Corps de l’article

Introduction

La validité du diagnostic du trouble de personnalité limite (TPL) a été établie récemment en population adolescente (Bondurant, Greenfield & Tse, 2004 ; Greenfield et al., 2015). Les conséquences fonctionnelles d’un tel trouble ont un impact majeur chez les jeunes. Les écrits dans le domaine montrent notamment un risque augmenté de difficultés scolaires, d’un dysfonctionnement relationnel, de comportements antisociaux et de troubles psychiatriques (Cailhol, Gicquel & Raynaud, 2015). La possibilité de faire une tentative de suicide est aussi accrue chez ces patients (Links, Gould & Ratnayake, 2003). Un diagnostic précoce semble donc souhaitable afin de permettre des interventions thérapeutiques appropriées et plus efficaces (Chanen & McCutcheon, 2013).

La prévalence estimée du TPL dans la population générale adolescente oscille entre 1,3 % et 7,8 % selon les études (Bernstein et al., 1993 ; Lewinsohn, Rohde, Seeley & Klein, 1997). Ce diagnostic est plus fréquent dans la population clinique (Guilé, 1999). L’adolescence apparaît ainsi comme une période à risque dans le développement de ce trouble, et la majorité des adultes avec un TPL datent le début de leurs symptômes à cette période de leur vie (Zanarini, Frankenburg, Khera & Bleichmar, 2001). La symptomatologie centrale du TPL comprend l’instabilité affective, l’impulsivité, les comportements auto et hétéro agressifs, ainsi que l’instabilité de l’image de soi et des relations interpersonnelles (American Psychiatric Association, 2000). L’instabilité affective a été mise en avant comme étant la caractéristique centrale de cette psychopathologie (Linehan, 1993).

Le diagnostic du TPL chez l’adolescent se révèle un réel défi pour le clinicien. Le diagnostic différentiel avec d’autres troubles psychiatriques comme le trouble disruptif avec dysrégulation de l’humeur, le trouble bipolaire et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, s’avère souvent ardu, d’autant plus que le TPL peut se présenter de façon comorbide avec ces différentes psychopathologies. Par ailleurs, la distinction entre les comportements propres à l’adolescence, s’inscrivant dans une trajectoire développementale dite normale, et les comportements et traits de personnalité témoignant de la présence d’un TPL est souvent délicate.

Comme pour toute autre psychopathologie, les données actuelles suggèrent que le développement d’un TPL résulte de l’interaction entre des vulnérabilités biologiques et des facteurs environnementaux. Le présent article vise à passer en revue quelques-unes des données actuelles sur les aspects cognitifs et affectifs du TPL et leurs corrélats neuronaux. La révision de la littérature portant sur ces questions offre peu de données sur le TPL chez les adolescents. Pour illustrer la pertinence d’une exploration en neuroimagerie fonctionnelle du TPL chez l’adolescent, une étude pilote utilisant un protocole en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est présentée. L’étude visait d’abord l’évaluation de la faisabilité du protocole en population adolescente avec TPL et à identifier les régions neuronales d’intérêt potentielles pour les études de neuroimagerie futures chez les adolescents avec TPL.

Déficit sur le plan de l’identification des émotions

Chez les adultes avec TPL, des études comportementales s’intéressant à la reconnaissance d’émotions sur les visages ont été menées. Certaines d’entre elles ont montré que ces personnes font plus d’erreurs de reconnaissance de l’émotion sur les visages présentant un affect de colère, de peur ou de dégoût (Carrasco et al., 2007 ; Walter et al., 2008) et ont possiblement tendance à suridentifier la peur sur les visages (Wagner & Linehan, 1999). Néanmoins, une méta-analyse récente contredit ces résultats et montre qu’il n’y a pas de différence significative entre les adultes avec TPL et les sujets témoins quant à la reconnaissance adéquate des émotions négatives exprimées à pleine intensité (peur, colère, tristesse et dégoût) (Mitchell, Dickens & Picchioni, 2014). D’autres études ont montré que les adultes avec TPL sont plus sensibles à la détection des visages avec un affect de colère, à savoir qu’une intensité plus faible de l’affect est nécessaire pour identifier correctement l’émotion (Domes et al., 2008 ; Lynch et al., 2006). Plus encore, l’interprétation des visages neutres montre des résultats équivoques : les adultes avec TPL semblent avoir plus tendance à interpréter comme négative une expression faciale ambiguë (Domes et al., 2008 ; Dyck et al., 2009 ; Mitchell, Dickens & Picchioni, 2014 ; Wagner & Linehan, 1999), mais plusieurs études démentent cette conclusion (Domes et al., 2008 ; Dyck et al., 2009 ; Mitchell, Dickens & Picchioni, 2014 ; Wagner & Linehan, 1999). Il en va de même pour les visages présentant de la joie à faible intensité alors que la détection est adéquate à forte intensité de l’expression émotive (Lynch et al., 2006 ; Mitchell, Dickens & Picchioni, 2014 ; Robin et al., 2012).

