Corps de l’article

Bien que depuis les dernières années, d’autres modèles d’hébergements alternatifs, tels les appartements supervisés, le logement social avec support communautaire ou le soutien aux personnes vivant en logement autonome (supported housing) suscitent de plus en plus d’intérêt au sein du réseau de la santé et des services sociaux, il n’en reste pas moins que les résidences d’accueil demeurent, à Montréal, une forme d’hébergement supervisé indispensable. Du point de vue clinique et psychosocial des intervenants, cette ressource constitue dans certains cas, la seule option d’hébergement réaliste à long terme. En effet, les individus qui ont vécu de nombreuses années dans des unités de soins psychiatriques sont souvent incapables de vivre seul sans l’aide et l’assistance d’un tiers ; la plupart du temps, ils n’ont guère de relations avec leur milieu familial et ne reçoivent que peu de soutien social de la part de la communauté. De plus, les individus qui ont été récemment placés dans ces résidences présentent des troubles mentaux beaucoup plus graves et requièrent davantage de soins et d’encadrement. Les résidences d’accueil apparaissent donc, pour ces individus, comme un premier lieu d’intégration à la communauté doublé d’un milieu de vie stable et sécurisant.

Les résidences d’accueil : contexte historique et transformations des services en santé mentale

D’entrée, il faut souligner que les résidences d’accueil n’ont pas toujours joui d’une excellente réputation. Cette image plutôt négative des résidences d’accueil prend forme, au début des années 1970, lorsqu’une étude canadienne (Murphy et al., 1972) met en évidence les nombreuses défaillances de ce mode d’hébergement, telles l’absence d’activités destinées aux résidants ou la rareté des relations interpersonnelles entre ceux-ci et les propriétaires des résidences. Dorvil (1984) écrira, quelques années plus tard, que la majorité des familles d’accueil ne fait pas de réinsertion sociale, qu’elles ne sont au mieux que des aires d’hébergement, qu’une réplique du modèle institutionnel existant constituée de mini asiles implantés dans la communauté. Trainor et al. (1993) remarqueront, dans le même sens, qu’en plus de reproduire les caractéristiques du modèle asilaire, ces résidences n’offrent pas les conditions de vie les plus intéressantes de ce modèle, tels les services de réhabilitation, la fréquence des échanges interpersonnels et les programmes d’activités quotidiennes. Cependant, comme le constate Mousseau-Glasser (1988), les conclusions d’autres travaux rapportés par Sans (1987) ou par Sherwood et Morris (1983) montrent que les familles d’accueil ont eu des impacts positifs sur la qualité de vie de leurs pensionnaires et sur leur intégration à la communauté. Entre autres, une étude menée sur la valeur thérapeutique des interactions dans les familles d’ accueil de la Colonie familiale [2] de Geel a montré que les pensionnaires y développent des comportements de plus en plus normaux, alors que diminuent les comportements déviants (Roosens, 1979). Depuis cette époque, au Québec plus particulièrement, les résidences d’accueil ont passablement évolué passant d’un modèle de gardiennage traditionnel à un modèle de réadaptation où tous les professionnels qui interviennent auprès des résidants sont considérés comme des intermédiaires entre les services formels et les responsables de résidences.

Rappelons que le plan de transformation des services en santé mentale (Gouvernement du Québec, 1997) s’inscrivait dans un processus de désinstitutionnalisation déjà amorcé par le réseau de la santé et des services sociaux, depuis une quarantaine années. Conséquemment à ce mouvement de désinstitutionnalisation, nombre de lits de soins psychiatriques ont été fermés depuis les dernières années. Par exemple, à Montréal, 300 lits ont été fermés à l’hôpital Douglas, et 282 lits à l’hôpital Louis-H. Lafontaine, entre 1997 et 2000 (Statistiques, Hôpital Douglas, Louis-H. Lafontaine et Douglas, 2001). En outre, entre 1997 et 2002, 45 nouvelles résidences d’accueil ont été créées par le seul centre hospitalier Douglas, en vue de répondre aux nombreux besoins d’hébergement subséquents aux fermetures de lits qu’a connues, pendant cette période, le réseau de la santé et des services sociaux. Il y a tout lieu de croire que ce plan de transformation des services en santé mentale et, plus particulièrement, les nombreuses fermetures de lits qui s’ensuivirent n’ont pas été sans conséquences sur le travail des res-ponsables de résidences d’accueil.

Les responsables de résidences d’accueil : un statut ambigu

Les responsables de ces résidences sont majoritairement des femmes, elles ne sont habituellement pas des spécialistes du domaine et ne possèdent pas, pour la plupart, de formation reconnue en santé mentale. Elles représentent cependant un maillon indispensable à l’avancement du processus d’intégration dans la communauté des individus les plus fragilisés par la maladie mentale.

