Corps de l’article

Le trouble de la personnalité borderline (TPL) touche 1,8 % (Swartz, Blazer et al., 1990) à 5,9 % (Grant, Chou et al., 2008) de la population, mais représente 14 à 20 % de la clientèle hospitalisée en psychiatrie (Widiger et Fances, 1989 ; Widiger et Weissman, 1991, cités par Dimeff et Koerner, 2007) et 8 à 11 % de la clientèle ambulatoire (Kroll, Sines et al., 1981 ; Modestin, Abrecht et al., 1997 ; Widiger et al., 1989, cités par Dimeff et al., 2007). Les TPL consomment jusqu’à 40 % des ressources en santé mentale (Dimeff et al., 2007).

Au cours des dernières années, les statistiques sur le taux de suicide de cette clientèle se sont améliorées : du traditionnel 8 à 10 % (Black, Blum et al., 2004 ; Linehan, Rizvi et al., 2000), on parle maintenant de 4,5 % (Stoffers, Völlm et al., 2012 ; Zanarini, Frankenburg et al., 2007 ; Zanarini, 2013). Il est possible qu’un meilleur dépistage du trouble et l’avènement de thérapies propres à cette problématique puissent expliquer en partie cette baisse.

La thérapie comportementale dialectique (TCD) est l’une des thérapies les mieux validées dans les écrits scientifiques pour traiter cette clientèle. On recense au moins 13 études randomisées contrôlées (ÉRC) de cette thérapie, répliquées indépendamment des auteurs, dans neuf sites différents et dans six pays (McMain, 2013). De plus, ses résultats ont avantageusement été comparés à ceux d’un traitement par des experts d’orientations diverses (Clarkin, Levy et al., 2004 ; Linehan, Comtois et al., 2006 ; McMain, Guimond et al., 2012 ; McMain, Links et al., 2009).

Malheureusement, son déploiement au Québec demeure assez limité. Plusieurs facteurs expliquent ce fait. Parmi les obstacles, le besoin d’une formation spécifique et onéreuse qui n’est pas offerte en langue française. Ensuite, vient la nécessité de constituer une équipe complète désirant mettre en place une TCD dans les mois à venir. Ajoutons que l’implication d’intervenants faisant preuve d’une motivation élevée est nécessaire à l’engagement dans ce genre de traitement. Finalement, l’allocation limitée des ressources pour la thérapie individuelle et le soutien téléphonique d’urgence vient également compliquer la mise en place d’un tel programme d’intervention.

Ceci étant, ce sont les groupes d’entraînement aux compétences que l’on a vus se déployer au Québec et ailleurs dans le monde. Ajoutée au traitement usuel (TAU), cette modalité de thérapie est intéressante : elle est facile à mettre sur pied et peut contribuer à aider beaucoup de monde.

Cet article vise à dresser un bref portrait de ce qu’est la TCD, de rendre compte des études portant sur les groupes TCD et de quelques adaptations existantes du modèle de traitement de la Dre Marsha M. Linehan. Pour plus de détails sur le modèle TCD, se référer à l’article de Bégin et Lefebvre (1997) dans cette même revue ou au manuel de traitement (Linehan, 1993).

Sommaire de la TCD

La TCD est un traitement cognitivo-comportemental auquel on a ajouté des stratégies d’acceptation, des stratégies dialectiques et un entraînement à la pleine conscience (PC). Son but est de traiter les gens suicidaires qui souffrent d’un trouble de la personnalité borderline. Elle cible directement les comportements qui menacent la vie, les comportements qui interfèrent avec la thérapie et les autres comportements qui diminuent la qualité de vie (Linehan et al., 2006).

La TCD globale vise cinq objectifs : 1) développer les compétences comportementales psychosociales ; 2) augmenter la motivation à utiliser ses propres compétences via la gestion des contingences et la réduction des pensées et émotions interférentes ; 3) permettre la généralisation des apprentissages dans l’environnement naturel de la personne ; 4) structurer l’environnement de traitement afin de renforcer les comportements fonctionnels plutôt que dysfonctionnels ; 5) accroître la compétence des thérapeutes et leur motivation à traiter les TPL efficacement (Linehan et al., 2006).

