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Introduction

Les jeunes de minorités sexuelles (JMS), aussi dits lesbiennes, gais, bisexuels ou en questionnement (LGBQ), rapportent des taux élevés de détresse psychologique tels que des symptômes dépressifs, de l’anxiété, des idéations suicidaires, etc. (Burton, Marshal, Chisolm, Sucato et Friedman, 2013 ; Williams et Chapman, 2011). Zhao, Montoro, Igartua et Thombs (2010) ont rapporté des taux de symptômes dépressifs chez 62,1 % des jeunes LGB et 44,1 % des jeunes ayant une orientation sexuelle incertaine. Woodford, Han, Craig, Lim et Matney (2013) ont démontré que les JMS avait 1,6 fois plus de risque de rapporter des niveaux élevés ou modérés d’anxiété et 1,7 fois plus de risque de rapporter des niveaux élevés ou modérés de dépression que leurs pairs hétérosexuels. Pour ce qui est des tentatives de suicide, le taux varierait de 9,5 % à 21 % chez les JMS, selon les enquêtes (Zhao et al., 2010 ; Hatzenbuehler et Keyes, 2012).

Afin de comprendre ces indices de détresse plus élevés chez les JMS, le modèle du stress minoritaire (Meyer, 2003) avance que les personnes de minorités sexuelles sont exposées à une forme spécifique de stress attribuable à leur appartenance à un groupe minoritaire stigmatisé. Dans cette optique, la discrimination et les préjudices vécus sur la base de l’orientation sexuelle imposeraient un stress chronique qui augmenterait la détresse psychologique et compromettrait l’intégration harmonieuse de l’orientation sexuelle et l’adaptation psychosociale (Meyer, 2003). Meyer (2003) définit deux formes de stress, l’une, distale et l’autre, proximale. Le stress distal décrit les évènements qui portent préjudice à l’intégrité d’une personne telle que la violence, la victimisation et la discrimination. Au Québec, malgré les avancées dans la reconnaissance des droits des personnes de minorités sexuelles (par exemple, la légalisation du mariage gai), il reste que les JMS vivent encore au quotidien de la stigmatisation et de la victimisation (par exemple, insultes, railleries, discrimination, violences physiques). Plusieurs études récentes confirment en effet que les JMS sont, encore aujourd’hui, plus à risque de vivre de la victimisation que leurs pairs hétérosexuels (Blais, Gervais, Boucher, Hébert et Lavoie, 2013 ; Taylor et Peter, 2011 ; Hughes, McCabe, Wilsnack, West et Boyd, 2010 ; Chamberland et al., 2013). Parmi les formes de victimisation homophobe les plus fréquentes, on peut identifier l’humiliation, l’atteinte à la réputation, l’exclusion et la cyberintimidation, des formes de victimisation homophobe psychologique qui touchent du tiers à la moitié des JMS québécois (Blais et al., 2013 ; Chamberland et al., 2013). Le harcèlement sexuel et la violence physique touchent environ de 2,6 % à 15 % des jeunes LGB, alors que la coercition et la menace, le vandalisme des effets personnels et la coercition sexuelle touchent moins de 10 % d’entre eux (Blais et al., 2013 ; Chamberland et al., 2013). Or, l’expérience de la victimisation homophobe augmenterait l’isolement social et la détresse psychologique (Hatzenbuehler, Nolen-Hoeksema et Dovidio, 2009 ; Berghe, Dewaele, Cox et Vincke, 2010).

