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En 2005, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) s’est doté d’un Plan d’action en santé mentale (2005-2010) [PASM] (MSSS, 2005) en vue d’améliorer l’accès continu des personnes utilisatrices à une variété de services[1]. Pour ce faire, il a misé sur l’expérimentation de nouveaux modes de collaboration entre les intervenants ainsi que sur le développement de liens plus forts entre les établissements du réseau de la santé. Un autre objectif du PASM était de se rapprocher davantage des personnes utilisatrices de services de santé mentale [PUSSM] et de leurs proches. À cet effet, le PASM contient une directive très explicite : « Le MSSS, les Agences de la santé et des services sociaux (ASSS) ainsi que les Centres de santé et services sociaux (CSSS) devront s’assurer d’obtenir la participation des utilisateurs de services en santé mentale et de leurs proches dans tous les exercices de planification et d’organisation des services de santé mentale » (MSSS, 2005) (p. 16).

En 2012, le MSSS a produit une évaluation d’implantation de ce PASM. En ce qui concerne la directive liée à la participation, on convient, sans pour autant étayer le propos, que : « Le Plan d’action en santé mentale a contribué à rehausser la participation des personnes utilisatrices de services. Leur contribution est considérée comme un incontournable et souvent leur implication a des retombées positives sur l’organisation régionale des services en santé mentale. Cependant, en certains endroits, la participation des utilisateurs aux lieux décisionnels demeure encore difficile » (MSSS, 2012) (p. 1). La conclusion est encourageante mais ne dit rien sur la manière dont les PUSSM ont répondu à la directive du MSSS : ont-elles bien reçu cette directive ? Comment se sont-elles organisées pour y répondre et avec quel soutien l’ont-elles fait ? Plus globalement, quelles sont leurs contributions à l’organisation des services de santé mentale ? Voilà quelques-unes des questions qui sont ici traitées, et ce, à partir des résultats d’une étude qui avait pour objectif de dresser le bilan de la participation des PUSSM à la suite de l’adoption du PASM de 2005. Mais d’abord, faisons le point sur la participation publique dans le champ de la santé mentale.

Participation publique et santé mentale 

Dans les dernières décennies, la question de la gouvernance et de la participation du public au système de santé a reçu énormément d’attention. Il existe maintenant un important consensus voulant que la participation des citoyens soit souhaitable lorsqu’il s’agit de réformer les politiques de santé ou encore pour tout ce qui concerne la planification et l’organisation des services de santé (MacFarlane, 1996). La participation du public permet en effet d’assurer non seulement la responsabilisation des citoyens envers la chose publique (Delanty, 2000 ; Kymlicka & Norman, 1995 ; Steward, 1995 ; Strydom, 1999) mais aussi une gouvernance plus intègre des services de santé (Forest et al., 2000). Les avantages et les défis que pose la participation du public aux processus décisionnels ainsi que les caractéristiques des processus permettant d’influencer le système de santé ont été largement documentés (Bracht & Tsouros, 1990 ; Feather, McGowan, & Moore, 1994 ; Lilley, 1993 ; Rifkin, 1996). Pivik (2002) en dégage la synthèse suivante. Les avantages sont : des soins de santé reflétant davantage les besoins, les valeurs et la culture de la collectivité ; une prise de décision plus responsable et plus collée aux préoccupations des citoyens ; une utilisation plus efficiente des ressources ; une sensibilisation accrue aux enjeux de la santé ; un resserrement du maillage entre les dispensateurs de services et la collectivité ; un meilleur accès aux ressources locales et aux compétences citoyennes et, enfin, un sentiment accru de contrôle et de responsabilisation. Les principales difficultés de la participation publique seraient, en contrepartie, les différences de statut perçues entre les participants ; les processus jugés peu accessibles, la mauvaise communication, les définitions et les conceptions différentes de ce qu’est et de ce que doit être la participation, les intérêts contradictoires à participer, la divergence entre les buts exprimés et les exercices concrets de participation ; le manque de représentativité des participants et, enfin, les tensions attribuables aux rôles qu’on y joue (Lilley, 1993 ; Lord, 1989 ; Valentine & Capponi, 1989 ; Weaver & Pivik, 1997). En ce qui concerne plus spécifiquement les planificateurs de services de santé, il n’est pas rare que ceux-ci voient la participation publique comme une contrainte de temps ; les participants n’ayant pas la connaissance et la formation requises. À cela, il faut aussi ajouter les problèmes habituels à communiquer avec les populations marginalisées (Weaver and Pivik, 1997).