L’atteinte de ces cibles se produit via quatre modalités de traitement soit : a) la thérapie individuelle hebdomadaire, qui est le moteur principal de la motivation, de l’application spécifique des compétences et de leur généralisation dans la vie quotidienne ; b) les groupes d’entraînement, dont le but est l’acquisition des compétences ; c) la consultation téléphonique, qui permet la généralisation des compétences, la réparation de la relation thérapeutique, et la prévention des gestes qui menacent la vie ; et d) la supervision hebdomadaire avec l’équipe qui soutient le thérapeute, lui permettant de demeurer motivé, dialectique et qui lui permet d’augmenter ses compétences tout en prévenant l’épuisement (Linehan et al., 2006 ; Soler, Pascual et al., 2009).

Traitements globaux vs traitements non globaux

Les écrits scientifiques divisent les études en deux catégories selon qu’une partie significative du traitement est constituée de la psychothérapie individuelle TCD ou pas. Un traitement TCD global comprend donc les quatre modalités de traitement, telles que décrites ci-haut. Un traitement TCD non global (communément appelé d’orientation TCD) n’inclura pas de thérapie individuelle TCD, de consultation téléphonique ni de supervision d’équipe. Le traitement se concentrera alors principalement sur l’apprentissage des compétences qui pourront être enseignées soit en individuel ou, le plus souvent, en groupe. Ces compétences sont généralement enseignées selon quatre modules : pleine conscience, efficacité interpersonnelle, régulation des émotions et enfin, le dernier module, tolérance à la détresse, qui a été renommé récemment acceptation de la réalité. Les études sur les approches de groupe varient beaucoup pour ce qui est du format et du nombre de compétences enseignées dans les modules. De plus, dans les études portant sur cette catégorie, les groupes sont parfois ajoutés à un traitement usuel (TAU) en consultation externe, qui peut comprendre ou non une thérapie d’orientation différente, ou encore, le groupe d’entraînement aux compétences sera la seule modalité offerte. Le présent article se concentre essentiellement sur la recension des études de groupes.

TCD non globale : études randomisées et contrôlées sur les groupes TCD pour le TPL

Jusqu’en 2007, l’équipe de la Dre Linehan soutenait qu’il n’était pas recommandé, voire hasardeux, d’offrir les groupes TCD sans les autres modalités (Dimeff et al., 2007 ; Linehan et al., 2006). Une étude non publiée appuyait cette position (Linehan, 1993). Depuis, beaucoup d’autres études ont porté sur le sujet, si bien que maintenant, cette modalité est assez bien validée. Voici l’essentiel de ce qu’on trouve dans la documentation scientifique.

Tableau 1

Études randomisées et contrôlées (ÉRC) sur les groupes TCD pour TPL

Études randomisées et contrôlées (ÉRC) sur les groupes TCD pour TPL

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La première étude présentée au tableau 1, celle de Soler et al. (2009), est la plus importante. Elle est la première où l’on compare l’intervention à un bon groupe contrôle, c’est-à-dire à une autre approche de groupe. Les autres études utilisent comme comparateur le TAU, la liste d’attente ou la TCD globale.

Dans une étude plus récente (Soler, Valdepérez et al., 2012), on a cherché à étudier l’impact du module pleine conscience seul (TCD-M) sur les capacités d’attention chez le TPL, mais aussi l’amélioration générale qui pouvait être espérée par l’enseignement de ce seul module. Les résultats sont à l’effet que huit semaines d’entraînement à la pleine conscience améliorent l’impulsivité et l’attention au test CPT-II (test neuropsychologique assisté par ordinateur, Conners, 2000) : la capacité à discriminer les stimuli pertinents des non pertinents est augmentée, le temps de réaction est meilleur, celui-ci étant moins précipité. Les participants ont pratiqué des exercices de pleine conscience en moyenne 11,5 minutes par jour (DS : 10 ; étendue totale : 0-38 min). Plus les participants s’entraînaient (entraînement formel), plus leurs résultats s’amélioraient et moins ils étaient réactifs à leurs expériences internes à l’échelle FFMQ. Les résultats cognitifs n’étaient toutefois pas corrélés à la quantité d’entraînement. Ceci amène les auteurs à conclure que l’amélioration de l’humeur diminue l’impulsivité, ce qui est conforme à la théorie biosociale de Linehan.