Les études s’intéressant à la réaction affective subjective des adultes avec TPL lors de la visualisation de « scènes » avec une valence affective (accident d’automobile, enfant qui pleure, scène de guerre, famille heureuse, etc.) ont aussi montré des résultats contradictoires. Les personnes avec un TPL cotant les images comme suscitant une émotion plus (Schnell, Dietrich, Schnitker, Daumann & Herpertz, 2007) ou moins (Hazlett et al., 2012) intense ou de même intensité (Herpertz et al., 2001 ; Koenigsberg et al., 2009) que ce que rapportent les sujets témoins.

Les quelques études portant sur l’identification des affects sur les visages menées en population adolescente ont trouvé qu’ils ne font pas plus d’erreurs que les témoins dans l’identification des émotions exprimées pleinement (Ceumern-Lindenstjerna et al., 2007 ; Robin et al., 2012). Par contre, pour les émotions exprimées à plus faible intensité, les résultats se contredisent. Une étude obtenant une plus faible sensibilité de détection des émotions lorsque comparée au groupe contrôle (Robin et al., 2012) et une autre ne montrent aucune différence (Jovev et al., 2011). Une dernière étude a observé que les adolescents coteraient les scènes visant à susciter des émotions positives comme moins plaisantes et plus négatives (Ceumern-Lindenstjerna et al., 2007). Ces déficits en conditions expérimentales ouvrent la porte à des extrapolations concernant les difficultés de mentalisation chez les sujets présentant un TPL. Celles-ci sont souvent observées en clinique et sont associées à des symptômes et comportements présentés par les patients. Une meilleure compréhension de ces déficits peut aider à développer des approches thérapeutiques plus ciblées. La section suivante présente les « anomalies » ou les « différences » au niveau de l’activation d’aires cérébrales qui semblent être associées à ces difficultés.

Les circuits préfrontaux-corticaux et sous-corticaux

Des études réalisées chez des personnes avec un TPL montrent des spécificités tant anatomiques que fonctionnelles pour plusieurs structures et circuits neuronaux impliquant des régions corticales (par ex. les aires frontales et du cortex cingulaire antérieur [CCA]) et sous-corticales (p. ex. l’amygdale). Ces deux dernières structures sont situées au sein du système limbique. Une des fonctions de l’amygdale est d’évaluer le contenu émotionnel des événements et de permettre l’apprentissage et la reconnaissance des stimuli émotionnels dans l’environnement afin de réagir à ces stimuli avec des comportements appropriés. Le CCA joue quant à lui un rôle important dans la gestion des émotions et l’attribution d’une valence affective aux stimuli.

Les études de neuroimagerie anatomique

Les études de neuroimagerie chez l’adulte ont mis en évidence une réduction de la concentration de matière grise dans plusieurs régions des lobes temporaux et frontaux médians, incluant l’amygdale, le CCA, l’hippocampe et les régions parahippocampiques (Hazlett et al., 2005 ; Lis, Greenfield, Henry, Guilé & Dougherty, 2007 ; Minzenberg, Fan, New, Tang & Siever, 2008 ; Soloff, Nutche, Goradia & Diwadkar, 2008 ; Tebartz van Elst et al., 2003). La comorbidité avec l’état de stress post-traumatique (ESPT) pourrait expliquer en partie les résultats observés au niveau de l’hippocampe, bien que certaines études maintiennent des résultats significatifs en contrôlant pour cette co-variable (Rodrigues et al., 2011). Finalement, des différences au niveau de l’anatomie du cortex orbitofrontal (COF) et préfrontal dorso-latéral (CPFDL) ont aussi été identifiées (Sala et al., 2011 ; Soloff et al., 2012) à savoir, deux aires cérébrales impliquées dans les fonctions exécutives et la régulation des émotions.