Le pouvoir des citoyens sur les décisions est un autre point de tension. Il a été maintes fois soulevé que les structures participatives traditionnelles ne permettaient pas d’apporter une contribution utile et réelle aux décisions prises, sans compter qu’au moment de participer, il n’est pas rare que les décisions soient déjà prises (Abelson & Gauvin, 2004 ; O’Hara, 1998).

En ce qui concerne plus spécifiquement la participation des personnes présentant des problèmes de santé mentale, il faut ajouter à ces ennuis les contraintes associées à leur condition ainsi qu’à la culture professionnelle et organisationnelle qui prévaut à leur égard (Hickey & Kipping, 1998). Ces dernières sont en effet souvent perçues comme étant trop émotives pour participer aux processus décisionnels (Kent & Read, 1998) ou, encore, n’ayant pas les connaissances nécessaires pour le faire ; on les voit comme des observateurs plutôt que comme des acteurs.

Pour le mouvement des usagers en santé mentale, la participation publique est un exercice souhaité et leur apparaissant tout à fait nécessaire ; elle est « un levier de changement des rapports de pouvoir et un moyen d’émancipation » (Chamberlain, cité dans Gagné & Godrie, 2010) (p. 41). De plus, elle concourt au développement du sens civique et à l’apprentissage de la démocratie (Thibault, Lequin, & Tremblay, 2000) ainsi qu’au renforcement du pouvoir d’agir (Gagné & Godrie, 2010).

Au Québec, les travaux de recherche consacrés à la participation des PUSSM rapportent des résultats en demi-teintes (Clément & Bolduc, 2009 ; Clément, Rodriguez del Barrio, Gagné, Lévesque, & Vallée, 2012 ; Gagné, Clément, Godrie, & Lecomte, 2013 ; Vallée, Lévesque, & Clément, 2012). Par exemple, Clément et Bolduc (2009 : 21) concluent, à la suite de plusieurs observations dans des sites de participation, que la crédibilité et l’apport des PUSSM sont à certains égards « équivoques ». En fait, si on leur manifeste beaucoup de respect et que l’on demeure attentif à ce qu’ils disent, leurs propos n’engagent pas de réels dialogues sur les enjeux discutés. Pour les auteures, « ce n’est pas tant leur influence sur les décisions qui est tangible, mais plutôt la prise en considération de leurs préoccupations » (Clément et al., 2012) (p. 28). De leur côté, Gagné et coll. (2013) concluent que dans les activités de participation, les PUSSM ont principalement une fonction de témoignage et d’appréciation des services alors que ce qu’ils souhaiteraient, c’est de s’exprimer « en amont de l’organisation des services, plutôt que d’entériner après coup des décisions déjà prises » (p. 71).

Plusieurs de ces constats rejoignent les résultats de travaux réalisés dans d’autres pays occidentaux faisant également la promotion de la participation des PUSSM, notamment l’Angleterre (Departement of Health, 2005, 2009), l’Australie (AHMC, 2009), l’Écosse (Scottish Governement, 2009), les États-Unis (Surgon General, 1999) et la Nouvelle-Zélande (Minister of Health, 2005). Une étude menée Royaume-Uni révèle également que malgré les efforts pour mettre en place des stratégies visant à accroître la participation des PUSSM, on ne rencontre à peu près jamais les standards nationaux exigés par le gouvernement (Crawford et al., 2003).

