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Une histoire qui demeure

Dans les mémoires 

Joséphine Bacon, Un thé dans la toundra

Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre.

Karl Marx, Manifeste du parti communiste

Introduction

Il y a peut-être deux formes d’histoire : officielle et officieuse. La première se nourrit de discours, de faits objectifs, d’une archéologie minutieuse du passé. C’est l’histoire des vainqueurs, des grands personnages historiques. A contrario, la seconde est l’histoire non écrite, vécue par les personnages de l’ombre, l’histoire de petits courages, de minces déploiements, de mémoires intimes. Nous voulons recueillir cette dernière histoire, telle que vécue par les psychiatres du Département de psychiatrie de l’UdeM ; chercher, dans la trame historique objective, ce qui devient récit, poème, expérience irréductible parce que singulière, comme le sont les patients que nous traitons.

Nous pensions a priori concentrer nos entretiens auprès de psychiatres plus âgés, afin de traduire leur perspective historique. Nous avons finalement décidé d’inclure des psychiatres de diverses générations pour intégrer la question de la transmission. L’histoire vécue par les psychiatres d’expérience du Département a-t-elle été transmise ? Un autre objectif de ces entretiens auprès de psychiatres de diverses générations est de saisir le passé pour éclairer l’avenir : que conserver, que poursuivre ?

Méthode

Nous avons contacté quatorze psychiatres. De ce lot, treize psychiatres ont répondu à l’invitation ; un seul a refusé, pour des motifs non reliés au projet en soi. Les psychiatres ont été sélectionnés par contact personnel ou par l’intermédiaire d’un contact personnel, afin de favoriser une relation de confiance pour l’obtention de réponses représentatives de leur pensée sur le Département, et pour des raisons logistiques. Ils se répartissent dans trois hôpitaux, intégrés au Département de psychiatrie de l’UdeM. Ils ont des profils de pratique distincts, allant de la psychothérapie psychodynamique à la psychopharmacologie, auprès de services divers : maladies affectives, troubles psychotiques, troubles de la personnalité, toxicomanie et santé mentale, consultation-liaison, urgence, pédopsychiatrie. Leur engagement au sein du Département de psychiatrie de l’UdeM est varié : certains sont très impliqués au sein du Département universitaire, souvent par la voie de l’enseignement, parfois par cellede la recherche ; d’autres le sont moins. Quatre de ces psychiatres sont des femmes, le plus souvent parmi les générations plus récentes de médecins. Les psychiatres interrogés sont issus de générations diverses, le plus âgé ayant grandi avec l’histoire du Département en commençant sa résidence dans les années 60 ; les plus jeunes ayant gradué dans les années 2000.

Les entretiens ont été menés en mai 2015, la plupart en personne (un à un). Lorsque ceci s’avérait impossible pour des raisons géographiques ou d’horaire, les entretiens étaient menés par téléphone. Un seul psychiatre n’a pu répondre en personne ou par téléphone pour des raisons géographiques et d’horaire ; il a répondu à un questionnaire par courriel.

Sept questions (cf. la section Résultats pour les énoncés précis des questions) ont été posées pour amorcer la conversation, et des sous-questions étaient développées en complément, si nécessaire, afin de former un entretien à la fois structuré, mais libre, laissant place à l’expérience singulière de chacun. Lorsque le psychiatre interrogé ne savait que répondre à une question, nous passions à la suivante, avec possibilité d’y revenir par la suite. Les réponses ont été analysées, recoupées et intégrées aux résultats. Lorsque les réponses divergent, nous avons présenté tous les éléments de réponse afin de ne pas perdre la diversité des visions recueillies. Lorsque les réponses se recoupent, nous les synthétisons ensemble. Des extraits d’entretien sont cités lorsque cela se révèle pertinent ; l’anonymat des psychiatres interrogés a été préservé afin d’assurer la collaboration et la franchise des propos. Il ne s’agissait pas de recueillir l’histoire telle qu’elle devrait être vécue, mais telle qu’elle l’était.

Résultats

1. Quel événement ou quelle caractéristique a marqué les cinquante années d’histoire du Département de psychiatrie de l’UdeM, ou votre histoire au sein du Département ?

