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Problématique du traitement du trouble de personnalité limite

Depuis une trentaine d’années, le diagnostic et le traitement du trouble de personnalité limite (TPL) préoccupent de façon prépondérante les cliniciens. La fréquence de ce trouble de personnalité rencontrée en clinique externe de psychiatrie, la sévérité de symptômes présentés dont la mortalité potentielle et la difficulté de traiter ces patients, souvent récalcitrants, ont été des facteurs qui ont contribué à cette prépondérance. Le diagnostic TPL fait partie de l’axe II [1] du Diagnostic and Statistical Manual (DSM) de l’American Psychiatric Association (2000). Il a gagné en précision avec les critères diagnostiques des troisième et quatrième versions du DSM, s’éloignant progressivement du concept psychanalytique de personnalité limite (Masterson, 1972 ; Kernberg, 1975). Plusieurs questions persistent toutefois, entre autres, le diagnostic, la stabilité, l’étiologie et l’amélioration symptomatique après le traitement.

La recherche clinique a clairement identifié la pathognomonie des symptômes du TPL : des affects, particulièrement et fréquemment dysphoriques, intenses et mal tolérés, une impulsivité généralisée, et des relations intenses et instables. La co-occurrence complexe d’un trouble impulsif et d’un trouble affectif se retrouve chez 75 % des patients et comporte une valeur prédictive significative (Zanarini et al., 1998a ; 1998b). La triade de préoccupation d’abandon réel ou imaginaire, avec un sentiment d’étouffement ou d’annihilation, suivi d’une dysphorie intense et de gestes autodestructeurs serait particulièrement typique. L’auto-mutilation, les gestes pseudo-suicidaires, l’idéation psychotique transitoire, l’identité très friable et de victime, les revendications et la régression face au traitement sont également distinctifs (cf. le tableau 1).

Tableau I

Critères du diagnostic du trouble de personnalité limite du DSM-IV, texte révisé

Critères du diagnostic du trouble de personnalité limite du DSM-IV, texte révisé

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Si le concept général de personnalité implique une permanence au cours de la vie, le trouble spécifique de personnalité TPL affiche plutôt une instabilité. Quatre études de suivi longitudinal démontrent que les critères du diagnostic s’estompent avec les années (Paris, 1993). Des recherches subséquentes, mieux élaborées méthodologiquement, démontrent une attrition de 50 % sur de plus courtes périodes (2 à 6 ans) (Links et al., 1998 ; Skodol et al., 2002).

Certaines hypothèses sont formulées pour expliquer ce phénomène : 1) l’utilisation des critères diagnostiques catégoriels du DSM-IV est parfois trompeuse, car l’amélioration d’un symptôme peut faire passer le nombre de critères sous le seuil décisif (5 critères et plus sur 9) sans que le trouble caractériel ne soit nécessairement résolu ; 2) les patients qui se situent près de la ligne de démarcation dans les tests diagnostiques peuvent gagner ou perdre le diagnostic selon la fluctuation des symptômes lors de crises existentielles (Ferro et al., 1998 ; McDavid et Pilkonis, 1996 ; Zimmerman et Coryell, 1990) ; 3) il y a aussi la difficulté de préciser un trouble de personnalité quand un patient se présente en clinique pour une psychopathologie de l’axe I, car certains symptômes se recoupent entre l’état de l’axe I et les traits de l’axe II, ou exacerbent les traits de personnalité. Cette instabilité du TPL ajoute aux difficultés d’évaluer la portée d’un traitement spécifique.

Les étiologies formulées du TPL stipulent qu’il peut être causé par 1) des traumatismes cérébraux (van Reekum et al., 1996) ; 2) des prédispositions tempéramentales dont une hérédité dépressive, anxieuse ou impulsive (Figueroa et Silk, 1997) ; 3) des négligences et des abus durant l’enfance avec des traumatismes sexuels (Zanarini et Frankenburg, 1997) ; 4) une pauvre modulation affective (Paris, 1996) ; 5) un attachement empreint d’insécurité avec les objets (Masterson, 1976 ; Fonagy et al., 2000) et 6) des pulsions agressives trop intenses (Kernberg, 1975).