Les résultats concernant les différences anatomiques retrouvées chez les adolescents présentant un TPL sont moins robustes, en raison du plus petit nombre d’études publiées sur le sujet. Certaines équipes de recherche ont montré un plus petit volume au niveau de l’amygdale, de l’hippocampe et du CCA chez des adolescents avec TPL (Goodman et al., 2011 ; Richter et al., 2014 ; Whittle et al., 2009), alors que d’autres n’ont pas observé de telles différences (Brunner et al., 2010 ; Chanen et al., 2008). Par ailleurs, une réduction du volume de la matière grise a aussi été observée au niveau du COF, droit ou gauche selon les études, et du CPFDL bilatéral (Brunner et al., 2010 ; Chanen et al., 2008). Une autre étude a montré une altération du pattern d’expansion du corps calleux normalement observé en fonction de l’âge chez des adolescents avec TPL (Walterfang et al., 2010). Finalement, d’autres altérations de la matière blanche ont aussi été identifiées chez cette population grâce à l’imagerie par diffusion de tension, suggérant de potentielles anomalies au niveau de la connexion de différentes aires cérébrales (Maier-Hein et al., 2014 ; New et al., 2013).

Les études en neuroimagerie fonctionnelle

Les protocoles expérimentaux les plus souvent utilisés pour l’étude des émotions sont ceux proposant des tâches utilisant des visages ou des scènes avec une valence affective. Les différences d’activation au niveau de l’amygdale sont les résultats les plus fréquemment observés lors de tâches de visualisation de visages avec une taille importante de l’effet, comme rapporté récemment par Mitchell et ses collègues dans une méta-analyse (Mitchell, Dickens & Picchioni, 2014). Il semble que cet effet soit principalement observé avec des visages présentant une émotion négative de peur ou de tristesse (Cullen et al., 2011 ; Donegan et al., 2003 ; Frick et al., 2012 ; Minzenberg, Fan, New, Tang & Siever, 2007). Les visages apeurés ont entraîné, dans l’étude de Mizemberg et al. (2007) une hypoactivation du CCA, alors qu’une plus grande connectivité entre l’amygdale et le CCA fut observée par Cullen et al. (2011). Les visages colériques semblent entraîner, quant à eux, une plus grande activation du CCA rostral bilatéral et une plus faible activation de l’amygdale chez les sujets avec TPL en comparaison aux sujets témoins (Minzenberg, Fan, New, Tang & Siever, 2007). Finalement, les visages neutres ont été associés à une diminution de la connectivité entre l’amygdale (bilatérale) et le CCA (Cullen et al., 2011) et une augmentation de l’activité de l’amygdale (Donegan et al., 2003).

D’autres aires cérébrales ont aussi été identifiées comme s’activant différemment chez les adultes avec TPL lors de protocoles de visualisation de visages. Citons le putamen, les aires temporales inférieures (Guitart-Masip et al., 2009), les aires motrices primaires, le cortex préfrontal inférieur et les aires visuelles (Mier et al., 2013), avec moins de reproductibilité entre les études. Des différences au niveau des protocoles utilisés peuvent possiblement expliquer, en partie du moins, certaines des différences observées au sein de ces études.

La visualisation de scènes à valence affective négative a aussi été associée à une hyperactivation de l’amygdale chez les adultes avec TPL (Hazlett et al., 2012 ; Herpertz et al., 2001 ; Koenigsberg, et al., 2009 ; Krause-Utz et al., 2012 ; Niedtfeld et al., 2010 ; Schulze et al., 2011). Quelques études montrent également une augmentation de l’activité du CCA (Koenigsberg et al., 2009 ; Niedtfeld et al., 2010). L’insula a aussi été identifiée comme une région d’intérêt, certaines études montrant une augmentation (Koenigsberg et al., 2009 ; Niedtfeld et al., 2010 ; Schulze et al., 2011) et d’autres une diminution (Koenigsberg et al., 2009) de l’activité au sein de cette région. Une plus faible activation des aires frontales (Koenigsberg et al., 2009) et notamment du cortex dorsolatéral préfrontal (CDLPF) (Schulze et al., 2011) a aussi été observée.

Les scènes à valence affective neutre ont aussi été associées à une hyperactivation de régions limbiques telle que l’amygdale et l’hippocampe (Krause-Utz et al., 2012), le CCA (Niedtfeld et al., 2010) ainsi que l’insula (Niedtfeld et al., 2010 ; Schulze et al., 2011) chez des adultes avec TPL.