Dans presque tous les pays où des dispositifs de participation sont implantés, la notion de « participation » n’a pas été définie. Ainsi, lorsque l’on a recours à la notion de participation des PUSSM dans les politiques publiques de santé, on ne précise pas les processus à mettre en place, l’intensité de la participation attendue, les acteurs impliqués de même que les finalités en jeu (Ridley & Jones, 2004). Chacun y va de sa propre définition (Blondiaux & Sintomer, 2002). À l’échelle internationale, il y aurait aussi une évidence à l’effet que la participation publique des PUSSM ne se traduirait pas par une réelle redistribution du pouvoir (Ridley & Jones, 2004). En fait, le problème en serait un de désavantage structurel (McDaid, 2009). Du reste, son influence sur la planification et l’organisation des services serait des plus ténues (Simpson & House, 2002) quoique, pour certains chercheurs, on ne disposerait pas encore de suffisamment d’études sur l’efficacité de la participation pour en tirer des conclusions significatives (Carr, 2004 ; Rose, Fleischman, Tonkiss, Campbel, & Wykes, 2003) et tout particulièrement en ce qui a trait aux changements qui seraient introduits dans la planification et l’organisation des services de santé mentale (Mockford, Staniszewska, Griffiths, & Herron-Marx, 2012). Presque partout, également, la question du manque de représentativité des PUSM est reconnue comme étant une barrière importante à leur participation (Crawford et al., 2003). En contrepartie, presque partout également, ce qui apparaît le plus favorable à la participation, ce sont les attitudes positives des gestionnaires et du personnel envers les PUSSM (Crawford et coll., 2003).

Dans l’ensemble, on connaît donc assez bien les avantages et les inconvénients de la participation publique en santé mentale. Ce que l’on connaît moins bien, a contrario, c’est la manière dont les PUSSM se mobilisent et s’organisent pour prendre part aux dispositifs de participation. C’est là, précisément, l’intérêt des résultats de recherche présentés ici.

Une recherche initiée par et coréalisée avec les PUSSM

C’est à l’initiative du Comité citoyen de l’Alliance internationale Recherche-Université-Communauté – Santé mentale et Citoyenneté [ARUCI-SMC] que le bilan sur la participation des PUSSM dans les suites de l’adoption du PASM a été réalisé. L’Alliance internationale est un regroupement de chercheurs, d’organismes partenaires des secteurs communautaires et publics ainsi que de PUSSM provenant du Québec et du Brésil. L’Alliance, appuyée financièrement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, a pour but de produire des connaissances pertinentes tant sur le plan scientifique que sur le plan de l’amélioration des pratiques, des services et des politiques de santé mentale, et ce, de manière à assurer aux personnes vivant avec des problèmes de santé mentale l’accès au plein exercice de leur citoyenneté. Cet engagement se manifeste, entre autres choses, par la mise en oeuvre de recherches novatrices centrées sur la perspective des PUSSM. Le volet québécois de l’Alliance internationale a dans sa structure de fonctionnement un comité citoyen composé uniquement de PUSSM et dont le mandat est d’assurer la prise en compte de leur point de vue et de leur participation active dans les différents lieux, activités et orientations de l’Alliance internationale (ARUCI-SMC, 2011). C’est dans ce contexte que le comité citoyen a jugé nécessaire de financer une étude permettant de dresser le portrait québécois de la participation des PUSSM dans les suites de l’implantation du PASM. Pour réaliser l’étude, des chercheurs et des membres du comité citoyen ont travaillé ensemble à l’élaboration d’un devis de recherche ainsi qu’à la réalisation comme telle de la recherche.