Les psychiatres plus jeunes ont souvent répondu « je ne sais pas », ou par une question : « comment les psychiatres se sont-ils réunis pour fonder le Département ? », ou en mettant en évidence le problème sur le plan de la transmission : « le fait que je ne peux nommer un événement ou une caractéristique montre que cela ne m’a pas été transmis ». Les psychiatres qui n’ont pas vécu cette histoire avec suffisamment de recul historique ne pouvaient préciser un événement marquant ou une caractéristique des cinquante ans d’histoire du Département de psychiatrie de l’UdeM. Parmi les plus jeunes, ceux qui ont répondu à la question ont mis en évidence l’évolution de la psychiatrie en général, soit le passage de l’âge d’or de la psychanalyse à celui des neurosciences, avec une tendance à chercher un juste milieu entre ces deux pôles dans les dernières années. Un psychiatre a souligné la qualité soutenue des professeurs au fil de l’évolution du Département.

Les psychiatres bénéficiant d’une expérience des dernières décennies ont pour la plupart souligné comme figure marquante le Dr Camille Laurin, présenté comme un « visionnaire », un « bâtisseur ». « Le Département de psychiatrie universitaire a été marqué par le premier directeur du Département, Camille Laurin. C’est un bâtisseur, il ratissait large. Auparavant, pour se former, il fallait aller ailleurs. Il a créé le premier programme de résidence au Québec. Il a aussi élargi la présence de cours au prégradué notamment autour de la psychologie médicale. » Un psychiatre évoque aussi le rôle de certains psychiatres (comme Dr Bordeleau) dans l’essor de la pharmacologie au Département dans les années 60, malgré le peu de moyens à l’époque. Un comparse évoque les noms les plus associés au Département de psychiatrie de l’UdeM selon lui : Henri F. Ellenberg et son ouvrage À la découverte de l’inconscient : histoire de la psychiatrie dynamique ; et Hans Selye et ses travaux sur le stress.

Un psychiatre plus âgé souligne que « la fondation du Département est caractérisée par la recherche constante d’un système où le patient est toujours en centre dès le début du Département. Au fil de la transition exceptionnelle entre la psychiatrie asilaire de l’époque et la psychiatrie d’aujourd’hui, on essayait malgré la lourdeur de la pathologie d’explorer des avenues idéalistes (cf. les divers courants évoqués à la question 2), mais dans lesquelles il y avait le désir de placer le patient dans un environnement favorable à sa réhabilitation ». Un collègue évoque comme transformation majeure la réforme par programme, entreprise au Pavillon Albert-Prévost en 1994 puis ayant essaimé dans d’autres centres hospitaliers de l’UdeM. « Ceci a marqué toute une révolution », avec comme avantage selon lui le développement d’une expertise pour des pathologies spécifiques, et comme inconvénient le développement d’une pensée en silo.

2. Qu’est-ce qui a particulièrement évolué ou changé au fil de ces années ?

La réponse d’un psychiatre synthétise avec clarté les réponses de la plupart des psychiatres interviewés : « Ce qui a changé ? La psychiatrie en tant que telle » ! Il ressort de cela que le Département a suivi les mutations de la psychiatrie en Occident. Un psychiatre d’expérience évoque les divers courants ayant marqué l’évolution de la psychiatrie en général, et aussi explorés par l’UdeM : courant asilaire ; courant de la psychiatrie institutionnelle où l’on croyait que « l’évolution du patient dépendait du contexte et qu’il fallait soigner l’institution » ; courant antipsychiatrique ; courant des communautés thérapeutiques de Maxwell Jones où « l’on soutenait que le patient devait devenir gérant des institutions ». Ce psychiatre se souvient qu’on enlevait alors les téléphones aux psychiatres afin que le personnel soignant soit vraiment auprès du patient. L’essor en pharmacologie a permis des avancées. Ce psychiatre rappelle un « exemple de ces psychiatres qui ne sont pas restés dans l’histoire, mais qui sont remarquables : le Dr Paul-Hus, qui avait introduit le lithium à Saint-Jean-de-Dieu deux ans avant que le lithium ne soit approuvé en Amérique du Nord pour les patients bipolaires ».