D’autres protocoles d’IRMf ciblant des processus affectifs ont été utilisés notamment pour la visualisation de scènes affectives avec instruction de moduler la réponse émotionnelle, lors de l’audition de phrases à contenu affectif ou rappelant un événement personnel, lors de tâche de fonctions exécutives avec distraction affective ainsi que de tâches visant à susciter l’empathie ou étudiant la réaction affective en fonction du type d’attachement. Des tâches visant les fonctions exécutives de même que les processus d’expérience de la douleur ont aussi été étudiés. Les possibilités de protocoles sont quasi infinies et les écrits scientifiques sur le sujet s’enrichissent et se complexifient chaque jour.

Projet pilote en neuroimagerie fonctionnelle chez des adolescentes avec TPL

Problématique

À ce jour, aucune publication ne présente l’évaluation par IRMf d’adolescents présentant un TPL. Considérant le défi diagnostique que pose le TPL à l’adolescence pour le clinicien, une meilleure compréhension des désordres possibles au sein des différents circuits neuronaux permettra de faire avancer les connaissances au sujet de la physiopathologie et du phénotype neurobiologique de ce trouble. Qui plus est, il importe de se rappeler que l’adolescence est un stade développemental unique au cours duquel les processus de maturation neuronale opèrent toujours. En effet, l’activation des aires cérébrales évolue en fonction de l’âge et du degré de maturation du cerveau (Todd, Evans, Morris, Lewis & Taylor, 2011). Il importe de mieux comprendre les anomalies du système neuronal qui sous-tendent les symptômes du TPL à cet âge précoce, lesquelles peuvent différer de celles rencontrées chez l’adulte.

Par ailleurs, l’étude de cette population pose un défi supplémentaire. Les adolescents présentant un TPL, de par la nature même de leurs symptômes et difficultés, peuvent s’avérer être plus difficiles à recruter pour les protocoles de recherche et peuvent aussi présenter un haut taux d’attrition lors de participation à des études cliniques (Huynh et al., 2010). Ce projet pilote étudiera tout d’abord la faisabilité d’un protocole d’IRMf en population adolescente avec TPL. Le protocole de neuroimagerie proposé, de nature exploratoire, vise à préciser les régions cérébrales d’intérêt pour l’étude par neuroimagerie fonctionnelle d’adolescentes présentant un TPL. En effet, l’inclusion de participantes de sexe féminin uniquement permet de limiter les variables confondantes des différences biologiques associées au sexe. Il est prévu, tel qu’identifié lors des études réalisées chez les adultes présentant un TPL, que des zones du système limbique ainsi que des aires frontales seront identifiées comme régions cérébrales d’intérêt pour l’étude des bases neurophysiologiques du TPL chez les adolescents.

Méthode

Six adolescentes présentant un diagnostic de TPL et six adolescentes témoins ont été incluses dans l’étude. Les participantes du groupe TPL étaient recrutées au sein de la clinique externe des troubles de l’humeur et au sein de l’unité d’hospitalisation d’un hôpital universitaire de Montréal. Les participantes étaient identifiées par les pédopsychiatres responsables de leurs soins et contactées par un des membres de l’équipe de recherche avec leur accord. Le diagnostic de TPL a été établi en tenant compte des données cliniques incluant une entrevue semi-structurée à l’aide du Diagnostic Interview for Borderline – Revised version. Six participantes témoins sans diagnostic aux axes 1 et 2, et n’ayant pas de médication neuroleptique, ont aussi été recrutées à partir d’affiches exposées dans l’hôpital et invitant les employés à proposer à leur fille adolescente de participer à cette étude. Les critères d’exclusion pour les deux groupes étaient les suivants : histoire de trauma crânien avec perte de conscience, maladie neurologique chronique, implant métallique, claustrophobie et grossesse.

