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L’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost (HSMAP), aussi appelé Pavillon Albert-Prévost (PAP), a développé au plus haut point, dès ses origines en 1919 les approches dites de psychothérapie, selon les champs d’expertises de ses membres et selon les données probantes disponibles. C’est ainsi que la tradition psychothérapeutique du PAP a débuté par une forme de psychothérapie de milieu, incluant, entre autres, bienveillance, calme, revalorisation et musique, pour ensuite évoluer, avec l’arrivée du docteur Camille Laurin en 1958, vers une approche plus spécifique d’inspiration psychanalytique. Outre cette mission de soins cliniques, le PAP s’est également dédié à l’enseignement de futurs psychothérapeutes et a donc participé à la formation de nombreuses générations de psychanalystes (Des Groseillers, 2001) par l’implication de ses membres dans la création et les activités de la Société psychanalytique de Montréal (Bossé, 2001), la création du Certificat d’études supérieures en psychiatrie de l’Université de Montréal par Dr Laurin, la Quinzaine scientifique annuelle d’Albert-Prévost, de grands colloques à dimension internationale dont, en 1969, La Problématique de la psychose (Doucet, 1969) et en 1984, Psychiatrie-psychanalyse : jalons pour une fécondation réciproque (Amyot, 1985). Par la suite, des initiatives d’enseignement plus formelles ont été mises en place, comme la création du premier programme d’enseignement de la psychothérapie par Dr Yvon Gauthier, les séminaires de psychanalyse et la création de l’Unité de psychothérapie psychanalytique du PAP en 1985, sous la direction de Dre Bernadette Tanguay. En 1997, sur la recommandation de Dre Christiane Bertelli, cette unité devient le Centre de Psychothérapie du PAP, dirigé par Dr Wilfrid Reid, dont la mission est de favoriser la formation et la pratique de la psychothérapie et qui, pour tenir compte du pluralisme des modèles théoriques, comporte quatre modules d’enseignement soit le cognitivo-comportemental, l’interpersonnel, le psychodynamique et le systémique.

Malgré la tradition psychothérapeutique bien établie du PAP, force est de constater que le contexte actuel du système de santé et les exigences croissantes de formation en psychiatrie réclament une révision du concept de la psychothérapie et sa dissémination. En effet, les besoins croissants de la population en matière de psychothérapie ainsi que la rareté relative des psychothérapeutes disponibles engendrent un climat de pénurie se répercutant sur les soins cliniques. Ce manque de ressources est d’autant plus frappant que les exigences de formation des professionnels de santé sont en perpétuelle augmentation : de façon similaire aux patients, les psychiatres en formation doivent eux aussi attendre un psychothérapeute mentor disponible.

Dans cette optique, et pour célébrer les 100 ans de l’HSMAP, en continuité avec sa mission d’enseignement de la psychothérapie et d’accessibilité à des soins de qualité, une équipe de professeurs du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal (les coauteurs de l’article, en collaboration avec des collègues experts en psychothérapie) crée, en 2019, le site internet www.psychopap.com. PsychoPAP, encore à ses débuts, se veut un véhicule d’autothérapie et d’enseignement dans le but de faciliter l’accessibilité et la pérennité de la psychothérapie. Afin de mieux comprendre son contexte de genèse et son mandat, certains principes d’autothérapie ainsi qu’un survol des méthodes électroniques d’enseignement en psychothérapie seront d’abord présentés.

Figure 1

Page d’accueil du site PsychoPAP (www.psychopap.com)

Page d’accueil du site PsychoPAP (www.psychopap.com)

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Objectifs

  • Démontrer la nécessité de l’autothérapie dans le contexte de pénurie de ressources professionnelles ;

  • Décrire les principes sous-tendant l’autothérapie ;

  • Résumer les indications de l’autothérapie ;

  • Décrire les exigences de formation en psychothérapie ;

  • Décrire l’utilisation de l’apprentissage électronique pour l’enseignement de la psychothérapie ;

  • Présenter PsychoPAP et son double mandat de ressource en autothérapie et en enseignement de psychothérapie ;

  • Présenter l’utilité d’initiatives telles que PsychoPAP dans le système de santé actuel.