Une autre étude du groupe de Soler (Feliu-Soler, Pascual et al., 2013) parvient aux mêmes résultats.

Blum, John et al., 2008 ont étudié l’impact d’un groupe TCD de 20 semaines, nommé STEPPS, qui inclut des stratégies TCC et d’entraînement aux compétences pour les TPL.

Comme cette étude a été répliquée (Bos, van Wel et al., 2010 ; Bos et al., 2012), cette approche est considérée valide scientifiquement et est maintenant implantée en première ligne de traitement aux Pays-Bas. Cette approche a été créée par Blum et al. en 1995, basée sur le programme de Bartels et Crotty, 1992. Trois études non contrôlées avaient supporté son usage : deux en 2002 (Blum, Pfohl et al., 2002 ; Freije, Dietz et al., 2002) et une en 2008 pour une population de TPL en prison (Black, Blum et al., 2008). Un site web est disponible pour plus d’information sur le sujet : www.steppsforbpd.com

Par ailleurs, deux études (qui ne figurent pas dans les tableaux) portant sur des cohortes recevant le traitement TCD global ont eu pour objet de qualifier et de quantifier l’apport de l’enseignement des compétences. Elles ont permis de clarifier quels types de compétences sont déployées par les participants au cours du suivi. Bien que ces données ne permettent pas d’extrapoler sur l’usage des compétences pour les participants n’ayant accès qu’à la seule modalité de groupe, ces études donnent des indications sur des approches de groupes brèves à explorer, tel que l’a fait l’équipe de Soler en étudiant l’impact du module pleine conscience seul. Celle de Lindenboim, Comtois et al., 2007 montre que les personnes souffrant de TPL utilisaient un minimum d’une compétence par jour la plupart des jours, la moyenne étant de quatre compétences ou plus par jour pendant l’année du traitement. Plus la thérapie avançait, plus l’usage des compétences augmentait. L’augmentation était précoce, se produisant rapidement dans les premiers mois de traitement. Les compétences préférées des participantes étaient celles associées à l’acceptation plutôt que celles associées au changement. Les compétences de pleine conscience et de tolérance à la détresse étaient les plus utilisées, celles de pleine conscience atteignant 44 % des compétences utilisées (Lindenboim et al., 2007 ; Stepp, Epler et al., 2008 ; Soler et al., 2012).

Pour leur part, Neacsiu, Rizvi et al., 2010 ont trouvé qu’avant de participer au groupe, les 108 participantes de l’étude utilisaient déjà quelques compétences, alors que les participantes traitées avec la TCD globale avaient triplé l’usage des compétences à la fin du traitement, par rapport au groupe contrôle. L’usage des compétences était corrélé avec la diminution du taux de tentatives de suicide et de la dépression ainsi qu’avec un meilleur contrôle de la colère. Il y avait une association moins forte avec la diminution des comportements autodommageables.

Par ailleurs, dans le cadre d’une étude australienne de Pasieczny et Connor en 2011, on a démontré à nouveau l’intérêt de l’approche globale par rapport à des approches abrégées ou non structurées, de même que l’intérêt de la formation approfondie en TCD. Étudiant l’impact de la TCD globale, mais brève (sur six mois), les auteurs ont démontré qu’elle était plus bénéfique que le traitement psychiatrique usuel (TAU), plus économique par rapport au TAU et que les thérapeutes les mieux formés (ceux ayant reçu la formation intensive de 10 jours vs une formation de base de 4 jours) étaient plus efficaces à réduire les comportements suicidaires et les comportements autodommageables. De plus, si on offrait un autre six mois aux participants, ceux-ci s’amélioraient davantage que ceux ne l’obtenant pas.

Au sujet des données économiques de la TCD globale, celles-ci demeurent parcellaires et controversées. Deux études sur quatre sont positives, une légèrement négative et l’autre largement négative, mais nettement plus limitée et biaisée selon l’analyse qu’en fait le NICE (Stoffers et al., 2012 ; NICE, 2009 ; Brazier et al., 2006). Dans l’une des études favorables, il a été décrit que cette forme de traitement permet d’économiser annuellement 9 000 $ US par participant pour ceux qui sont aux prises avec des problématiques suicidaires envahissantes nécessitant des soins hospitaliers (Dimeff et al., 2007). Dans une autre, il est question d’une chute de coûts annuels pour une clientèle donnée, de 645 000 $ US à 273 000 $ US (Dimeff et al., 2007).