Le changement d’une conception psychanalytique du TPL en un syndrome psychiatrique a modifié l’approche thérapeutique. D’un simple plan de traitement de psychothérapie individuelle, celle-ci est devenue un traitement de réhabilitation en plusieurs étapes et impliquant tout le dispositif de soins psychiatriques. Il semble maintenant mieux établi que le TPL puisse profiter d’un traitement psychothérapeutique rendant moins sombre le devenir de ces patients. Ces nouvelles données rendent plus pertinente l’élaboration d’un guide de lignes directrices de pratique qui intègre les connaissances actuelles pour les cliniciens qui traitent, seuls ou en équipe, ces patients jugés difficiles à aider.

Guide de lignes directrices de pratique

Un guide de lignes directrices de pratique est un énoncé systématique pour aider les professionnels et les patients à prendre des décisions sur les soins appropriés dans des circonstances spécifiques. Pour que le guide présente des critères de soins valides et de qualité, certaines conditions doivent être clairement définies. Il y a l’identification des patients et des professionnels visés, et la détermination des contextes de pratiques dans lesquels les patients sont traités. Ensuite, il faut respecter les neuf principes directeurs énoncés par le comité aviseur sur les services de santé publique de l’Institut de médecine américain : 1) définir les objectifs du guide ; 2) délimiter les options de traitement ; 3) clarifier les résultats attendus ; 4) documenter la preuve scientifique ; 5) spécifier les valeurs utilisées ; 6) étudier les avantages, préjudices et coûts des traitements suggérés ; 7) établir les recommandations clés ; 8) indiquer la validité disponible ; 9) identifier les commanditaires (Advisory Committee to Public Health Services on Clinical Practice Guidelines, National Academy of Science, Institute of Medecine, 1990, 38).

L’Association médicale canadienne (1994) fait d’autres recommandations dans les Principes directeurs concernant les guides de pratique clinique au Canada, document publié dans le cadre du programme de la qualité des soins. Par exemple, un des principes directeurs est la souplesse sous-jacente aux recommandations de façon à ce que le guide ne se substitue jamais au discernement clinique d’un médecin et de son patient, lorsqu’il s’agit d’exercer un choix parmi les options de traitements. Le guide doit permettre une décision éclairée en fonction de l’information disponible. De fait, tout guide de lignes directrices de pratique devrait se plier aux besoins individuels et particuliers du patient, tout en respectant avec éthique le contexte psychosocial de son utilisation.

Nous présentons maintenant les éléments essentiels du guide de lignes directrices de pratique de l’American Psychiatric Association pour le traitement de patients atteints de trouble de personnalité limite avant de les commenter.

Guide de lignes directrices de pratique du TPL

Le guide comprend la liste des auteurs qui ont contribué à son élaboration, une table des matières, un énoncé d’intention, des instructions sur la façon de l’utiliser, une description du processus de développement, un résumé des recommandations, une formulation détaillée du plan de traitement, une description des aspects particuliers influençant le traitement et les enjeux de risque spécifiques (partie A), une revue des données probantes disponibles qui appuient les recommandations (partie B), une opinion sur les besoins de recherche futurs (partie C), et une bibliographie détaillée de 198 références. Le guide a été élaboré puis approuvé en juillet 2001 et publié en octobre 2001 (Cf. Lecomte dans le présent numéro pour une description du sommaire du guide de lignes directrices) (www.psych.org/clin_res/prac_guide.cfm).

Partie A

1 Résumé des recommandations

Dans la partie A qui comprend quatre sections, la première résume les recommandations de traitement. Elle met en garde contre l’utilisation du guide comme un standard de soin médical ou comme une garantie de succès thérapeutique. Le degré de certitude des recommandations en fonction de la littérature scientifique est aussi fourni [2], ce qui revêt une impression d’objectivité scientifique. Des nuances doivent être apportées à cette impression. Malgré une bonne méthodologie scientifique, plusieurs études n’ont pas fait d’observations à long terme. De plus, les protocoles de traitement sont établis dans des contextes de recherche spécialisés où les soins sont plus complets et spécialisés que dans la communauté thérapeutique usuelle. Un deuxième point à souligner est que les facteurs de changement en psychothérapie ou en pharmacothérapie sont multiples. Alors quand un traitement de psychothérapie est évalué, celui de la pharmacothérapie ne l’est pas toujours et vice versa. Aussi, les facteurs de changement clinique et d’efficacité thérapeutique sont souvent confondus.

Nous abordons maintenant les recommandations de traitement des trois autres sections de la partie A : la formulation et l’implantation d’un plan de traitement (deuxième section), les enjeux particuliers (troisième section) et la gestion des risques de pratique (quatrième section).