Psychothérapie : des modèles traditionnels à l’autothérapie

Besoins croissants et manque de ressources

Malgré la reconnaissance croissante des professionnels en santé mentale que la psychothérapie est un outil indispensable et l’engouement des patients face à cette modalité de traitement, le système de santé actuel peine à répondre à la demande. Une enquête a démontré que 1,6 million de Canadiens étaient insatisfaits quant aux soins obtenus en santé mentale et que parmi ceux-ci, plus du tiers déplorait l’accès difficile ou absent à la psychothérapie (Sunderland et Findlay, 2013). Devant les lacunes des modèles traditionnels de distribution des soins psychothérapeutiques, force est de reconnaître que la situation décrit un besoin criant d’innovation dans la façon de les dispenser.

Toute modification durable du système de santé passe par des changements de pratiques portés par les équipes locales, de concert avec les patients, et doit s’inscrire dans une infrastructure gouvernementale réceptive (Bohmer, 2016). Ce fut le cas au Royaume-Uni avec le programme Improving Access to Psychological Therapies qui, suite à son implantation en 2008, a permis d’améliorer l’accessibilité aux soins de psychothérapie. Cette réforme, qui a inspiré son pendant québécois, le Programme québécois pour les troubles mentaux (PQPTM), a permis de déterminer que la mobilisation des professionnels et l’augmentation de l’offre des psychothérapeutes étaient les principaux instruments permettant d’accroître l’accès (Commission de la santé mentale du Canada, 2018).

Devant la réalité de la pénurie croissante des psychothérapeutes et des longs délais avant d’accéder à ceux-ci, nécessité est de considérer le patient lui-même comme un fournisseur de services, bien qu’avec certaines limites. Le PQPTM, sans désigner concrètement le patient comme fournisseur de soins, inclut les autosoins dirigés dans son modèle de traitement en étapes (Santé et Services sociaux du Québec, 2019).

Parallèlement aux particularités d’un système de santé imparfait, un mouvement prend également de l’ampleur en médecine, celui de l’empowerment du patient qui devient patient partenaire, principe actif de ses soins. Ce nouveau rôle lui permet de s’intégrer dans l’élaboration et l’application de son traitement et facilite le développement de l’autothérapie, permettant au thérapeute de s’affranchir de certains dogmes cliniques et administratifs, immuables au sein des modèles traditionnels de psychothérapie. Il peut certes sembler paradoxal d’évoquer la possibilité qu’en thérapie, le thérapeute ne soit pas toujours indispensable, mais ce mouvement vers l’autonomisation du patient s’accorde bien avec certaines particularités de la santé mentale. Contrairement aux autres disciplines médicales, cette dernière se veut plus accessible – un partenariat est privilégié. Sans nécessairement s’intéresser aux nombreux processus complexes par lesquels le cerveau donne naissance à la psyché et aux comportements, le patient se montre souvent avide de compréhension et d’appropriation de son vécu. Il suffit de mettre le pied dans le rayon « psychologie populaire » de toute librairie pour voir l’intérêt de la population pour ce pan du domaine de la santé. Cette « acculturation psychothérapeutique » n’est pas sans valeur : bien qu’il puisse ne pas le maîtriser complètement, le patient est porteur d’une compréhension de son espace émotionnel et, pour plusieurs difficultés, notamment les symptômes anxio-dépressifs légers/modérés, la transmission d’outils de psychothérapie lui permettrait de le naviguer plus aisément. Du cercle des spécialistes au domaine public, le processus psychothérapeutique évolue. Le patient peut, dans certaines circonstances, être considéré comme cothérapeute, statut que les programmes de thérapie par Internet ou par applications intelligentes (apps) lui confèrent automatiquement.