Quant au stress proximal, il est la conséquence de l’interprétation personnelle et de l’intériorisation des évènements stressants et des préjudices vécus par une personne (Meyer, 2003 ; Hatzenbuehler, 2009). En l’occurrence, l’homophobie intériorisée, définie comme l’intériorisation des violences homophobes, de l’hétérosexisme et des sentiments négatifs à l’endroit de soi et de son orientation sexuelle (Herek, 2004), constitue une forme de stress proximal qui peut compromettre la capacité d’adaptation d’une personne (Meyer, 2003 ; Hatzenbuehler, 2009). Lorsqu’ils doivent faire face à la stigmatisation de leur orientation sexuelle, les JMS présentent en effet des difficultés d’acceptation d’eux-mêmes qui se manifestent notamment par de l’homophobie intériorisée et une faible estime d’eux-mêmes (Blais et al., 2013 ; Willoughby, Doty et Malik, 2010), lesquelles sont associées à une moindre utilisation des ressources sociales et psychologiques ainsi qu’à la détresse psychologique (Lehavot et Simoni, 2011 ; Szymanski et Kashubeck-West, 2008). Considérant que l’intégration harmonieuse d’une orientation sexuelle minoritaire est cruciale pour la santé mentale des jeunes de minorités sexuelles (Chamberland et al., 2011 ; Rosario et al., 2011 ; Luhtanen, 2002), il est important d’identifier les variables susceptibles d’influencer l’impact des agents stressants distaux et proximaux sur la santé mentale des JMS. Le soutien social pourrait jouer un tel rôle en diminuant la détresse psychologique et l’homophobie intériorisée (Szymanski et Kashubeck-West, 2008). À cet égard, les parents constituent une source importante de soutien social pour les JMS, particulièrement jusqu’au passage à l’âge adulte (Espelage, Aragon, Birkett et Koenig, 2008 ; Cloutier et Drapeau, 2008). D’ailleurs, le soutien d’un confident, de la famille (en général) et plus particulièrement le soutien parental est significativement associé à l’intégration positive de l’orientation sexuelle et au bien-être des JMS (Berghe et al., 2010 ; Shilo et Savaya, 2011 ; Antonio et Moleiro, 2015). Cependant, certaines études rapportent que les personnes LGB reçoivent moins de soutien social et parental que les personnes hétérosexuelles (Eisenberg et Resnick, 2006 ; Plöderl et Fartacek, 2005). De plus, dans la plupart des travaux sur le soutien social, le soutien parental n’est pas directement étudié et, dans ceux qui l’abordent, l’impact du soutien parental sur le lien entre la victimisation homophobe, l’homophobie intériorisée et la détresse psychologique y est rarement exploré. Ainsi, la présente étude permettra de mieux documenter le possible rôle modérateur du soutien parental dans ces relations.

D’autres facteurs sont aussi associés à la détresse psychologique et doivent être pris en compte pour mieux isoler l’effet du stress minoritaire sur la détresse psychologique, notamment le genre et l’âge. Ainsi, les filles adolescentes seraient de 1,97 à 2,44 fois plus à risque de vivre de la victimisation comparées à leurs pairs masculins (Schneider et al., 2012). Elles seraient aussi plus à risque de vivre de la détresse psychologique, de rapporter une faible estime de soi et d’avoir des idéations suicidaires (Cénat, Blais, Hébert, Lavoie et Guerrier, 2015). Pour ce qui est de l’âge, les jeunes hétérosexuels tout comme les JMS rapporteraient une diminution de la détresse psychologique à mesure qu’ils vieillissent (Jenkins et Vazsonyi, 2013).

Par ailleurs, comme l’adolescence est une période propice à l’intervention, notamment en raison de l’importance d’intervenir avant l’apparition des symptômes et que la majorité des jeunes vivent toujours avec leurs parents à cette période, il est important de mieux comprendre le rôle modérateur possible du soutien parental dans les relations entre la victimisation homophobe, l’homophobie intériorisée et la détresse psychologique chez les JMS. Cette étude vise donc 1) à documenter la prévalence de différentes formes de victimisation homophobe, et ce, selon le genre et l’âge et 2) à tester l’effet modérateur potentiel du soutien parental dans la relation entre la victimisation homophobe, l’homophobie intériorisée et la détresse psychologique.

