Éditorial

Le soutien social peut-il reprendre sa juste place dans la problématique de la santé mentale ?[Notice]

  • Jean Caron et
  • Stéphane Guay

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  • Jean Caron, Ph.D.
    Centre de recherche de l’Hôpital Douglas, Professeur agrégé au département de psychiatrie, Université McGill.

  • Stéphane Guay, Ph.D.
    Chercheur au Centre de recherche Fernand-Seguin.

Un essor considérable dans l’étude des relations entre les liens sociaux et la santé a marqué la période s’étendant entre 1970 et 1985. On constate alors que les individus davantage intégrés dans leur communauté et dans la société en générale ont une meilleure santé que les personnes isolées. Des études spécifiques à la santé mentale viennent mettre en évidence des liens importants entre la prévalence de la symptomatologie psychiatrique, sa sévérité et la qualité du soutien social disponible. Le paradigme des déterminants sociaux de la santé mentale a un impact important au cours de cette période caractérisée par une croissance économique rapide dans les pays industrialisés favorisant ainsi la mise en place de programmes sociaux. La désinstitutionalisation des patients psychiatriques vient favoriser le développement de la psychologie et de la psychiatrie communautaire, alors que la prise en charge des problèmes de santé mentale dans la communauté devient un enjeu de santé publique. Les grandes enquêtes épidémiologiques identifient la pauvreté comme un facteur de risque important pour la santé mentale et l’intégration sociale et le soutien social comme des facteurs de protection. Ces constats sont majeurs pour le domaine de la promotion et de la prévention en santé mentale en plein essor, et contribuent avec le mouvement social ambiant à faire émerger un discours et des actions visant une société plus juste qui favorise une intégration sociale accrue des citoyens, le soutien des intervenants naturels, le développement des groupes communautaires. La réappropriation du pouvoir des citoyens qui se traduit par la prise en charge de leurs problèmes de santé sert de fondements aux groupes communautaires qui investissent le domaine de la défense des droits des psychiatrisés, ou qui encore élaborent des alternatives aux traitements institutionnels fortement critiqués. Ce mouvement communautaire viendra imprégner les orientations politiques qui guident les actions en santé mentale. Toutefois, les systèmes médicaux cliniques et plus particulièrement les hôpitaux psychiatriques demeurent privilégiés par les ressources économiques. La récession économique qui s’amorce vers le milieu des années 1980 et l’intégration économique tant des pays de l’Europe de l’Ouest que de l’Amérique du Nord entraînant une économie de marché au cours des années 1990, viennent freiner considérablement l’élan et les actions du développement social, affaiblissant du même coup l’influence du paradigme des déterminants sociaux de la santé mentale. Les citoyens et les entreprises luttent pour se tailler une place et la solidarité sociale s’estompe progressivement au profit de la compétition. Des valeurs plus individualistes et matérialistes viennent miner le tissu social. Les États réexaminent les services sociaux et de santé, tentent de les rationaliser, réduisent les ressources qui leur sont attribuées. Les services de santé mentale n’échappent pas à cette règle. C’est dans ce contexte socio-politique que le paradigme de la contribution sociale aux problèmes de santé mentale s’estompe progressivement au profit de celui des facteurs individuels et personnels dans l’apparition de la symptomatologie. Les sciences cognitives et les neurosciences font des percées importantes par la mise au point de thérapies cognitives et de nouvelles classes de médicaments pour traiter la dépression et la schizophrénie. Ce changement de paradigme se reflète aux niveaux des modèles théoriques explicatifs prédominants actuels en santé mentale qui se centrent sur les processus cognitifs et neurobiologiques. La recherche actuelle et les modes d’intervention en sont fortement influencés. Dans ces processus, on tente d’identifier les causes de la « mésadaptation » en les détachant du contexte socio-économique dans lequel elle apparaît. On semble oublier une question fort pertinente que Kaplan (2004) a soulevé dans son article intitulé « What’s wrong with social epidemiology, and how can we make it better ? »… et si les variables …

Parties annexes