Le patient comme thérapeute

L’autothérapie est définie comme un traitement psychologique standardisé visant l’éducation thérapeutique du patient et lui offrant divers exercices (Éthier, 2018) afin de pallier certaines difficultés (le plus souvent de l’ordre de l’anxiété et de la dépression, bien qu’il existe également des programmes ciblant d’autres problématiques, comme les troubles alimentaires) (Carlbring et coll., 2017 ; Loucas et coll., 2014). Outre l’accessibilité de ces traitements, ils ont l’avantage d’être peu coûteux et pourraient diminuer la résistance à aller chercher de l’aide causée par la stigmatisation associée aux problématiques de santé mentale (Cavanagh et coll., 2014 ; Karyotaki et coll., 2017), ce qui serait particulièrement intéressant pour les populations réticentes aux demandes d’aide classiques, comme les adolescents (McLellan et coll., 2019). Récemment, les formats utilisant la technologie, comme l’Internet, les enregistrements audio et vidéo et apps, ont été mis de l’avant, mais la forme papier, c’est-à-dire la bibliothérapie, est souvent la plus utilisée (Farrand et Woodford, 2013). L’autothérapie peut également différer selon le type et l’intensité du soutien offert par un professionnel de la santé (aucun, par courriel, téléphone ou face à face) (Éthier, 2018). Bien qu’il soit généralement rapporté dans la littérature que l’ajout d’un support professionnel serait supérieur et diminuerait l’attrition, des études récentes rapportent un effet nul, voire inverse, possiblement en lien avec le type de problématique ciblée (Andersson et coll., 2017 ; Éthier, 2018 ; Königbauer et coll., 2017 ; Mains et Scogin, 2003).

Actuellement, la littérature touche majoritairement les troubles dépressifs et anxieux et il n’est donc pas étonnant de constater que la plupart des études d’efficacité portent sur les modèles d’autothérapie d’orientation cognitivo-comportementale, traitement psychologique de première ligne pour ces pathologies. Bien que moins étudiée, l’autothérapie pour les troubles psychotiques, également d’orientation cognitivo-comportementale, est en développement avec des résultats préliminaires positifs, notamment sur le plan de l’acceptabilité par les patients (Rüegg et coll., 2018). Plusieurs données encourageantes existent également pour les troubles alimentaires et les comorbidités physiques (Kumar et coll., 2017). Lors de la thérapie, le patient est invité à compléter différents modules portant sur les mêmes sujets qui auraient été abordés avec un thérapeute, soit ceux de psychoéducation, activation comportementale, tableau d’enregistrement des pensées, restructuration cognitive, etc. (Carlbring et coll., 2017).

Malgré des tailles d’effet généralement modérées lorsque l’autothérapie est comparée aux traitements usuels, liste d’attente ou absence de traitement (Karyotaki et coll., 2017), les résultats sont plus hétérogènes lorsqu’elle est confrontée aux protocoles de psychothérapie en face à face, desquels elle est dérivée. Certaines méta-analyses font néanmoins état d’une efficacité équivalente entre les deux formats pour un vaste ensemble de conditions psychiatriques et de plaintes somatiques (Andrews et coll., 2018 ; Carlbring et coll., 2017 ; Olthius et coll., 2015). Ces résultats sont appuyés par une autre méta-analyse portant sur l’efficacité de l’autothérapie cognitivo-comportementale guidée et non guidée pour les troubles dépressifs caractérisés, d’anxiété sociale, panique et d’anxiété généralisée, qui rapporte une taille d’effet élevée (0,8) avec un nombre de sujets à traiter (NNT) de 2,34 (Andrews et coll., 2018). Les résultats dans la population pédiatrique sont comparables, avec une taille d’effet moyenne (0,72) et un NNT de 2,56 (Ebert et coll., 2015).