Méthode

Devis

Les données utilisées dans cette étude proviennent de l’enquête sur le Parcours amoureux des jeunes (PAJ) du Québec. Cette enquête au devis longitudinal a été réalisée auprès de plus de 8000 jeunes du Québec fréquentant, au moment de la première collecte de données, le deuxième cycle du secondaire. Elle inclut un volet portant spécifiquement sur les JMS dont le recrutement s’est effectué en ligne et auprès d’organismes communautaires LGB. Elle vise à documenter, dans l’optique de la théorie du stress minoritaire, le rôle des traumas interpersonnels sur l’adaptation psychosociale des JMS. Diverses stratégies ont été utilisées pour recruter les participants, telles que l’affichage de publicité en ligne, sur les réseaux sociaux (par ex., Facebook), la distribution de courriels sur des listes de diffusion, ainsi que la distribution de dépliants promotionnels dans des organismes communautaires québécois travaillant avec les jeunes de minorités sexuelles.

Les données ont été colligées à l’aide d’un questionnaire web visant les JMS âgés de 14 à 22 ans (n = 336). Ce projet de recherche a été approuvé par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Montréal. Après élimination des observations invalides (doublons, données manquantes), l’échantillon final analysé pour cet article est composé de 228 JMS âgés de 14 à 22 ans. Parce que cet article porte exclusivement sur la victimisation basée sur une orientation sexuelle minoritaire, les jeunes qui s’identifiaient comme ayant une attirance sexuelle exclusivement envers l’autre sexe ou comme une personne trans n’ont pas été inclus.

Mesures

Variable dépendante

La détresse psychologique a été mesurée à l’aide du Kessler Psychological Distress Scale (Kessler et al., 2002). Cette échelle, comportant dix énoncés, a été utilisée par Statistique Canada dans l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. Contrairement à l’échelle originale qui couvre le dernier mois, la consigne donnée aux répondants porte sur la dernière semaine écoulée (« Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, à quelle fréquence t’es-tu senti/e… ») et couvre des indicateurs de détresse tels que l’épuisement, la nervosité, le désespoir, l’agitation, la tristesse et la démotivation (par ex., « triste ou déprimé/e », « si nerveux ou nerveuse que rien ne pouvait te calmer »). Une échelle de type Likert en 5 points variant de Jamais (1) à Tout le temps (5) était proposée aux répondants. La somme des réponses a permis d’obtenir un score global de détresse psychologique. La cohérence interne de cette échelle dans le présent échantillon est excellente (alpha de Cronbach = 0,93).

Variable indépendante

La victimisation basée sur le statut sexuel minoritaire a été mesurée, à titre de stresseur distal, par une échelle développée à partir d’une étude quantitative auprès de 2747 jeunes Québécois de 3e et 5e secondaire provenant de 30 écoles publiques par Chamberland et al. (2010), dont la consigne générale est : « Au cours des six derniers mois, à quelle fréquence as-tu personnellement vécu les situations suivantes parce qu’on pensait que tu es gai/e, lesbienne, bisexuel/le ou trans ? » Les neuf situations explorées dans l’article de Chamberland et al. (2010) ont été reprises telles quelles : « Se faire exclure, rejeter, ou être mis/e à l’écart », « Se faire vandaliser, voler ou détruire des objets personnels (ex. : se faire briser son cellulaire ou son portable) », « Se voir forcé/e à poser des gestes sexuels, être victime d’agression sexuelle ou être la cible de voyeurisme ou d’exhibitionnisme », « Être victime de rumeurs, d’intimidation, de menaces ou de harcèlement par voie électronique (Internet, Facebook, MySpace, MSN, courriel, textos, etc.) », « Se faire bousculer, frapper, donner des coups de pied, se faire cracher dessus ou lancer des objets », etc. Les réponses étaient indiquées sur une échelle de Likert en 5 points, de Jamais (1) à Toujours (5).