À la lueur de ces informations, il demeure évident que la TCD globale présente un avantage clinique par rapport à la TCD non globale. Toutefois, en l’absence de moyens pour la développer, les études ci-haut posent les jalons permettant d’appuyer le déploiement des groupes TCD. Il sera intéressant, pour le futur, de clarifier à quelle clientèle on offrira le traitement global et à laquelle on réservera des formes non globales ou abrégées. Du point de vue économique, l’approche TCD non globale devrait présenter un avantage par rapport à la TCD globale.

TCD non globale : études randomisées et contrôlées sur les groupes TCD pour autres problématiques

L’intérêt de la TCD pour les TPL amène des développements pour plusieurs autres problèmes de santé mentale (tableau 2).

Tableau 2

Études randomisées et contrôlées (ÉRC) sur les groupes TCD pour autres problématiques

Études randomisées et contrôlées (ÉRC) sur les groupes TCD pour autres problématiques

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Comme on peut le constater, l’entraînement aux compétences a été étudié pour divers troubles réfractaires, tels les troubles de l’humeur, les troubles alimentaires ou le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité. Les données ne sont toutefois pas robustes. Seuls Safer et al. (2010 ; 2011), dans les troubles alimentaires, et Hirvikosky et al. (2011), dans le TDAH, ont utilisé un groupe contrôle actif et comparable, soit des groupes d’approche différente.

Quelques études non contrôlées intéressantes portant sur la TCD non globale

La documentation abonde d’études ouvertes sur la TCD. Plusieurs d’entre elles sont retenues pour leur intérêt en psychiatrie générale. Voir tableau 3.

Tableau 3

Études ouvertes variées de quelques adaptations sur la TCD

Études ouvertes variées de quelques adaptations sur la TCD

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Perepletchikova et al. (2011) ont adapté les modules d’entraînement aux compétences à la clientèle de 8 à 12 ans. Le langage utilisé était adapté pour un niveau de deuxième année du primaire. Le matériel a été simplifié, condensé et rendu attrayant à l’aide de bandes dessinées, de jeux, de multimédia, etc. L’usage de vidéos pour démontrer les compétences (20 sec à 4 min) aurait augmenté la compréhension de la compétence et aurait suscité une meilleure mémorisation de celle-ci.

De plus, des nouvelles compétences ont été ajoutées, tel le STOP destiné à augmenter la vigilance (awareness) et à diminuer l’impulsivité, ainsi que celle de Surf your émotion destinée à réguler la réactivité émotionnelle (arousal). D’ailleurs, la Dre Linehan a intégré ces nouvelles compétences dans sa dernière version des compétences pour adultes.

À travers des essais et erreurs, les auteurs mentionnent avoir remarqué que les exercices de PC avaient intérêt à être plus actifs pour maintenir l’engagement des enfants à les pratiquer et qu’il y avait intérêt à utiliser ces exercices en cours de séance, à titre de « pauses » durant les périodes nécessitant une attention soutenue.

Le groupe de chercheurs a reçu une subvention du National Institute of Mental Health pour tester son approche chez les jeunes de 7 à 12 ans qui sont suicidaires ou qui se mutilent, et qui ont des histoires de mauvais traitements. Cette étude a aussi pour objectif d’enseigner les compétences aux parents de ces enfants.

Par ailleurs, Fruzetti et Hoffman (2005) ont bâti le programme « Family Connection » pour les familles de TPL. Ce programme est enseigné par un membre de la famille d’un TPL formé à cette fin. Les prérequis sont d’avoir suivi le programme, de se soumettre à une entrevue d’évaluation, de suivre la formation de 20 heures et de se soumettre à une supervision hebdomadaire la première fois qu’un groupe est mené. Les compétences sont enseignées sur 12 semaines. De l’information claire sur le TPL est transmise. Le format de groupe permet le soutien et le réseautage entre les familles. Une diminution du fardeau, de la détresse, du deuil et une augmentation du sentiment de maîtrise à la complétion et à six mois ont été observées. Il y aurait eu 12 % d’abandons résultant de différents impondérables autres qu’une insatisfaction. À noter que Fruzetti a aussi développé une adaptation de la TCD globale pour la violence domestique (Fruzetti et Levensky, 2000).