Il faut d’abord préciser deux points. Le TPL se rencontre dans plusieurs contextes cliniques et dans toutes les cultures. Cependant, peu de données scientifiques documentent cette dernière affirmation. Également, la composition des groupes de TPL est assez hétérogène car ils sont diagnostiqués selon l’approche polythétique du DSM : plusieurs combinaisons de 5 critères diagnostiques sur 9 rendent possible la création de sous-groupes avec des composantes impulsives ou d’instabilité variable (cf. le tableau 1).

2 Formulation et implantation du plan de traitement

Le guide de pratique de l’APA a été établi pour des psychiatres qui doivent évaluer les patients, déterminer leur diagnostic, l’étiologie de leurs psychopathologies, et formuler des plans de traitement. Pour l’évaluation du TPL, l’entrevue clinique est le principal outil. Elle explore le fonctionnement de la personnalité dans les sphères cognitives et affectives, et dans les relations interpersonnelles et le contrôle de l’impulsivité. Il faut aussi spécifier la présence des signes suivants : une détresse psychologique significative ; des risques de suicide ou de violence envers les autres ou envers la propriété ; des troubles co-morbides de l’axe I et de l’axe II ; les facteurs de stress psycho-sociaux ainsi que le réseau de support. L’évaluation devrait également inclure la détermination des handicaps fonctionnels, des besoins et des objectifs du patient ; l’identification des conflits intrapsychiques, des styles d’adaptation et de défense, enfin mettre en relief les progrès mais aussi les fixations du développement.

La co-morbidité est importante à évaluer. La psychopathologie en axe I est très fréquente et constitue la raison habituelle de consultation, tout en justifiant le traitement offert. S’il y a en plus la présence d’un TPL, le traitement d’un abus de substances, d’une dépression, d’un désordre de stress post-traumatique ou d’un trouble alimentaire sera plus difficile et plus long.

Le guide suggère ensuite l’établissement d’un contrat de travail et d’un cadre de traitement : les patients doivent rapporter leurs conflits, leurs troubles de fonctionnement et les changements de vie significatifs, tout comme les cliniciens doivent offrir une explication du traitement, une compréhension et une empathie adéquates en plus d’une rétroaction judicieuse. Le cadre de la fréquence, de l’intensité et du lieu des rencontres devrait être déterminé à l’avance, un plan de gestion établi pour les crises, la disponibilité du clinicien après les heures de rencontres clarifiée et le mode de paiement spécifié. L’endroit du traitement doit aussi être décidé.

Enfin, il faudra éventuellement envisager la possibilité d’hospitaliser à cause des risques suicidaires élevés puisque 8 à 10 % des patients avec TPL réussiront à se tuer. Plusieurs autres facteurs peuvent justifier une hospitalisation partielle ou brève [3], comme des comportements impulsifs et dangereux, difficiles à gérer en clinique externe ; le manque d’adhésion au traitement ; une détérioration du tableau clinique ; une co-morbidité complexe, et des symptômes suffisamment sévères pour affecter le fonctionnement. L’hospitalisation plus prolongée sera indiquée pour les raisons suivantes : un danger imminent envers les autres ; la perte de contrôle des impulsions suicidaires ou des tentatives suicidaires sérieuses ; des épisodes psychotiques transitoires associés avec une perte de contrôle des impulsions ou du jugement et des symptômes très sévères affectant le fonctionnement. Les recommandations pour une hospitalisation sont cependant basées sur une opinion d’expert puisque les indications sont peu spécifiées dans la littérature.

La réponse aux crises et la gestion de la sécurité sont souvent problématiques. Le guide hésite à établir un protocole spécifique de gestion des crises car il y a risque de rendre le cadre inflexible ou franchement antagoniste. Le clinicien d’approche psychodynamique doit naviguer entre la nécessité d’interpréter le comportement du patient et celle de gérer des passages à l’acte suicidaire ou mutilateur en plaçant le patient en sécurité. Le danger d’un renforcement positif d’attention par une hospitalisation est important, d’autant plus que l’hospitalisation n’évitera pas nécessairement un agir. D’où la nécessité d’installer et de maintenir une alliance thérapeutique pour supporter le traitement. La construction d’une collaboration thérapeutique solide et l’importance de limites claires aideront à survivre à des tempêtes affectives inhérentes à la problématique. Il faut s’attendre à ce que les patients tentent de violer ces limites, afin de vérifier si le thérapeute est stable et consistant avant de se dévoiler et d’utiliser le thérapeute à bon escient. Le guide recommande de porter attention à la compréhension des buts du traitement par le patient mais aussi à son sentiment d’être accepté et compris par le thérapeute. Il met en garde contre les confrontations et les interprétations précoces qui deviennent plus appropriées lorsque l’alliance thérapeutique est bien implantée.

