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Introduction

Depuis des décennies, les médecins, les psychologues et d’autres professionnels oeuvrant en santé mentale au Québec ont défendu l’importance de la reconnaissance de la pratique de la psychothérapie sur des bases qui n’ont toutefois pas toujours été communes et cohésives. Avec le temps, la transformation du système professionnel et la nécessité grandissante de reconnaître le haut niveau de compétence nécessaire pour exercer la psychothérapie ont apporté une nouvelle cohésion interprofessionnelle rendant incontournable la nécessité de soutenir une pratique rigoureuse, efficace, pertinente et accessible, au bénéfice ultime de la protection du public. Il fallait donner à la psychothérapie les lettres de noblesse qui lui revenaient de plein droit, étant donné sa pertinence et son efficacité qui ne sont plus à démontrer dans le traitement notamment des personnes qui présentent des problèmes de santé mentale. Or, les règles juridiques et le système professionnel allaient mettre en place des dispositions pour enfin permettre à la population un accès à la psychothérapie exercée par des professionnels bien formés et imputables de leurs actions.

Un peu d’histoire[1]

Il aura fallu près de 30 ans pour l’aboutissement de travaux et de délibérations qui auront permis de réserver la pratique de la psychothérapie. Mais il y a lieu maintenant de se réjouir puisque nous disposons dorénavant de bien meilleurs outils pour protéger le public, au regard d’une pratique à très haut risque de préjudice. Brièvement, rappelons-nous le chemin parcouru. Le Code des professions est entré en vigueur en 1974 et il a depuis pour fonction de régir tous les ordres professionnels (gouvernement du Québec, 2015a). Il faut souligner que dès le début, le Code des professions distingue deux types de professions, soit celles à exercice exclusif et celles à titre réservé. Le problème, pour celles dont seuls les titres sont réservés, c’est que justement, seul le titre étant réservé, tout ce qui était prévu dans le champ d’exercices, dont la psychothérapie pour les psychologues, ne l’était pas. Et il en est de même pour toutes les autres activités professionnelles exercées en santé mentale par les professionnels auxquels on ne réservait que le titre. Bref, n’importe qui pouvait faire n’importe quoi, y inclut la psychothérapie. Cela dit, pour réserver ce traitement psychologique, il fallait s’entendre sur sa définition et faire en sorte qu’elle soit opérationnelle. Force est de constater la détermination de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) qui, déjà en 1983, demandait officiellement à l’Office des professions (l’Office) d’étudier prioritairement le problème de la réglementation de la psychothérapie. Mais c’est au début des années 1990 que l’Office lance une vaste consultation auprès de ceux engagés dans le domaine de la psychothérapie. L’OPQ crée un comité aviseur sur la pratique clinique dont le premier mandat est de formuler une définition de la psychothérapie conforme aux pratiques professionnelles et à la déontologie. Au surplus, l’Office soumet au ministre responsable un avis sur la réglementation de la psychothérapie qui ne réserve que le titre de psychothérapeute et qui déclare que chacun des ordres concernés définira les compétences requises pour l’exercer. Au cours des années qui suivront, malgré les tables de concertation, le rapport du groupe de travail ministériel présidé par le médecin généraliste, le Dr Roch Bernier (le groupe Bernier) et le rapport d’experts présidé par le psychiatre, le Dr Louis Guérette, il n’y a pas d’entente sur les exigences et les stratégies proposées pour la reconnaissance de la psychothérapie. L’OPQ, à plus d’une reprise, a dû réaffirmer sa position, voire s’inscrire en dissidence, pour établir le niveau de la formation initiale (la maîtrise et non un équivalent), pour rehausser les normes minimales de la formation et réclamer la réserve non seulement du titre de psychothérapeute, mais aussi de l’exercice de la psychothérapie. Pour plusieurs ordres professionnels, il est aussi hors de question de niveler les exigences vers le bas, mais encore fallait-il qu’il y ait consensus.

