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Introduction

Publié pour la première fois en 2009, le Modèle global de santé mentale publique (MGSMP) est le fruit d’une hybridation conceptuelle entre le rétablissement en santé mentale et la promotion de la santé1. Ce croisement a d’abord été initié à l’occasion du 20e anniversaire de l’adoption de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé par l’Organisation mondiale de la santé2. Certains des événements commémoratifs et des activités scientifiques de l’époque portaient sur l’héritage de cette Charte, par exemple en matière de santé mentale et de promotion de la santé mentale3.

Le MGSMP s’inscrit également dans le prolongement de l’approche dite écologique en santé publique4, 5, approche qui est elle aussi tributaire de la Charte d’Ottawa avec sa structure à cinq niveaux. Le MGSMP bonifie cette approche en proposant que les mentors de rétablissement pairs aidants soient prestataires de soins et services en santé mentale (pairs aidants) ainsi que promoteurs de trajectoire de changement intersectorielle (mentors de rétablissement), et pas uniquement que bénéficiaires des interventions qui leur sont destinées, mais qui sont programmées par autrui. Le MGSMP se réfère ainsi aux conventions internationales et aux normes relatives aux droits de la personne en tant que composantes essentielles d’une approche véritablement globale. Lors de l’élaboration des plans d’action, des stratégies ou programmations organisationnelles et des politiques de santé, de telles conventions et normes internationales peuvent être invoquées auprès du public et des décideurs par des mentors de rétablissement dans le cadre de leur plaidoyer politique et juridique en faveur autant du rétablissement que de la défense des droits, ou que de la pleine citoyenneté pour tous.

Au nombre de ces conventions et normes internationales axées sur les droits humains figurent la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées6 et le Plan d’action global pour la santé mentale 2013-2020 de l’OMS7, lequel comprend un document technique, soit le QualityRights Toolkit8, rédigé pour aider les parties prenantes à améliorer la qualité et le respect des droits des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale dans les services de santé. Les mentors de rétablissement sont probablement les personnes les mieux placées pour sensibiliser et contribuer à mobiliser la communauté autour de tels enjeux, notamment grâce au forum citoyen en santé mentale. Il s’agit d’un événement ponctuel ouvert au public pour soulever des enjeux relatifs à l’inclusion sous toutes ses formes et pour recommander des pistes d’action collective.

Contexte

Dans cet article, le MGSMP est revisité à la lumière du 4e forum citoyen en santé mentale et avec une attention particulière portée au rôle des mentors de rétablissement dans l’exercice de leur leadership en matière de transformation9, [i]. Cette modélisation s’articule à une succession de conférences et de références internationales à travers lesquelles les champs de la promotion de la santé et de la santé publique se sont historiquement développés.

Un mentor de rétablissement est une personne ayant connu des interruptions significatives de parcours de vie en raison d’une maladie mentale ou physique, soit la sienne ou celle d’un proche, et qui canalise cette expérience en expertise d’accompagnement dans son environnement. Cet accompagnement peut se déployer à plusieurs niveaux ; du soutien individuel à l’action humanitaire internationale, en passant par les niveaux interpersonnels, organisationnels et communautaires. C’est ce dernier niveau qui est particulièrement ciblé par le forum citoyen, lequel est organisé avec la volonté d’influencer favorablement, par la sensibilisation et la mobilisation, certains déterminants sociaux du rétablissement dans ses dimensions autant physiques, que mentales et sociales.

Du contrôle des maladies au rétablissement

En 1978, la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, à Alma-Ata en ex-URSS, a précisé que la santé « est un droit fondamental de l’être humain, et que l’accession au niveau de santé le plus élevé […] suppose la participation de nombreux secteurs socioéconomiques autres que celui de la santé »10. En fait, depuis 1946 la définition de la santé que l’OMS s’est donnée lors de son Assemblée de constitution n’a pas changé, étant « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». La Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé a ensuite été adoptée comme stratégie de réduction des inégalités et des iniquités, dans le domaine de la santé, par l’autonomisation des individus et des communautés (empowerment).