L’efficacité de l’autothérapie est quelque peu tempérée lorsque les méta-analyses ne considèrent que les interventions sans soutien professionnel, avec des NNT entre 6 et 8 pour obtenir une diminution de 50 % des symptômes anxio-dépressifs (Cuijpers et coll., 2011 ; Karyotaki et coll., 2017). Ces résultats d’apparence modeste prennent néanmoins toute leur importance clinique lorsque le faible coût de ces interventions et leur grande accessibilité sont mis en lumière.

Lire pour guérir

Bien que la majorité des études de la dernière décennie porte sur l’autothérapie utilisant la technologie, la bibliothérapie, c’est-à-dire l’usage d’un ensemble de lecture sélectionnées comme outil de soins (Ouaknin, 1994), préserve encore sa place. Les livres, comme la psychothérapie, traitent des problèmes fondamentaux de la vie et offrent aux patients la liberté d’en extirper ce qu’ils veulent et d’y revenir au rythme qu’ils auront privilégié.

La bibliothérapie englobe trois catégories de livres : les ouvrages orientés sur les considérations « psychologiques », comme les livres de développement personnel ou de vulgarisation scientifique, les livres d’autotraitement, incluant les protocoles manualisés adaptés au patient sans thérapeute et les livres de répertoire « classique » comme les livres de fiction ou biographie, entre autres (Ouaknin, 1994). L’efficacité des deux premières catégories, pour la dépression, par exemple, est appuyée par des revues systématiques et méta-analyses dans la population adulte, malgré un taux de rechute plus élevé qu’avec l’approche traditionnelle (Gualano et coll., 2017) ou chez les adolescents (Yuan et coll., 2018). Elles sont les deux catégories les plus employées en clinique, probablement car elles s’apparentent dans leurs principes à la psychothérapie standard. Le répertoire classique demeure un outil dont les vertus thérapeutiques sont souvent ignorées. Pourtant, la composante cathartique du roman est réelle et permet de faire l’expérience d’émotions à travers le prisme protecteur de la fiction. Le patient peut retrouver dans ses lectures des exemples de souffrance similaire à la sienne : auparavant isolé, l’individu devient ainsi membre d’une collectivité, et, sans rien enlever à la singularité de son vécu, l’universalité de ses émotions peut venir tempérer leur intensité (Bonnet, 2009).

Malgré les emprunts réussis aux interventions en face à face, les principes théoriques et thérapeutiques supportant l’efficacité de l’autothérapie demandent à être précisés, tout comme les individus susceptibles (ou pas) d’en bénéficier. Il est également important que les cliniciens et les patients demeurent prudents face aux enjeux éthiques et dangers potentiels reliés à l’utilisation des technologies et qu’ils gardent en tête certaines questions avant de recommander ou d’utiliser ces outils (figure 2). Cependant, dans le contexte actuel de pénurie de professionnels de la santé mentale, des initiatives créatives sont de mise.

Figure 2

Questions cliniques à considérer avant d’utiliser ou recommander les technologies en santé mentale (Inspirée de Lal et Adair, 2014)

Questions cliniques à considérer avant d’utiliser ou recommander les technologies en santé mentale (Inspirée de Lal et Adair, 2014)

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PsychoPAP : thérapies et technologies

C’est dans cet espace, à la lisière entre l’efficacité des méthodes psychothérapeutiques traditionnelles et le besoin d’innovation ayant mené au développement de l’autothérapie que PsychoPAP prend toute sa pertinence clinique. Inauguré en 2019, pour le centenaire de son institution mère, l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost (HSMAP), ce site internet (www.psychopap.com) dessert deux pôles de mandats : à une extrémité, la transmission des connaissances didactiques en psychothérapie et à l’autre, l’élaboration et le partage d’informations médicales fiables et adaptées à la population générale, par exemple des feuillets explicatifs sur différentes problématiques, guides d’autosoins, répertoire de ressources d’autosoins et capsules vidéo ou audio, entre autres. C’est ce deuxième pôle qui s’inscrit dans la tradition de l’autothérapie et qui permet au patient de s’affranchir en quelque sorte, du courroux des pénuries et listes d’attente. Le développement de PsychoPAP sera décrit plus en détail dans la dernière partie de cet article.