Un psychiatre précise qu’auparavant, le Département était davantage influencé par la psychiatrie française. Puis la psychiatrie américaine a pris le dessus, et « nous sommes devenus beaucoup plus DSM ». Un collègue évoque le « passage de la monothérapie psychanalytique à une pléthore de traitements et d’outils avec pour but d’aider le patient avec ce qui fonctionne ». Il souligne l’adoption d’une « approche plus versatile ». Il s’en dégage une « meilleure rigueur scientifique ». Le pluralisme s’est étendu à la formation en psychothérapie : « le programme réseau de formation en psychothérapie ne concernait auparavant que la psychodynamique, puis il y a eu un changement vers le pluralisme de la formation en psychothérapie ». Un psychiatre plus jeune souligne toutefois une perte sur le plan de la psychothérapie : « Notre génération est marquée par les coupures, la tendance à nous demander de faire plus avec moins. Ceci a un impact sur la psychothérapie : on a de moins en moins de temps, on est de moins en moins expert en ça, ce qui est plutôt une perte. »

Sur le plan de l’enseignement, un changement évoqué par des psychiatres interrogés est celui d’une diminution de l’exposition clinique : « Il y a plus de cours. Je m’inquiète parfois du fait que les résidents en psychiatrie aient moins de temps pour traiter les patients, et apprendre à leur contact, car je crois que l’augmentation progressive du niveau de responsabilité pendant la résidence peut favoriser une meilleure entrée en pratique. »

Sur le plan du rapport avec le Département, les avis s’avèrent partagés, certains ayant l’impression que le sentiment d’appartenance augmente avec le temps, d’autres, qu’il diminue. Un psychiatre souligne qu’il y a une certaine déconnexion entre le Département universitaire et la base, soit les centres hospitaliers, envers lesquels le sentiment d’appartenance apparaît premier. Un pair a un avis inverse : « en général, le département universitaire a pris plus de place (au contraire du sentiment d’appartenance aux centres hospitaliers) ». Sur cet aspect, pas de consensus.

Un psychiatre avance l’intérêt grandissant pour la toxicomanie au sein du Département comme ayant particulièrement changé au fil du temps. Enfin, un psychiatre souligne comme évolution marquante la féminisation du corps professoral et des postes de direction.

3. Qu’est-ce qui est plutôt resté stable ou dans la continuité au fil de ces années ?

Donne-moi quelque chose qui ne meure pas (Christian Bobin). Selon les psychiatres interrogés, les éléments suivants ont survécu aux décennies : préoccupation pour un enseignement de qualité, soit de bien former les futurs psychiatres (réponse qui s’avère la plus fréquente parmi les psychiatres questionnés) ; souci de préserver la formation en psychothérapie dans le cursus des résidents ; défi de remplir les besoins cliniques tout en nourrissant un mandat académique ; ouverture à d’autres réseaux universitaires ; mélange de folie et de rigueur ; quête de ce qui est utile au patient, ce dernier étant maintenu au centre des changements successifs.

4. Qu’est-ce qui distingue le Département de psychiatrie de l’UdeM d’autres départements de psychiatrie ? Qu’est-ce qui contribue à sa singularité (si présente) ?

Plusieurs soulignent que la psychiatrie au Département se situe entre les modèles américain et français, et que cela nous permet « d’intégrer le meilleur des deux mondes ». En psychothérapie par exemple, un psychiatre souligne la qualité de l’enseignement, notamment car le Département « arrive à intégrer toutes les approches ; il y a moins de clivage entre l’approche cognitivo-comportementale et l’approche psychodynamique ». Outre la place de la psychothérapie qui est nommée comme caractéristique du Département, plusieurs évoquent le fait que le Département est très clinique en comparaison avec d’autres départements qui privilégient davantage la recherche. Un collègue ajoute qu’il y a à Montréal un « souci de former les psychiatres les plus polyvalents possible ». Voilà d’ailleurs un point qui reviendra régulièrement dans les entretiens en ce qui a trait au caractère distinctif du Département de psychiatrie de l’UdeM : une formation de qualité pour les résidents.