Variable médiatrice

L’homophobie intériorisée a été mesurée, à titre de stresseur proximal, par les trois énoncés développés et suggérés par Mohr et Kendra (2011) dans le Lesbian, Gay and Bisexual Identity Scale. Ces trois énoncés sont : « Je souhaiterais être hétérosexuel/le », « Si j’en avais la possibilité, je préfèrerais être hétérosexuel/le » et « Le style de vie homosexuel n’est pas aussi épanouissant que le style de vie hétérosexuel ». Les répondants devaient indiquer leur degré d’accord ou de désaccord avec chaque énoncé sur une échelle de type Likert en six points variant de Fortement en désaccord (1) à Fortement en accord (6). Les énoncés originaux, en anglais, ont été traduits par l’équipe pour la présente enquête. La cohérence interne de cette échelle dans le présent échantillon est adéquate (alpha de Cronbach = 0,77) bien que plus faible que celle observée par Mohr et Kendra (2011 ; alpha de Cronbach = 0,86).

Variable modératrice

Le soutien parental perçu a été mesuré à l’aide de 6 énoncés adaptés de Armsden et Greenberg (1987) et de Small et Rogers (1995) mesurant le soutien apporté par la mère et le père (par ex., « Ma mère est disponible lorsque j’ai besoin d’elle »). Cet instrument de mesure a d’ailleurs été utilisé dans l’étude de Banyard et Cross (2008) dans son article sur la violence conjugale et présente une cohérence interne adéquate dans le présent échantillon (alpha de Cronbach = 0,84). Les énoncés originaux, en anglais, ont été traduits par l’équipe pour la présente enquête. Cinq choix de réponse sur une échelle de type Likert étaient proposés, de Jamais (1) à Très souvent (5).

Analyses statistiques

D’abord, des analyses descriptives sur l’ensemble de l’échantillon ont été réalisées. Ensuite, des analyses comparant les sous-groupes de genre (filles et garçons) et d’âge (14-17 et 18-22 ans) ont été réalisées. Des tests de Chi-carré ont été réalisés pour les variables catégorielles et des tests t de Student, pour les variables continues. Enfin, le modèle présenté à la Figure 1 a été testé. Ce modèle postule que : la victimisation homophobe augmente la détresse psychologique directement (H1) ; la victimisation homophobe augmente la détresse psychologique indirectement, en augmentant l’homophobie intériorisée (H2) qui, elle, augmente la détresse (H3) ; et le soutien parental atténue les effets de la victimisation homophobe sur l’homophobie intériorisée (H4) et la détresse psychologique (H5). Ces hypothèses ont été testées simultanément dans un modèle de médiation modérée (Hayes, 2013) par une approche d’analyse acheminatoire (angl. path analysis) à l’aide du logiciel Stata 13.1 (StataCorp, 2013). Pour tester les effets indirects de ces modèles et obtenir des intervalles de confiance robustes, nous avons utilisé la technique de rééchantillonnage par biais corrigé et accéléré sur 1000 réplications avec remise. Cette procédure est adaptée aux distributions non normales ainsi qu’aux petits échantillons et elle est recommandée par Preacher et Hayes (2008). Des intervalles de confiance corrigés qui excluent la valeur zéro sont considérés comme significatifs. Dans un premier temps, ce modèle a été testé sur l’échantillon complet. Ensuite, afin d’examiner la variation potentielle des relations entre victimisation homophobe, homophobie intériorisée et détresse psychologique en fonction du genre et du groupe d’âge, ce modèle a été testé séparément sur les sous-échantillons de filles et de garçons ainsi que sur deux sous-groupes d’âge. Les tendances décrites pour le modèle testé sur l’échantillon complet sont observées dans chacun des sous-groupes de genre et d’âge. Toutefois, en raison de la taille échantillonnale réduite de ces sous-échantillons et de la perte de puissance statistique qui en résulte, les paramètres testés n’atteignent pas le seuil de significativité. Pour cette raison, ces modèles secondaires ne sont pas présentés.

