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Vers une conception positive de la santé mentale

Promouvoir la santé mentale implique une nouvelle manière de concevoir et d’opérationnaliser la santé mentale dans son sens positif. La santé mentale doit être comprise comme une ressource essentielle qu’il faut protéger, alimenter et soutenir.

Traditionnellement, on définissait la santé mentale exclusivement par l’absence de maladie mentale ou de troubles mentaux1. Cette définition suppose qu’un individu exempt de troubles mentaux est en bonne santé mentale et qu’à l’opposé, une personne atteinte de troubles mentaux ne peut jouir d’une bonne santé mentale. Cette définition est représentée par le modèle du continuum unique dans lequel la santé mentale et les troubles mentaux constituent les extrêmes d’un même continuum2. Au cours des dernières décennies, une nouvelle conceptualisation de la santé mentale dans sa dimension positive a été proposée ; elle suggère que la santé mentale serait plus justement définie par le bien-être et, en ce sens, irait au-delà de l’absence de troubles mentaux. Cette définition holistique de la santé mentale renvoie au modèle des deux continuums pour décrire l’état de santé mentale. Selon ce modèle, la santé mentale et la maladie mentale renvoient à des continuums distincts, mais corrélés2. Le premier continuum représente l’absence-présence de troubles mentaux tandis que le second continuum décrit le niveau de santé mentale. L’état de santé mentale complète est défini par l’absence de trouble mental et la présence d’un niveau élevé ou optimal de santé mentale.

Figure 1

Modèles du continuum unique et des deux continuums de la santé mentale et des troubles mentaux

Modèles du continuum unique et des deux continuums de la santé mentale et des troubles mentaux

* = Santé mentale complète

-> Voir la liste des figures

Bien que la distinction entre santé mentale et troubles mentaux ait été abordée il y a déjà plusieurs décennies1, l’étude longitudinale MIDUS, réalisée de 1995 à 2005 aux États-Unis, est la première à offrir une démonstration empirique du modèle des deux continuums3. Les résultats de cette étude montrent que 75 % des participants sont exempts de troubles mentaux ; par ailleurs, seulement 20 % des participants ont une santé mentale florissante, définie comme le niveau supérieur de santé mentale.3 Trois constats émergent de cette étude : 1) l’absence de troubles mentaux n’implique pas la présence de santé mentale ; 2) la présence de troubles mentaux ne signifie pas nécessairement l’absence de santé mentale ; 3) tout état inférieur à une santé mentale optimale est associé à un niveau de fonctionnement réduit, que la personne souffre ou non de troubles mentaux. Ces observations soutiennent la complémentarité des mesures de santé mentale et de maladie mentale pour obtenir une évaluation complète de l’état mental et prédire avec plus de précision le fonctionnement psychosocial d’un individu. Cette étude aura également permis d’identifier qu’un faible niveau de santé mentale, même en l’absence de trouble mental, a des répercussions sur le fonctionnement de l’individu semblables à celles associées à un diagnostic du DSM[i] : problèmes affectifs et cognitifs divers, problèmes de santé, forte utilisation des services de santé, faible productivité au travail, etc.

En 2004, l’OMS adopte une définition de la santé mentale qu’elle décrit comme « un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté4 ». Selon cette définition, le bien-être et le bon fonctionnement individuel et social constituent le fondement de la santé mentale.

Les composantes de la santé mentale

Les approches hédonique et eudémonique ont grandement contribué à appréhender la santé mentale dans son sens positif. Ces approches ont également servi de base théorique au développement de plusieurs échelles de mesure de la santé mentale.

L’approche hédonique

Cette approche, issue des philosophes grecs, fait référence aux plaisirs de l’existence et au bonheur. Selon l’approche hédonique, le bien-être correspond aux réactions affectives exprimées par l’humeur et les émotions ; elles constituent l’affect5. Accroître le bien-être, plus spécifiquement qualifié de « bien-être émotionnel » selon cette approche, implique de maximiser les affects positifs et de minimiser les affects négatifs5. Le bien-être émotionnel inclut également la satisfaction à l’égard de la vie et des nombreux domaines de vie ; celle-ci repose sur une appréciation émotive et cognitive que l’individu pose sur son fonctionnement et les caractéristiques de son contexte de vie6. Cette évaluation subjective se base sur la perception de la distance que présente sa situation actuelle par rapport à celle dans laquelle l’individu aimerait se retrouver. Plus cette situation est conforme à ses attentes, aspirations et objectifs de vie, plus il aura d’affects positifs et meilleure sera sa satisfaction à l’égard de la vie7. Plus cette distance est grande, plus la situation est génératrice de stress et d’affects négatifs, produisant une évaluation moins positive de sa satisfaction à l’égard de la vie. La satisfaction à l’égard de la vie n’est pas un état statique ; elle fluctue à travers le temps, selon les événements, les étapes et les contextes de vie et les modifications des attentes, aspirations, habiletés et compétences qui permettent de les réaliser.7