L’approche de psychoéducation pour le patient ou sa famille peut déboucher vers un meilleur bien-être avec des pratiques sexuelles protégées, une approche adéquate des problèmes légaux ou une diète équilibrée. La vulgarisation par des textes d’information devra être abordée avec délicatesse, lorsqu’il s’agit de transmettre des informations sur les enjeux pathogéniques aux membres de la famille à cause du risque de provoquer culpabilité, colère et défense.

Parce que le traitement des TPL implique souvent le recours à toute une équipe, il est recommandé d’identifier un clinicien qui coordonnera les efforts, servira d‘encadrement et établira un lien avec la famille. Il prendra aussi la décision de commencer ou de terminer certains traitements, déterminera l’impact de la médication et évaluera la sécurité du patient. Le guide de l’APA considère que le psychiatre est le mieux formé pour prendre une telle position. Il faut s’attendre à des régressions : le patient peut souhaiter être pris en charge complètement en cessant de travailler, en menaçant de faire un agir suicidaire ou en mangeant de façon compulsive. La régression est prévisible lorsque l’implication des thérapeutes est atténuée. La discussion avec le patient et l’utilisation de stratégies de support, d’éducation et la mise de limites sont favorisées plutôt que l’exploration dynamique. Un compromis est recherché entre la nécessité de réévaluer les traitements en fonction de leur efficacité et l’admission de fluctuations de l’état du patient sans remise en question du plan de traitement institué. En cas de doute, une seconde opinion est indiquée.

Le guide met en garde contre l’envie d’utiliser souvent une médication pour gérer des affects pénibles, les consultations trop nombreuses qui peuvent entraîner des réactions contre-transférentielles négatives. Il met aussi en garde contre les complications et les inférences subjectives secondaires à plusieurs modalités de traitement ; le clivage et la transgression des limites typiques chez les patients TPL. Le danger d’une violation des limites sur un plan sexuel est toujours possible et non éthique.

Pour le traitement, la psychothérapie et la pharmacothérapie sont considérées complémentaires. Le tableau 2 compare les deux approches thérapeutiques comportementale/dialectique et psychanalytique/psychodynamique, et décrit les éléments à travailler en fonction de la résistance. Les recommandations de Kernberg et de Linehan de traiter en priorité les actes destructeurs pour le patient, le thérapeute et la thérapie avant de traiter d’autres problématiques y sont reprises. Il faut enfin faire attention à la possibilité de tomber dans le piège de consacrer tous les efforts thérapeutiques à « policer » les agissements impulsifs du patient par la mise de limites. L’interprétation du passage à l’acte et sa mise en lien avec des expériences antérieures d’abus ou de négligence traumatisantes durant l’enfance semblent plus pertinentes à l’introspection.

Tableau 2

Tableau comparatif du focus hiérarchisé des problématiques selon les deux approches thérapeutiques

Tableau comparatif du focus hiérarchisé des problématiques selon les deux approches thérapeutiques

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On conseille d’utiliser la technique de valider l’expérience des patients pour raffermir l’alliance thérapeutique, mais aussi pour les tenir responsables afin que les patients contrôlent et préviennent les agirs auto-destructeurs. L’importance est mise sur les stratégies de support pour reconnaître les expériences émotives, affirmer la capacité d’utiliser des mécanismes de défense plus adaptés et renforcer les comportements appropriés.

Les rencontres individuelles hebdomadaires avec un thérapeute ou en groupe, et une coordination de ces efforts entre les thérapeutes, sont suggérés. Il faut attendre au-delà d’un an pour obtenir les effets escomptés. Une littérature clinique assez consistante démontre la faisabilité d’une psychothérapie plus intensive (de 1 à 3 fois par semaine avec par exemple comme modèle « Transference Focused Therapy » : Clarkin et al., 1999) avec des patients qui ont une structure limite avec un niveau supérieur de fonctionnement.

