Débat : Faut-il supprimer les voix?

Prison intérieure ou discours fantôme ?[Notice]

  • Caroline Giroux

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  • Caroline Giroux
    Résidente V en psychiatrie

La question de la suppression des hallucinations auditives présuppose un débat dialectique et à la limite moral. En effet, elle exhorte à fouiller les motifs cachés dans cet empressement à traiter ce qui est perçu comme anormal et à démasquer notre intolérance. Les voix n’échappent guère à une forme de crainte de contagion par ces germes contaminant la pensée. Auparavant, je croyais que l’expérience des hallucinations auditives était l’un des phénomènes les plus effrayants, voire horribles, enfermant l’entendeur de voix dans une prison intérieure. Heureusement, m’impliquer auprès de patients psychotiques au cours de ma formation a semé le doute dans ma position et modifié de plus en plus ma vision, en la rattachant d’une façon que je veux plus adaptée à l’histoire particulière de l’individu qui consulte à un moment donné. Un dilemme semblable peut se poser par rapport à la douleur physique, qui est un mécanisme de survie et qu’il faut éviter de bloquer trop prématurément si l’on veut des indices sur le type de dysfonctionnement sous-jacent. Nos sociétés semblent de plus en plus intolérantes envers toute forme d’anomalie, et de souffrance à la limite, et il appert que nous ne pouvons, réalistement, uniquement vouloir uniformiser l’expérience humaine, sans même chercher à élargir la définition de cette dite normalité. De façon similaire, ne serait-il pas contre-productif de taire avec trop de précipitation les voix, qui sont une voie indéniable vers l’inconscient de l’individu, fait de fantasmes, de culpabilité et d’objets persécuteurs internalisés ? C’est alors que la question du sens du symptôme émerge de nouveau, sens qu’il faut entendre et apprivoiser pour permettre à l’individu de se réapproprier sa vie. L’importance du contenu, lorsque négligé, prive la personne d’une occasion de croissance. Si nous prônons une vision holistique, force est d’admettre que le contenu de ce discours à circuit fermé n’a rien d’aléatoire, qu’il n’est pas là pour rien et qu’il s’inscrit dans une histoire personnelle et culturelle ou lui fait écho. Même si à la base existe une vulnérabilité biologique, le thème des voix fait sens dans le vécu de l’individu, que ce soit parce qu’il personnifie des éléments de son surmoi, de son ça, des représentations parentales, des figures d’idéal du moi… C’est comme une mémoire qui cherche à s’immiscer dans la conscience de l’individu, un affect refoulé, sur fond socio-historique particulier. Par ailleurs, les phénomènes hallucinatoires représenteraient une forme d’évocation chez les gens en perte d’audition, comme une sorte de « discours fantôme ». Ainsi, on pourrait se demander aussi jusqu’à quel point ce que je nommerais la « déafférentation sociale » de certains schizophrènes, mieux connue sous le terme d’isolement, n’est pas chez quelques-uns la cause plutôt que la conséquence des hallucinations auditives, comme si la perte de contact avec la réalité amenait une tentative de restaurer les traces de cet univers externe, poussait l’individu à chercher à en saisir les ultimes fragments, à travers ce que phénoménologiquement nous appelons « trouble perceptuel ». Qui plus est, nombreux sont les patients schizophrènes qui, après force supplications pour que leur docteur les délivre de tels murmures, se rétractent ou bien sombrent dans une dépressivité dans la « guérison » ou même dans la seule anticipation de celle-ci, car le deuil de ce qui les a accompagnés de façon si fidèle et prévisible pendant tant d’années et comblé une certaine solitude est bien sûr douloureux. Pour certains, il s’agissait même d’un combat, d’une canalisation d’énergie vers une cible comblant un vide et qui donnait un sens à leur existence, les restaurait dans un narcissisme fragile et blessé. Encore une fois, il serait pertinent de se demander ce …

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