Le bien-être émotionnel est souvent conceptualisé et opérationnalisé par la qualité de vie (QV)8. Dès le milieu des années 1970, Andrew et Withey menaient une vaste étude sur l’état de bien-être de la population américaine en utilisant comme indicateur la QV9. Ferrans a développé à cette époque une typologie permettant de classifier les définitions et mesures de la QV ; il en dégage six catégories : la vie normale, l’utilité sociale, le bonheur, la satisfaction à l’égard de la vie, la réalisation des objectifs personnels et les capacités personnelles10. Moons, Budts et De Geest ont fait une critique exhaustive des définitions et instruments et sont arrivés à la conclusion que plusieurs d’entre eux portent à tort le nom de QV, dont, entre autres, ceux reliés à la santé (Health-Related Quality of Life)11. En effet, ces instruments mesurent l’état de santé et les capacités fonctionnelles de personnes atteintes de maladies et non leur QV. Ils arrivent à la conclusion que la « satisfaction à l’égard de la vie » apparaît le concept le plus robuste et approprié pour décrire et mesurer la QV.

L’approche eudémonique

L’approche eudémonique, également issue de la philosophie grecque, conçoit le bien-être en tant que but ultime de la vie humaine et renvoie à la capacité de l’individu à actualiser son potentiel12. Selon cette approche, le bien-être renvoie au fonctionnement individuel et social. Ryff propose une conceptualisation du fonctionnement individuel basée sur les défis personnels que rencontre l’individu dans la réalisation de son potentiel13. Le modèle du « bien-être psychologique » qu’il propose intègre six dimensions : acceptation de soi, relations positives avec les autres, croissance personnelle, but dans la vie, contrôle de son environnement et autonomie13. Keyes propose un modèle multidimensionnel du « bien-être social », la composante liée au fonctionnement de l’individu dans la société14. Ce modèle cible les tâches et défis liés à l’actualisation de l’individu dans la sphère sociale selon cinq dimensions : cohérence sociale, actualisation sociale, intégration sociale, acceptation sociale et contribution sociale.

Le bien-être émotionnel (hédonique), le bien-être psychologique et le bien-être social (eudémonique) définissent le large spectre de la santé mentale. Bien que les dimensions hédonique et eudémonique de la santé mentale soient étroitement liées, elles ne sont pas redondantes tant conceptuellement qu’empiriquement15.

Les mesures de la santé mentale

Cette section propose une recension des échelles qui mesurent une ou plusieurs dimensions du bien-être ; elle permet une mise à jour de la recension des instruments de mesure du bonheur et du bien-être psychologique publiée par Bouffard et Lapierre16. Cette section présente également les échelles de mesure les plus couramment utilisées au Canada et ailleurs dans le monde pour évaluer le spectre complet de la santé mentale à partir des trois formes de bien-être (émotionnel, psychologique et social). La sélection des échelles de mesure s’appuie sur les conclusions des rapports de recherche présentés à Santé Canada17 et Statistique Canada18 par le second auteur, un expert des mesures de santé mentale.

Les mesures du bien-être émotionnel et de la qualité de vie

Il existe plusieurs instruments qui mesurent la satisfaction à l’égard de la vie, la QV et le bien-être émotionnel plus largement ; nous ne présenterons que les plus reconnus et validés17, 18.

