Effectif : nombre d’étudiants ayant obtenu un tel score total à l’échelle de dépression MADRS-S)

-> Voir la liste des tableaux

Discussion

Dans un échantillon de 210 étudiants en 1re année de médecine, nous observons un taux de 1 % d’étudiants pouvant être considérés comme dépendants à Internet. Cette valeur est proche de celle observée dans d’autres études portant sur des étudiants universitaires et ayant utilisé le même questionnaire1, parfois dans des contextes différents : culturellement (tels que l’Iran37 et le Népal18) ou en termes de population « adolescente »11. D’autres études, utilisant d’autres questionnaires, observent une prévalence plus élevée parmi des étudiants, allant de 5,2 % à 19,6 % 15, 16.

Par ailleurs, nous observons un taux de 24,4 % d’étudiants ayant un usage problématique occasionnel d’Internet. Ce pourcentage est beaucoup plus élevé que d’autres études1, 37 qui observent des taux entre 4 et 5,4 %. Par contre, le taux est de 41,53 % dans une étude18 portant sur 130 étudiants en médecine népalais. Il faut noter que la comparaison entre les différentes études est difficile du fait des différences dans les outils utilisés, les cut-off scores pris en compte et les différences de contexte social et culturel.

Par rapport à l’usage problématique des jeux vidéo, nous observons 11,4 % de joueurs problématiques. Cette valeur est assez proche de ce qui a été observé dans des études ayant porté sur des adolescents et rapportant des taux entre 7,7 et 16 % 21, 38, 39.

Liens avec les variables sociodémographiques

Dans notre échantillon, les garçons obtiennent en moyenne des scores plus élevés d’usage problématique d’Internet que les filles.

Cette prépondérance masculine a été observée dans plusieurs autres études ayant porté sur des étudiants universitaires aux Etats-Unis13, en Grande-Bretagne12, en Iran15 ou encore à Taïwan16. Toutefois, d’autres études, portant notamment sur des adolescents11, 40, n’ont pas observé cette différence liée au genre. Quelques études observent même une prépondérance féminine. C’est le cas notamment dans une étude18 portant sur des étudiants en médecine népalais.

Quant à l’usage problématique des jeux vidéo, nous n’observons pas de différence significative de genre, contrairement à d’autres études qui observent une prépondérance masculine de cette problématique19, 21.

Parmi les autres variables sociodémographiques, les étudiants n’ayant pas de frères et soeurs obtiennent des scores plus élevés au IAT que ceux ayant au moins trois frères et soeurs. Une manière d’interpréter ces données serait d’émettre l’hypothèse que durant leur enfance et leur adolescence, les enfants uniques avaient moins souvent des compagnons de jeu et ont de ce fait été plus tentés de passer du temps sur Internet pour se distraire, ce qu’ils garderaient comme habitude à l’âge adulte. On peut aussi penser que dans les familles nombreuses, les enfants ont moins l’occasion d’aller sur Internet, car ils doivent se partager l’accès à l’ordinateur. Ceci risque toutefois de devenir moins vrai dans certaines familles aisées où chaque enfant dispose de son ordinateur ou de sa tablette. Une tout autre hypothèse serait que l’augmentation du nombre d’individus dans une fratrie permette aux enfants d’investir des relations et des échanges centrés sur autre chose que les NTIC, ce qui les protégerait éventuellement d’une addiction plus tard.

Nous n’observons pas de différence en fonction du niveau d’éducation des parents ; contrairement à d’autres études dans lesquelles les comportements d’addiction à Internet étaient plus fréquents chez les adolescents qui avaient des parents avec un niveau moins élevé d’éducation41. Dans notre étude, une majorité d’étudiants ont leur père (72,4 %) et/ou leur mère (76,6 %) ayant un diplôme d’études supérieures ou universitaires. Le fait de ne pas voir de différence tient peut-être au fait que les étudiants à l’université ont un environnement social trop similaire, engendrant un échantillon avec une distribution biaisée, ne permettant pas de mettre en lumière une éventuelle corrélation significative entre le niveau socioculturel et l’addiction.