L’éclatement des sites géographiques est évoqué comme une caractéristique du Département par plusieurs, pour le meilleur (« c’est une richesse incroyable » sur le plan de la diversité) et pour le pire (« cela pose des défis lorsque vient le temps de prendre des décisions au niveau du Département. Les enjeux et les priorités de chacun peuvent différer, ce qui peut ralentir le mouvement et le développement » ; « pas de sentiment d’unité » ; « éparpillement »).

5. Quelle orientation future devrait prendre le Département de psychiatrie de l’UdeM ? Comment entrevoyez-vous l’avenir du Département ?

Maints psychiatres ont rappelé l’importance de la psychothérapie, vue en complémentarité avec les neurosciences : « Je pense que les psychiatres ne doivent pas abandonner le champ de la psychothérapie et doivent garder une position de leadership dans l’enseignement et la recherche en psychothérapie. » Des collègues évoquent la spécificité de la psychothérapie comme marqueur identitaire de la discipline. Certains soulignent les contraintes administratives et budgétaires qui défavorisent le maintien d’un espace de psychothérapie en psychiatrie ; il faut dès lors demeurer vigilants et proactifs pour préserver et nourrir ce champ : « on devrait rester des experts en psychothérapie aussi ». Par ailleurs, plusieurs soulignent aussi l’importance de l’enseignement : « le rôle de l’université est de développer de nouvelles idées (recherche), mais aussi de transmettre des savoirs déjà existants, ce qui doit aussi être valorisé et reconnu ».

Plusieurs jeunes psychiatres emploient plus largement le terme « académisme », qui devrait être défendu et promu surtout à l’heure où les psychiatres sont très sollicités au plan clinique : « il faudra être capable de défendre au plan politique ce mandat académique » ; « il faut incarner l’académisme dans nos choix de recrutements, d’activités, etc. [… ]défendre cet académisme comme valeur identitaire forte du département ». Un autre psychiatre évoque, sur le plan de l’académisme, le fait qu’il n’y a pas beaucoup, à l’UdeM, de « culture de publications, contrairement à dans les réseaux anglophones, ce qui entraîne des difficultés de rayonnement. On devrait promouvoir une culture de publications ». Un collègue ajoute : « il devrait y avoir un soutien et beaucoup d’encouragements pour que les étudiants et les résidents puissent se former en recherche ; pas juste leur dire de faire de la recherche, mais les soutenir là-dedans pour que leurs idées puissent être portées ».

Certains soulignent toutefois l’importance de ne pas pour autant dévaloriser la clinique : « le Département a mis beaucoup d’emphase pour avoir des chercheurs dans les dernières années, mais le travail des cliniciens a été oublié. Il faut revaloriser le travail et l’enseignement clinique ». Concernant la clinique, sur le plan des orientations futures, un psychiatre suggère d’abolir les « castes », soit les première, deuxième, et troisième lignes, et de « plutôt suivre le patient à l’endroit où il est ». Un collègue évoque le défi de ne pas extraire la relation thérapeutique entre psychiatre et patient au fil des changements administratifs, notamment avec le rôle de médecin répondant. Un autre psychiatre souligne la nécessité de séparer la psychiatrie d’un rôle de contrôle de comportements que la société cherche à lui faire endosser.

Sur le plan de la forme que devraient prendre cette ou ces orientations, un psychiatre souligne l’importance de ne pas viser une seule orientation, mais plutôt de conserver « une capacité d’ouverture », tout en maintenant « la lucidité, c’est-à-dire ne pas s’emballer pour des leurres ». Un collège abonde dans le même sens en suggérant de « de ne pas tomber dans le piège de la psychiatrie unique – de la pensée idéologique ; maintenir vivante la multiplicité des points de vue : biologie, sciences humaines, etc. ». L’idée de l’ouverture est d’ailleurs un leitmotiv de plusieurs réponses : maintenir « une ouverture par rapport à ce qui se développe ailleurs tant au plan académique que sur le plan de la conceptualisation de la santé mentale ». Un autre collègue résume ainsi quelle devrait être l’orientation future : « vers le monde ! », ce qui inclut « les volets santé publique en santé mentale, la psychiatrie internationale, la psychiatrie sociale et la psychiatrie culturelle ». Un pair suggère un autre type d’ouverture, soit davantage de rapprochements avec la neurologie, l’endocrinologie, etc.