Malgré cela, les responsables des résidences d’accueil occupent une place et un rôle plutôt ambigus au sein du réseau de la santé et des services sociaux. De fait, bien que la plupart des responsables de résidences souhaitent être considérées comme membres à part entière des équipes cliniques, au même titre que les autres intervenants qui oeuvrent auprès de la clientèle qu’elles reçoivent dans leur résidence, il y a lieu de constater que cette aspiration tarde largement à se concrétiser au sein du réseau. Par exemple, même si les responsables travaillent quotidiennement en étroite collaboration avec les membres des équipes multidisciplinaires, il semble que ces responsables soient pratiquement exclues du processus de planification et de prise de décision entourant les différents services offerts à la clientèle hébergée chez elles. En outre, elles n’ont pas été consultées lors de la dernière réorganisation des services en santé mentale. Cette reconnaissance très incertaine du travail des responsables de résidences d’accueil au sein des équipes cliniques n’est pas particulière à la situation québécoise. En effet, le psychiatre Pierre Sans (1991), auteur de nombreux ouvrages consacrés au placement familial et à l’accueil thérapeutique en France notait qu’il était stupéfiant de constater la propension des intervenants à parler au nom et pour le bien des propriétaires de résidences, et à penser et élaborer une déontologie pour elles.

Force est de constater que le réseau de la santé et des services sociaux ne semble accorder aux responsables qu’une place périphérique, voire secondaire au sein de leur organisation. C’est en considérant ce contexte dans lequel les responsables de résidences d’accueil ont été écartées des lieux de discussion et de décision des services en santé mentale, tout en poursuivant un rôle spécifique dans le continuum des soins et des services destinés aux personnes souffrant de troubles mentaux graves, que cette étude a été entreprise.

Aperçu de l’évolution des études sur les résidences d’accueil

Les études traitant du sujet de l’hébergement dans la communauté des personnes souffrant de troubles mentaux graves peuvent être regroupées en fonction de diverses thématiques. Aux fins de cet article, nous n’avons retenu que les deux thèmes d’études qui se rapportaient directement à l’objectif ici poursuivi. Ainsi, un premier groupe d’études retrace l’évolution, dans le temps, des résidences d’accueils. Entre autres éléments d’informations, ces études nous apprennent que l’apparition des premières résidences d’accueil pour les adultes se situe en Belgique et remonte au xiie siècle (McCoin, 1983 ; Carpenter, 1978), alors que les familles de la ville de Geel hébergeaient dans leurs maisons les individus désinstitutionnalisés. En fait, Geel fut d’abord un lieu de pèlerinage pour les individus souffrant de maladie mentale. Lors de leur séjour, dans l’attente d’une miraculeuse guérison, les malades étaient logés chez des familles du village. De cette pratique s’est développée une tradition d’hébergement des malades chez les habitants de Geel, et de cette tradition va émerger le modèle des Colonies familiales, telles les colonies de Dun-sur-Auron et de Ainay-le-Château en France ou celle de Lierneux en Belgique. Les Colonies familiales ont eu comme fonction le désencombrement des asiles, et l’accroissement du nombre des individus qui y seront placés à partir du xviie siècle répondra à des considérations avant tout financières (Jodelet, 1989 ; Sans, 1987 ; Roosens, 1979). Cette idée de s’occuper des malades mentaux dans un espace naturel, familial va s’étendre à d’autres régions de l’Europe pendant les années 1800. À la même époque, inspirés du modèle écossais les placements familiaux seront introduits aux États-Unis, par Dorothea Dix (Sans, 1987 ; Linn, 1981). Les personnes désinstitutionnalisées étaient alors placées dans des maisons privées, et le prix de la pension était déterminé en fonction de la volonté et des aptitudes de la personne à participer aux travaux familiaux (Linn etr al., 1980). Du côté du Canada, c’est durant les années 1960 avec la venue du mouvement de désinstutionnalisation des hôpitaux, que les résidences d’accueil prennent leur véritable essor lorsque la majorité des individus qui quittent les unités de soins psychiatriques sont placés dans ces résidences d’accueil (Murphy et al., 1972).

Dans le second regroupement, se retrouvent des études portant plus spécifiquement sur les responsables de résidences d’accueil. Ces études décrivent les profils des responsables, les motivations qui les amènent à accomplir ce type d’activité, la nature des relations entre elles et les services du réseau (Sans, 1991 ; Mousseau-Glaser, 1988 ; Blaustein et Viek, 1987 ; Beatty et Seeley, 1980), ou encore, leur niveau de satisfaction relativement à l’aide et au soutien qu’elles reçoivent des intervenants qui supervisent leur travail (Moxley et Keefe, 1988). Dans l’ensemble, ces études indiquent que la majorité des responsables de résidences se préoccupent de la façon dont elles sont traitées par les intervenants avec lesquels elles travaillent, qu’elles voudraient être considérées par ceux-ci comme des membres à part entière des équipes professionnelles ; qu’elles ont développé leurs aptitudes à s’occuper de personnes souffrant de troubles psychiatriques suite à leur propre expérience parentale ; qu’elles souhaitent essentiellement travailler à la maison, et qu’elles sont davantage motivées par le désir de venir en aide aux individus qu’elles accueillent dans leur demeure que par l’apport financier qui pourrait résulter de cette activité. Dans ce sens, une étude de Mousseau-Glasser (1988) menée auprès de soixante-dix responsables de familles d’accueil rattachées au Centre des services sociaux du Montréal métropolitain (CSSMM) a montré que les principales motivations sous-tendant ce choix d’activité sont de rendre service, d’avoir un travail et de s’assurer un revenu. Peu de temps auparavant, Martinez (1986) qui avait interrogé sur le même sujet une centaine de responsables de résidences d’accueil rattachées au Centre des services sociaux Richelieu (CSSR) constatait que leurs principales motivations renvoyaient à l’altruisme, au désir d’aimer et de se rendre utile. Par ailleurs, des études sur les colonies familiales de Geel et de Ainay-le-Château concluent plutôt que les principales motivations des responsables des familles d’accueil sont de l’ordre de la rentabilité et de l’utilité (Jodelet, 1989 ; Roosens, 1979).