De même, nous n’observons pas de différence entre les étudiants vivant seuls et ceux vivant avec d’autres étudiants ou avec leurs parents contrairement à d’autres études, dans lesquelles le fait d’être dans une famille monoparentale était un des facteurs associés à l’addiction à Internet17 ainsi que le fait de vivre seul14. Enfin, nos étudiants célibataires ne sont pas plus souvent dépendants que ceux en couple, contrairement à une étude42.

Liens avec les résultats universitaires

Notre étude, comme d’autres14, 43, montre que les étudiants ayant des résultats dans la moyenne inférieure ont un score plus élevé d’usage problématique d’Internet que ceux ayant des résultats dans la moyenne supérieure.

En revanche, les différences ne sont pas significatives en ce qui concerne l’usage problématique des jeux vidéo. Plusieurs auteurs38, 44 ont observé un lien entre l’usage problématique des jeux vidéo et des résultats scolaires plus bas chez des enfants et des adolescents. Par contre, des auteurs29 n’ont pas observé cette corrélation négative chez des élèves de secondaire. Ces études ne concernaient toutefois pas de jeunes adultes. Afin de vérifier et de mieux comprendre l’impact de la dépendance aux jeux vidéo sur les résultats académiques, il serait utile de mener des études longitudinales.

Il est impossible de tirer des conclusions en termes de causalité sur la base de cette étude corrélationnelle. On sait toutefois que l’utilisation prolongée d’Internet et des jeux vidéo en soirée peut avoir des conséquences négatives sur le sommeil, ce qui pourrait impacter la qualité de la mémorisation et donc l’apprentissage. En effet, les écrans constituent une source lumineuse qui peut retarder l’endormissement45.

Lien avec les niveaux de stress

Les étudiants stressés ont des scores plus élevés d’usage problématique d’Internet et de jeux vidéo que ceux qui ne sont pas stressés. Notons que le niveau de stress est assez élevé dans notre échantillon. Ce taux est similaire à celui observé dans une étude antérieure23 réalisée sur 865 étudiants de première année de médecine de la même université. D’autres études ont également observé ce lien entre dépendance à Internet et niveaux de stress40 ou d’anxiété17.

Lien avec les niveaux de dépression

Les étudiants déprimés ont des scores plus élevés d’usage problématique d’Internet et de jeux vidéo que ceux qui ne sont pas déprimés. Un tel lien a déjà été mis en évidence chez les étudiants dans d’autres études1, 17.

Une relation bidirectionnelle pourrait exister entre l’utilisation pathologique d’Internet et des jeux vidéo et les troubles de l’humeur. C’est à la même conclusion qu’arrive le rapport de l’INSERM (2004).

Toutefois, selon une étude46, les scores plus élevés de dépression et d’anxiété étaient des conséquences de l’addiction à Internet (et non des causes). De même, d’autres auteurs38 indiquent que la dépression semble être une des conséquences du jeu pathologique.

De manière intéressante, des auteurs47 ont montré que le fait de jouer avec les parents aux jeux vidéo est associé, chez les filles uniquement, à une diminution des symptômes de dépression et d’anxiété. Bien entendu, il ne s’agissait pas ici de joueuses pathologiques, mais cette étude montre que jouer à des jeux vidéo peut également avoir un impact positif sur la santé mentale. Ce bénéfice dépendrait du thème du jeu (guerre, sport…), des personnes avec qui on joue (seul, parents, amis, inconnus…) et de l’adéquation entre les personnes qui jouent entre elles et le thème. Ces résultats montrent qu’il faut distinguer l’utilisation d’un outil de l’intention pathologique éventuelle qui peut naître de cette utilisation. Les jeux vidéo et Internet sont des outils avec de nombreuses possibilités qui ne sont pas à négliger. Il est important de faire la différence entre un usage important, mais constructif et un usage problématique d’Internet.