Enfin, un collègue affirme : « le futur est une femme » en mettant l’accent sur l’esprit de collaboration, de liaison qui caractérise la féminisation de la pratique à ses yeux.

6. Quel pan de l’histoire du Département est-il selon vous important de conserver /de poursuivre /de transmettre ?

La psychothérapie, notamment psychodynamique, est l’héritage à transmettre le plus souvent cité par les psychiatres interviewés, et ce même par des psychiatres qui ne s’y rattachent pas. Cet héritage est présenté comme devant être conservé, tout comme les neurosciences : « il est dans l’intérêt du département d’assurer le développement des deux en même temps ». La psychothérapie est vue comme un grand pan de l’histoire du Département, l’une de ces forces. Un autre psychiatre évoque « les humanités, l’humanisme » : « nous ne sommes pas qu’un organe (le cerveau). Les neurosciences n’excluent pas les humanités. Il faut conserver cette complexité ». Un collègue renchérit : « Une vision de l’être humain basée sur l’universalité de son humanité et la particularité de sa souffrance. » Enfin des psychiatres soulignent également l’importance de transmettre ce souci d’une formation de qualité pour les résidents. En termes plus concrets, un psychiatre évoque le patrimoine matériel (ex : les vieux livres de certaines bibliothèques d’hôpitaux), et suggère de « penser à un lieu de préservation du patrimoine ».

7. Décrire l’histoire du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal en 3 mots

Cette question a été la moins répondue par les psychiatres questionnés. Ceux qui ont osé l’association libre ont évoqué les termes suivants : « patient, idéalisme, les pieds sur terre » en précisant que le concret est nécessaire pour balancer l’idéalisme. Un collègue a cité les trois mots sur les armoiries du Pavillon Albert-Prévost : « servir, aimer, espérer ». Les mots « enseignement /pédagogie, psychothérapie, variété /diversité, expertise, neurosciences » ont été soulignés par plus d’un. Par rapport à la diversité, un collègue la présente comme étant à la fois une force et une faiblesse : « force, car il y a des surspécialistes dans tous les domaines ; faiblesse, car on ne peut constituer par exemple un centre spécialisé en dépression résistante avec cinq psychiatres spécialisés là-dessus ». Des collègues ont résumé ainsi l’évolution du Département, et plus largement de la psychiatrie : « de l’asile à une vie citoyenne » ; « de l’inconscient et l’existence aux sciences psychiatriques ». Enfin, le mot « recherche » a été suggéré, au sens large d’un « esprit de recherche, d’une remise en question, d’un constant dialogue entre le cadre conceptuel et l’expérience clinique ».

Discussion

Les résultats obtenus parlent beaucoup par ce qu’ils taisent. Il ressort ainsi une méconnaissance des événements, caractéristiques et personnages marquants du Département de psychiatrie de l’UdeM, bref de l’histoire de ce dernier, par les psychiatres de générations plus récentes n’ayant pas participé aux balbutiements du Département. Comment expliquer ce décalage ? Plusieurs des jeunes psychiatres interviewés aimeraient en connaître davantage sur l’histoire du Département. Certains évoquent un déficit de transmission. L’enseignement, vu comme une force du Département, a possiblement été plus déficitaire quant à l’histoire spécifique du Département. Les psychiatres n’ont peut-être pas traduit cet intérêt par des recherches concrètes sur l’histoire du Département. La publication du présent numéro autour du 50e anniversaire du Département de psychiatrie de l’UdeM répond à une demande de transmission de cette histoire aux membres plus jeunes du Département. Une solution plus pérenne serait l’intégration d’un cours d’histoire de la psychiatrie, comprenant une partie sur l’histoire du Département, au cursus des résidents. Un psychiatre interviewé suggère l’importance de créer un lieu de préservation du patrimoine matériel du Département, qui pourrait être étendu au patrimoine immatériel. Connaître et cultiver la perspective historique du Département apparaît souhaitable pour bâtir la suite du Département, afin d’éviter les pièges du passé, de remettre les innovations en contexte, de dégager les ruptures et la continuité.