Ultra bref ?

Zanarini et Frankenburg, en 2008, ont démontré dans une ÉRC chez 50 personnes souffrant de TPL, qu’une seule rencontre psychoéducative rapide, dans la semaine suivant la communication du diagnostic de TPL, pouvait entraîner une diminution importante de l’impulsivité et une amélioration des relations interpersonnelles. Ces améliorations étaient maintenues à trois mois. Toutefois, cette intervention n’avait pas été suffisante pour entraîner une amélioration du fonctionnement psychosocial.

De même, Yen, Johnson et al. (2009) ont obtenu des résultats intéressants dans le cadre d’une étude en milieu naturel portant sur un programme d’hôpital de jour d’une durée de cinq jours. Constitué essentiellement de groupes, à raison de trois par jour, complété par une thérapie individuelle non définie et la gestion de la médication, ce programme a démontré une amélioration significative de la psychopathologie du TPL à trois mois. Les participants avaient le choix de poursuivre leur apprentissage avec une thérapie de groupe hebdomadaire de type TCD pendant les six mois suivants. Les participants présentant un vide intérieur, de l’impulsivité et des troubles relationnels sont ceux qui se sont améliorés davantage.

Expériences au Centre de santé et de services sociaux Sud de Lanaudière (CSSSSL) et au pavillon Albert-Prévost (PAP)

Dans plusieurs départements de psychiatrie, des groupes d’entraînement aux compétences sont accessibles aux personnes souffrant de trouble de la personnalité borderline. Pour y avoir accès, les participants doivent y être adressés par un psychiatre. Au CSSSSL, ce type de groupe existe depuis 2001 et au PAP, depuis 2009.

Plus récemment, au CSSSSL, une transformation du réseau avec un virage vers la première ligne a favorisé le transfert de ces groupes vers le CLSC. Le service est demeuré le même, mais est devenu accessible sans nécessiter une évaluation psychiatrique. Un médecin de famille ou un psychologue qui détecte ce trouble chez une personne peut l’adresser directement à ce service via le guichet d’accès.

Les groupes ont subi des modifications au fil du temps. Initialement, suivant une approche incomplète, des compétences choisies étaient enseignées sur 16 à 18 semaines. Rapidement, il est devenu évident qu’il y avait un problème avec la formule offerte : certains participants abandonnaient précocement la thérapie de groupe et les groupes se trouvaient incomplets alors qu’un grand nombre de participants attendaient impatiemment de pouvoir y assister. À l’époque, des interventions favorisant la rétention n’étaient pas encore implantées comme un objectif principal pour lequel tous les efforts requis devaient être déployés.

De là est venue l’idée d’un premier module très court, de quatre rencontres de deux heures, qui viserait essentiellement à fournir de l’information pertinente sur la personnalité borderline, soit ses caractéristiques, sa genèse, son pronostic, les facteurs qui favorisent la rémission et les facteurs modifiables qui ne la favorisent pas. Le second objectif de cette « phase 1 » était de fournir le guide de survie aux crises et des explications sommaires sur les notions de tolérance à la détresse. Enfin, un dernier objectif était d’orienter adéquatement les participants au sujet de la « phase 2 ».

Le travail d’orientation et d’engagement que la Dre Linehan fait en individuel est réalisé au CSSSSL, en partie lors de la rencontre de préévaluation et en partie en groupe, via une démonstration in vivo de la thérapie. La rencontre individuelle brève d’accueil, préalable à la phase 1, procure aux participants les orientations relatives à l’ensemble du traitement et, plus spécifiquement, à la phase 1. Par la suite, une « rencontre individuelle bilan » vise à vérifier ce que la personne a retiré de sa participation au groupe et à explorer et susciter la motivation pour intégrer la phase 2. Au cours de cette rencontre, des stratégies de résolution de problèmes peuvent être utilisées pour pallier les difficultés de transport ou d’horaires de travail qui seraient de nature à nuire à la participation au groupe.