Depuis 2003, l’OMS s’efforce en effet de ramener la santé mentale, qui était malgré la définition de 1946 plutôt restée à la périphérie des politiques et guides de pratique, vers une position davantage prééminente en santé publique11, 12. Il s’agit d’un plaidoyer en faveur de plans intersectoriels de santé mentale qui soient exhaustifs et pour une plus grande implication des personnes, vivant ou ayant vécu personnellement les conséquences des problèmes de santé mentale, dans l’élaboration de politiques, l’évaluation de la qualité et dans la prestation elle-même des soins et services. Cette participation est une caractéristique essentielle d’une orientation axée sur le rétablissement13, lequel demeure un principe directeur du Plan d’action en santé mentale 2015-2020 du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec14, comme il l’était pour le précédent Plan d’action en santé mentale 2005-201015.

Dans la foulée des mouvements sociaux caractéristiques des années 1960 et 1970, le rétablissement a d’abord percé dans le domaine de la réadaptation psychosociale. Par opposition à un modèle asilaire coupant les gens de leurs milieux, le rétablissement mise avant tout sur le maintien des personnes dans la collectivité par le biais du soutien communautaire et de l’actualisation de compétences personnelles16. Le rétablissement a été défini comme étant une vision17, 18, un mouvement19, un modèle conceptuel20, ou encore comme un principe immanent d’organisation21.

La promotion de la santé a suivi en parallèle un parcours similaire, ayant été définie comme étant un processus22, une science23, ou en tant que mouvement24. Il existe plusieurs définitions possibles du rétablissement et de la promotion de la santé respectivement. Les origines de ce que l’on appelle maintenant le Recovery Movement sont bien documentées25, comme celles du « Health Promotion Movement »26. Nous ne traitons pas ici de ces origines, mais plutôt de la convergence entre d’une part, la promotion de la santé selon la Charte d’Ottawa, l’approche écologique d’autre part, puis la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRDPH).

Élaborer une politique publique saine : il s’agit de situer la santé, physique et mentale, aux premières loges de l’attention publique et gouvernementale et éventuellement au coeur du débat électoral, que celui-ci soit municipal, national ou autre. L’objectif est d’établir un sens plus collectif des responsabilités en matière de santé populationnelle en faisant des personnes les premières concernées des agents particulièrement actifs et habilités à incarner le changement, par exemple au sein de comités d’évaluation de la qualité ou d’instances de gouvernance, comme le comité organisateur du forum citoyen et lors de celui-ci.

Créer des milieux favorables : les environnements favorables sont essentiels à la promotion de la santé et au rétablissement, car un environnement pathogène peut engendrer de l’isolement, ce qui influe négativement sur la capacité des populations vulnérables à faire face autant aux problèmes chroniques de santé physique que de santé mentale, ou à des conditions socio-économiques adverses. Cet isolement peut résulter en un capital social amoindri, ce qui peut contribuer à l’obésité, aux maladies cardiovasculaires, aux problèmes de santé physique et mentale, à une morbidité et à une mortalité accrue27. C’est pourquoi le forum citoyen représente un espace de discussion où sont imaginées des pistes d’action pour favoriser l’inclusion et rendre divers environnements, dont celui du travail, plus favorable au rétablissement et à la santé mentale de tous, avec un effet d’entraînement souhaité sur la santé sociale et physique.

Renforcer l’action communautaire : l’objectif ultime du rétablissement est de faire en sorte que les individus aux prises avec des problèmes de santé revêtant un caractère de chronicité puissent s’accomplir malgré et au-delà de cette chronicité. Il s’agit de les encourager à atteindre leurs buts et à satisfaire leurs besoins en continuant à évoluer en tant que citoyens à part entière dans leurs communautés respectives, soit en étant de la communauté et pas seulement dans la communauté. À cette fin, une conscience plus aiguë de l’impact négatif potentiel des actions plus ou moins spontanées d’une communauté, tel que le syndrome « pas dans ma cour », fait partie d’une approche réflexive et collective. Ce phénomène fut discuté lors du 3e forum citoyen, tandis que le 4e forum citoyen abordait le milieu du travail comme micro-communauté potentiellement elle aussi propice à de meilleures stratégies d’inclusion.