En pharmacothérapie, section sommairement résumée ici, le guide suggère d’identifier les dimensions symptomatiques du TPL (pauvre modulation des affects, impulsivité comportementale, troubles perceptuels et cognitifs) modifiables par les psychotropes. Deux tableaux présentent des algorithmes de traitement pour ces trois dimensions où les inhibiteurs sélectifs de la recaptation de la sérotonine (ISRS) sont préférés, avec des ajouts de neuroleptiques ou de benzodiazépines lorsque indiqué. Les ISRS ont un effet sur l’impulsivité indépendamment de leur efficacité sur la dépression et sur l’anxiété, tandis que les neuroleptiques ont une action rapide sur les agirs destructeurs lors des états de crise. Malgré l’efficacité à large spectre des neuroleptiques atypiques et des ISRS, la fidélité au traitement devient incertaine au-delà de quelques semaines.

3 Les traits spécifiques qui influencent le traitement

Parmi les enjeux particuliers qui influencent le traitement, le guide mentionne la co-occurrence des psychopathologies, les abus de substance, la violence et les traits antisociaux, les comportements auto-destructeurs, les traumatismes durant l’enfance et le trouble de stress post-traumatique. Le traumatisme antérieur chez le TPL n’est pas universel. Néanmoins, le guide offre une analyse succincte de son impact sur l’alliance thérapeutique et sur le transfert, de la synchronisation de son exploration dans le traitement, du bénéfice qu’offre un groupe de support dans ce cas, de la possibilité de re-victimisation ainsi que d’autres aléas relatifs à ce vécu. Ainsi, le tiers des patients atteints d’un trouble de l’identité dissociative aurait une problématique de TPL. Comme cette pathologie peut exacerber les symptômes limites, on recommande de l’identifier, de déterminer les facteurs prédisposants, de montrer au patient comment la contrôler grâce à l’hypnose dans certains cas, d’intégrer le fractionnement des identités et de renforcer les mécanismes de défense plus adaptatifs.

4 La question de la gestion de risques

Cette question est résumée dans les tableaux 3, 4 et 5. Les tableaux résument les conseils et observations pour les risques suicidaires et d’agressivité. Ils résument aussi les conseils pour la thérapie en général.

Tableau 3

Conseils de prévention du suicide

Conseils de prévention du suicide

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Tableau 4

Conseils de gestion du risque

Conseils de gestion du risque

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Tableau 5

Conseils de gestion du risque d’agressivité

Conseils de gestion du risque d’agressivité

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Partie B

5 Définition de la maladie, épidémiologie et histoire naturelle

La partie B du guide reprend en détail les écrits qui servent de base aux recommandations. On souligne la co-morbidité importante du TPL avec des troubles de l’axe I, psychopathologies auxquelles le clinicien devra apporter un effort supplémentaire de diagnostic autant différentiel que complémentaire. Les recherches soulignent la fréquence des troubles de l’humeur et de l’anxiété, des désordres somatoformes, et des abus de substances et d’alcool. Elles soulignent aussi celle des troubles alimentaires surtout boulimiques, de stress post-traumatique, du trouble de dissociation de l’identité et du déficit de l’attention qui compliqueront le déroulement et le traitement du TPL. À noter les abus de substance qui assombrissent le pronostic à cause des actes impulsifs et destructeurs qui y sont associés.

Le problème de la co-morbidité avec l’axe II, surtout du groupe B, est aussi important. La co-morbidité désigne le codiagnostic avec les autres troubles de personnalité surtout antisocial, histrionique et narcissique. La reconnaissance de ce codiagnostic permet de mieux comprendre la psychopathologie et la dynamique de la personne avec un trouble TPL.

Une des complications majeures du TPL est évidemment le risque suicidaire avec un suicide complété chez 8 à 10 % des cas. Les difficultés du TPL évoluent durant plusieurs années et affectent le fonctionnement général. La symptomatologie comportementale semble s’atténuer avec la maturité tandis que les difficultés relationnelles, et souvent au travail, persistent. L’instabilité est substantielle. Seulement la moitié des patients porteurs de TPL, parfois après de longs suivis, est capable d’occuper un emploi à plein temps et d’établir une relation conjugale stable. De plus, malgré une stabilisation, ces patients continuent d’utiliser les services de santé autant physique que psychiatrique ce qui implique des frais de santé assez élevés (Skodol et al., 2002).