L’indice unifié de bien-être australien (The Australian Unity Well-being Index)19 est un instrument mesurant la QV qui comprend deux échelles : le bien-être personnel et le bien-être national. L’indice de bien-être personnel inclut 9 items mesurés sur une échelle de 0 (très insatisfait) à 10 (très satisfait) qui évaluent la satisfaction générale à l’égard de la vie, le niveau de vie, la santé, la réussite dans la vie, les relations personnelles, la sécurité, le sens de la communauté, la sécurité, la spiritualité. Cette échelle a été utilisée dans de nombreux pays et validée dans plusieurs langues, ce qui permet les comparaisons entre diverses populations. L’indice du bien-être national mesure différents aspects de la QV sur le plan national (9 items). Trois items évaluent la situation économique, l’état de l’environnement et les conditions sociales. Cinq items mesurent la satisfaction de la distribution de richesse/revenu, les services de santé, le soutien de la famille et la confiance qu’ils ont en leurs concitoyens. La consistance interne de l’échelle est de 0,85. Finalement, deux items mesurent les tendances de la QV en demandant aux répondants si leur propre bien-être et le bien-être de leur pays vont s’améliorer.

L’échelle de satisfaction des domaines de vie (Satisfactions with life domains scale)20 comprend 20 items, mesurés sur une échelle de Likert à 7 points, regroupés en cinq sous-échelles : la vie quotidienne et les relations sociales, le milieu de vie, l’autonomie, les relations et les loisirs et un item mesurant la satisfaction générale à l’égard de la vie. Cette échelle a été adaptée et validée au Québec21 ; l’analyse factorielle a confirmé l’indépendance des 5 sous-échelles et la cohérence interne de l’échelle totale (α = 0,92) et des sous-échelles (α de 0,72 à 0,84) est excellente.

L’échelle de satisfaction de vie (Satisfaction with Life Scale)22 a été développée pour évaluer la satisfaction générale à l’égard de la vie. Elle comprend 5 items évalués sur une échelle de Likert à 7 points (1 = fortement en désaccord, 7 = fortement en accord). Les items sont les suivants : 1) En général, ma vie correspond de près à mes idéaux ; 2) Les conditions de ma vie sont excellentes ; 3) Je suis satisfait de ma vie ; 4) Jusqu’à présent, je l’ai obtenu les choses importantes que je veux dans la vie ; 5) Si je pouvais recommencer ma vie, je changerais presque rien. Les propriétés psychométriques de l’échelle ont été évaluées dans 25 études réalisées dans plusieurs langues et pays, dont en français au Québec ; tous les items se regroupent sur un même facteur et la consistance interne est élevée (α entre 0,79 et 0,89 selon les études)23.

Il existe également plusieurs instruments qui évaluent la satisfaction générale à l’égard de la vie à partir d’une seule question telle que : Comment êtes-vous satisfait de votre vie en général ?(Très satisfait, satisfait, ni satisfait ni insatisfait, insatisfait, très insatisfait). On retrouve ce type de question dans plusieurs grandes enquêtes et études nationales24-26. Il est très risqué d’évaluer la QV à l’aide d’une seule question, car aucun autre item ne permet de vérifier la fiabilité de la réponse. Il ne permet pas non plus de mesurer la satisfaction de la vie dans les domaines spécifiques. Dans une étude avec un échantillon de 400 personnes à Montréal, des chercheurs ont trouvé que la satisfaction à la vie évaluée par une seule question n’explique que 42 % de la variance du score total obtenu avec un instrument qui mesure la satisfaction dans les domaines spécifiques de la vie27. Ainsi, la question unique a son utilité pour évaluer la perception de la qualité globale de la vie, mais elle doit être complétée par des questions sur les domaines spécifiques de la vie (santé, travail, relation sociale, loisirs, voisinage, etc.) pour obtenir une évaluation globale de la satisfaction de la vie.

Les mesures du bien-être psychologique

L’échelle du bien-être psychologique (Psychological well-being scale)13 évalue le fonctionnement psychologique positif. Elle comprend six dimensions qui renvoient au « modèle du bien-être psychologique ». Chaque dimension consiste en une sous-échelle composée de 20 items évalués sur un continuum à 6 points allant de complètement en désaccord à complètement en accord. Le temps de passation est relativement long (45 min à 75 min). La consistance interne pour les sous-échelles est excellente (α varie entre 0,93 et 0,81). Cette échelle a été réduite à 42 items (six items par sous-échelles) ; elle est utilisée dans le monde entier et ses propriétés psychométriques ont été évaluées dans de nombreuses études populationnelles28. La plupart des études confirment l’excellence de la validité de contenu, de la validité convergente et divergente et sa fiabilité.