Par ailleurs, il nous faut ici ouvrir une parenthèse afin de signaler ces travaux plus récents menés au Québec et en Ontario qui poursuivent divers questionnements liés au logement comme facteur d’intégration sociale pour les personnes avec troubles mentaux (Morin et al., 2001). Ces travaux se distinguent, entre autres, par l’originalité d’une perspective plus dynamique du concept de stabilité du logement davantage sensible à l’évolution des préférences et des besoins des usagers (Sylvestre et al., 2001). En outre, certaines études se penchent, — et de là l’intérêt pour ce présent article — sur les relations entre le type d’hébergement et certaines caractéristiques des résidants qui y demeurent, tels leur niveau de bien-être émotionnel ou d’appropriation du pouvoir (Dorvil et al., 2003), ou sur l’identification des conditions de vie des individus en regard du type d’hébergement choisi, telle cette étude de Mercier (1989) qui observe que les personnes qui vivent en résidences d’accueil se caractérisent, entre autres, par un plus grand isolement et un faible niveau d’activités.

Enfin, il est intéressant de noter dans cette revue des écrits le peu de place accordée aux informations relatives au travail des responsables, et plus particulièrement, à l’impact des transformations récentes du réseau de la santé et des services sociaux sur leurs tâches quotidiennes auprès des clients qu’elles accueillent dans leur résidence.

Objectifs de l’étude

L’objectif de notre étude vise à décrire comment les responsables des résidences d’accueil travaillant auprès de personnes souffrant de troubles mentaux graves perçoivent les transformations du réseau de la santé et des services sociaux par rapport à leurs rôles et responsabilités, au type de clientèle dont elles prennent soin, aux demandes qui leur sont formulées, à leurs besoins et à leurs attentes [3]. En donnant la parole aux responsables, cette étude devrait permettre dans un premier temps, de préciser nos connaissances relatives aux réalités vécues quotidiennement par les responsables dans l’accomplissement de leur travail, et dans un second temps, d’améliorer les services qui leur sont offerts par le réseau.

Aspects méthodologiques

Une approche méthodologique de type qualitatif a été retenue afin de répondre à l’objectif de cette étude exploratoire qui s’est déroulée dans les secteurs desservis par les centres hospitaliers Douglas et Louis-H. Lafontaine. Au moment de l’étude, ces deux centres hospitaliers comptaient 261 résidences d’accueil dans lesquelles vivaient 1 393 personnes utilisatrices de services. Ces deux établissements régissent près de 70 % de l’ensemble des résidences d’accueil situées sur le territoire de l’Ile de Montréal.

La sélection des répondantes a été réalisée selon les principes de l’échantillonnage intentionnel (Patton, 1990) et s’est opérée selon deux critères principaux, soit en tenant compte (1) des années d’expérience des répondantes comme responsables, et (2) du nombre de clients qu’elles hébergeaient dans leur résidence au moment de l’étude. Ces critères ont été désignés initialement par les intervenants impliqués dans l’étude qui, s’inspirant de leur connaissance du milieu, ont déterminé que ces critères devraient permettre de couvrir une multiplicité d’expériences vécues à titre de responsables de résidence. Plus précisément, les responsables des résidences d’accueil affiliées au deux centres hospitaliers ont d’abord été distinctement réparties selon leurs années d’expérience comme responsables de résidences d’accueil. Trois catégories ont été ainsi retenues : une première regroupant les responsables ayant moins de cinq ans d’expérience, la seconde entre cinq et dix ans, et la troisième ayant plus de dix ans d’expérience. Les responsables de chacune de ces trois catégories furent ensuite réparties selon le nombre de résidants accueillis dans leur résidence : soit entre trois et quatre résidants, entre cinq et six ou entre sept et neuf résidants. Les résidences hébergeant une ou deux personnes n’ont pas été retenues puisqu’elles ne reflètent pas le nombre de répondants généralement accueillis dans ce genre de ressource. Finalement, des responsables ont été sélectionnées dans chacune de ces sous-catégories. L’intérêt de ce procédé est de favoriser une sélection des résidences d’accueil à partir du plus large éventail possible (maximum variation sampling) de types de résidences (Patton, 1990). Chacune des responsables sélectionnées a reçu une lettre l’invitant à participer à l’étude et lui expliquant la nature des objectifs poursuivis par cette dernière. Il n’y a eu qu’un seul refus qui a été justifié par la non-disponibilité de la responsable. Ainsi, trente entrevues semi-structurées ont été réalisées, entre novembre 1999 et mai 2000, auprès de 30 responsables de résidences d’accueil accréditées par l’un ou l’autre de ces deux établissements. Les entrevues ont été réalisées dans les résidences d’accueil des responsables ; elles ont été enregistrées sur bande audio et ont été retranscrites intégralement.