Bien que l’autothérapie puisse s’avérer une alternative intéressante pour certains patients, il n’appartient pas à ces derniers de pallier les limites du système de santé. Il demeure donc essentiel de réfléchir également sur la formation de nouveaux psychothérapeutes et des moyens de l’améliorer.

Formation et enseignement de la psychothérapie

Pourquoi enseigner la psychothérapie ?

La psychothérapie est un traitement efficace et efficient des troubles mentaux (Cuijpers, 2013a ; Cuijpers, 2013b ; Leichsenring et Rabung, 2011 ; Miklowitz, 2007 ; Rector et Beck, 2012) qui fait partie de nombreux guides de pratique (American Psychiatric Association, 2017). Elle aide le clinicien à prendre conscience du contre-transfert et des états d’esprit et de comportement du patient qui influencent sa présentation clinique, son évaluation et son plan de traitement. Elle permet ainsi de poser le bon diagnostic et d’offrir un traitement efficace (Gabbard, 2009). Elle améliore également la compréhension des patients (Shapiro et coll., 2016), qui, devant un choix, préfèrent la psychothérapie. Ce respect de leur préférence pourrait permettre une meilleure rétention et issue thérapeutique (Mergl et coll., 2011).

Finalement, le psychiatre-psychothérapeute, souvent exposé à des pathologies complexes et comorbides, possède une expertise particulière combinant sa formation médicale et une connaissance des théories psychologiques, lui permettant ainsi d’offrir un traitement holistique (Malhi et coll., 2015). C’est ce qui amène les psychiatres canadiens à pratiquer régulièrement la psychothérapie (80,9 % des psychiatres en Colombie-Britannique selon Hadjipavlou et coll., 2015 et 92 % des psychiatres canadiens selon Lescsz et coll., 2002) et ce qui explique qu’elle soit un élément intégral de l’identité et des attentes de pratique des résidents en psychiatrie (Sudak et Goldberg, 2012 ; Hadjipavlou et Ogrodniczuk, 2007). Devant sa popularité croissante et les indications de son efficacité, il n’est pas étonnant que les exigences de formation en psychothérapie soient également en augmentation.

Croissance des exigences de pratique et de formation en psychothérapie

Depuis les années 2010, une augmentation des exigences de formation en psychothérapie basée sur des données probantes est notée. Au Canada, les exigences de la formation spécialisée en psychiatrie du Collège Royal des médecins et chirurgiens (2015) sont de 32 semaines d’expérience en psychothérapie. L’Association canadienne de Psychiatrie (Leverette et coll., 2009) recommande que les psychiatres aient une maîtrise en thérapie de soutien, intervention de crise, thérapie cognitivo-comportementale, thérapie psychodynamique et thérapie familiale. Les psychiatres doivent également être compétents en thérapies comportementales, dialectique comportementale, de groupe, interpersonnelle et avoir une connaissance théorique de la thérapie dynamique brève, interventions de pleine conscience, entretien motivationnel et relaxation.

Au Québec, le Règlement sur le permis de psychothérapeute (Code des professions) C-26, r.222.1 confère aux médecins le titre de psychothérapeute, mais requiert :

  • 765 heures de formation théorique ;

  • 600 heures de stage en psychothérapie – 300 heures de traitement direct, 100 heures de supervision individuelle, 200 heures autre.

Une réflexion doit donc être faite quant à la façon d’offrir une formation permettant l’acquisition de compétences compte tenu de la relative rareté des ressources, c’est-à-dire des professeurs experts en psychothérapie ayant du temps libéré, et des exigences de formation des résidents. Des méthodes innovatrices doivent maintenant être mises de l’avant.

L’apprentissage électronique en médecine

Dans ce contexte de pénurie, l’apprentissage électronique comporte plusieurs avantages (tableau 1).

