Débat : Où va la psychiatrie ?

Où va la psychiatrie ? Je ne sais pas… en tout cas elle y va ![Notice]

  • Jean-Luc Roelandt

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  • Jean-Luc Roelandt
    Psychiatre de service public, EPSM Lille Métropole, France.

La psychiatrie a été et est encore un des moyens les plus sophistiqués du contrôle individuel et social, qu’une société peut mettre en oeuvre pour garantir son bien-être et sa sécurité. Elle est liée de façon évidente à l’évolution politique, anthropologique et sociologique de cette société. Soit à sa conception de l’homme, de ses libertés et de ses contraintes, de son bonheur et de son malheur, qu’ils soient individuels ou collectifs. Et de sa folie. Poser la question : « Où va la psychiatrie ? » nécessite d’y regarder à deux fois avant de répondre. Il est couramment admis aujourd’hui que la psychiatrie traverse une crise d’identité, au travers des redécoupages des disciplines qui s’y partagent le pouvoir. Grosso modo la tension se ferait entre les tenants d’une approche médicale réductionniste, basée sur les neurosciences et les psychothérapies, soi-disant en perte complète de vitesse, alors que les thérapeutes de tous ordres n’ont jamais été aussi nombreux et leur puissance sur les âmes aussi forte. Au moment où la société occidentale se rend compte de l’explosion des dépenses de santé, il est demandé à la psychiatrie de prouver son efficacité en s’alignant sur les critères référés à l’Evidence Based Medicine (EBM). Les refuser, c’est s’exclure du remboursement des soins. Avec, en corollaire, la demande sociale qui explose, le social et le politique ayant réglé par un tour de passe-passe la question des inégalités en la transformant en souffrance psychique pouvant être soignée par la psychiatrie plutôt que réduite par le politique ! D’où la demande de soins des « populations précaires » que la psychiatrie devrait porter, dans le cadre de l’extension du champ de la santé mentale. Pour répondre à tout ceci, et sans parler du « sujet » et de sa demande et des citoyens et de leurs besoins, il m’apparaît utile de faire un petit détour historico-anthropologique. La psychiatrie est une discipline médicale extrêmement sensible politiquement, car produit des multiples (re)définitions et (re)découpages entre le sacré et le profane, l’âme et la psyché, les religions et les sciences, qui se sont opérés au sein des sociétés occidentales, du Moyen-Âge à la Renaissance, et jusqu’à l’ère moderne. Et tout laisse à penser que ce n’est pas fini. Si on analyse sommairement cette évolution à la lecture des travaux des ténors des écoles de pensée françaises, que ce soit Pinel pour la création de la psychiatrie moderne, Foucault pour l’histoire sociologique des institutions, Lacan pour la recomposition freudienne, Franz Fanon pour sa radicale critique de la colonisation ou Zarifian pour sa lucidité vis-à-vis des neurosciences, il apparaît que l’évolution de la psychiatrie a suivi, suit et suivra certainement l’évolution des stéréotypes, préjugés, représentations sociales de la folie du lieu et de la culture dans laquelle on vit. Avec les mêmes variants et invariants, à travers les siècles, et ce malgré la mutation que nous pensons radicale en cette époque de mondialisation accélérée, de progrès apparent des neurosciences et de perte d’influences de la psychanalyse. Car, en toile de fond persiste la question anthropologique centrale de la place de la folie chez l’être humain ; question toujours en suspens. Deux conceptions des rapports de l’homme à la Folie s’opposent depuis bien longtemps : Opposition que l’on peut encore résumer ainsi : d’un côté l’homme, de l’autre la maladie. D’un côté Gallien et Gaétan de Clérembault, de l’autre Hippocrate et Franco Basaglia. Aujourd’hui ces deux approches coexistent toujours, comme coexistent tous les modes de soins et d’aides. Quelles que soient les religions et les évolutions scientifiques, les croyances règnent — et les représentations sociales de la Folie ont une forte influence …