Ce sont surtout les entretiens avec la génération pionnière de la psychiatrie à l’UdeM qui ont permis de traduire l’histoire telle que vécue, à travers des personnages phares (surtout Dr Camille Laurin) et divers courants.

Les réponses de plusieurs psychiatres étaient teintées d’un degré d’identification important au centre hospitalier, tant chez des psychiatres très impliqués au sein du Département universitaire que chez d’autres l’étant moins. Cette forte identification au milieu hospitalier apparaît plus marquée chez les psychiatres ayant moins de liens concrets à l’Université. Plusieurs psychiatres interrogés ont pointé l’éparpillement des sites géographiques comme étant un défi particulier du Département. Les réponses ne s’avéraient toutefois pas nécessairement liées au type de pratique du psychiatre interrogé.

La mutation principale soulignée par les psychiatres s’avère sans contredit le passage de la psychanalyse à la psychiatrie plus appuyée sur les neurosciences. L’histoire du Département de psychiatrie de l’UdeM se révèle inextricable de l’évolution de la psychiatrie elle-même. Plusieurs psychiatres ont affirmé que le Département avait été particulièrement marqué par la psychanalyse. Un psychiatre, pionnier du Département, a néanmoins souligné la participation plus méconnue de certains psychiatres des années 60 et 70 à l’essor de la psychopharmacologie.

La majorité des psychiatres interrogés ont souligné la psychothérapie comme étant l’un des héritages historiques primordiaux du Département à préserver pour la suite de son histoire. Un autre phare de l’histoire du Département évoqué par quasi tous les psychiatres est la force de l’enseignement, à travers une préoccupation constante pour une formation de qualité pour les résidents en psychiatrie. La dualité clinique – recherche revient dans plusieurs entretiens. Selon les psychiatres interrogés, le Département met l’accent sur la clinique, dimension qui ressort comme une trame constante de son histoire. Certains y voient une force, d’autres préconisent en complément davantage de culture de la recherche.

La féminisation du Département est avancée par un seul psychiatrie interrogé, mais demeure néanmoins certaine dans l’évolution historique du Département. Les entretiens ont d’ailleurs confirmé cette tendance, les femmes étant pour la plupart issues des générations montantes. Cet angle serait à explorer davantage. L’Association des résidents en psychiatrie de l’Université de Montréal (ARPUM) ressort comme un autre absent de la mémoire historique subjective ; aucun des psychiatres interrogés n’a évoqué son apport dans le développement du Département et plus spécifiquement de l’enseignement.

Des biais teintent notre démarche. Les psychiatres ont été sélectionnés par contacts personnels, ce qui a pu influencer le type de réponses soumises. Les psychiatres proviennent de trois sites hospitaliers (et la majorité d’un seul site) ce qui a pu induire un biais en traduisant davantage l’histoire et la perspective d’un ou de quelques centres hospitaliers plutôt que celles du Département en entier. Il est possible que les psychiatres interrogés aient enjolivé l’histoire. La préservation de l’anonymat a pu diminuer ce biais.

Il serait intéressant d’élargir cette expérience et de sonder les membres du Département sur leur perspective historique et leur vision du Département. Un tel mécanisme participatif pourrait augmenter le sentiment d’appartenance et l’implication des membres au Département.

Conclusion

La présente démarche a mis en lumière l’histoire vécue et transmise par des psychiatres de diverses générations du Département de psychiatrie de l’UdeM. La psychothérapie, l’enseignement et la dimension clinique sont des phares ayant éclairé, et guidant encore, l’évolution du Département. L’histoire du Département de psychiatrie de l’UdeM apparaît méconnue des psychiatres issus des plus jeunes générations. Un cours d’histoire de la psychiatrie, comprenant une partie sur l’histoire du Département, gagnerait à être intégré au cursus des résidents en psychiatrie.

À travers ces suites de mémoires, ressort l’importance de la subjectivité, de la parole recueillie et transmise, des récits embués de souvenirs, car « [i]l reste encore des mots / quand on ne respire plus » (Roberto Juarroz).