Il existe deux types d’apprentissages électroniques : le système de tutorat basé sur l’ordinateur et l’environnement d’apprentissage basé sur l’ordinateur. Dans le premier type, l’approche pédagogique est objectiviste/comportementale et l’autoapprentissage est favorisé avec l’utilisation de vidéos. Par exemple, dans le système Calipso (Williams et Whitfield, 2001), l’étudiant regarde des vidéos de patients décrivant des symptômes psychiatriques et doit ensuite répondre à des questions enseignant à poser un diagnostic et à déterminer un traitement (p. ex. « Quelles questions demanderiez-vous pour préciser le diagnostic et améliorer le traitement ? »). Selon une étude comparant 80 étudiants utilisant Calipso et 86 allant aux cours habituels, les résultats lors d’un examen (type QCM) sont similaires pour les deux groupes, mais ceux ayant consulté Calipso performent mieux à l’examen mental.

Tableau 1

Avantages en médecine de l’apprentissage électronique

Avantages en médecine de l’apprentissage électronique

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Le deuxième type est l’environnement d’apprentissage basé sur l’ordinateur, comprenant des outils qui créent des opportunités d’apprentissage pour que l’étudiant apprenne à construire ses propres solutions à des problèmes concrets. Il s’agit d’une approche constructiviste de l’apprentissage. Caspar et collaborateurs (2004) rapportent, dans une étude comprenant 34 étudiants en psychothérapie, que lorsque ceux-ci utilisent un programme basé sur la cohérence en conceptualisation de cas – COCACO, ils ont des meilleures performances qu’un groupe contrôle après quatre séances.

L’apprentissage électronique dans l’enseignement de la psychothérapie

Ayant constaté l’intérêt des systèmes d’apprentissages électroniques en médecine, des chercheurs ont réfléchi à son application en psychothérapie. Pour ce faire, une compréhension de l’enseignement traditionnel de la psychothérapie s’imposait.

Il est déjà reconnu que la compétence du thérapeute est associée à une meilleure issue pour le patient (Grey et coll., 2008 ; Kuyken et Tsivrikos, 2009 ; Trepka et coll., 2004) et que l’enseignement améliore la compétence du thérapeute (Mannix et coll., 2006 ; Milne et coll., 1999 ; Sholomskas et coll., 2005), même si n’est pas toujours le cas (King et coll., 2002 ; Walters, 2005). Une question demeure cependant : « Quelle formation, donnée par qui, est la plus efficace, pour quel étudiant qui acquiert une connaissance ou compétence spécifiques, dans quel contexte et à quel coût ? » (Schacht, 1984).

Afin d’y répondre, 120 thérapeutes d’expérience en thérapie cognitivo-comportementale ont été consultés et ont conclu que différentes méthodes d’apprentissage permettent d’acquérir et de raffiner les compétences (Bennett-Levy et coll., 2009) (figure 3) :

Figure 3

Méthodes d’apprentissage selon les compétences visées

Méthodes d’apprentissage selon les compétences visées

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Par ailleurs, la mise en pratique des concepts avec des patients, l’expérience de cothérapie et la supervision restent nécessaires (Rakovshik et coll., 2016 ; Sholomskas, 2005 ; Rakovshik et coll., 2010) pour vérifier que l’étudiant est en mesure d’adhérer au traitement et afin qu’il puisse recevoir une rétroaction constructive. En effet, selon la théorie de l’apprentissage social de Vygotsky (1978), un échafaudage est requis pour consolider l’apprentissage : si la supervision est retirée trop tôt, les compétences se détériorent.