Limitations

Premièrement, la méthodologie utilisée ne permet pas de conclure à un lien de causalité entre l’usage problématique d’Internet et des jeux vidéo et le niveau de dépression. En effet, il n’est pas clair s’il s’agit d’une conséquence d’un état dépressif qui isole la personne et la fait entrer en relation avec des personnes virtuelles, ou la luminosité de l’appareil utilisé qui crée des déphasages des phases de sommeil créant une perturbation de l’humeur ou encore si c’est le contenu de ce qui est consulté sur Internet (ou du jeu vidéo) qui a un impact sur le contenu cognitif de la personne expliqué entre autres par l’effet Velten48. Il serait utile de prévoir des études avec des méthodologies permettant de faire la part des choses. Par exemple, on pourrait imaginer une étude longitudinale avec une méthodologie « échantillonnage d’expériences » dans laquelle on suivrait, dans le temps, le taux de prévalence d’addiction et de dépression d’étudiants. Bien que coûteuse en temps, cette méthodologie pourrait – si l’échantillon est suffisamment grand – permettre de proposer des modèles d’analyses causaux. Deuxièmement, outre un potentiel biais de sélection7, le fait d’utiliser uniquement des questionnaires d’auto-évaluation en ligne peut faire en sorte de minimiser l’importance des problèmes d’addiction et exagérer les éléments positifs comme les notes scolaires obtenues. Quoique cela n’a pas l’air d’être le cas dans cette étude. En effet, les résultats scolaires autorapportés se présentent sous forme d’une distribution normale en U, ce qui correspond généralement à ce qu’on trouve quand on prend en compte les résultats scolaires réels. Mais il est possible que les étudiants aient minimisé leur usage problématique d’Internet et de jeux vidéo. Notons également que l’inverse pourrait être vrai (c.-à-d. une exagération de cet usage) puisque des auteurs ont mis à jour une potentielle « surpathologisation » associée à une approche confirmatoire dans le domaine de l’addiction à Internet précisément2, 49. Il aurait dès lors été intéressant de réaliser des interviews cliniques afin de confirmer le diagnostic d’addiction à Internet et aux jeux vidéo. Troisièmement, comme il est dit dans l’introduction, l’usage d’Internet peut englober des problématiques très diverses, que nous ne pouvons préciser ici, n’ayant pas investigué la spécificité des activités réalisées en ligne par les étudiants. Enfin, une prudence reste de mise quant à l’interprétation des données, car, bien que rapportés par de nombreuses études, les seuils d’usage problématique utilisés dans ce champ de recherche restent insuffisamment validés à l’heure actuelle11.

Conclusion

En conclusion, nous voyons que l’addiction à Internet et aux jeux vidéo est un problème pour une certaine part de la population et les étudiants en médecine n’en sont pas épargnés. Nous observons un lien entre l’utilisation de ces technologies, un stress perçu et un score de dépression plus important, ainsi qu’une diminution des performances rapportées en lien avec l’utilisation problématique d’Internet. La question de la cause ou de la conséquence reste entière après cette étude étant donné qu’il s’agit d’une étude corrélationnelle.

Cet article pose également la question de l’utilisation de ces outils technologiques dans une discipline qui en bénéficie tant pour l’apprentissage des étudiants que pour la pratique professionnelle qu’elle soit diagnostique (consultation de base de données médicales par exemple) ou thérapeutique (récolte de données, encodage d’informations médicales, utilisation d’avatars ou de vidéos psychoéducatives par exemple), mais qui n’est pas sans conséquence potentiellement délétère telle que la souffrance psychique individuelle (révélée ou provoquée) et une déshumanisation du lien à l’autre par l’instantanéité et la dé-subjectivation des observations cliniques.