Pour le groupe TPL, l’évaluation des comorbidités psychiatriques a été réalisée à l’aide du Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia for School-Age Children-Present and Lifetime (K-SADS-PL) (Kaufman et al., 1997), complété avec le parent. Pour le groupe témoin, le Child Behavior Checklist a été utilisé. Les participantes de ce groupe ont aussi complété l’Abbreviated-Diagnostic Interview for Borderlines. Ce questionnaire de dépistage du TPL a été validé en population adolescente et un score ≥ 11,5 indique une probabilité de TPL, ce qui menait à l’exclusion de la participante le cas échéant (Guilé, Greenfield, Berthiaume, Chapdelaine & Bergeron, 2009). Toutes les participantes ont aussi répondu au Beck Depression Inventory-II (Beck, Steer & Brown, 1996), l’Affective Lability Scales évaluant les variations entre l’euthymie, les affects dépressifs, l’anxiété, la colère et l’euphorie (Guilé et al., 2009) ainsi que le Questionnaire d’Eysenck, section impulsivité (Eysenck, Eysenck & Barret, 1985). Tous les questionnaires ont été soumis dans leur version française.

Les participantes ont par la suite réalisé un protocole d’IRM fonctionnelle pour lequel une tâche affective a été proposée. Les participantes devaient visualiser des images tirées de la banque de l’International Affective Picture System (IAPS). Les participantes ont visualisé 20 images à valence affective positive, 20 images à valence affective négative et 20 images neutres, présentées dans un ordre aléatoire. Chaque image était présentée durant 4 secondes. Un intervalle interessais variable de 8 à 12 secondes (avec une moyenne de 10 secondes) séparait chaque présentation d’image (avec une croix de fixation au centre de l’écran). Les intervalles interessais étaient suffisamment longs pour permettre au signal IRMf de revenir au niveau basal, et ainsi éviter une activité basale élevée lors de la présentation des images suivantes. Lors de la visualisation de chaque image, la participante devait indiquer, à l’aide d’une manette de commande à boutons, si un humain était présent dans la scène, et ce, afin de s’assurer qu’elle demeurait attentive à la tâche. Les données de neuroimagerie ont été acquises avec un scanner IRM Siemens 3T. Les acquisitions fonctionnelles ont été suivies par une acquisition anatomique de 10 minutes.

Les images de la banque IAPS ont déjà été utilisées dans plusieurs études portant sur des enfants et des adolescents. Les résultats de ces études montrent que les enfants, les adolescents et les adultes cotent les images de façon superposable (valence de l’image et intensité de l’émotion suscitée) (McManis, Bradley, Berg, Cuthbert & Lang, 2001). Pour la présente étude, la sélection des images a été faite par le comité des chercheurs, qui inclut un pédopsychiatre et un psychologue, afin de retenir celles ayant un contenu approprié pour l’âge des participantes.

L’IRMf permet d’évaluer les changements du signal magnétique qui accompagne les changements de l’activité cérébrale. L’approche dite Blood Oxygenation Level-Dependent (BOLD) a été utilisée. L’examen d’IRMf a débuté par la partie fonctionnelle avec l’acquisition sur cerveau entier d’images T2* EPI-BOLD selon l’axe commissure antérieure-commissure postérieure (AC-PC) (TR = 2,25 sec. /flip-angle = 90 °/37 coupes/résolution = 3 x 3 x 3 mm3). La présentation de la tâche décrite ci-haut fut assurée par un ordinateur PC grâce au logiciel E-prime 2.0. La tâche a été projetée via un projecteur LCD et un système de miroir. Ensuite, une l’acquisition d’images anatomique selon une pondération T1 en 3 dimensions (TR = 22 ms/ TE = 9,2 ms/ flip-angle = 30° / FOV = 256 mm/ 175 coupes/ résolution 1x1x1 mm3) a été réalisée.

L’analyse des données a été effectuée avec le logiciel SPM8 (Friston, Ashburner, Kiebel, Nichols & Penny, 2011). Un prétraitement des données fut effectué. Les données ont été corrigées pour le mouvement. Les volumes de chaque série ont été réalignés sur l’image moyenne. Une correction temporelle a été effectuée, suivie d’une normalisation selon l’espace stéréotaxique du Montréal Neurological Institute (MNI). Enfin, un lissage spatial a été appliqué aux données en utilisant un filtre gaussien de 8 mm (FWHM).

L’analyse statistique des données d’IRMf a été basée sur le modèle linéaire généralisé. La réponse hémodynamique a été modélisée pour chacune des planches visualisées. Trois régresseurs ont été modélisés (images positives, images négatives et images neutres) et ont été entrés comme facteurs fixes dans le modèle linéaire général, correspondant à l’analyse de premier niveau. Pour chaque évènement, la condition de contrôle (images neutres) a été soustraite à chaque condition émotionnelle. Ces cartes de contrastes individuelles sont ensuite introduites dans une analyse de second niveau afin de réaliser une analyse de groupe à effets aléatoires. Les images issues des contrastes individuels ont été combinées et un test-t pour deux échantillons indépendants ont été effectués. Le seuil statistique pour cette analyse a été fixé à p = 0,01 non corrigé pour comparaisons multiples, et ce en raison de la nature exploratoire de ce projet pilote, avec une taille de cluster de 5 voxels contigus. Cette valeur est choisie en raison du petit volume des foyers attendus (p. ex. l’amygdale).