La mesure du bien-être social

L’échelle de bien-être social (The Social Well-Being Scale)14 permet de mesurer la prospérité des individus dans leur vie sociale. Il comprend 50 items, répartis en cinq sous-échelles, qui correspondent aux cinq dimensions du modèle de bien-être social ; le niveau d’accord est évalué sur une échelle à 7 points (1 = fortement en désaccord, 7 = fortement d’accord). Les propriétés psychométriques de l’instrument ont été évaluées auprès d’adultes américains ; les analyses factorielles confirmatoires soutiennent la structure à cinq facteurs qui correspondent aux cinq sous-échelles. La consistance interne (α) des sous-échelles varie entre 0,41 à 0,81.

Les mesures de la santé mentale

Ces échelles proposent une évaluation « globale » de la santé mentale ; elles intègrent à la fois les composantes hédonique et eudémonique du bien-être.

L’échelle de Mesure des Manifestations du Bien-être Psychologique(ÉMMBEP)29 est un outil de mesure, développé en français, composé de 25 items qui mesurent six dimensions qui vont au-delà du bien-être psychologique, malgré le nom de l’échelle : estime de soi (4 items) ; équilibre (4 items) ; engagement social (4 items) ; sociabilité (4 items) ; contrôle de soi et des événements (4 items) ; bonheur (5 items). Chaque item est évalué sur une échelle à 5 niveaux (1 = jamais, 5 = presque toujours). La structure interne à cinq facteurs a été confirmée et la consistance interne de l’instrument est excellente (α = 0.93). Cet instrument a été utilisé dans l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes-Santé mentale (ESCC-SM) en 200226. Il y a deux limites importantes avec cet instrument. Tout d’abord, les scores sont basés sur une échelle continue et il n’y a pas de point de coupure permettant de classer les répondants selon le niveau de bien-être (ex. : faible, modéré, élevé). Des analyses à partir des données de l’ESCC-SM 2002 ont montré que la distribution des scores est positivement asymétrique si bien que 75 % de l’échantillon a un score > 73 pour un score maximum de 10018.

Le Well-being Module of the European Social Survey (ESS)30 propose un ensemble d’indicateurs (54 items) qui mesurent le bien-être émotionnel, psychologique et social. Il comprend quatre sous-échelles : sentiments personnels, fonctionnement personnel, sentiments interpersonnels et fonctionnement interpersonnel. Il intègre deux méthodes complémentaires : des questions générales qui évaluent les sentiments de l’individu et le fonctionnement et des questions plus spécifiques qui portent sur les événements survenus au cours de la dernière semaine qui ont une influence sur les sentiments et le fonctionnement personnel et interpersonnel. Les items sont mesurés sur des échelles de 1 à 5, 1 à 6 ou 1 à 10, selon les sous-échelles. Des analyses de corrélations et des analyses factorielles exploratoires ont permis d’identifier dix dimensions qui reposent sur des aspects hédonique et eudémonique du bien-être : la compétence, la stabilité émotionnelle, l’engagement, le sens, l’optimisme, l’émotion positive, des relations positives, la résilience, l’estime de soi et la vitalité. L’instrument, utilisé dans l’Enquête sociale européenne– vague 3 auprès d’un échantillon représentatif de 43 000 personnes provenant de 23 pays européens, a permis de distinguer les populations selon leur niveau de bien-être. Ainsi le taux de bien-être florissant est de 41 % au Danemark et inférieur à 10 % en Slovaquie, en Russie et au Portugal30. À notre connaissance, il n’y a pas de données disponibles sur la consistance interne de l’échelle.

Le Multicultural Quality of Life Index (MQLI)31 mesure le bien-être dans sa globalité. Il comprend 10 items qui représentent les domaines suivants : bien-être émotionnel, bien-être psychologique, auto-soins physiques et fonctionnement indépendant, fonctionnement professionnel, fonctionnement interpersonnel, soutien social et émotionnel, services de soutien dans la communauté, épanouissement personnel, épanouissement spirituel et QV globale. Chaque item est mesuré sur une échelle à 10 points (1 = faible, 10 = excellent). Plusieurs études montrent que le MQLI a une cohérence interne et structure factorielle adéquate ; cet indice permet de distinguer des groupes avec différents niveaux de QV.31-33 Sa principale faiblesse provient du fait que chaque domaine est évalué à l’aide d’un seul item. Il n’a jamais été utilisé dans des études populationnelles ; ses propriétés psychométriques ont été évaluées uniquement avec de relativement petits échantillons.