Un guide d’entrevue a été élaboré et pré-testé pour les fins de l’étude. Les questions traitées se rapportaient plus précisément aux deux dimensions suivantes : (1) les changements relatifs au travail des responsables depuis la transformation des services ; et (2) l’appréciation des répondantes du soutien et des services qu’elles reçoivent de la part des intervenants du réseau.

L’analyse des données a été réalisée de façon inductive, c’est-à-dire que le processus de catégorisation des données s’est développé uniquement à partir du matériel recueilli lors des entrevues et non pas au regard d’un cadre conceptuel pré-défini. Diverses mesures ont été entreprises afin d’assurer la crédibilité des données recueillies et de leur analyse, ainsi que l’exhaustivité de cette analyse (Lincoln et Guba, 1985). Ces mesures comprennent : (1) la rédaction d’un journal de bord ; (2) un résumé de chaque entrevue ; (3) la codification réalisée par deux personnes pour la plupart des entrevues ; et (4) l’évaluation de la saturation des données recueillies.

Description des répondants

La presque totalité de ces responsables sont des femmes (29/30). L’âge moyen de la majorité (23/30) se situe entre 40 et 59 ans, cinq responsables (5/30) ont entre 20 et 39 ans, et deux autres (2/30) ont plus de 60 ans. Plus de la moitié des répondantes sont nées au Canada (17/29), le quart est issu des Caraïbes (8/29), et quelques-unes d’entre elles sont nées en Europe (2/29), aux États-Unis (1/29) ou en Afrique (1/29). La langue maternelle pour plus du tiers de ces répondantes (12/28) est le français, l’anglais pour un autre tiers (12/28), et une autre langue (créole, italien ou arabe) pour les quatre autres répondantes (4/28). Quant à la scolarité des responsables, près de la moitié (14/29) a complété des études secondaires, huit (8/29) des études universitaires, cinq (5/29) des études collégiales, et deux répondantes (2/29) des études primaires.

En ce qui à trait aux occupations antérieures des responsables, la très grande majorité d’entre elles (28/30) travaillait à l’extérieur de leur domicile avant d’ouvrir une résidence d’accueil ; les autres (2/30) étaient aux études ou pratiquaient un travail autonome. Quant à leurs années d’expérience à titre de responsables de résidences d’accueil, le tiers possède moins de cinq ans d’expérience (11/30), l’autre tiers de cinq à dix ans d’expérience (10/30), et le dernier tiers a plus de dix ans d’expérience (9/30). La moitié des répondantes (15/30) héberge entre quatre et six clients, plus du tiers (11/30) accueillent entre sept et neuf clients, et les quatre autres reçoivent deux ou trois clients. Enfin, plus de la moitié des responsables (18/30) bénéficient de l’aide d’un membre de leur famille (non rémunéré) ; 12 responsables (12/30) emploient une personne occasionnellement, alors que les 11 autres (11/30) le font sur une base régulière.

Résultats

Les retombées

Les résultats se rapportant aux changements vécus par les responsables ont permis de dégager de nombreuses informations fort pertinentes en regard des retombées positives et négatives des transformations du réseau. En effet, la presque totalité des répondantes (29/30) se sont prononcées à la fois sur des retombées positives et négatives caractérisant ainsi l’impact des transformations du réseau de la santé et des services sociaux sur leur travail auprès des personnes souffrant de troubles mentaux.

Les propos tenus par les responsables relativement aux retombées positives du plan de transformation du réseau peuvent être regroupés sous quatre thèmes : (1) le sentiment de faire un travail plus valorisant ; (2) une meilleure qualité de vie des clients, (3) la familiarisation avec l’approche de réadaptation, et (4) le développement de leur capacité d’affirmation face aux professionnels.

Les transformations du réseau ont suscité pour près de la moitié des répondantes (13/29), une certaine valorisation de leur travail et de leurs interventions auprès des personnes qu’elles accueillent dans leur résidence. De fait, ces responsables ont le sentiment de faire maintenant un travail plus valorisant, et ce, en dépit de la lourdeur de leur charge de travail. Les unes se disent stimulées par les nouveaux défis reliés à l’accueil de nouvelles clientèles, elles ont le sentiment d’être vraiment « utiles » et de faire un travail « moins routinier » ; alors que d’autres expliquent à quel point elles se sentent gratifiées par les progrès de leurs clients. Elles considèrent que leur investissement est récompensé par les résultats qu’elles obtiennent, tout en précisant que la satisfaction est tout aussi grande chez leurs clients.

You’re trying to help them to… not only just think of themselves and the illness, you know, but to try to get to accommodate as much as they can, you know. And for me, I find… that’s very satisfying.

La même proportion des responsables (13/29) souligne que l’amélioration de la qualité de vie des clients est l’un des aspects positifs du plan de transformation. Certaines d’entre elles soutiennent que les personnes qui sont sorties du milieu hospitalier font l’expérience d’une existence « plus normale » qu’en institution.

Les gens qui sont sortis et qui sont bien dans des familles d’accueil tant mieux, parce que c’est pas la même vie que l’hôpital. Au moins, ils ont…. Moi, j’ai vu des gens qui ont vécu 20 ans à l’hôpital… et aujourd’hui ils ont une autre vie, ils ont une meilleure vie qu’avant.