Méthodologie

Deux étapes distinctes ont été franchies pour réaliser l’étude. Une première avait pour objectif d’explorer à l’échelle du Québec, auprès des dix-huit responsables régionaux du dossier « santé mentale » des ASSS, quelles étaient les principales initiatives de participation dans leur région respective. Cette première étape a permis de relever douze régions actives sur le plan de la participation des PUSSM. Ces dernières ont par la suite été invitées à procéder à un examen plus approfondi de leur dynamique participative. Toutefois, seulement onze régions ont accepté notre invitation, soit : Bas-Saint-Laurent (01), Saguenay-Lac-Saint-Jean (02), Québec (03), Mauricie-Centre-du-Québec (4), Estrie (05), Montréal (06), Chaudière-Appalaches (12), Laval (13), Lanaudière (14), Laurentides (15) et Montérégie (16).

Constitution de l’échantillon

Dans chacune des régions, trois catégories d’acteurs ont par la suite été recrutées : une PUSSM, un gestionnaire du milieu de la santé et un acteur clé. Ce dernier pouvait aussi bien être une PUSSM, un gestionnaire ou un intervenant des milieux communautaires et institutionnels ; l’important ici étant d’être une personne ayant été activement impliquée dans la mise en oeuvre de la directive du PASM, et ce, sur une période de temps suffisamment longue pour pouvoir dégager un portrait vraisemblable de la situation régionale.

Les acteurs clés ont d’abord été recrutés par les répondants régionaux du dossier « santé mentale ». Une fois ceux-ci recrutés, ils ont été à leur tour invités à identifier une PUSSM et/ou une personne appartenant au milieu institutionnel (ASSS ou CSSS) et qui, en raison de son expérience de participation, leur apparaissait être une bonne candidate pour l’étude. Enfin, si la personne ainsi identifiée était une PUSSM, nous lui demandions de nous indiquer une personne du milieu institutionnel répondant à ce même critère d’expérience ; s’il s’agissait d’une personne du milieu institutionnel, nous lui demandions d’identifier une PUSSM.

Au total, 35 personnes ont participé à l’étude, soit 11 acteurs clés, 11 personnes provenant du milieu institutionnel (intervenants ou gestionnaires) et 13 PUSSM. Notons que deux autres PUSSM se sont ajoutées à l’échantillon de départ en raison des connaissances particulières qu’elles avaient des situations étudiées.

Tableau 1

Répartition des participants interrogés en fonction de leur provenance et de leur statut

Répartition des participants interrogés en fonction de leur provenance et de leur statut

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Collecte des données

Pour dresser l’état de situation sur la participation des PUSSM, on s’est inspirée du modèle d’évaluation réaliste (Monnier, 1992). Il s’agit d’un modèle pluraliste qui procède par rapprochement systématique de plusieurs points de vue particuliers afin d’obtenir une information fiable. La collecte de données s’est réalisée par entrevues semi-dirigées entre mai et novembre 2011.

Les 35 entrevues ont été résumées dans une grille d’analyse structurée autour des thèmes explorés. Les catégories de contenu ont par la suite été intégrées dans le logiciel NVivo 9 et analysées en profondeur. Pour chacune d’elles, des sous-thèmes ont été créés, nous permettant ainsi de raffiner le portrait de la participation des PUSSM aux instances de planification et d’organisation des services de santé mentale. Le processus de codification qui a suivi s’est réalisé selon l’accord interjuge, c’est-à-dire en fonction d’un accord entre deux personnes sur la nature de la classification faite relativement à chacun des énoncés.

Les résultats

Les résultats discutés à la présente section proviennent d’un certain nombre de thèmes explorés lors des entrevues, notamment ceux concernant la réponse des PUSSM à la directive du PASM à propos de la participation ainsi que la manière dont elles se sont organisées et ont été appuyées pour y répondre.