Acquérir des aptitudes personnelles : être « en rétablissement », c’est exercer son autonomie et son pouvoir d’agir28, 29, mais afin d’exercer de telles capacités, il faut être suffisamment rétabli parce que la maladie impose parfois des reculs sur ces plans et de telles aptitudes sont alors à réapprendre. La résilience ne va pas toujours de soi puisqu’elle demeure un défi pour plusieurs dont la confiance en soi est à reconstruire30. Les normes sociales peuvent parfois n’inspirer que du désespoir à des personnes perçues et se percevant elles-mêmes comme étant des « malades mentaux » chroniques. C’est l’une des raisons derrière le choix de confier l’animation du forum citoyen à des mentors de rétablissement habilités à incarner publiquement, et au vu d’autres usagers moins avancés dans leur processus de rétablissement, des figures positives et constructives de personnes et mentors « en rétablissement ».

Réorienter les services de santé : le plein exercice de la citoyenneté est l’une des orientations principales du Plan d’action en santé mentale 2015-2020 du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec14. Une approche globale s’avère ici nécessaire, les communautés devant soutenir le redéploiement des services typiquement psychiatriques afin qu’ils soient davantage dispensés dans les structures de soins de santé primaires, soit « dans la cité » et en interaction dynamique avec le milieu naturel. La composition intersectorielle du comité organisateur du forum citoyen reflète cette préoccupation, puisque les obstacles au rétablissement, en tant que trajectoire de vie, relèvent aussi bien de secteurs et ministères autres que celui de la Santé et des Services sociaux, par exemple de l’emploi ou de l’éducation.

Le MGSMP fait des individus aux prises avec des problèmes de santé significatifs les principaux artisans de leur rétablissement en tant que membre de la collectivité, soit de leur rétablissement civique31,32. Comme l’approche écologique, le MGSMP se déploie à cinq niveaux d’intervention qui sont liés entre eux et qui s’imbriquent : 1) supranational ; 2) étatique ; 3) communautaire ; 4) organisationnel ; et 5) individuel. À ces cinq niveaux correspondent autant de domaines de changement pour promouvoir le rétablissement civique : politique, socio-économique, culturel, interpersonnel et personnel.

Les mentors de rétablissement peuvent assumer leur leadership par le développement d’une capacité de représentation publique et citoyenne33 et au profit d’une prise de conscience par tout le monde. Ce modèle est en effet dit global notamment du fait que les niveaux supranational et individuel se renforcent mutuellement en se relayant avec ; a) un ensemble de règles juridiques et de conventions internationales relatives aux droits de la personne ; et b) les mentors de rétablissement qui canalisent leur savoir expérientiel en évoquant ces conventions pour le développement d’une capacité de changement continu. En canalisant et partageant de manière dosée leur expérience personnelle, soit individuellement auprès de personnes elles-mêmes en processus de rétablissement, soit lors d’événements publics, la narration qu’ils font de leur trajectoire sert la fonction de cas traceurs.

Méthode

La méthode des cas traceurs34 vise à faire ressortir des trajectoires potentielles qui caractérisent un dispositif plus ou moins formalisé, notamment de soins de santé et de services sociaux, et est utilisée aussi dans la formation en psychiatrie35. Tel que suggéré par Paquette36, il s’agit d’identifier et de décrire des processus organisationnels et des réseaux relationnels à travers le temps et en évitant de décrire un processus à partir d’un modèle préconstruit. Il devient ainsi possible, toujours selon Paquette « de documenter une variété de problématiques vécues sur le terrain, mais aussi d’obtenir des pistes de solutions pour les résoudre. Cette méthode permet de comprendre la dynamique dans laquelle évoluent les participants ». Pour les organisations de santé, la méthode cette fois du patient-traceur est une méthode d’amélioration de la qualité des soins et de l’expérience patient. « Elle permet notamment d’analyser rétrospectivement la qualité et la sécurité de la prise en charge d’un patient tout au long de son parcours dans l’établissement ainsi que les interfaces et la collaboration interprofessionnelle et interdisciplinaire afin d’identifier et de mettre en oeuvre des actions d’amélioration. »37 Nous appliquons ici cette approche à la trajectoire de rétablissement multidimensionnelle post-soins et hors-établissement, soit dans l’environnement social et à travers la narration que des mentors de rétablissement peuvent faire, à cette fin précise de compréhension et d’accompagnement, de leur propre rétablissement.