Figure 1

Programme de groupe au CSSSL

Programme de groupe au CSSSL

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L’expérience avec cette adaptation est favorable. D’abord, une grande attrition est toujours observable en phase 1, mais comme le module ne dure que quatre rencontres, il est possible d’en faire plusieurs par années et ainsi, parvenir à offrir un service de base dans un délai plus court. Les participants ont droit à une absence sur les quatre rencontres. Il y a relance téléphonique de tous les absents dans le but de s’informer du motif de leur absence, de leur intention de continuer avec le groupe, de les encourager à le faire et, s’il y a lieu, de résoudre le problème ayant mené à leur désir d’abandon. Ainsi le maximum est fait pour optimiser l’offre de service.

Il appert que, pour plusieurs, l’information présentée en phase 1 est suffisante. Pour d’autres, des raisons d’incompatibilité d’horaires de travail ou d’études feront qu’ils ne participeront pas à la phase 2. Des groupes de fin d’après-midi et de début de soirée sont en préparation pour permettre à cette clientèle d’accéder au service.

La phase 2 n’est proposée qu’aux participants ayant terminé la phase 1. La rencontre individuelle bilan est requise après avoir terminé les quatre rencontres de groupe pour accéder à la phase 2. La phase 2 se déroule sur l’équivalent d’une année scolaire, soit de septembre à juin. Au début de chaque module, des nouveaux participants s’intègrent pour former un groupe de 12 participants. Les nouveaux participants termineront leur phase 2 à la même date l’année suivante, après avoir terminé tous les modules qu’une seule fois. Ceci est une variante par rapport au modèle de Linehan. Dans le programme proposé par cette dernière, les participants font deux fois les modules dans la première année. Cette façon de faire n’a pas pu être retenue au CSSSSL et au PAP car le module régulation des émotions a dû être rallongé à 15 rencontres, au lieu de 8, en raison de l’ajout récent de nombreuses compétences. Celles-ci sont enseignées rigoureusement, sans exception, et ce, en respectant la règle d’une seule compétence par séance. De plus, l’ajout d’une rencontre individuelle bilan entre chaque module fait en sorte que le traitement de groupe s’étend en fait sur 10 mois. De même, comme de nouvelles compétences ont été ajoutées au module efficacité interpersonnelle par la Dre Linehan en octobre 2013 lors d’une formation à Montréal sur la thérapie dialectique comportementale (Linehan et Korslund, 2013), il est possible que le nombre de séances de ce module doive également être augmenté. Ainsi, un court module devra possiblement être transféré en période estivale (pleine conscience ou acceptation de la réalité).

Des groupes de relance ont lieu quatre fois par an pour ceux ayant terminé la phase 2. Des groupes d’aide aux tâches à domicile ont été ajoutés récemment. Des groupes d’hommes ont vu le jour et ont été adaptés car, selon les thérapeutes, leur style est parfois moins descriptif et studieux. Des groupes de femmes et des groupes mixtes complètent l’offre de groupe actuelle.

Les données recueillies au cours d’une étude informelle effectuée au CSSSSL ont permis de constater une diminution de l’utilisation des services d’urgence, du recours à l’hospitalisation et de la durée de ces hospitalisations chez la clientèle ayant participé au groupe, par rapport à la situation antérieure à cette participation. Il est impossible de savoir si c’est cette intervention spécifique qui a eu cet effet, mais il est néanmoins intéressant de constater que les résultats vont dans le même sens que les écrits scientifiques (Linehan et al., 2006 ; NICE, 2009). Par ailleurs, bien qu’aucune étude spécifique n’ait été réalisée à ce sujet, il semble que les participants et les équipes de soins soient satisfaits de ce genre de service.

À noter qu’en phase 1, il a été tenté, avec un certain succès, de réunir de 20 à 25 participants à la fois, par souci d’offrir l’accès au plus grand nombre. Cette phase étant davantage de nature psychoéducative, aucun problème significatif n’a alors été relevé.