L’enseignement de la psychothérapie assisté par ordinateur

Le transfert des connaissances (c’est-à-dire les compétences en psychothérapie) est le processus systématique par lequel les compétences, techniques, modèles et approches développées en recherche sont enseignées et appliquées par les cliniciens (McCarty et coll., 1998). Traditionnellement, l’enseignement de la psychothérapie manualisée combine un séminaire didactique intensif (révision des manuels de thérapie, jeux de rôle et exercices pratiques) ainsi qu’un mentorat et supervision par un thérapeute d’expérience (Crits-Christoph et coll., 1998 ; Rounsaville et coll., 1986). Cette formation aboutit à la certification lorsque le thérapeute démontre les compétences requises (DeRubeis et coll., 1982 ; Waltz et coll., 1993 ; Weissman et coll., 1982). Ces méthodes sont malheureusement chronophages et coûteuses, tandis que des méthodes moins onéreuses, comme la lecture de manuels, sont peu appréciées des cliniciens (Addis, 2002) et ont peu d’impact significatif sur la capacité d’appliquer le traitement (Dimeff et coll., 2009 ; Herschell et coll., 2009).

L’apprentissage basé sur l’ordinateur peut offrir une façon pratique et relativement peu coûteuse de former des cliniciens compétents. Il peut également être plus facilement adapté à la variété des milieux de traitement et des expériences cliniques. Il existe moult méthodes de formation assistée par ordinateur (p. ex. salles de cours virtuelles, visioconférence, prestation de thérapie assistée par ordinateur), mais la plus étudiée est l’apprentissage interactif et multimédia basé sur l’ordinateur (Weingardt, 2004). Les avantages et les désavantages de l’apprentissage électronique appliqué à la psychothérapie sont présentés dans le tableau 2.

Tel que revu par Larson et coll. (2009), un tel programme d’apprentissage doit enseigner la théorie et permettre de voir une application pratique réaliste. Quatre conditions sous-tendent une issue positive : l’enseignement doit capter l’attention, être perçu comme pertinent et augmenter la confiance de l’étudiant et la satisfaction du travail accompli (Keller, 1987). Tel que suggéré par Bohlin et coll. (1993), afin d’appliquer ces principes à l’apprentissage par ordinateur, il faut :

  1. Permettre à l’apprenant de contrôler la taille des unités d’apprentissage avant d’évaluer ses connaissances ;

  2. Présenter une rétroaction qui fait le lien entre le succès de l’étudiant et l’effort déployé et offrir un soutien à l’étudiant qui comprend qu’il peut pratiquer jusqu’à ce qu’il maîtrise la matière.

Tableau 2

Avantages et désavantages de l’apprentissage électronique appliqué à la psychothérapie

Avantages et désavantages de l’apprentissage électronique appliqué à la psychothérapie
Basé sur Hickey, 2017 et Dimeff et coll., 2011 et Richmond et coll., 2016

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Larson et coll. (2009), Weerasekera et coll. (2010), Hickey (2015) et Hickey et McAleer, (2017) suggèrent de construire un programme d’apprentissage électronique en permettant une certaine flexibilité, en maximisant l’engagement et en permettant à l’étudiant de choisir son niveau :

  1. ABC de la théorie : texte/audio découpé en petites unités, équilibre entre les photos, graphiques et dessin humoristique ;

  2. Leçons apprises : questions fréquemment posées lors des séminaires ;

  3. Exposition à des modèles : vignettes audio et vidéoclips de jeux de rôle qui augmentent la variété de cas présentés ;

  4. Accès rapide à des ressources Internet pertinentes ;

  5. Accessibilité 24/24, 7/7 ;

  6. Matériel imprimable pour patients ;

  7. Rétroaction immédiate : quiz et exercices permettant à l’étudiant d’être impliqué de façon active dans l’autoévaluation. Utilisation de questions aidant l’étudiant à analyser un problème personnel (pratique réflexive) et de jeux de rôle virtuels qui lui permettent d’appliquer ses connaissances en écrivant sa réponse et en la comparant à la réponse du programme.

Weerasekra (2010), qui a développé un programme d’apprentissage de la psychothérapie à l’Université McMaster, propose ensuite des séminaires et des supervisions afin que les résidents puissent appliquer la thérapie avec des patients pour permettre la reconnaissance de modèles, incluant le langage non verbal.