Le Warwick-Edinburgh Mental Well-being Scale (WEMWBS)34 est un questionnaire autoadministré développé au Royaume-Uni auprès de la population générale. Il contient 14 items qui évaluent les dimensions hédonique et eudémonique du bien-être. Il utilise une échelle à 5 points mesurant la fréquence de différents états (0 = jamais, 5 = tout le temps). Il présente de très bonnes propriétés psychométriques évaluées dans plusieurs pays européens et est sensible au changement35, 36. Les analyses factorielles confirment la présence des deux facteurs (eudémonique et hédonique) et sa consistance interne est excellente (les α varient entre 0,87 et 93 selon les études).

Le Mental Health Continuum-Short Form2 propose une évaluation de la santé mentale qui intègre les trois formes de bien-être : émotionnel, psychologique et social. La version brève, composée de 14 items, est issue de la version originale qui compte 40 items. Les items sont évalués sur une échelle à 6 points (0 = jamais, 5 = tout le temps). Un score est calculé pour l’échelle totale (0-70) ; une classification en trois catégories distinctes est également proposée et permet de distinguer trois niveaux de santé mentale : florissante, modérée, languissante. Le MHC-SF a été traduit en plusieurs langues et des études de validation transculturelles ont été effectuées auprès d’adultes en Europe, en Afrique en Asie et Amérique3, 37-39. Récemment, une étude a permis d’évaluer les propriétés psychométriques de la version canadienne-française de l’outil.40 La structure interne à trois facteurs a été confirmée et correspond aux trois formes de bien-être (émotionnel, psychologique et social) ; les sous-échelles ont une consistance interne satisfaisante (α varient de 0,78 à 0,90), des valeurs similaires à celles observées dans d’autres études38, 39. Des études confirment l’invariance selon le sexe du MHC-SF38, 40. Enfin, les scores du MHC-SF ont été comparés à des échelles de symptômes anxieux et dépressifs ; les résultats de plusieurs études soutiennent le modèle à deux continuums, suggérant que la santé mentale et les troubles mentaux sont des construits distincts, mais corrélés, inversement3, 39, 40.

Les échelles spécifiques sont tout à fait pertinentes pour obtenir une mesure détaillée d’un aspect du bien-être en particulier (QV, bien-être social, etc.). Par ailleurs, pour rendre compte du niveau de santé mentale global, les échelles de mesure qui intègrent les différentes forment de bien-être (émotionnel, psychologique et social) sont plus appropriées. Parmi les mesures globales proposées, le WEMWBS et le MHC sont ceux qui ont été le plus abondamment utilisés auprès de diverses populations. Le MHC a l’avantage d’avoir été intégré à l’ESCC-SM 2012 de Statistique Canada ce qui rend possibles les comparaisons avec un échantillon représentatif de la population canadienne.

Les déterminants de la qualité de vie et de la santé mentale

Dans le but d’intervenir pour promouvoir la santé mentale, la première étape consiste à identifier les déterminants de la santé mentale pour pouvoir agir sur ces derniers. La vaste majorité des études ont évalué les variables associées ou prédictives de la QV ; très peu d’études portent sur les déterminants de la santé mentale globale, incluant les dimensions émotionnelle, psychologique et sociale. Les sections suivantes présentent des données empiriques sur les variables associées à la QV dans un premier temps. Par la suite, les déterminants de la santé mentale, opérationnalisée à l’aide d’une mesure qui intègre à la fois les dimensions hédonique et eudémonique du bien-être, sont présentés. Cette revue de la littérature n’est pas exhaustive ; les lecteurs sont invités à consulter les articles de références pour avoir des informations plus détaillées.

Les déterminants de la qualité de vie

Les facteurs sociodémographiques, le stress et les caractéristiques cliniques

Certaines études populationnelles et auprès de personnes atteintes de troubles mentaux ou de maladie mentale n’ont observé aucune association entre le sexe et la QV9, 41 alors que des recherches sur les patients en institution psychiatrique rapportent une QV plus élevée chez les femmes42. La plupart des études empiriques indiquent que les personnes mariées ont une QV plus élevée comparativement à celles qui sont célibataires, veuves ou divorcées43. La QV augmente avec l’âge44, 45, le niveau d’éducation et le statut socio-économique (SSE)46, 47, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que les situations plus positives de travail, telles avoir un emploi ou une meilleure rémunération, sont associée positivement à la QV8.