6 Revue et synthèse des données probantes disponibles

Même si les études évaluatives sont peu nombreuses, trois recherches ont obtenu des données soutenant l’efficacité de la psychothérapie psychodynamique. Stevenson et Meares (1992) évaluent une thérapie bi-hebdomadaire d’orientation psychodynamique. L’étude démontre une diminution significative des comportements violents, de l’utilisation de substances illégales, du nombre de visites médicales, de la durée de séjour à l’hôpital, de l’automutilation, de l’absentéisme au travail et de la sévérité des symptômes en général. Sept ans plus tard, l’étude Meares et Stevenson (1999) confirme les résultats avec l’appui d’un groupe contrôle. Pour leur part, Bateman et Fonagy (1999) établissent que les patients traités dans un programme d’hospitalisation partielle, avec une approche psychanalytique, se portent mieux et utilisent moins la pharmacothérapie comparativement avec un groupe contrôle. Toutefois, il faudrait plus d’études probantes avant d’affirmer que l’approche psychothérapeutique spécifique explique les résultats positifs obtenus.

Une autre synthèse pertinente concerne la thérapie cognitive/comportementale des TPL. Encore une fois, les données sur l’efficacité du traitement sont assez rares à part l’étude contrôlée et randomisée de Linehan (1991 et 1994). Selon cette étude, les patientes recevant une thérapie dialectique/comportementale en comparaison d’un groupe de patientes sous traitement habituel, ont des comportements para-suicidaires, des difficultés médicales reliées à ces gestes et des hospitalisations diminuées, alors que la capacité de se maintenir dans une relation thérapeutique est améliorée. Cependant, les deux groupes se sont aussi améliorés sur le plan de la dépression, de l’idéation suicidaire, du désespoir et des raisons de vivre. Un an plus tard, on constate peu de différence entre les deux groupes dans la stabilisation des gains thérapeutiques. L’influence des facteurs spécifiques à la thérapie comportementale n’est pas confirmée, car l’amélioration ne semble pas attribuable au groupe de développement d’habiletés relationnelles ni au temps passé avec le thérapeute. D’autres études (Springer et al., 1995 ; Barley et coll. 1993, Perris, 1994) confirment ou infirment ces résultats.

La nécessité de démontrer l’efficience, la durée et la fréquence des effets bénéfiques spécifiques des traitements psychothérapeutiques individuels demeure pertinente. Le guide établit une similarité intéressante entre la thérapie comportementale-dialectique et psychodynamique (cf. le tableau 2). Il souligne l’attention portée aux problèmes de personnalité, aux comportements qui interfèrent avec la thérapie cognitive, et à l’interprétation des comportements transférentiels, équivalente en thérapie psychodynamique à la notion de validation et d’empathie quoiqu’à la différence de la thérapie cognitive, la thérapie psychodynamique en recherche les fondements inconscients.

Le résumé sur la thérapie de groupe met en relief les avantages offerts par une telle approche soit le support social, l’apprentissage interpersonnel, la dilution de l’intensité des transferts, l’opportunité d’obtenir des mises de limite par les autres patients ainsi que des interactions altruistes qui facilitent la consolidation des gains. Il énumère aussi les effets potentiellement adverses soient une résistance combinée face à l’effort thérapeutique, des interactions hostiles ou destructives entre les patients, une intensification des problèmes de transfert et une contagion symptomatique.

La thérapie de groupe peut aider à consolider et à maintenir les progrès acquis lors des hospitalisations. L’étude de Wilberg et al. (1998) montre une amélioration de l’index global de la sévérité des symptômes et des fréquences d’hospitalisation, de tentatives suicidaires et d’abus de substances. Cependant les deux groupes, contrôle et thérapie de groupe, ne sont pas vraiment comparables. Munroe-Blum et al. (1995), d’Ontario, ne trouvent pas d’avantage entre la thérapie de groupe et la psychothérapie psychodynamique individuelle, si ce n’est que les coûts de traitement sont passablement diminués. Si elle est économique, la thérapie de groupe se jouxte habituellement à la thérapie individuelle, et l’expérience clinique suggère de les combiner pour une plus grande efficacité. Mentionnons que les groupes de compétences sociales ne semblent pas être le facteur déterminant dans l’amélioration du pronostic clinique.

La thérapie de couple, dont un des partenaires a un TPL, n’est documentée que par des expériences cliniques et des cas rapportés. Comme la fonction homéostatique d’un couple peut être déstabilisée par la thérapie, il est préférable de procéder à une évaluation psychiatrique adéquate des deux partenaires.

