Débat : Où va la psychiatrie ?

La psychiatrie sans influence : schizoanalyse au bord de la fenêtre[Notice]

  • Emmanuel Stip

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  • Emmanuel Stip
    Psychiatre, Centre de recherche Fernand Seguin, Hôpital L.H. Lafontaine, Pavillon Albert Prévost, Chaire de schizophrénie, Université de Montréal.

La psychiatrie est une imposture ; mais une imposture utile. Il n’est pas illégitime de se poser encore une fois la question, un peu pompeuse, de l’avenir de la psychiatrie. Ce n’est cependant pas nouveau et cette récurrence se voit désormais alimentée par ce que nos trois auteurs de l’argument de départ (Apollon, Bergeron et Cantin) appellent les limites de la psychiatrie biologique et des neurosciences. Ces trois auteurs que j’appellerai mon abécédaire de départ (ABC), illustre ce défi avec la psychose. Si on me demande mon opinion et que j’accepte de le livrer, c’est bien pour profiter d’une liberté : celle qui n’est pas contenue par la rigueur des écrits scientifiques à laquelle je suis restreint quand je porte le chapeau de chercheur, ni par la retenue de l’énoncé académique aseptisé et bien pensant quand je porte celui de l’enseignant, ni même par la politesse qu’impose l’éthique du clinicien, politically correct. En me libérant de ces petites chaînes, je n’en oublie pas moins mon credo fondamental : la psychiatrie, en tant que discipline, ne se définit pas par son noyau (elle n’en a pas), mais par ses limites ou ses franges. Autrement dit : ce n’est pas une science centrifuge mais bien plutôt centripète. Elle s’enrichit dans sa propre définition de domaines connexes et frontaliers : la médecine, la philosophie, l’anthropologie, la neurobiologie, la psychologie et ses avatars, l’imagerie, la pharmacologie, l’informatique, l’épidémiologie, la politique, la génétique, l’art et la psychanalyse, etc. En bref, la psychiatrie se définit par ses marges. Rien d’étonnant, dès lors, que les mutations et turbulences aux frontières forcent à questionner son avenir. J’organiserai bien volontiers la présentation de mon opinion en trois étapes mais en empruntant un style véritablement conforme au contenu énoncé : l’Evidence Based Medicine (EBM), l’environnement, et l’irrationnel. L’invitation des organisateurs de ce débat dans Santé mentale au Québec et leur consigne qu’il n’y a pas de censure quand on livre une opinion me fait penser, en les remerciant, que le style prend son importance : je vais en profiter ; surtout sur la fin : au moment où le monde dogmatique persiste à croire que l’irrationnel doit être expulsé de notre chère discipline. Henri Ey (je crois qu’il pensait surtout à la psychose) disait souvent que la maladie mentale est une pathologie de la Liberté. Alors saisissons cette liberté. Il faut être passionné si l’on est psychiatre. Alors qu’un des mes étudiants en médecine, déjà psychologue de métier, me demandait de préciser la différence entre la psychologie et la psychiatrie, je me suis surpris à lui parler de mon premier accouchement, de mon premier toucher rectal à un homme que je ne connaissais pas 10 minutes avant, de cette main tenue doucement un soir tard au moment où la vieille dame d’une chambre à six lits crachait son dernier souffle, de cette annonce faite à des amis que leur fille était leucémique bien qu’elle n’ait qu’une amygdalite, de cet accidenté de la route qui me fixait du seul oeil qui lui restait, de ce sein sanguinolent jeté dans un récipient dans le bloc opératoire où l’on me formait à devenir un médecin. Et je crois que ce sont ces souvenirs-là de notre formation qui nous ont façonnés d’une manière différente ; plus que les livres ou les cours. C’est ce rapport au corps et à la mort qui donne une facture spéciale à la psychiatrie. Je l’évoquerai dans le suicide de Deleuze, le philosophe. Et puis il y autre chose : quand on devient psychiatre à l’hôpital, on s’aperçoit vite que ce n’est plus le stéthoscope qui …

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