Plusieurs remarquent que les clients évoluent plus rapidement à l’extérieur des institutions : ils apprennent à faire l’entretien de leur chambre, à cuisiner, à faire la lessive, à faire des courses ou à s’orienter dans leur environnement (par exemple, prendre l’autobus). D’autres répondantes affirment que l’amélioration de la qualité de vie des clients est due, en grande partie, aux avantages de la nouvelle médication. On observe que les clients sont maintenant moins angoissés, plus sûrs d’eux-mêmes, qu’ils ont le goût de faire des activités, qu’ils sont plus « fonctionnels ».

À la suite des transformations, les responsables ont dû dépasser leur mandat initial d’hébergement et de protection sociale de leur clientèle. De fait, on leur demande maintenant de développer l’autonomie des clients, de s’intégrer à l’équipe multidisciplinaire pour discuter de la planification et de la réalisation du plan d’intervention, et également, de se préoccuper de la réinsertion sociale des clients. Quelques répondantes (5/29) ont fait des commentaires qui laissent penser qu’elles sont en train de se familiariser avec ces nouvelles exigences de l’approche de réadaptation. Elles mentionnent, entre autres, que l’approche de réadaptation exige de leur part une plus grande implication auprès des clients.

I think that with time, there’ll be more expectations I think for all caregivers to help people become more independent I don’t think that it’s going to go forever where you can just take people into your home, and feed them and keep them happy. I think there’s going to be higher expectations as time goes by… which is a good thing… hopefully it goes in this direction… So I think there will be more expectations for our homes to be more « rehab » and more training than just places for people to go and park for 10 to 20 years.

Le développement de la capacité d’affirmation face aux praticiennes [4]

Quelques responsables (4/29) ont tenu à souligner que les changements liés au plan de transformation leur ont permis de vivre des expériences inédites. Ces expériences ont favorisé le développement de leur confiance en soi et leur capacité d’affirmation face aux professionnels. Par exemple, une responsable raconte qu’elle ne se permettait pas, au début, de refuser certains clients, elle croyait qu’elle n’avait pas vraiment le choix d’accepter ou non un nouveau client. Avec l’expérience, elle a appris à reconnaître ses limites et elle se sent désormais capable de refuser un client qu’on lui propose d’accueillir dans sa résidence.

Aux dires de plusieurs répondantes, les répercussions des transformations du réseau sur leur travail n’ont pas été que positives. Au contraire, nous pouvons même observer que les retombées identifiées par les responsables se caractérisent davantage par un contenu négatif que positif.

Les retombées négatives du plan de transformation du réseau décrites par les responsables peuvent être regroupées sous cinq thèmes : (1) la sortie des hôpitaux de « patients plus lourds » ; (2) l’alourdissement de leur charge de travail ; (3) l’insuffisance de ressources et de services dans les hôpitaux et dans la communauté ; (4) la difficulté de faire hospitaliser un client à l’urgence ; et (5) la sortie trop hâtive des clients des résidences d’accueil.

Plus des deux-tiers (20/29) des responsables ont formulé des commentaires relativement à la « lourdeur des patients » qui sortent des hôpitaux, depuis les cinq dernières années. L’analyse de leur discours nous permet de distinguer deux tendances pouvant mieux définir cette « lourdeur ». Les propos des responsables de la première tendance font ressortir que les nouvelles clientèles, qui ont souvent vécu en institution pendant plus de 20 ans, présentent des profils psychiatriques complexes, souffrent de problèmes physiques importants (par exemple, l’incontinence) et sont peu autonomes. Ces individus demandent, de la part des responsables, beaucoup plus d’écoute et d’attention, et davantage d’encadrement.

… je sais qu’ils nous disent beaucoup que la clientèle s’alourdit… mais je sais pas si ça c’en est une preuve, mais ceux qu’on a reçus dernièrement, ils sont plus difficiles à stimuler, ils ont moins le goût… de faire des choses… Tu sais, ils sont assis pis ils attendent le dîner, pis ils attendent le souper, pis ils prennent leurs médicaments, pis ils font comme rien.

Les propos des responsables de la seconde tendance indiquent que certaines clientèles sont « trop lourdes » pour vivre en résidence d’accueil, car ces dernières exigent une supervision constante, 24 heures sur 24. Ces responsables affirment que le plan de transformation n’est pas réaliste et que la pression subie par les responsables et par les clients est trop grande. Elles craignent que cette pression n’affecte la dynamique des relations entre l’ensemble des membres de la résidence d’accueil ou la condition mentale de certains clients.

Elle m’avait rentré cette patiente là chez nous, et puis, je te dis bien que je l’ai gardée une semaine, puis je n’avais jamais vécu ça en 19 ans. Ça été l’enfer, je n’ai jamais vu… une personne de même là, je n’avais jamais eu ça chez nous… C’était énervant. Tout le monde était inquiet ici.