Ainsi, le 18 mai 2016 à Montréal, le 4e Forum citoyen intitulé « La santé, ça nous travaille ! » a eu lieu dans un parc industriel où il y a plusieurs entreprises d’économie sociale susceptibles de pouvoir bénéficier des recommandations et pistes d’action issues de cet exercice structuré par des cas traceurs de rétablissement. Il s’agissait en effet de sensibiliser les participants et particulièrement les employeurs, y compris ceux du secteur de la santé et des services sociaux, aux enjeux relatifs à la stigmatisation et aux préjugés touchant les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale dans leurs démarches d’insertion socioprofessionnelle38 et de rétablissement civique. Les sous-thèmes étaient ceux a) de l’intégration au travail des personnes n’y ayant jamais vraiment eu accès ; b) du retour au travail des personnes ayant dû s’en retirer temporairement ; et c) du maintien en emploi des personnes en rétablissement.

Le forum citoyen permet à la collectivité de proximité de s’impliquer et de manifester son soutien. Il s’agit d’un événement d’une journée qui réunit des professionnels de la santé, des travailleurs communautaires, des usagers de services en santé mentale et leurs familles, les organisations qui les représentent ainsi que la communauté locale et ses représentants élus. Cet événement vise à déterminer de manière collective les cibles et les actions concrètes afin de promouvoir et de soutenir le plein exercice de la citoyenneté pour tous. L’objectif est d’en arriver à un leadership collectif et partagé. Il s’agit donc d’un espace de paroles et d’échanges publics permettant aux participants de différents horizons d’apporter leur point de vue, leurs perceptions et connaissances pour contribuer à mieux identifier les différentes facettes des problématiques abordées et d’y apporter des solutions nouvelles et créatives. La méthode par cas traceurs lors du forum citoyen vise à dégager des processus d’auto-prise en charge du rétablissement afin de dévoiler l’agencement des mécanismes et procédures qui jalonnent ce processus, et avec une attention particulière aux modalités d’accès, de retour, ainsi qu’au maintien au travail en tant que déterminants de la santé. La contribution des mentors de rétablissement lors du forum citoyen consistait à illustrer « la succession des acteurs, des contextes d’action, conditions de cette action et les processus en oeuvre » dans cette trajectoire multidimensionnelle39.

En avant-midi, une suite de présentations à servi à exposer les enjeux d’ordre individuel, interpersonnel, organisationnel, communautaire ou politique, correspondant de fait à chacun des niveaux du MGSMP (version 20091). En après-midi, les participants (n = ±120, dont une quarantaine d’usagers) étaient répartis en cinq ateliers pour discuter, sous la co-animation de mentors de rétablissement, des arrimages possibles entre ces dimensions. Un canevas de prise de notes préparé par une organisatrice communautaire du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a permis de saisir et de classer ce matériel afin de dégager des recommandations et pistes d’action collectives. Les résultats de cet exercice ont par la suite été présentés à l’une des instances du Conseil citoyen en santé de l’Est-de-l’Île-de-Montréal où siège la Table de quartier Solidarité Mercier-Est.

La composition du Conseil citoyen en santé40, ainsi que celle du comité organisateur du forum citoyen, est inspirée des conseils locaux de santé mentale, en France, où ils font écho à la loi de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (Loi sur la démocratie sanitaire). Un tel dispositif vise à définir les priorités locales en matière de prévention, d’accès aux soins, de parcours de soins, et d’inclusion sociale et citoyenne. Il vise également à mettre en oeuvre des actions communes pour l’amélioration de la santé physique et mentale et la réduction des inégalités en matière de santé.

Quant à la Table de quartier Solidarité Mercier-Est (Mercier-Est étant l’un des quartiers de l’arrondissement Mercier—Hochelaga-Maisonneuve couvert par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal), il s’agit de l’une des 30 tables de quartier à Montréal41. Fondée en 2001, elle rassemble les acteurs de la communauté de Mercier-Est autour de son développement social local. Les Tables de quartier furent en effet conçues pour favoriser « la participation de tous les acteurs (multiréseaux), y compris les citoyens, à la planification, à la mise en oeuvre et au suivi d’actions portant sur l’ensemble des éléments qui influent sur la qualité et les conditions de vie (intersectorialité) »42. Lors du 4e forum citoyen, les mentors de rétablissement furent introduits en tant qu’acteurs en se faisant traceurs de trajectoire intersectorielle vers, et par le travail en tant qu’élément influant l’amélioration globale des conditions de vie. Ainsi, dans la section suivante, la présentation des résultats de l’exercice de développement de consensus du 4e forum citoyen est organisée de manière à ce que ces résultats de nature processuelle soient ensuite discutés sous forme de recommandations.