Figure 1

Modèle de médiation modérée visant à estimer le rôle modérateur du soutien parental dans les relations entre la victimisation homophobe, l’homophobie intériorisée et la détresse psychologique

Modèle de médiation modérée visant à estimer le rôle modérateur du soutien parental dans les relations entre la victimisation homophobe, l’homophobie intériorisée et la détresse psychologique

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Résultats

Le Tableau 1 présente les caractéristiques des participants. Ils étaient âgés de 14 à 22 ans (moyenne = 18,01) et rapportaient majoritairement une attraction sexuelle envers des personnes de même sexe (76 %). La majorité de l’échantillon est composé de filles (63 %) et vivait ailleurs qu’avec leurs deux parents respectifs (69 %). De plus, 71 % des répondants ont vécu au moins une forme de victimisation homophobe, dont l’humiliation (48 %), l’atteinte à la réputation (48 %), l’exclusion (35 %) et la cyberintimidation (25 %) sont les plus fréquentes.

Des analyses selon l’âge et le genre démontrent que certaines formes de victimisation sont influencées par ces deux variables sociodémographiques. Ainsi, selon les analyses, les garçons seraient significativement plus à risque de rapporter vivre au moins une forme de victimisation. En ce qui concerne les formes spécifiques de victimisation, les garçons étaient plus susceptibles d’avoir vécu de l’humiliation, de la violence physique, du harcèlement sexuel et de la coercition sexuelle, comparativement aux filles. Pour ce qui est de l’âge, les adolescents âgés de 14 à 17 ans seraient plus risque de vivre du rejet et de l’exclusion, des atteintes à leur réputation, de la cyberintimidation, de la violence physique, du vandalisme de leurs biens personnels, et d’être contraints à faire quelque chose contre leur gré, comparés aux jeunes adultes âgés de 18 à 22 ans. Il semble donc que le fait d’être un garçon ou encore d’être jeune soit associé au fait de vivre de la victimisation homophobe en plus grande proportion que pour les filles et les personnes plus âgées.

Tableau 1

Caractéristiques des participants (n = 228)

Caractéristiques des participants (n = 228)
1

Moyenne variant de 1 (fortement en désaccord ; faible endossement des énoncés relatifs à l’homophobie intériorisée) à 6 (fortement en accord ; fort endossement des énoncés).

2

Somme variant de 10 (faible endossement des énoncés relatifs à la détresse psychologique) à 50 (fort endossement des énoncés relatifs à la détresse psychologique)

3

Moyenne variant de 1 (jamais ; aucune victimisation homophobe) à 5 (toujours ; fréquente victimisation homophobe).

4

Moyenne variant de 1 (jamais ; aucun soutien parental) à 5 (très souvent ; maximum de l’échelle de soutien parental).

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Au niveau de la variable dépendante, il semblerait qu’il y ait une différence selon le genre ainsi que selon l’âge. Selon les analyses, les filles et les adolescents (14-17 ans) rapporteraient vivre davantage de détresse psychologique que les garçons (14-17 ans) ou encore les jeunes adultes (18-22 ans). De plus, les adolescents (14-17 ans) rapporteraient vivre d’avantage de victimisation homophobe que les jeunes adultes âgés de 18 à 22 ans. Pour ce qui est de l’homophobie intériorisée et du soutien parental, les résultats ne permettent pas de conclure à des différences selon le genre ou l’âge.

La Figure 2 présente le modèle statistique estimé. Comme postulée, la détresse psychologique est significativement associée à la victimisation homophobe, tant directement (H1 ; coefficient = 0,718, IC95 % = 0,272-1,164) qu’indirectement via le rôle médiateur de l’homophobie intériorisée (H2 ; coefficient = 0,948, IC95 % = 0,356-1,540 et H3 ; coefficient = 0,105, IC95 % = 0,0009-0,201). Le rôle modérateur du soutien parental est confirmé dans la relation entre la victimisation homophobe et la détresse psychologique (H5 ; coefficient = -0,216, IC95 % = 0,272-1,164). Ainsi, à niveau égal de victimisation, les jeunes rapportant peu de soutien parental vivent plus de détresse psychologique. Tous les effets vont dans la direction attendue. Toutefois, l’hypothèse voulant que le soutien parental atténue l’impact de la victimisation sur l’homophobie intériorisée n’a pas été confirmée (H4 ; coefficient = 0,280, IC95 % = -0,069-0,631). Ce modèle explique 22,5 % de la variance de la détresse psychologique et 6,6 % de la variance de l’homophobie intériorisée.