En novembre 2003, l’émission Enjeux, de Radio-Canada, diffuse un reportage-choc sur les thérapies dangereuses, illustrant clairement le danger que courent les personnes qui remettent leur santé mentale, voire carrément leur vie, entre les mains de n’importe qui, charlatans et psychothérapeutes autoproclamés de tout acabit. Le lendemain de l’émission, une rencontre préparatoire a lieu à l’Office en vue de la mise sur pied d’un comité d’experts sur la modernisation des pratiques professionnelles en santé mentale et en relations humaines avec le futur président du comité. Il devient alors impératif d’ajouter au mandat du comité la délicate tâche de régler la question de la psychothérapie. Réunissant un représentant de chacune des professions de la santé mentale et des relations humaines et présidé par le Dr Jean-Bernard Trudeau, le comité d’experts a le mandat de redéfinir les champs d’exercice des professions de la santé mentale et des relations humaines, de réserver des activités et de définir un encadrement pour la psychothérapie. Le Rapport sur la modernisation de la pratique professionnelle en santé mentale et en relations humaines (Rapport Trudeau, 2005) est déposé deux ans plus tard et ses recommandations font l’unanimité auprès des ordres professionnels concernés, y compris l’OPQ qui voit ainsi l’encadrement de la psychothérapie répondre à ses exigences historiques. Suivront deux commissions parlementaires avant que l’Assemblée nationale du Québec adopte finalement la loi no 21 en 2009 (gouvernement du Québec, 2009). Cette loi consacre la réserve du titre de psychothérapeute et celle de l’exercice de la psychothérapie et elle confie à l’OPQ la responsabilité de délivrer le permis de psychothérapeute. En juin 2012, enfin, près de 10 ans après l’émission-choc portant sur les thérapies dangereuses, les dispositions de la loi concernant la psychothérapie entrent en vigueur.

Un encadrement rigoureux

La loi no 21 n’a pas créé une nouvelle profession, celle de psychothérapeute, ni élaboré un nouveau champ d’exercices, celui de la psychothérapie. En effet, on ne définit pas une profession sur la base d’une activité professionnelle, que celle-ci soit ou non complexe. La loi no 21 reconnaît que la psychothérapie est une activité à haut risque de préjudice et, de ce fait, en intègre la pratique dans le système professionnel. Elle définit la psychothérapie, en réserve l’exercice en partage à des professionnels habilités et réserve également le titre de psychothérapeute. Ce titre n’est pas au Québec un titre professionnel au sens propre et il ne peut être utilisé seul. Il doit nécessairement être précédé soit du titre professionnel, quand le détenteur est membre d’un ordre professionnel, soit du titre du diplôme universitaire qui a permis au détenteur non admissible à un ordre professionnel d’obtenir son permis de psychothérapeute (par la voie des droits acquis, clause temporaire ayant pris fin en juin 2014). On évite ainsi tout risque de confusion quant à l’identité du professionnel qui offre des services de psychothérapie et on permet au public de faire un choix éclairé. Dorénavant, à l’exception des médecins et des psychologues, nul ne peut exercer la psychothérapie, ni utiliser le titre de psychothérapeute à moins d’être titulaire d’un permis de psychothérapeute délivré par l’OPQ. Il y a bien évidemment des conditions pour obtenir un permis de psychothérapeute[2]. Parmi celles-ci : détenir un diplôme universitaire de maîtrise dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, détenir une formation complémentaire de niveau universitaire en lien avec l’exercice de la psychothérapie, à savoir une formation théorique de 765 heures et un stage supervisé de 600 heures et être membre de l’un des ordres professionnels suivants : conseillers et conseillères en orientation, criminologues, ergothérapeutes, infirmiers et infirmières, psychoéducateurs et psychoéducatrices, travailleurs sociaux et travailleuses sociales, thérapeutes conjugaux et familiaux et sexologues. De plus, l’article 1 du Règlement sur le permis de psychothérapeute précise que 270 heures de formation initiale doivent porter sur quatre modèles théoriques d’intervention soit les modèles psychodynamiques, les modèles cognitivo-comportementaux, les modèles systémiques et les théories de la communication et les modèles humanistes. Ces quatre grands modèles ont démontré depuis longtemps leurs assises scientifiques, cliniques et associatives, tant sur le plan national qu’international.

Une définition incontournable conjuguée à une évaluation initiale rigoureuse

La psychothérapie est un traitement qui ne s’adresse pas qu’à ceux qui présentent un trouble mental dûment identifié. C’est ce qui a amené le législateur à en donner une définition qui ne rattache pas son exercice à un type de trouble ou encore à une intensité ou à une gravité des troubles retenus. On a ainsi opté pour une définition qui englobe, en plus des troubles mentaux, les perturbations liées au développement de l’être humain et celles pouvant survenir au cours des cycles de la vie.

La définition de la psychothérapie se lit comme suit :

Un traitement psychologique pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique qui a pour but de favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé. Ce traitement va au-delà d’une aide visant à faire face aux difficultés courantes ou d’un rapport de conseils ou de soutien.

On relève les trois (3) éléments qui la constituent :

  • Sa nature : un traitement psychologique ;

  • Son objet : pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique ;

  • Son objectif ou sa finalité : favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé.