Le stress influencerait également la QV ; la théorie transactionnelle de gestion du stress48 est actuellement considérée comme le cadre explicatif le mieux démontré empiriquement pour expliquer cette association. Les événements stressants sont liés à la diminution de la QV49 ; à l’inverse, la réduction des facteurs de stress et une meilleure capacité de gestion du stress sont associées à une amélioration de la QV50. Le stress pourrait également expliquer le gradient observé entre le SSE et la QV, les populations à faible revenu étant exposées plus fréquemment à des événements stressants comparativement aux populations les plus riches51.

L’extraversion, un aspect de la personnalité, serait associée à une manifestation accrue d’affects positifs ce qui entraînerait une évaluation positive de la QV52. La détresse psychologique élevée et la dépression42, 53 sont associées à une QV inférieure ; par ailleurs, la réduction de la toxicomanie54 est associée à une amélioration de la QV. Les personnes qui perçoivent leur état de santé physique comme étant positif évalueraient plus favorablement leur QV55.

Les relations sociales et les caractéristiques du quartier

Plusieurs études ont identifié le soutien social comme l’un des plus importants facteurs associés à la QV53, 56, 57 et ce, en population générale et pour des populations plus spécifiques. La QV est liée non seulement à des caractéristiques socio-économiques personnelles, mais également au lieu de résidence et aux aspects du mésosystème associés à l’environnement local ; ceux-ci peuvent avoir un effet direct sur la QV, ou indirect, par l’entremise des facteurs individuels tels que le style de vie et la perception de la cohésion sociale du quartier58, 59. La défavorisation socio-économique de voisinage est bien établie comme un facteur lié à la maladie et à une QV inférieure, tant chez les populations pauvres que riches60. Le lien entre les quartiers défavorisés et la QV peut être expliqué en partie par la stabilité du voisinage, la mobilité résidentielle protégeant des effets négatifs de la pauvreté du quartier61, ou encore par le mode de vie, la cohésion sociale et le degré de contrôle social informel dans le quartier62. La perception positive du quartier et de son lieu de résidence (réputation du quartier, satisfaction à l’égard de son propriétaire, avoir sa propre maison et une maison en bon état, vivre dans un environnement attrayant, calme et paisible) influence favorablement le bien-être63, 64. À l’inverse, la présence de bâtiments abandonnés, le manque d’espaces verts, la forte densité d’habitations, les problèmes de voisinage perçus (ex. : la peur du crime), et les possibilités limitées de participation sociale dans le quartier sont associés à un faible niveau de bien-être63, 64.

Le portrait et les déterminants de la santé mentale

Les données de l’ESCC-SM 2012, recueillies auprès d’un échantillon représentatif de 25 113 personnes, indiquent que 76,9 %, 21,6 % et 1,5 % des Canadiens ont une santé mentale florissante, modérée et languissante, respectivement, selon le MHC-SF65. Par ailleurs, en utilisant le même outil de mesure de la santé mentale, une étude réalisée auprès d’un échantillon de 1 305 adultes québécois révèle que 57,8 % ont une santé mentale florissante, 39,2 % modérée et seulement 3 % ont une santé mentale languissante66. Les adultes qui ont un niveau élevé de santé mentale ont un meilleur fonctionnement psychosocial qui se traduit par des taux inférieurs de dépression majeure, d’anxiété généralisée, de trouble panique, de dépendance à l’alcool et de comorbidité67, moins de journées de travail manquées, moins de limitations de santé reliées aux activités de la vie quotidienne, moins de maladies chroniques et une plus faible utilisation des soins de santé68.

Les déterminants individuels de la santé mentale

Les femmes69, les personnes ayant un statut d’immigrant66, celles qui déclarent avoir une spiritualité qui donne un sens à leur vie66, 69, une meilleure capacité de pardon, avoir vécu peu ou pas d’expérience de traumatisme pendant l’enfance69, ainsi que les personnes ayant une perception d’une bonne santé mentale et des habiletés de gestion du stress66 auraient une meilleure santé mentale globale. Être âgé de 55 ans et plus, être retraité et avoir un SEE élevé ont également été identifiés comme des déterminants associés à une santé mentale élevée70. Une étude québécoise révèle cependant qu’un niveau d’éducation supérieur au primaire et avoir travaillé au cours des 12 mois derniers sont des facteurs inversement associés à un niveau de santé mentale élevé ; avoir un niveau d’éducation postsecondaire prédirait même une diminution de la santé mentale sur une période de deux ans66. Ces résultats surprenants pourraient s’expliquer par le fait que cette étude cible, entre autres, plusieurs quartiers défavorisés de Montréal. On peut faire l’hypothèse que les personnes plus instruites vivant dans un quartier défavorisé ont des attentes plus élevées que les personnes moins instruites, ce qui pourrait les conduire à évaluer négativement leur bien-être. En ce qui concerne la relation inverse entre le travail et la santé mentale, mentionnons que les participants à cette l’étude ont évalué le travail comme étant leur principale source de stress.