Les analyses présentées dans le Tableau 2 indiquent que l’augmentation du soutien parental jusqu’à la moyenne est associée à une diminution de la détresse psychologique rapportée. Ces analyses démontrent qu’à niveau égal de victimisation, ceux ayant accès au soutien parental vivraient moins de détresse psychologique comparativement à ceux qui ont moins de soutien parental. Toutefois, l’effet du soutien parental s’estompe lorsqu’il dépasse la moyenne. Ainsi, le soutien parental a un effet modérateur jusqu’à une valeur d’environ 1 écart-type au-dessus de la moyenne, à partir d’où son effet de modérateur n’est plus significatif.

Figure 2

Modèle statistique de médiation modérée avec coefficients de régression

Modèle statistique de médiation modérée avec coefficients de régression

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Tableau 2

Effet indirect du soutien parental sur la détresse psychologique via l’homophobie intériorisée à des valeurs spécifiques du soutien parental

Effet indirect du soutien parental sur la détresse psychologique via l’homophobie intériorisée à des valeurs spécifiques du soutien parental

Note. Écart-type et intervalles de confiance par rééchantillonnage par biais corrigé et accéléré sur 1000 réplications avec remise.

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Discussion

Cette étude visait à explorer la relation entre la victimisation homophobe, l’homophobie intériorisée, le soutien parental et la détresse psychologique chez des JMS. Les relations attendues sont en majorité confirmées, montrant un lien direct entre la victimisation homophobe et la détresse psychologique. De plus, le rôle de médiateur de l’homophobie intériorisée et le rôle modérateur du soutien parental dans les relations entre la victimisation homophobe et la détresse psychologique ont été confirmés. Ainsi, le soutien parental atténue, lorsqu’il est suffisant, les effets de la victimisation homophobe sur la détresse psychologique. Toutefois, le soutien parental n’avait pas de rôle modérateur sur l’impact de la victimisation homophobe sur l’homophobie intériorisée. Il est possible de croire qu’à l’adolescence, l’opinion des pairs est plus importante que celle des parents dans le processus d’individuation et que les JMS intériorisent davantage l’opinion de ceux-là.

Les résultats obtenus démontrent qu’à un même niveau de victimisation homophobe, les jeunes de minorités sexuelles ayant moins de soutien parental risquent de vivre plus de détresse psychologique. On peut supposer que le soutien parental influence le sentiment de sécurité des JMS ou encore leur permette de développer des mécanismes d’adaptation pour faire face au stress (Cloutier et Drapeau, 2008). Ces mécanismes d’adaptation sont susceptibles d’avoir une influence sur la santé mentale des JMS et mériteraient d’être explorés dans les travaux futurs.

Ces résultats soulignent l’importance du soutien des parents durant la transition vers l’âge adulte chez les jeunes de minorités sexuelles qui vivent de la victimisation homophobe. Ces résultats sont importants considérant que les JMS rapportent en général moins de soutien social et parental que les jeunes hétérosexuels (Eisenberg et Resnick, 2006 ; Plöderl et Fartacek, 2005). D’ailleurs, il a été démontré par nombre d’études que les jeunes de minorités sexuelles vivent plus de victimisation et de détresse psychologiques que leurs pairs hétérosexuels (Taylor et al., 2011 ; Blais et al., 2013 ; Hughes et al., 2010 ; Zhao et al., 2010 ; Hatzenbuehler et Keyes, 2012 ; Burton et al., 2013).