La directive du PASM : réception, application et malaise

Comment la directive du PASM visant la participation des PUSSM et de leurs proches à tous les exercices de planification et d’organisation de services de santé mentale a-t-elle été reçue ? Nul doute que sur ce point, il existe un très large consensus ; la directive était souhaitable même si, pour plusieurs, elle n’a rien ajouté aux orientations déjà en place dans plusieurs régions du Québec. En marge de ce consensus, certains répondants se sont toutefois montrés critiques en ce que pour eux la directive est le reflet d’« une [importante] déresponsabilisation de l’État liée à un enjeu monétaire » (PU-13)[2].

Mais plus encore, si la directive est jugée nécessaire, beaucoup lui reprochent son caractère vague et indéfini. Qu’attend-on vraiment des PUSSM ? On ne le sait pas. Comment doivent-elles prendre part aux exercices de participation ? On n’en sait guère davantage. En somme, ni les PUSSM ni le milieu institutionnel ne s’y retrouvent vraiment.

Je cherche encore [la signification de la directive]. Ça manque de clarté et parfois on se demande si le MSSS voulait vraiment dire quelque chose ! De plus, l’absence d’indicateurs, de directives, de cibles à atteindre, d’objectifs en lien avec la participation ne permettait pas de bien se représenter ce qu’on attendait des personnes utilisatrice. »

AC-COM-6

La directive omet également de préciser à qui revient la responsabilité d’organiser la participation. Aux établissements ? Aux groupes communautaires ? Aux PUSSM ? Faute de précision ici, on y reviendra, la responsabilité a presque exclusivement été assumée par le milieu communautaire.

Sur un tout autre plan, il importe de souligner que si l’idée de faire participer les PUSSM ne semble pas avoir eu de véritables opposants, le degré d’actualisation de la directive se révèle variable selon les régions, y compris à l’intérieur d’une même région.

L’ouverture à la participation est différente d’un secteur à un autre. On n’est pas tous au même endroit, on n’est pas tous à la même place et puis on n’a pas tous la même définition de la participation non plus.

MI-5

L’implantation du PASM, en contrepartie, aura été un levier important pour l’émergence et la structuration de regroupements de PUSSM, et ce, dans plusieurs régions du Québec. En mettant de côté les comités d’usagers des établissements de santé qui relèvent d’une organisation locale, avant 2005, seulement deux régions du Québec possédaient un regroupement de PUSSM. Aujourd’hui, on en retrouve dans onze régions et ceux-ci se structurent en quatre types distincts d’organisations : le Cadre de partenariat, le Projet montréalais de représentation, l’Association des PUSSM de la région de Québec (APUR), le Collectif en santé mentale des Laurentides. Ces regroupements régionaux se composent tous de personnes vivant avec un problème de santé mentale, et ce, de manière à pouvoir échanger entre elles, s’informer, débattre, prendre position, défendre leurs intérêts et assurer leur représentation dans les dispositifs où elle est requise. Enfin, il importe de souligner que depuis 2007, il existe également une association provinciale de PUSSM : les Porte-voix du rétablissement. Le Tableau 2 présente les principales caractéristiques des regroupements de PUSSM au Québec.

Tableau 2

Les régions étudiées selon le type de regroupement de personnes utilisatrices, le niveau de représentation des regroupements, le financement et l’organisme parrain[3]

Les régions étudiées selon le type de regroupement de personnes utilisatrices, le niveau de représentation des regroupements, le financement et l’organisme parrain3
4

Le « Cadre de partenariat » est le modèle de participation que l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) a proposé au MSSS en vue de rendre effective la participation des PUSSM telle que proposée par le PASM. En 2006, le ministère de la Santé et des Services sociaux a approuvé la mise en place de ce Cadre de partenariat dans les différentes régions du Québec et, à partir de ce moment, a accordé un financement pour assurer la coordination provinciale du projet. En 2012, le financement de la coordination provinciale a cessé.

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Les modalités de participation

Les modalités de participation des PUSSM aux dispositifs de planification et d’organisation des services de santé mentale ont été analysées à partir de trois dimensions : les lieux de participation, le soutien à la participation et la prise de parole dans les lieux de participation.