À ces trois éléments, s’ajoute de l’information sur ce qu’elle n’est pas : une aide visant à faire face aux difficultés courantes ou d’un rapport de conseils ou de soutien.

Définir la psychothérapie permet de distinguer les interventions qui ne sont pas de la psychothérapie et qui par conséquent ne sont pas réservées. Toutefois, certaines interventions peuvent être difficiles à distinguer de la psychothérapie et, à cet égard, la loi no 21 a prévu que l’Office, par règlement, dresse une liste d’interventions qui ne constituent pas de la psychothérapie, mais qui s’y apparentent, et donne la définition de chacune d’elles. Il s’agit de :

  • La rencontre d’accompagnement ;

  • L’intervention de soutien ;

  • L’intervention conjugale et familiale ;

  • L’éducation psychologique ;

  • La réadaptation ;

  • Le suivi clinique ;

  • Le coaching ;

  • L’intervention de crise[3].

Par ailleurs, l’article 187.2 du Code des professions donne des précisions sur la façon d’exercer adéquatement la psychothérapie :

Tout médecin, psychologue ou titulaire d’un permis de psychothérapeute doit exercer la psychothérapie en respectant, outre les lois et les règlements qui le régissent, les règles suivantes :

  1. Établir un processus interactionnel structuré avec le client ;

  2. Procéder à une évaluation initiale rigoureuse ;

  3. Appliquer des modalités thérapeutiques basées sur la communication ;

  4. S’appuyer sur des modèles théoriques scientifiquement reconnus et sur des méthodes d’intervention validées qui respectent la dignité humaine

gouvernement du Québec, 2015b ; Trudeau et Goulet, 2012 ; Desjardins, 2015

Il y a lieu de préciser ici qu’on ne peut soutenir ne pas pratiquer la psychothérapie parce qu’on ne respecte pas les règles qu’édicte cet article du Code des professions. Si l’intervention qui est offerte correspond à la définition de la psychothérapie, il s’agit de psychothérapie. Mais si elle est offerte sans suivre les règles, c’est qu’il s’agit d’une mauvaise pratique de la psychothérapie (Lorquet, 2014). Par ailleurs, le développement des connaissances en matière de psychothérapie permet de confirmer qu’il s’agit bel et bien d’un traitement. Son efficacité est largement démontrée, notamment par la recherche, et on dispose de nombreuses données probantes sur différents paramètres (type d’approches, caractéristiques du client, caractéristiques du psychothérapeute, alliance thérapeutique, etc.), celles-ci permettant de relativiser le poids et l’importance de ce qu’on peut désigner comme les « ingrédients » de la psychothérapie. À noter que certaines recherches visent à établir la pertinence d’utiliser une approche déterminée en fonction d’un trouble mental donné. Bien que cela enrichisse nos connaissances sur ce plan, il n’en demeure pas moins qu’on ne traite pas une pathologie, mais bien une personne qui en souffre, le trouble qui l’affecte ne pouvant par conséquent être le seul critère sur lequel faire reposer le choix du traitement. Les interventions sont choisies de façon cohérente et en concordance avec les résultats de l’évaluation initiale rigoureuse que doit faire le psychothérapeute, ainsi qu’avec l’objectif de changement recherché (Desjardins, 2014). Cette évaluation constitue un préalable ayant pour but de déterminer la pertinence d’entreprendre une psychothérapie. Le Guide explicatif sur la loi no 21 (Office des professions du Québec, 2013) précise que cette évaluation tient compte notamment des éléments suivants :

[…]

  • La demande formulée par la personne et son histoire thérapeutique ;

  • Les facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et culturels de la personne ;

  • L’utilisation et l’interprétation de différents tests, questionnaires et techniques, le cas échéant ; les ressources et les forces du client ; l’existence d’un diagnostic, notamment d’un trouble mental, et d’un traitement actuel ou antérieur.

Une telle évaluation permet de cerner davantage la situation de la personne et le motif qui l’amène à consulter. Son résultat influence le choix de l’approche psychothérapeutique et des différents tests et techniques utilisés en lien avec cette approche. De plus, elle guide le psychothérapeute dans la décision d’entreprendre et de poursuivre le processus psychothérapeutique au regard des connaissances et des compétences dont il dispose pour traiter une personne aux prises avec un trouble ou un problème particulier. L’information ainsi recueillie doit être consignée au dossier. Les objectifs sous-jacents à cette évaluation font qu’elle se distingue de l’évaluation de la condition mentale et de l’évaluation des troubles mentaux, du retard mental et des troubles neuropsychologiques.