Plus des deux tiers des responsables (20/29) ont établi un rapport entre l’alourdissement de leur charge de travail et les changements liés au plan de transformation du réseau. La majorité d’entre elles observe que leurs responsabilités sont plus importantes ; elles doivent maintenant assumer « seules » des tâches qui étaient faites auparavant par plusieurs intervenants. Elles rappellent que les clientèles des cinq dernières années demandent beaucoup d’attention et plus d’investissement en termes d’écoute, d’encadrement et d’accompagnement, sans compter les exigences reliées à l’approche de réadaptation. Certaines constatent que les intervenants leur demandent sans cesse d’accomplir de nouvelles tâches, comme de rédiger des rapports d’observation sur leurs clients, ou de dénicher dans leur communauté des programmes adaptés aux besoins des clients.

I found that as the years have gone by, there has been more and more work dumped on the caregiver’s back in terms of paperwork, in terms of going out finding resources, in terms of getting them established in the community, in terms of even when a client has to leave the home

Plus de la moitié des responsables (15/29) ont fait état de l’ampleur du manque de ressources et de services, et ce, tant dans les hôpitaux généraux et psychiatriques que dans la communauté. Elles notent, surtout :

Le manque de programmes et d’activités pour les clients

Des répondantes attirent l’attention sur le manque de ressources communautaires, en précisant « qu’en dehors de la cour de l’hôpital » il est difficile d’obtenir des services. Deux d’entre elles rappellent que les clients ont besoin, sur une base régulière, d’activités à l’extérieur de la résidence d’accueil ; une autre explique qu’elle doit se débrouiller seule pour trouver des programmes et des activités pour ses clients, une situation qui lui cause beaucoup d’anxiété, parce qu’elle sait à quel point ses clients ont besoin de participer à ces activités.

La pénurie de personnel dans certains secteurs

Des responsables mettent principalement en évidence la pénurie de personnel professionnel dans certains secteurs. Elles rapportent, entre autres, le manque de médecins et d’infirmières qui font des visites à domicile pour soigner les clients plus âgés qui ne peuvent se déplacer. Elles remarquent aussi que les travailleuses sociales sont débordées et qu’elles ne sont jamais de service les fins de semaine, alors que certains clients plus « angoissés » peuvent avoir besoin de ces professionnelles à n’importe quel moment de la semaine, du jour ou de la nuit.

D’autres responsables constatent que, contrairement à ce qui était prévu dans le plan de transformation, le CLSC n’assure pas le continuum de soins. Dans ce sens, l’une d’elle mentionne que les CLSC n’ont pas les ressources nécessaires pour recevoir la clientèle psychiatrique, à preuve, l’absence de psychiatre. Une autre rapporte qu’elle doit composer avec la faible disponibilité de l’infirmière du CLSC qui n’est joignable qu’un jour sur deux. Elle doit donc, en certaines occasions, en plus de d’accompagner ses clients chez leur psychiatre ou à leurs nombreux suivis médicaux, jouer le rôle d’infirmière (en changeant un pansement ou en injectant du liquide dans un soluté, par exemple).

… c’est impensable de continuer à donner des services comme ça. Ça prend… des accompagnateurs, on ne peut pas être à deux places en même temps. Ça devient un fardeau…

L’insuffisance du nombre de centres de crise et de foyers de groupe

Certaines répondantes remarquent que les clients qui sont ré-hospitalisés à répétition auraient besoin d’une ressource qui soit accessible rapidement, d’un centre de crise par exemple [5]. L’une d’elles soutient que ce ne sont pas les unités d’admission psychiatrique qui font la différence, puisqu’on n’y garde les patients que très peu de temps. Une autre responsable ajoute qu’en raison de la pénurie des ressources, elle doit assumer « bénévolement » le travail de relation d’aide qui devrait être normalement assuré par les intervenants des ressources communautaires. En outre, elle craint que l’état des clients les plus fragiles ne se dégrade, parce qu’ils n’auront pas reçu les services nécessaires.

La détérioration des services dans les hôpitaux

Certaines répondantes soulignent la détérioration des services dans les hôpitaux généraux. Selon celles-ci, il arrive très souvent que les hôpitaux donnent congé trop rapidement aux clients qui ont été hospitalisés, en retournant par exemple une personne qui ne peut se lever seule. Elles attirent aussi l’attention sur la situation des clients qui ont subi une « chirurgie d’un jour » et qu’il faudrait garder sous observation pendant au moins 24 heures, étant donné que les responsables des résidences d’accueil ne peuvent vraisemblablement veiller toute la nuit un client qui vient d’être opéré.

Le manque de ressources de répit et de vacances pour les responsables

Enfin, quelques responsables déplorent le manque de ressources de répit (tel le service de gardiennage) pour les responsables. Ces ressources pourraient leur permettre de s’absenter quelques jours, de partir en vacances la tête tranquille. Qui plus est, en raison des coupures budgétaires, elles ne peuvent plus maintenant envoyer leurs clients dans des centres de vacances, et profiter ainsi de quelques moments de repos.

La difficulté de faire hospitaliser un client à l’urgence

Plusieurs responsables (5/29) soulignent que depuis le plan de transformation, il est plus difficile de faire hospitaliser un client à l’urgence. Ainsi, l’urgence retourne certains clients avant que leur état ne soit « vraiment stabilisé » alors que ceux-ci sont potentiellement « dangereux ». On souligne également qu’il n’existe pas de « plan d’intervention » pour les situations d’urgence, qu’il devrait y avoir plus de concertation sur le sujet, afin, entre autres, d’établir un filet de sécurité pour absorber les situations de crise et éviter que des clients dangereux ne « passent à l’acte ».