Les lieux de participation

Les PUSSM participent aussi bien aux instances locales qu’aux instances régionales de planification et d’organisation des services. Dans certaines régions, elles sont davantage impliquées sur le plan régional, dans d’autres, sur le plan local. On notera cependant que dans les suites du projet de loi 25 et de la mise en place des Réseaux locaux de services (RLS), et plus spécifiquement encore dans le contexte de l’élaboration des projets cliniques des CSSS, on a assisté à une importante mobilisation des PUSSM sur le plan local, mobilisation que l’on prend parfois plaisir à qualifier d’« âge d’or » de la participation en santé mentale, mais qui a connu par la suite un important déclin.

Sur un mode consultatif, il n’est pas rare que les PUSSM soient aussi invitées à siéger aux tables de concertation régionale, à des journées d’évaluation concernant les services de santé mentale ou, encore, à des comités créés relativement à des dossiers plus spécifiques tels que les droits, le suicide ou le logement.

Si, depuis l’avènement du PASM, les circonstances et les secteurs de participation ont connu une croissance importante, il n’en demeure pas moins que dans toutes les régions du Québec, certains lieux et certains échelons de participation ne sont toujours pas investis de la présence de PUSSM. Il importe par ailleurs de souligner que bon nombre d’occasions de participation sont redevables aux efforts et aux pressions exercées par les PUSSM elles-mêmes ou, encore, à ceux des organismes communautaires qui les soutiennent. C’est de ce côté, en effet, que la responsabilité d’organiser la participation a été très largement assumée.

L’obligation reviendrait vraiment aux CSSS de solliciter les personnes utilisatrices, car en faisant nous-mêmes tout ce démarchage, on leur donne la chance de nous dire non alors que ce devrait être eux qui nous sollicitent. L’objectif [de la directive] devrait être formulé de façon telle qu’il devrait courir après nous et non le contraire pour avoir la représentation des personnes utilisatrices.

AC-COM-5

Le soutien à la participation

Pour assurer la participation des PUSSM, diverses mesures de soutien sont déployées. Le soutien technique, la formation à la participation et le soutien psychologique sont habituellement fournis par les regroupements de PUSSM. Pour les accompagner dans ce mandat, la plupart des regroupements bénéficient du soutien d’un organisme communautaire de leur milieu (organisme parrain).

Le soutien financier à la participation provient quant à lui des ASSS des différentes régions. Celui-ci est distribué directement aux regroupements de PUSSM ou, encore, aux organismes communautaires qui les soutiennent. Les allocations ainsi obtenues servent à payer un salaire à la personne qui assure la coordination du regroupement ainsi que pour le remboursement des frais occasionnés par la participation des PUSSM. Dans certaines régions, ce financement s’avère très difficile à obtenir, demeure non suffisant et est non récurrent.

À propos du soutien à la participation, plusieurs répondants se sont montrés très critiques en affirmant que le milieu institutionnel se fierait beaucoup trop souvent et trop facilement au communautaire pour organiser la participation des PUSSM. Selon eux, le soutien devrait en effet être une responsabilité partagée avec le milieu institutionnel. On regrette également que ce dernier soit peu enclin à adapter l’organisation des réunions et leur rythme à la réalité des PUSSM (temps de parole, disponibilité des documents à l’avance, communiqué par voie postale et pas seulement par courriel, etc.).

La prise de parole et les revendications

Les principaux thèmes sur lesquels les PUSSM interviennent dans les dispositifs institués de participation sont présentés au Tableau 3. Mis à part les « projets cliniques » qui, comme on le mentionnait plus tôt, sont associés à l’ « âge d’or » de la participation, ce qui semble le plus préoccuper les PUSSM n’est pas tant l’organisation comme telle des services que l’hébergement, le travail et les droits.