La revue sur la thérapie familiale des TPL est décevante considérant les éléments de prévention envisagés : traiter des parents avec TPL qui élèvent leurs enfants dans un environnement chaotique, d’abus ou de négligence. Mais les études sont rares et ne reposent que sur des cas rapportés, dont un rapport où la psychoéducation semble améliorer la communication et diminuer le sentiment d’aliénation et de conflit entre la séparation et l’indépendance des enfants face aux parents.

Dans cet article, nous nous concentrons sur les aspects psychothérapeutiques. Nous n’abordons que très succinctement les recommandations sur le traitement psychopharmacologique. Nous référons le lecteur au guide original (www.psych.org/clin_res/prac_guide.cfm).

Discussion critique

L’American Psychiatric Association (APA) a acquis une expérience non négligeable dans la construction de plus d’une dizaine de guides de pratique au cours des années. Son guide sur le traitement des patients atteints de TPL répond bien aux exigences scientifiques d’un guide de pratique et obéit à presque tous les critères que nous avons énoncés plus tôt. Il rencontre les attentes au sujet des options de traitements pharmacologiques, psychosociaux et psychothérapeutiques disponibles. De plus, les mesures des résultats sont prises en considération, la méthode scientifique est évaluée. Enfin le poids de la recommandation est documenté en fonction du niveau de preuve. Plus spécifiquement, le principe énoncé de citer les éléments de preuves donnant lieu aux conclusions, d’indiquer leur fidélité et de spécifier la date des données les plus récentes est observé. Un guide de pratique devrait également déterminer comment ont été attribuées les valeurs aux résultats potentiels des options considérées, tout en reconnaissant les avantages, les désavantages et les coûts impliqués des traitements. À cet effet, le comité de travail de l’APA répond autant que peut se faire aux critères de qualité mais la littérature a des limites assez évidentes et ne répond pas à toutes les interrogations. La comparaison des recommandations avec d’autres guides de pratique n’a pas été faite puisqu’ils n’en n’existent pas d’autres [4].

Tel que le recommande l’Association médicale canadienne, les psychiatres délégués de l’Assemblée de l’APA, plus de 250 utilisateurs potentiels, ont eu l’occasion de commenter la version finale du document. Enfin, le comité a vérifié que les opinions émises étaient libres de tout commanditaire qui aurait pu influencer le travail du groupe d’experts et la publication des recommandations. Ce groupe comprend des psychiatres américains éminents spécialisés dans ce trouble, dont les Dr J. M. Oldham, K. A. Philipps, G. O. Gabbard, M. K. Goin, J. G. Gunderson, P. Soloff, D. Spielberg et M. Stone. On peut déceler, à travers les opinions émises, le biais d’une approche psychodynamique traditionnelle qui correspond aux convictions cliniques des auteurs.

Le guide a été préparé pour correspondre à la pratique clinique des psychiatres américains, souvent en pratique privée ou très contrôlés par un système de santé dominé par les impératifs économiques des HMO (Health Maintenance Organisation), et des assureurs de santé privés parfois despotiques dans leurs règles d’accessibilité aux services. Ces psychiatres ne sont pas nécessairement impliqués dans des équipes de traitement telles qu’on les retrouve plus systématiquement dans les cliniques externes canadiennes. Ces dernières ont peut-être des pratiques de collaboration différentes de celles des collègues américains à cause du système universel de soins de santé. Il faut donc adapter certaines recommandations à la réalité clinique d’ici.

Quelques commentaires spécifiques

Il est intéressant de constater comment dans le système de soins américain, on considère plus volontiers l’hospitalisation comme cadre de traitement. On doit comprendre que les règles d’assurance en soins de santé américains rendent plus accessible le traitement interne qu’externe, et que des instituts privés réputés ont innové au cours des années soixante en hospitalisant à long terme ces patients. Cette tradition persiste encore dans l’approche thérapeutique alors qu’au Canada, l’approche externe a plutôt été favorisée avec des hospitalisations ponctuelles de court séjour. Une recommandation de traitement résidentiel ou d’hospitalisation pour la violence secondaire à des traits antisociaux est probablement une option clinique peu courante au Québec, sauf si le risque d’homicide est aigu. Il n’est d’ailleurs pas démontré que ces hospitalisations au long cours préviennent la mortalité.