Résultats

Données cliniques

Les données cliniques des participantes sont présentées dans le tableau 1. Les participantes sont âgées entre 14,6 ans et 17,4 ans dans le groupe TPL et entre 14,3 ans et 17,8 ans dans le groupe témoin. Les participantes étaient toutes euthymiques lors de la passation de l’IRM. En plus des antécédents psychiatriques indiqués, trois participantes du groupe TPL avaient une histoire de trauma significative. Le groupe TPL présente des scores significativement plus marqués à l’impulsivité et la labilité émotionnelle, mais pas de différence significative pour le score de dépression. De plus, on constate que les participantes du groupe TPL présentent de nombreuses comorbidités psychiatriques et font usage de médication psychotrope dans une grande proportion.

Tableau 1

Données cliniques des 2 groupes d’adolescentes

Données cliniques des 2 groupes d’adolescentes
* Student t test

-> Voir la liste des tableaux

Faisabilité du protocole

Au total, 14 participantes ont été recrutées sur une période de 22 mois, soit 8 adolescentes avec TPL et 6 témoins. Deux participantes du groupe TPL ont été retirées du protocole parce qu’elles ne satisfaisaient pas à tous les critères d’inclusion et d’exclusion. Les 12 autres participantes ont toutes complété le protocole de recherche en entier. Les absences aux rendez-vous furent fréquentes, particulièrement dans le groupe TPL, et des relances fréquentes furent nécessaires afin d’éviter l’attrition des participantes. Une compensation financière offerte aux participantes lors de chaque visite semble avoir aidé à l’assiduité des participantes et de leur parent. Les rencontres d’évaluation clinique et les rencontres d’IRMf se sont toutes déroulées sans incident. Deux participantes du groupe TPL avaient témoigné d’une certaine anxiété face à la séance de neuroimagerie en raison de l’anticipation d’un sentiment de claustrophobie, mais toutes deux ont tout de même complété la séance d’imagerie sans difficulté. La possibilité de compléter une séance de simulation d’IRMf avant la véritable séance d’IRMf expérimentale avait été proposée à toutes les participantes afin de minimiser l’anxiété associée à la passation d’un IRMf. Aucune participante n’a, par contre, souhaité se prévaloir de cette option.

Neuroimagerie fonctionnelle

L’activation neuronale lors du visionnement des images négatives a été comparée à celle suscitée par le visionnement des images neutres considérées comme le « niveau de base ». Chez le groupe TPL, les résultats montrent que ce contraste a mené à une plus grande activation de l’hippocampe droit, des aires parahippocampiques droites, de l’amygdale droite, du gyrus frontal supérieur droit et gauche, du gyrus précentral droit et du cervelet en comparaison aux participantes du groupe témoin. Chez celles-ci, pour le même contraste, le gyrus précentral gauche et le gyrus frontal inférieur droit (orbitofrontal) étaient davantage activés en comparaison des participantes du groupe TPL (figure 1).

Figure 1

Images à valence affective négative : contraste Groupe TPL > Groupe Témoins en rouge et contraste Groupe Témoins > Groupe TPL en bleu

-> Voir la liste des figures

Figure 2

Images à valence affective positive : contraste Groupe TPL > Groupe Témoins en rouge et contraste Groupe Témoins > Groupe TPL en bleu

-> Voir la liste des figures

À l’opposé, lorsque le visionnement des images positives était comparé à celui des images neutres, les résultats montrent que le groupe TPL a présenté une plus grande activation de l’hippocampe gauche et des aires parahippocampiques gauches et droites, du gyrus cingulaire moyen droit et gauche, gyrus temporal supérieur gauche et du cervelet en comparaison aux participantes du groupe témoin. Chez ces dernières, le gyrus pariétal supérieur gauche et le gyrus temporal supérieur/moyen droit étaient davantage activés (figure 2).