Tableau 3

Thèmes discutés dans les lieux de participation selon le nombre de répondants

Thèmes discutés dans les lieux de participation selon le nombre de répondants

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Lorsqu’il est question de services, ce sur quoi les PUSSM se prononcent le plus a trait au besoin de disposer de plus d’information sur le traitement de la maladie et sur ce qui peut favoriser le rétablissement : « Les utilisateurs veulent parler de ça… Peu d’ouverture, de ce côté, on est dans une dynamique de vieille psychiatrie » (AC-COM-5). On se préoccupe aussi des services pour les personnes qui présentent des troubles persistants ainsi que, pour le contexte plus spécifique des hôpitaux, de la fermeture des fumoirs, des heures de visites, du port de la « jaquette » et des portes à verrouillage automatique.

Les dispositifs de participation sont aussi des lieux où se discutent les opportunités et les conditions elles-mêmes de la participation. Le cas échéant, on revendique le fait d’être plus présent dans les lieux où se prennent les décisions, l’accès à une personne ressource, une rémunération pour les heures investies dans les activités de participation.

En somme, on discute de beaucoup de choses dans les dispositifs de participation et pas seulement relativement à la planification et à l’organisation des services de santé mentale. Les facteurs influençant la participation figurent aussi aux nombres des préoccupations portées par les PUSSM.

Les facteurs d’influence de la mise en oeuvre de la participation

Depuis l’implantation du PASM, nous avons eu l’occasion de le préciser, la participation des PUSSM s’est développée de manière inégale à l’échelle du Québec, y compris à l’intérieur d’une même région. Six facteurs expliqueraient ce phénomène. Un premier serait la personnalité, c’est-à-dire l’ouverture aux processus participatifs et les convictions de la personne attitrée au dossier de la santé mentale dans la région. On a rapporté que ce qui avait été garant du développement de la participation des PUSSM dans certaines régions n’était rien d’autre que le changement de gestionnaire à l’ASSS

Les préjugés à l’égard des PUSSM, la croyance en une philosophie de prise en charge plutôt que d’empowerment, l’incapacité du milieu institutionnel à remettre en question sa position de pouvoir sont d’autres facteurs reconnus comme nuisant à la participation des PUSSM. À cela, il faut aussi ajouter le peu de crédibilité qu’il leur est parfois concédé : « Ils s’imaginent toujours qu’en santé mentale, la personne a été hospitalisée la semaine d’avant, ils voient le risque que ça désorganise les rencontres et que la personne soit hors sujet. »

La personnalité et les compétences des PUSSM influenceraient elles aussi la possibilité et la qualité des exercices de participation. On pense ici, par exemple, à la préparation ou non qu’elles consacrent aux réunions, à leur image (ponctualité, propreté), aux efforts qu’elles fournissent ou non pour comprendre l’organisation du système de santé ainsi qu’à leurs habiletés communicationnelles. Leur maturité et leur stabilité émotive oeuvrent également à faire de la participation une expérience réussie. On estime enfin que les PUSSM doivent avoir un recul relativement à leur situation personnelle et être capables de participer au débat à partir d’une vision qui les dépasse, qui soit plus collective.

Mais, plus encore que les traits de personnalité et les compétences des acteurs, ce qui aurait préséance sur tous les autres facteurs est l’octroi d’un financement permettant de compenser les frais de transport, de garderie ainsi que le temps investi comme tel à participer. Cela ne doit pas occulter le fait, cependant, que même lorsqu’il y a financement, celui-ci n’est pas forcément adéquat ni même obtenu sur une base récurrente, ce qui rend instables et contingentes les activités de participation.

On se rappellera enfin que seulement onze régions ont été documentées par notre étude. Ce que nous n’avons pas dit à propos de ces régions, c’est qu’elles possédaient toutes un regroupement de PUSSM. On peut donc supposer que là où il y a présence d’un tel regroupement – lequel se charge de la formation, du soutien et de l’intégration des PUSSM –, il y a également un plus grand dynamisme sur le plan de leur vie participative.