De fait, les études d’efficacité du traitement laissent en général un vide conceptuel significatif : les mesures de changement caractériel sont rares dans les recherches sur l’efficacité des traitements. Les études ne font qu’évaluer le changement de la symptomatologie aiguë, souvent d’axe I, et seulement plus récemment le niveau de fonctionnement de la personnalité (Skodol et al., 2002). De fait, les paramètres pour évaluer le fonctionnement de la personnalité demeurent difficiles à déterminer. Faut-il utiliser des dimensions objectives cognitives et comportementales, ou plutôt des mécanismes de défense ? Ou la qualité de l’attachement ou des relations d’objet ? Aucune recherche n’est rapportée sur la modification caractérielle, noeud du trouble de personnalité (Sanislow et McGlashan, 1998). En ce sens, le guide ne peut énoncer clairement les résultats attendus, puisque la littérature est déficiente quant aux indices de changement utilisés. En conséquence, il est aussi difficile de prouver les effets spécifiques des psychothérapies spécialisées sur l’amélioration des symptômes, en comparaison des effets non spécifiques souvent démontrés des facteurs plus significatifs.

Quelques conseils judicieux viennent cependant moduler les premières impressions sur le risque de traiter ces patients en psychothérapie individuelle : la confrontation et l’interprétation ont leur place après la longue élaboration d’une solide alliance thérapeutique. Sagesse clinique que les thérapeutes des années 1970 et 1980 ne prenaient peut-être pas en considération… Comme le dit Gabbard (1994), la confrontation et l’interprétation sont à risques élevés mais à gains élevés.

Le guide émet également un avis sur la durée souvent longue du traitement préconisé. Le traitement psychothérapeutique nécessite au moins de un à deux ans de suivi avant d’obtenir des résultats significatifs dans la diminution des séjours hospitaliers par exemple. Il met aussi en relief une pratique dite « sécuritaire » inspirée par la tendance des poursuites légales de la société américaine, expérience dont nous pouvons profiter (cf. le tableau 5).

Somme toute, malgré toute la minutie apportée à sa rédaction, la présentation succincte d’une pratique difficile est inévitablement simplifiée, et ne peut décrire la complexité psychothérapeutique inhérent à un patient ayant un TPL. Un guide de pratique ne peut remplacer l’expérience clinique longuement et chèrement acquise, mais peut orienter un plan de traitement en rappelant les principes de base à tout clinicien soucieux de rafraîchir sa mémoire lors d’exercices de maintien de la compétence.

Modifications qui combleraient les lacunes

Le guide a diligemment reconnu le besoin de suivis longitudinaux et de recherches sur l’impact du traitement. Deux études majeures de suivi longitudinal financées par le National Institute of Mental Health américain tentent actuellement de mieux documenter l’évolution, et les paramètres cliniques d’une cohorte de patients avec un trouble de personnalité. Leurs découvertes modifieront sans doute certains conseils prodigués par le guide. Car il n’est pas clair quel traitement particulier agit sur quel aspect de la symptomatologie ou même sur la structure caractérielle, même si un consensus de cliniciens experts se dégage dans la littérature : la structuration et l’articulation d’un traitement multimodal à l’intérieur d’une infrastructure spécialisée qui vise d’abord les actes destructeurs et saboteurs du traitement, puis renforce les forces du moi, les habiletés de vie et la socialisation, souvent grâce à une thérapie de groupe comportementale ou cognitive (Livesley, 2000 ; Gunderson, 1999). Il peut être opportun d’offrir ultérieurement une approche d’introspection et de reconstruction telle une thérapie psychodynamique classique. L’expérience clinique des experts a donc établi des étapes du plan de traitement en fonction de la symptomatologie présentée. La composante d’encadrement et de structuration semble être un élément très important, mais non spécifique de l’approche thérapeutique des troubles limites. Des recherches pour clarifier les questions de hiérarchie du traitement se font attendre tout comme l’efficacité de certaines thérapies sur les symptômes spécifiques.

Conclusion

Le guide a accompli un travail honnête de synthèse du traitement optimal des patients atteints de TPL. Il n’est cependant pas exempt de particularités et de biais américains. Une contrepartie canadienne bénéficierait sans doute d’une perspective locale des soins psychiatriques et d’un examen plus minutieux de la recherche canadienne. En effet, les études sur le suivi de 27 ans de Zweig-Frank et Paris (2002), les facteurs de risque étudiés par Links (1999), l’avantage du traitement par groupe de Munroe-Blum et Marziali (1995), l’impact des techniques psychothérapeutiques de Bond (1998) ou de l’approche diagnostique dimensionnelle créative de Livesley (1998), pour n’en citer que quelques-uns, gagnent à être connues.