Discussion

Ce projet a atteint son objectif premier, à savoir démontrer la faisabilité d’une étude de neuroimagerie fonctionnelle portant sur des adolescentes avec TPL. De plus, l’étude a mené à des résultats intéressants aux plans cliniques et neurophysiologiques.

L’évaluation clinique des deux groupes a montré, tel qu’attendu, que ceux-ci différaient significativement aux scores d’impulsivité et d’instabilité affective, deux caractéristiques centrales du TPL. Le petit nombre de participantes ne permet pas d’évaluer de potentielles associations entre ces variables cliniques et l’activation des différentes aires cérébrales ou même de tirer d’autres conclusions sur le profil des patientes étudiées.

Cette étude pilote a de plus montré que, comme chez l’adulte, des aires limbiques et frontales semblent être activées différemment chez les adolescentes avec TPL lorsqu’elles sont exposées à une tâche affective simple. Plusieurs autres aires cérébrales ont aussi montré des activations différentes selon le groupe et la valence des stimuli observés, notamment au niveau temporal et pariétal, ainsi qu’au niveau du cervelet. Quelques régions d’intérêt pour l’étude du TPL chez les adolescents ont ainsi été ciblées en vue d’études ultérieures. Le petit nombre de sujets inclus dans l’étude ne permet pas de tirer des conclusions plus précises sur les différences d’activation des différentes aires cérébrales chez cette population adolescente. Les données ouvrent néanmoins la voie à une meilleure connaissance des bases physiologiques du TPL chez les jeunes et incitent à pousser plus loin les recherches dans le domaine. Les résultats de cette étude pourront être utilisés pour aider à cibler les régions d’intérêt utilisées lors d’études ultérieures.

Ce projet pilote est une toute première étape dans l’étude par neuroimagerie fonctionnelle des adolescents souffrant d’un TPL. La complexité de l’étude de cette population est double. D’une part, elle doit inclure une approche développementale, à la fois du trouble qui chez cette population se retrouve au début, voire à l’émergence de son expression, et dont l’expression future est encore incertaine. D’autre part, l’approche développementale doit aussi tenir compte de celle de l’adolescent, chez qui le développement cérébral n’est pas complété et chez qui les fonctions cognitives et affectives sont encore immatures.

À cette complexité s’ajoute celle de l’hétérogénéité des patients dits borderline chez qui les différences au niveau de l’expression des tableaux cliniques résultent aussi possiblement de l’activité de circuits neuronaux différents. Pour tenter de réduire cette hétérogénéité, nous avons mené ce projet uniquement chez des filles adolescentes puisque, particulièrement en période développementale, le sexe (les hormones) influence le développement et l’activité neuronale de façon significative. Malgré cela, les tableaux cliniques des participantes différaient, tout comme leurs comorbidités psychiatriques et leur usage de médication, deux facteurs majeurs ayant pu influencer les résultats.

Des études portant sur un plus grand nombre de patients seront nécessaires avant de pouvoir tirer des conclusions claires sur les aires cérébrales jouant un rôle significatif dans la symptomatologie du TPL chez les jeunes. Le projet présenté ici ouvre la porte à des projets de plus grande envergure qui viseront à étudier le fonctionnement neuronal des adolescents présentant un TPL. D’autres protocoles de tâches en IRMf pourront éventuellement être utilisés, par exemple des protocoles utilisant des visages avec différents affects ou bien des tâches visant davantage les fonctions cognitives. L’étude des garçons avec TPL serait aussi nécessaire, cette sous-population étant moins étudiée dans la littérature actuelle. Par ailleurs, des études longitudinales s’intéressant à la neurophysiologie du TPL chez les jeunes, donc au début de son expression, seraient souhaitables pour une meilleure compréhension de l’évolution du trouble.

Conclusion

L’intérêt clinique de pousser la recherche sur les aspects neurologiques du TPL est majeur : cette pathologie est encore aujourd’hui empreinte de préjugés et de méconnaissance de la part des professionnels de la santé, des patients et de leur famille, tout particulièrement chez les adolescents. La démarche diagnostique est encore ardue et suscite parfois des approches thérapeutiques sous optimales et une longue quête de soins par les familles affectées et déroutées par les symptômes du jeune patient. Une meilleure compréhension des facteurs biologiques impliqués dans cette pathologie réduira le halo de mystère, de préjugé et de culpabilité qui l’entoure. Elle pourrait aussi permettre de développer des approches thérapeutiques plus adaptées aux déficits des patients.