Les études tendent à démontrer l’efficacité de l’apprentissage de la psychothérapie assistée par ordinateur lorsqu’on la compare à la lecture d’un manuel ou l’assistance à un atelier/cours (tableau 3)

Création d’un site internet pour l’enseignement de la psychothérapie à l’occasion du centenaire de l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost

Il était important d’abord de présenter le contexte actuel du système de santé, où les demandes de service demeurent supérieures à l’offre, afin de bien saisir les enjeux validant la création et le choix des mandats de PsychoPAP, site internet de transmission des connaissances en psychothérapie sous forme de miniguides de formation en thérapie pour les cliniciens et d’outils d’autosoins pour patients.

Ce projet suit les traces d’un site internet conçu par une autre équipe du Département (Jean Goulet, Louis Chaloult et Thanh-Lan Ngô), www.tccmontreal.com qui, depuis sa création en 2013, est une référence pour l’enseignement de la thérapie cognitivo-comportementale tant aux patients qu’aux thérapeutes. Ce site est aujourd’hui largement consulté partout dans la francophonie (plus de 750 000 clics et des témoignages positifs de professeurs et cliniciens oeuvrant partout dans la francophonie, dans la presse populaire et la littérature scientifique).

www.psychopap.com reprend cette formule, mais inclut toutes les psychothérapies basées sur des données probantes, chacune faisant l’objet d’une page incluant une description et un miniguide (pour cliniciens) avec les informations de base pour la débuter (théorie, déroulement, indications/contre-indications, techniques et outils). Les thérapeutes y retrouveront également des cours théoriques, des suggestions d’endroits où se former, une liste de livres et articles phares, des sites Internet et applications dédiés, une chaîne YouTube et un blogue où des thérapeutes discutent de leurs expériences. Dans un deuxième temps, l’équipe produira des vignettes cliniques, quiz et jeux de rôle pour enrichir l’expérience éducative. Elle créera des partenariats pour que les apprenants puissent obtenir des crédits de formation. La section grand public, décrite dans la section précédente, offre des outils d’autothérapie.

Tableau 3

Études cliniques contrôlées comparant l’apprentissage de la psychothérapie assistée par ordinateur et la lecture d’un manuel ou l’assistance à un atelier ou à un cours

Études cliniques contrôlées comparant l’apprentissage de la psychothérapie assistée par ordinateur et la lecture d’un manuel ou l’assistance à un atelier ou à un cours

ECA : étude clinique aléatoire ; ECNA : étude clinique non aléatoire ; IPSRT : interpersonnal social rythm therapy ; DBT : dialectical behavior therapy ; iBeST : internet cognitive behavioral skills training program (douleur au dos) ; e-control : programme d’apprentissage de psychothérapie par ordinateur ; e-ISTDP : internet intensive short term dynamic psychotherapy ; IBT : internet based training in CBT.

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Traditions, innovation et www.psychopap.com

La psychothérapie représente une modalité de traitement efficace et bien acceptée. Cependant, elle demeure encore trop peu accessible et le contexte actuel de pénurie de ressources (principalement humaines) est peu compatible avec un accroissement rapide de l’offre de services. Bien qu’il soit important de préserver l’enseignement traditionnel de la psychothérapie, il devient nécessaire de lui adjoindre des méthodes alternatives, comme l’apprentissage via la technologie. En effet, la formation en ligne en psychothérapie est un outil intéressant pour améliorer le curriculum actuel. Le site internet www.psychopap.com s’inscrit dans ce mouvement et permet un apprentissage mixte, offrant déjà différentes ressources didactiques. PsychoPAP vise aussi à accroître l’accessibilité à la psychothérapie pour les patients par l’entremise de ressources d’autothérapie (brochures psychoéducatives, documents explicatifs et recensement d’apps, livres, vidéos et sites Internet). En développement constant, PsychoPAP se veut un outil complémentaire à la psychothérapie standard, dans le respect de la longue tradition psychothérapeutique de l’HSMAP.