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Une obligation de formation continue

Un règlement détermine le cadre des obligations de formation continue, selon les modalités fixées par résolution du Conseil d’administration du Collège des médecins du Québec (CMQ) (pour les médecins qui exercent la psychothérapie) et de l’OPQ (pour les psychologues qui exercent la psychothérapie et les titulaires du permis de psychothérapeute). Tous doivent accumuler au moins 90 heures de formation continue en psychothérapie sur une période de cinq (5) ans (Trudeau et al., 2013 ; Desjardins, 2013b). Cette obligation a pour but de maintenir et de développer les compétences dans la pratique de la psychothérapie et renforce l’importance accordée à la protection du public. Le CMQ et l’OPQ limitent le droit d’exercer la psychothérapie respectivement au médecin et au psychologue qui n’a pas respecté son obligation de formation continue jusqu’à ce qu’il lui fournisse la preuve qu’il a satisfait à cette obligation. Il en va de même pour le titulaire du permis de psychothérapeute qu’encadre l’OPQ.

Un conseil consultatif interdisciplinaire sur l’exercice de la psychothérapie

La loi no 21 a prévu également la mise en place d’un conseil consultatif interdisciplinaire (CCI) sur l’exercice de la psychothérapie qui repose sur l’implication et la collaboration de l’ensemble des ordres concernés (gouvernement du Québec, 2009). Le CCI, doit donner des avis et des recommandations au ministre responsable de l’application des lois professionnelles, par l’intermédiaire de l’Office, sur toute question que celui-ci juge opportun de lui soumettre relativement à l’exercice de la psychothérapie. Le CCI a également pour mandat de donner au conseil d’administration des ordres professionnels, dont les membres peuvent exercer la psychothérapie, des avis et des recommandations concernant les projets de règlement de ces ordres portant sur l’exercice de la psychothérapie, avant qu’il ne les adopte, ainsi que sur toute autre question concernant l’exercice de la psychothérapie que le conseil d’administration de ces ordres juge opportun de lui soumettre (Lorquet, 2012). La création du CCI, comme son nom le dit, s’appuyait sur les mêmes valeurs d’interdisciplinarité qui ont prévalu à la loi no 21. Il est ainsi formé des membres suivants, nommés par le gouvernement et choisis pour leurs connaissances, leur expérience ou leur expertise professionnelle dans le domaine de la psychothérapie :

  • Deux psychologues, dont le président du conseil, après consultation de l’OPQ ;

  • Deux médecins, dont le vice-président du conseil, après consultation du CMQ ;

  • Un membre de chaque ordre professionnel dont les membres peuvent être titulaires du permis de psychothérapeute et, le cas échéant, un membre titulaire de chacune des catégories de permis délivrés par cet ordre professionnel, après consultation de l’ordre professionnel dont il est membre.

Le législateur, eu égard au CCI, a agi avec précaution et son intention était entre autres de se doter d’une instance pouvant faciliter l’harmonisation du processus d’encadrement de la pratique de la psychothérapie, dans le contexte où la psychothérapie est réservée et partagée en interdisciplinarité. Or, on constate que les ordres professionnels concernés ont maintenu entre eux cette cohésion et cette ouverture mutuelle qui ont prévalu à l’adoption de la loi no 21. Ainsi, ils n’hésitent pas à se consulter, à la recherche de consensus, dès qu’un problème se pose.

Un guide explicatif… pour conclure

On a fait précédemment référence au Guide explicatif. Ce guide a été rédigé par les représentants des ordres concernés par la loi no 21, sous la gouverne de l’Office des professions. Il sert à expliquer les dispositions de cette loi, y incluant celles entourant l’exercice de la psychothérapie. C’est un document qui évolue au gré des questions qui se posent et des expériences d’implantation des dispositions de la loi no 21 sur le terrain. Il est notamment disponible sur le site de l’Office des professions (2013). Le Guide explicatif vise à assurer une cohérence et une uniformité d’interprétation dans tous les milieux et il offre une compréhension de ce qu’impliquent les dispositions légales pour chaque groupe de professionnels concernés. On y trouve aussi le résumé d’avis rendus par le CCI sur l’art-thérapie, la musicothérapie, la zoothérapie et la thérapie conjugale et familiale. Le lecteur est donc invité à prendre connaissance du Guide explicatif pour y trouver des réponses qui, en toile de fond, réfèrent toujours au souci constant de protection du public et des clientèles les plus vulnérables en précisant la réserve professionnelle des activités à risque de préjudice, y incluant l’incontournable encadrement, maintenant légalement reconnu, de la psychothérapie.