Résultats

Droit à un niveau de vie adéquat et protection sociale

Les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, comme tout un chacun, ont droit à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, ce qui passe par l’exercice d’un emploi rémunéré (domaine socio-économique du MGSMP). Les mentors de rétablissement ont exprimé leurs attentes « à faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés aux lieux de travail ainsi qu’à promouvoir les possibilités d’emploi et d’avancement des personnes sur le marché du travail, de même que l’aide à la recherche et à l’obtention d’un emploi, au maintien dans l’emploi et au retour à l’emploi » (CDPH, Art. 28). Ces thèmes furent abordés l’un après l’autre lors du 4e Forum citoyen. Les mentors y ont aussi fait part de la crainte de faire face à de l’incompréhension et au rejet, par des gens n’adhérant pas au rétablissement, dans leurs démarches pour faire valoir de tels droits à des aménagements.

Droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination

Le Forum citoyen est une bonne occasion pour les parties prenantes d’être en contact les unes avec les autres et avec la collectivité pour y discuter des moyens de mieux intégrer les secteurs des soins et services de santé, de l’emploi et de l’éducation (domaine organisationnel du MGSMP). La nécessité d’une approche intersectorielle pour lutter contre la discrimination a été soulignée par les participants réunis en ateliers. Tous les secteurs ne sont pas aussi conscients du caractère potentiellement discriminatoire de certains de leurs critères de programme. Il suffit qu’un secteur ne suive pas dans la chaîne de soins et services pour faire obstacle au rétablissement en tant que trajectoire multidimensionnelle et parcours de vie.

Droit d’exercer sa capacité juridique

Les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale doivent prendre part aux décisions qui les concernent directement43they must remain central to all decisions that affect them8. Le Forum citoyen est aussi l’occasion pour les mentors de rétablissement d’exercer leur capacité d’exprimer publiquement leurs aspirations et d’être entendus par les autorités locales et les élus au nom de leurs pairs (domaine politique du MGSMP). Lors du 4e Forum citoyen, non seulement ils avaient la possibilité de s’exprimer, c’était en fait des mentors de rétablissement qui en ont assuré l’animation du début à la fin, orchestrant ainsi l’élaboration du consensus et ne faisant donc pas qu’y prendre part.

Droit de ne pas être soumis à la torture ni à des traitements dégradants

Comme pour le 3e Forum citoyen, une partie du 4e Forum citoyen était diffusée sur les ondes de l’émission de radio Folie Douce44. Lors de cette émission, le chercheur Marc Corbière a abordé la délicate question du dévoilement éventuel d’un trouble mental en milieu de travail. Si un tel dévoilement peut être indiqué pour négocier et avoir accès à des aménagements de l’horaire de travail, par exemple, il ne vient pas sans le risque pour les personnes concernées de faire l’objet de « certaines railleries » pouvant miner la confiance45, ce qu’a confirmé un mentor qui en a été victime. Or une telle raillerie en apparence plus ou moins anodine peut représenter un traitement dégradant, lequel repose sur des représentations sociales invalidantes de la maladie mentale et de ceux qui en sont affectés (domaine culturel du MGSMP). Les conséquences et les souffrances d’un chômage prolongé sont pourtant à prendre très au sérieux, puisque pouvant être catastrophique pour la personne.

Droit de vivre autonome et d’être inclus dans la communauté

Vivre de façon autonome est non seulement rentable pour la société par rapport à l’institutionnalisation des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, mais c’est un droit. Toutefois, pour être inclus en tant que concitoyen de la collectivité, il faut que celle-ci soit elle-même accueillante et inclusive. La transition de la marginalisation sociale à la pleine citoyenneté représente un défi de taille pour le système public de santé mentale. Une approche qui se concentre principalement sur les individus en traitement n’est pas suffisante pour assurer qu’ils réussissent cette transition. En fait, une intervention publique est également nécessaire pour influer favorablement la nature de la relation entre des individus en principe égaux les uns des autres (domaine interpersonnel du MGSMP). Les mentors ont bien expliqué que tel n’était pas toujours le cas, loin de là, lorsqu’il s’agissait de revenir au travail suite à un congé pour maladie mentale, comparativement à un congé pour maladie physique, par exemple. Il fut recommandé de faire davantage connaître le potentiel contributif des personnes en rétablissement, ainsi que les valeurs et principes du rétablissement lui-même et tel que pouvant être promus par des personnes et mentors en rétablissement.