It is not uncommon that there’s nothing in the intervention plan that states what the procedure is, if there’s a crisis that you have to send them back.

L’une de ces répondantes raconte qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour prévenir les crises des clients et qu’elle demande l’intervention de l’infirmière au besoin. Bien qu’elle ait réussi à éviter de se rendre à l’urgence jusqu’à maintenant, elle aimerait pouvoir compter sur les ressources de l’urgence, pour les situations qu’elle ne pourrait prévenir ou maîtriser.

La sortie trop hâtive des résidences d’accueil : l’autonomie, à quel prix ?

Des répondantes (4/29) mettent en lumière la pression subie par certains clients, lorsque les intervenants appliquent sans discernement, l’un des objectifs du plan de transformation qui vise à développer leur autonomie. L’une d’elle considère que suivant cet objectif, « on force » certains clients à demeurer en appartement, alors que ce n’est pas leur choix.

il faut leur donner le plus d’autonomie possible, notre rôle c’est ça là, ok ?…. il faut qu’ils aillent en appartement. Pourquoi forcer la note de même ? Pourquoi ? C’est une famille ici là, ils sont bien, ils sont stables, ils ne sont pas dans la rue, ils ne retournent pas à l’hôpital, ils sont bien là.

Une autre répondante estime que le gouvernement ne donne pas assez d’argent à ces clients pour qu’ils puissent vivre de façon autonome. Certains d’entre eux doivent recourir aux banques alimentaires, leurs ressources financières ne leur permettant pas de se nourrir convenablement. Elle soutient aussi que ces personnes subissent une pression psychologique excessive lorsqu’on leur impose de vivre avec un co-locataire sous prétexte que cela coûte moins cher.

How can people afford to live on their own when you put them in such a tight box that even I would have a nervous breakdown…. So, I’m, I’m saying that people could very well manage on their own, but they cannot afford to go on their own… I’m always arguing and saying, you know, that this makes no sense, that… it’s not real, it’s not a reality, and they’re saying « well, this one should be on their own »… Where are you going to go for $500 dollars a month ?

En somme, il ressort de cette analyse des témoignages des répondantes que les propos tenus sur les retombées du plan de transformation du réseau témoignent davantage d’appréciations négatives que positives. En effet, les constats de nature plutôt négative sont plus nombreux et les commentaires accompagnant chacun de ces constats le sont également. Les thèmes qui ont été évoqués par le plus grand nombre de participants sont, du côté des retombées positives, la valorisation du travail des responsables et l’amélioration de la qualité de vie des personnes utilisatrices, et du côté des retombées négatives, la sortie des hôpitaux de patients plus lourds et l’alourdissement de la charge de travail des responsables. Nous pouvons remarquer que lesdits thèmes ont été nommés par la moitié des répondantes du côté des retombées positives, et par plus des deux tiers du côté des retombées négatives. Par conséquent, il y a lieu de penser que les perceptions des retombées négatives font davantage consensus parmi les répondantes que celles portant sur les retombées positives.

Sur le plan des retombées positives, il est intéressant de souligner que plusieurs responsables ont manifesté un réel intérêt pour les nouvelles interventions qu’exige de leur part, l’approche de réadaptation. Ces responsables se sentent stimulées et gratifiées par le défi que représente l’actualisation quotidienne de l’approche de réadaptation. Enfin, du côté des retombées négatives, nous ne pouvons passer sous silence, les nombreux propos rapportés par les responsables relativement à l’insuffisance de ressources et de services institutionnels et communautaires à laquelle elles sont confrontées, jour après jour, dans l’exercice de leurs fonctions.

Conclusion

Cette étude a permis aux responsables de résidences d’accueil de se prononcer sur l’impact que les récentes transformations des services en santé mentale ont eu sur leur travail auprès des personnes souffrant de troubles mentaux graves. Étant donné que cette interrogation menée auprès des responsables de résidences est la première du genre à être développée au Québec, il va sans dire, qu’il s’avère difficile, pour l’instant, de comparer les résultats observés à ceux d’études antérieures.