Des groupes d’entraînement aux compétences sont aussi menés dans certains hôpitaux universitaires, ce qui permet d’exposer les futurs psychiatres et d’autres professionnels de la santé en formation à ces groupes de thérapie. Au PAP, des groupes TCD sur un modèle similaire au CSSSSL sont offerts au programme des troubles relationnels depuis 2009, en plus des groupes dits interpersonnels. Il existe à notre connaissance des adaptations au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, à l’Hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine, à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, à l’Hôpital Rivière-des-Prairies, à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal, au Centre hospitalier Royal Victoria, au Centre hospitalier de St. Mary de même que dans plusieurs hôpitaux périphériques de Montréal. Les données ne sont malheureusement pas disponibles pour les autres centres universitaires. En fait, des programmes pour la personnalité borderline voient le jour un peu partout au Québec, avec diverses orientations et adaptations.

Conclusion

La TCD est un modèle d’intervention élaboré, complexe et coûteux. Elle est exigeante pour les thérapeutes la pratiquant. Elle est validée scientifiquement pour le traitement de la personnalité borderline et est considérée comme un traitement de choix par différents guides de pratique (NICE, 2009 ; NHMRC, 2012). Ainsi, elle devrait être considérée, soit dans sa forme partielle (entraînement aux compétences) ou complète (pour les plus grands consommateurs de soins), car elle est efficace, appréciée et économique.

La personnalité borderline est une problématique complexe ayant souvent eu mauvaise presse, car les équipes soignantes n’ont pas toujours été assez outillées pour aider cette clientèle. En conséquence, celle-ci a souvent été pauvrement servie par des traitements moins spécifiques. La multiplication de ces soins plus ou moins efficaces a aussi son coût et ses effets délétères. L’avènement de traitements clairs, élaborés et efficaces amène une nouvelle ère dans le traitement de la personnalité borderline et un engouement pour cette clientèle.

Comme la pertinence des groupes d’entraînement aux compétences pour les personnes souffrant de la personnalité borderline est soutenue par les écrits scientifiques, il est possible de penser à déployer cette modalité à travers les différentes ressources du réseau en santé mentale, seule ou ajoutée à un traitement dit « usuel ».

Par ailleurs, les ingrédients actifs responsables du succès de cette forme de thérapie ne sont pas précisément connus pour l’instant. Les groupes d’entraînement aux compétences ne sont pas toujours suffisants pour s’ajuster aux besoins de la clientèle. Une personnalisation de l’apprentissage (en thérapie individuelle), un travail sur le maintien de la motivation (fourni par la thérapie individuelle) et un travail sur la généralisation des acquis (via l’individuel et les appels téléphoniques d’urgence) peuvent être requis.

Il faut certainement plus d’études pour découvrir les ingrédients essentiels. Des pas sur cette voie ont été faits avec des études portant sur une seule modalité du traitement (les groupes ou l’individuel), sur un seul module (pleine conscience ou régulation des émotions) ou avec un nombre moindre de rencontres.

On sait que la structure est une composante importante du traitement. Des études comparant la TCD à d’autres traitements actifs ou spécifiques tendent à démontrer qu’elle est supérieure ou comparable à d’autres formes de traitements structurés (Clarkin et al., 2004 ; Linehan et al., 2006 ; Mc Main et al., 2012).

Un obstacle à sa diffusion à plus grande échelle au Québec est la formation onéreuse (minimum 10 000 $ US pour une équipe) et exigeante (10 jours intensifs avec engagement de former l’équipe en cours de route), et en langue anglaise uniquement. Pour ces raisons, peu de personnes s’inscrivent à ce genre de formation malgré l’intérêt pour cette approche. Les employeurs ne disposent généralement pas des budgets requis pour former les équipes et le niveau élevé d’exigences pour les thérapeutes peut susciter des appréhensions.

L’équipe de Linehan suggère aux intervenants intéressés à la formation de faire des présentations aux gestionnaires pour démontrer les économies qui pourraient être réalisées en investissant dans le développement de ce genre de services, en fournissant même aux intervenants intéressés les arguments nécessaires (Diemeff et al., 2007).

Il est possible pour des thérapeutes professionnels d’offrir une forme de traitement inspiré de la TCD à la suite de la lecture des manuels, de la participation à des formations introductives et des mises à jour sur internet. Dans un tel cas, par souci de transparence et pour éviter les malentendus, il est recommandé de dévoiler à la clientèle le type de traitement qui leur est réellement proposé, à savoir une thérapie d’orientation TCD et non pas la TCD comme telle.