Discussion

Reconnue pour son dynamisme à intégrer les citoyens dans ses démarches, pour la Table de quartier Solidarité Mercier-Est le défi de la participation citoyenne est constamment à renouveler. Dans un contexte où les structures tendent globalement à se centraliser, le réflexe « citoyen » devient rapidement fragilisé. Inclure les citoyens dans des démarches de concertation collectives demande temps, énergie, stratégie et conviction. La gouvernance prévoit dans la composition de tous les comités de la Table une place réservée aux citoyens. Les chantiers de Solidarité Mercier-Est sont de l’ordre du développement socio-urbain et social dans l’optique de développer une capacité d’agir local. Collectivement, il s’agit de déployer des projets visant un impact direct dans la vie des familles et des habitants du quartier. Les planifications stratégiques, la réflexion sur les projets et leur évaluation sont menées de façon collective et la parole citoyenne est complémentaire à celle des autres intervenants. Solidarité Mercier-Est développe, à travers un projet pilote du CIUSSS de l’Est-de-l’île-de-Montréal, une méthodologie d’identification des besoins permettant un échange constructif entre la communauté et les décideurs de l’institution. Plus que des bénéficiaires de services, il est souhaité que les membres de cette communauté puissent jouer leur rôle d’acteurs de changement.

À l’instar de l’OMS, Solidarité Mercier-Est considère que les usagers présents et futurs devraient être impliqués dans le développement de l’offre de service de son institution de santé et représentés par certains des leurs. Les constats et recommandations du 4e Forum citoyen en santé mentale du 18 mai 2016 y contribuent. En effet, les citoyens qui participent et alimentent les instances du quartier vivent aussi un déficit de confiance personnel, ont parfois du mal à reconnaître les forces vives du milieu, décèlent mal les stratégies à adopter en groupe, sont parfois impatients quant aux résultats à venir. Le fait de voir des mentors de rétablissement en action est rassurant sur ces plans et donne confiance. Ainsi, il ressort que l’inclusion de personnes ayant des problèmes de santé mentale au sein d’instances de concertation locale, telles les Tables de quartier, est non seulement possible, mais nécessaire et devrait être soutenue. Bien orchestrée, leur pleine participation complémentera les réflexions et diversifiera les divers points de vue avec une perspective intégrative par cas traceur. Le tableau 1 présente les recommandations issues du 4e forum citoyen, telles que synthétisées en collaboration avec la Table de quartier Solidarité Mercier-Est, via le Conseil citoyen en santé. Elles sont présentées en parallélisme avec la structure de la Charte d’Ottawa, celles des approches écologique et globale, et la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Tableau 1

Recommandations du 4e forum citoyen telles que reprises par une Table de quartier

Recommandations du 4e forum citoyen telles que reprises par une Table de quartier

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Conclusion

Lors du forum citoyen, les mentors de rétablissement ont certes parlé de leur expérience personnelle. Les pistes d’action et les recommandations qui en ont résulté, telles qu’ici rapportées, ne visent cependant pas à solutionner des situations personnelles précises. Il s’agit plutôt d’anticiper les obstacles qui pourraient se dresser sur la trajectoire de rétablissement afin de pouvoir les prévenir, ou du moins les amoindrir. C’est en cela que se sont avérés utiles et même indispensables les mentors et traceurs de rétablissement. Au-delà des droits et principes généraux, mais en continuité de ceux-ci, le Conseil citoyen en santé peut lui aussi jouer un rôle intégrateur au niveau communautaire en faisant connaître des points de passage et modalités d’accès aux structures et les procédures réglementaires pouvant concourir, lorsque synchronisées, à la fluidité du parcours de rétablissement.

Le MGSMP est un processus par lequel des gens sont recrutés tout d’abord en tant que patients d’un dispositif socio-sanitaire ayant une responsabilité populationnelle, pour ensuite entreprendre un parcours de rétablissement par et vers le plein exercice de la citoyenneté. Ils sont formellement et informellement soutenus dans ce processus par des mentors qui, les ayant précédés sur ce sentier, les accompagnent dans la reprise de contact avec la collectivité et pour un effet d’émulation en cascade, surtout lorsque cet effet est relayé par les instances de proximité.