Nous pensons que les principaux thèmes autour desquels s’articulent les témoignages recueillis auprès des répondantes doivent être lus à partir des liens qui les unissent les uns aux autres. Ainsi, le thème traitant de la sortie des hôpitaux de patients trop lourds est étroitement lié à celui de l’alourdissement de la charge de travail des responsables qui est étroitement lié à celui du manque de ressources et de services dans les hôpitaux et dans la communauté. Les questions que ces résultats nous conduisent à soulever ici sont les suivantes : la majorité des individus qui sortent actuellement des unités de soins psychiatriques sont-ils vraiment trop lourds pour vivre dans des résidences d’accueil, ou apparaissent-ils ainsi, parce que les responsables ne bénéficient pas, actuellement, des ressources et des services qui leur permettraient de répondre plus adéquatement aux besoins de cette clientèle ? À ce propos, Sans (1997) remarque, d’une part, que sont placés dans les familles d’accueil les individus les plus handicapés par la maladie mentale, et d’autre part que les spécialistes des soins en santé mentale (gestionnaires ou intervenants) ne sont que peu conscients et ne tiennent pas suffisamment compte de la charge de travail et de la charge émotionnelle que représente la cohabitation journalière avec une personne souffrant de troubles mentaux graves. N’y aurait-il donc pas lieu, afin de mieux assister les responsables dans leur travail, d’ajouter de nouveaux services ou de créer d’autres formes de soutien, tels la mise sur pied de ressources de répit pour les responsables, de centres de jour et de milieux d’intégration socioprofessionnelle pour les clients, d’un service d’accompagnement pour les clientèles qui ont besoin d’un suivi médical régulier, ou l’embauche de personnel, comme des travailleurs communautaires ? Ces améliorations ne sont pas sans rappeler celles déjà émises en 1988 par des responsables de résidences d’accueil rattachées au CSSMM qui soulignaient, entre autres, la nécessité d’aménager un réseau d’entraide structuré, d’organiser de nouvelles formes de répit et d’accroître la contribution du CSSMM en termes de soutien offert aux responsables (Mousseau-Glasser, 1988). Il serait également souhaitable, tel que le propose le nouveau Plan d’action de santé mentale 2005-2008 (Ministère de la santé et des services sociaux, 2005), que de nouveaux modèles d’hébergement soient créés afin que les professionnels du réseau ne soient pas forcés de placer certains clients dans des résidences d’accueil, parce qu’il n’y a pas de place dans les autres ressources ou que les ressources existantes ne satisfont pas aux besoins des clients.

Par ailleurs, nous ne pouvons faire abstraction du lien entre la qualité des conditions de travail réservées aux responsables et la nature de la reconnaissance de leur travail au sein des services en santé mentale. C’est-à-dire que si les responsables ne sont pas perçues comme des membres reconnus du continuum des services en santé mentale qui participent au rétablissement et à la réadaptation psychosociale des personnes souffrant de troubles mentaux, leurs conditions de travail ne pourront vraisemblablement que recevoir le même niveau de considération. Posons-nous plus directement la question : le travail des responsables est-il considéré comme un métier ou comme un acte se rapprochant davantage d’un bénévolat maigrement récompensé qui dépanne à très bon compte les services en santé mentale ? Selon Sans (1991), s’il s’agit effectivement d’un métier, il nous faut inévitablement revoir à plus ou moins long terme, leur statut de travailleur et les modalités de leur rémunération. Sans (1987) insiste également sur l’importance de reconnaître aux responsables une identité professionnelle originale aux règles précises et au champ d’action spécifique. Dans le même sens, l’étude de Martinez (1986) conclut à la nécessité de considérer les responsables comme des collaboratrices indispensables à la réalisation des plans de service. En outre, l’accroissement et la diversification des tâches maintenant dévolues aux responsables viennent nécessairement alourdir leur charge de travail. Ce changement représente un tournant marquant dans l’organisation des services en santé mentale. Les responsables doivent maintenant déborder leur mandat traditionnel de gardiennage des clientèles psychiatrisées pour s’impliquer activement dans le processus de réadaptation de ces dernières. Nul doute que la poursuite de cette nouvelle orientation constitue un défi majeur pour chacun des acteurs engagés dans cette voie. Qui plus est, puisque les attentes à l’égard des responsables se sont accrues, il va sans dire que le réseau devra investir davantage en ressources humaines et matérielles afin de procurer aux responsables un soutien professionnel qui corresponde aux nouvelles exigences de l’approche de réadaptation.

De fait, il nous apparaît indispensable que soient offerts aux responsables davantage de services, de soutien et de formation qui tiennent compte de leurs besoins spécifiques. Une meilleure considération des besoins et des demandes des responsables de la part du réseau ne pourrait qu’avoir des répercussions favorables sur la qualité de vie des personnes utilisatrices. Par exemple, Dorvil et al. (2003) ont observé que bien que les résidants des résidences d’accueil se disent heureux de vivre dans ce type d’hébergement (ces personnes n’ont pas choisi dans la plupart des cas de vivre dans ces résidences, et n’ont généralement pas connu d’autres types d’hébergement), les conditions de vie y sont cependant très réglementées et ne laissent que peu de place à l’autodétermination du résidant. Ces constats devraient nous offrir des pistes de réflexion, d’une part, sur la spécificité du rôle des résidences d’accueil dans le processus de rétablissement et de réadaptation psychosociale des personnes qui y vivent, et d’autre part, sur les savoirs à travailler auprès des responsables afin que leur participation aux interventions suive de façon éclairée le développement de ce processus.

De toute évidence, les résidences d’accueil représentent au Québec une ressource d’hébergement nécessaire pour les individus les plus lourdement handicapés par la maladie mentale ; elles sont dans certains cas la seule option d’hébergement réaliste, disponible dans la communauté. Il apparaît donc clairement que le réseau de la santé et des services sociaux ne peut se dispenser de leurs services et qu’il n’a, dès lors, d’autres choix que de prendre en compte les diverses difficultés vécues et identifiées par les responsables dans le but de mieux les soutenir et de les valoriser dans l’accomplissement de leurs tâches.