Ces résultats permettent aussi de constater l’impact négatif de la victimisation homophobe sur la perception qu’ont les jeunes d’eux-mêmes. Comme mentionné par Russel, Ryan, Toomey, Diaz et Sanchez (2011), les expériences de victimisation homophobe envoient le message aux jeunes que leur orientation sexuelle est illégitime et qu’ils devraient en avoir honte. Tout comme le stipulait Meyer (2003), la victimisation homophobe et cette perception négative (Herek, 2004), qui se manifestent par l’homophobie intériorisée et la faible estime de soi, se traduisent en partie par de la détresse psychologique. Ainsi, les parents peuvent jouer un rôle important, par leur disponibilité, leur présence et leur soutien dans la recherche de solutions, pour minimiser les conséquences de la victimisation homophobe sur la santé mentale de leurs enfants (Stadler, Feijel, Rohrmann, Vermeiren et Poutska, 2010).

De surcroît, ces résultats confirment aussi qu’il existe des différences selon le genre et l’âge en ce qui a trait à la victimisation homophobe ainsi qu’à la détresse psychologique. Ainsi, nos résultats confirment les résultats des études qui démontrent que les filles sont plus à risque de rapporter de la détresse psychologique comparativement à leurs pairs masculins (Schneider et al., 2012 ; Cénat et al., 2015). De plus, ces résultats réitèrent l’importance d’intervenir tôt durant le développement des jeunes puisque les JMS de 14 à 17 ans sont davantage à risque de rapporter vivre de la victimisation homophobe et de la détresse psychologique que les JMS plus âgés (18 à 22 ans).

Les résultats ne permettent toutefois pas de conclure à un lien de modération du soutien parental sur la relation entre la victimisation homophobe et l’homophobie intériorisée. Ainsi, nos résultats ne concordent pas avec ceux de Willoughby et al. (2010) qui rapportent un effet significatif du soutien parental sur l’intégration de l’orientation sexuelle. La mesure de soutien parental utilisée dans la présente étude porte le soutien reçu des parents de façon générale et décontextualisée, et non pas le soutien qu’ils prodiguent à leur enfant dans le contexte propre à l’intégration de l’orientation sexuelle. Le recours à une mesure de soutien parental spécifique à l’orientation sexuelle pourrait mener à des conclusions différentes sur son rôle modérateur. De plus, connaissant l’importance de pairs à l’adolescence (Cloutier et Drapeau, 2008), il aurait été intéressant de prendre en compte non seulement la victimisation, mais aussi l’exposition des JMS à des propos et comportements homophobes non directement dirigés vers eux. Ainsi, par apprentissage vicariant, cette exposition pourrait également constituer un stresseur distal tout aussi important à considérer pour comprendre le développement de l’homophobie intériorisée.

Bien que le contexte de la victimisation homophobe n’ait pas été pris en compte dans la présente étude, ces résultats appuient l’importance des initiatives de lutte contre l’homophobie et l’hétérosexisme. Ces initiatives devraient viser le changement des attitudes relatives à la diversité sexuelle afin de minimiser l’exposition des JMS à la victimisation homophobe et sensibiliser les différents intervenants impliqués aux indices de victimisation et de détresse psychologique. Considérant que l’école, la maison et le milieu de travail sont trois des contextes les plus importants dans la vie des adolescents et des adultes émergents, ils devraient être visés prioritairement.