À l’inverse, un niveau de détresse psychologique élevé et avoir comme principale source de stress des difficultés financières sont des facteurs inversement associés à un niveau élevé de santé mentale66. Sur une période de deux ans, un niveau de détresse psychologique élevé prédit une diminution de la santé mentale, tandis qu’un niveau de santé mentale élevé et de bonnes habiletés de gestion du stress deux ans plus tôt favorisent une augmentation de la santé mentale66.

L’étude de Stewart-Brown et coll. distingue les déterminants de la faible ou mauvaise santé mentale, des déterminants d’un niveau de santé mentale élevée. Ils observent que le fait d’occuper un emploi, être marié et être âgé entre 35 à 54 ans, comparativement aux adultes plus jeunes, est associé à une diminution du risque de faible ou mauvaise santé mentale70.

Les déterminants sociaux et environnementaux de la santé mentale

Plusieurs composantes du soutien social (soutien émotionnel, confirmation de sa valeur, intégration sociale et soutien matériel) et de l’environnement (perception du quartier comme ayant de bonnes conditions physiques, une absence de désordre, une bonne participation sociale et cohésion sociale entre les résidents) sont associées à un niveau élevé de santé mentale66. Sur une période de deux ans, le soutien émotionnel, l’état physique du quartier et la cohésion sociale de ses résidents favorisent une augmentation de la santé mentale66.

Les déterminants génétiques de la santé mentale

Des facteurs génétiques seraient également associés à la santé mentale. Des chercheurs ont observé auprès de jumeaux monozygotes et dizygotes que les troubles externalisés (problèmes d’alcool et tabagisme) étaient modestement et négativement associés au bien-être et que cette association était largement expliquée par des facteurs génétiques71. Une association inverse élevée entre les troubles intériorisés (anxiété et dépression) et le bien-être, expliqué dans une large mesure par les facteurs génétiques, a également été identifiée71.

Cette dernière section sur les déterminants de la QV et de la santé mentale expose la diversité des caractéristiques individuelles, sociales et de quartier qui influencent le niveau de bien-être. Relativement peu d’études ont été publiées jusqu’à maintenant sur les déterminants de la santé mentale globale auprès de la population générale ; les études citées sont récentes, ont été réalisées avec de grands échantillons et incluent une grande diversité de déterminants. Par ailleurs, la possibilité de généraliser à toute la population les résultats de certaines études peut être limitée puisqu’elles ciblent des groupes spécifiques tels les étudiants universitaires69 ou les habitants de quartiers défavorisés66.

Les déterminants de la QV et de la santé mentale sont interreliés72 ; l’interaction complexe et cumulative de ces déterminants implique le recours à des stratégies globales de promotion de la santé mentale73. Les travaux de Margaret Barry, de Felicia Huppert ainsi que de récents rapports publiés par l’OMS sont particulièrement intéressants pour comprendre les enjeux liés à la promotion de la santé mentale. Ces auteurs discutent des stratégies pour agir sur les déterminants individuels, sociaux et environnementaux de la santé mentale dans le domaine de la santé publique et proposent des approches globales qui font appel aux politiques publiques notamment. Des références sont proposées dans la bibliographie.

Conclusion

La santé mentale dans sa dimension positive appelle à des stratégies de promotion visant l’amélioration du bien-être et de la santé mentale de la population. Une mesure de la santé mentale qui intègre les différentes composantes du bien-être est instructive, car elle permet d’apprécier le niveau global de santé mentale des individus, de réaliser des études permettant d’identifier les déterminants et les facteurs susceptibles de la renforcer, d’estimer le risque de développement de troubles mentaux et d’évaluer l’effet d’interventions visant à promouvoir, soutenir ou prévenir la perte de la santé mentale. Enfin, miser sur la santé mentale dans sa dimension positive, représente une stratégie fort prometteuse afin de lutter contre le fardeau grandissant des troubles mentaux dans la population générale.