Les expériences passées de participation sont un autre facteur susceptible de favoriser ou de nuire à l’organisation de la participation des PUSSM. On a rapporté que là où les expériences antérieures de participation s’étaient révélées non concluantes, il était courant d’avoir à conjuguer avec les résistances des gestionnaires et du personnel de l’établissement lorsqu’ils acceptaient, le cas échéant, de se prêter au jeu. À l’inverse, là où il y a des histoires positives de participation, les gestionnaires et le personnel collaboreraient beaucoup mieux. De même, le fait que l’on ait déjà pris en considération les opinions des PUSSM lors d’événements participatifs, par exemple dans la définition des priorités régionales, devient pour ces dernières un mobile de plus pour continuer à s’impliquer. A contrario, si les opinions et les revendications ne sont jamais prises en compte, il y a un risque que la participation perde de son sens et que les gens se démotivent.

Remarques conclusives

Au terme de cet état de situation, il convient de rappeler les principaux points à retenir. Soulignons d’abord que la directive du PASM – celle qui insistait pour que les PUSSM soient désormais impliquées dans tous les exercices de planification et d’organisation des services de santé mentale - a été bien reçue par l’ensemble des parties prenantes. Elle a, en outre, eu l’effet heureux de permettre le déploiement et la régionalisation des activités de participation. De même, les PUSSM ont su profiter de cette mouvance pour se doter de regroupements régionaux leur permettant d’agir collectivement dans les dispositifs institués de participation.

Bien que vertueuse dans sa formulation, la directive du PASM n’en demeure pas moins vague et imprécise comme nous l’avons vu, ce qui est source de certaines incompréhensions. Par exemple, elle ne précise pas ce qui est couvert par la notion de participation, ce qui est attendu de l’implication des PUSSM ou encore à qui revient la responsabilité d’organiser la participation. Enfin, on n’a prévu aucun budget ou reddition de comptes. Sur tous ces points, le Québec ne fait donc pas exception ; il rencontre lui aussi les mêmes difficultés auxquelles se heurtent la plupart des pays qui se sont donné des politiques publiques de santé mentale encourageant la participation des PUSSM (Pivik, 2002 ; Ridley et Jones, 2004).

Tout cela, finalement, laisse croire que le verbe « assurer » dans la directive - « Le MSSS, les Agences de la santé et des services sociaux (ASSS) ainsi que les Centres de santé et services sociaux (CSSS) devront s’assurer d’obtenir la participation d’usagers » - n’était pas suffisamment affirmatif pour insuffler une direction claire. Il en a résulté une compréhension et une application fort diversifiées de ce que devait être la participation dans les différentes régions du Québec, y compris dans les différents ordres d’organisation des services d’une même région. Tantôt, on lui a donné une signification si étroite que la participation des PUSSM n’a servi qu’à alimenter une mise en scène de la démocratie sanitaire. Ailleurs, on a en contrepartie cherché à faire de la participation un espace authentique de débat et mobiliser, à cette fin, les moyens matériels et financiers nécessaires.

Il ne suffit donc pas que les institutions acceptent le principe de se laisser interroger par les personnes qui ont recours à leurs services et reconnaissent que ces dernières, en vertu de leur expérience vécue, sont capables d’émettre des opinions pertinentes sur la vie collective, les fonctionnements et les règlements institutionnels. Pour que la participation des personnes utilisatrices de services devienne réelle, il faut plus que des principes. Il faut de la volonté, de l’engagement et des moyens concrets pour la soutenir, sans quoi, elle peut aussi devenir un vecteur de renforcement et de répétition des inégalités. Ici comme ailleurs, entendre la voix des marginalisés, de ceux qui éprouvent souvent de la difficulté à s’exprimer en public, de ceux qui ne maîtrisent pas toujours le discours argumenté, l’information technique et la rhétorique est, et continue d’être, un défi de tous les moments… C’est la raison pour laquelle on ne peut laisser au hasard l’organisation et le soutien de leur participation.