Les résultats montrent la pertinence de sensibiliser les parents au dépistage des situations de violence que peuvent vivre leurs enfants ainsi qu’aux indices de détresse qu’ils peuvent manifester (épuisement, nervosité, désespoir, agitation, tristesse, démotivation, etc.). Ils doivent aussi être sensibilisés à leur rôle clé dans la prévention de la détresse psychologique et éduqués sur les questions relatives à la diversité sexuelle afin de ne pas eux-mêmes renforcer la victimisation basée sur le statut sexuel minoritaire à travers des attitudes et des comportements désapprobateurs. Le fait que l’effet modérateur du soutien parental s’estompe lorsqu’il dépasse la moyenne pourrait être dû à la taille échantillonnale modérée et à une perte de puissance statistique. D’une part, ceci ne signifie pas que ce soutien n’est pas cliniquement significatif pour les jeunes qui en bénéficient. D’autre part, si cette tendance devait se maintenir dans un échantillon de plus grande taille, elle soulignerait que les habiletés de soutien exigées des parents pour avoir un effet significatif restent modérées et, possiblement, susceptibles d’être acquises plus facilement.

Des programmes d’intervention devraient être mis en place pour soutenir directement les JMS dans le développement d’habiletés de gestion de la violence, telles que l’accompagnement dans la dénonciation et la protection contre la revictimisation. De plus, des interventions visant le changement d’attitudes doivent être mises en place pour aider les JMS à intégrer harmonieusement leur orientation sexuelle et réduire l’intériorisation de l’homophobie sociétale et de l’hétérosexisme.

Cette étude comporte certaines limites qui doivent être prises en considération. Premièrement, la nature de la collecte de données autorapportées implique des biais possibles de désirabilité sociale, de mémoire et de subjectivité dans l’évaluation de la victimisation ou de son attribution à l’orientation sexuelle ou à la non-conformité de genre. Deuxièmement, le caractère non probabiliste et communautaire de l’échantillon implique qu’il ne peut être jugé représentatif des JMS du Québec. Ainsi, la composition de l’échantillon peut sous-représenter les jeunes qui ne s’identifient pas ouvertement comme JMS et n’auraient pas été rejoints par les stratégies de recrutement déployées en ligne et en milieu communautaire. En ce sens, les jeunes rejoints auraient pu bénéficier d’un réseau de soutien plus important que les autres ou avoir davantage intégré leur orientation sexuelle. De plus, il est possible de remarquer une légère surreprésentation de filles dans notre échantillon. Cette surreprésentation a pu influencer nos résultats puisque les taux de victimisation homophobes semblent être différents selon le genre (Poteat, O’Dwyer et Mereish, 2012). De fait, il est plausible que les personnes interrogées présentent des degrés de victimisation, d’homophobie intériorisée et de détresse psychologique non représentatifs. Qui plus est, la taille échantillonnale modeste diminue la puissance statistique nécessaire pour détecter la présence de liens significatifs. Troisièmement, la mesure de soutien parental utilisée dans cette étude fait référence à une forme générique de soutien, de sorte que le soutien propre à l’orientation sexuelle et les attitudes parentales à l’égard de l’orientation sexuelle n’ont pas été pris en compte. Finalement, il est peu probable que l’expérience de victimisation homophobe soit vécue de manière uniforme par tous les JMS. En ce sens, la modulation de cette expérience en fonction de l’orientation sexuelle (lesbiennes, gais, bisexuels, bisexuelles), de l’ethnicité ou de la classe sociale n’a pas été prise en compte dans cet article, ce qui aurait permis de raffiner les résultats.

Dans le cadre de futures recherches, il serait utile d’explorer le rôle du soutien parental propre à l’orientation sexuelle sur les liens entre victimisation homophobe, homophobie intériorisée et détresse psychologique auprès d’un échantillon représentatif et de plus grande taille. Il serait pertinent de prendre en compte la divulgation de l’orientation sexuelle aux parents, puisqu’il peut être difficile pour les parents de fournir un soutien propre à l’orientation sexuelle pour les jeunes qui ne l’ont pas encore dévoilée. Malgré ces limites, cette étude montre la grande vulnérabilité des JMS à la victimisation, l’importance des efforts de lutte contre l’homophobie pour réduire la détresse psychologique des JMS et le rôle clé des parents dans le maintien d’une bonne santé mentale chez ces jeunes.