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Le trouble de personnalité limite (TPL) est une psychopathologie sévère qui affecte environ 1,60 % (American Psychiatric Association [APA], 2013) de la population générale en Amérique du Nord. La prévalence du TPL dans les services de santé de première ligne serait d’environ 6 %, soit près de quatre fois supérieure à ce qui est observé dans la population générale (Gross et al., 2002). Le taux de prévalence augmenterait à 10 % parmi les personnes qui reçoivent des services de consultation externe en psychiatrie et à 20 % chez les personnes hospitalisées en psychiatrie (APA, 2013). Caractérisé par une instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects, ainsi que par une impulsivité marquée (APA, 2013), ce trouble engendre une grande détresse personnelle et familiale et se solde dans presque 10 % des cas par un suicide complété (Bateman et Fonagy, 2006). Les passages à l’acte autodestructeurs, le mode de vie instable et les nombreuses difficultés psychosociales des personnes présentant un TPL ont pour conséquence une utilisation accrue des services de santé (Dawson, 1993).

L’émergence du TPL et son évolution

Les connaissances actuelles semblent indiquer que les facteurs de risque du TPL remontent à l’enfance. Plusieurs facteurs de risque psychosociaux tels que l’abus (p. ex., émotionnel, verbal, physique et sexuel), la négligence (p. ex., des soins physiques de l’enfant, retrait émotionnel des parents, déni des besoins émotifs de l’enfant, manque de protection de la part des parents), les séparations multiples, le divorce des parents, ainsi que la criminalité, les traumatismes et les troubles des parents sont ciblés par la recherche sur l’étiologie du TPL (Battle et al., 2004 ; Bradley, Conklin et Westen, 2005 ; Johnson, Smailes, Cohen, Brown et Bernstein, 2000 ; Kernberg, 1990 ; Paris, 2000 ; Rogosch et Cicchetti, 2005).

Des données empiriques concernant l’évolution des traits de personnalité chez l’enfant appuient une certaine stabilité temporelle. En effet, une méta-analyse réalisée par Roberts et Del Vecchio (2000) indique que la continuité des traits de personnalité est modérément stable au cours de la vie (de 3 à 59 ans). Par ailleurs, il apparaît que les enfants présentant des traits particulièrement inadaptés demeurent vulnérables au développement d’un trouble de personnalité (TP) à l’âge adulte (De Clercq, van Leeuwen, van den Noortgate, De Bolle et De Fruyt, 2009). Les traits de personnalité limite semblent également persister de l’enfance à l’adolescence (Zelkowitz et al., 2007) et de l’adolescence à l’âge adulte (Winograd, Cohen et Chen, 2008). En outre, les symptômes dits borderline chez les adolescents sont associés aux mêmes symptômes chez l’adulte, au diagnostic de TPL, à l’altération générale du fonctionnement et au besoin de services psychiatriques (Winograd et al., 2008).

Conséquemment, plusieurs auteurs rappellent la nécessité de réaliser davantage d’études prospectives et longitudinales (p. ex., Crick, Murray-Close et Woods, 2005 ; Paris, 2000) et d’étoffer les connaissances relatives au développement, chez les enfants d’âge scolaire, de traits de personnalité pouvant être associés aux caractéristiques du TPL à l’âge adulte. En effet, compte tenu de la sévérité des répercussions associées à ce trouble et à son étiologie, il importe de s’intéresser à l’émergence des traits de personnalité limite dès l’enfance afin de favoriser la prévention et l’intervention en bas âge. Le développement d’instruments de mesure permettant d’identifier chez les enfants des traits de personnalité pouvant être associés à des précurseurs du TPL tel qu’il se manifeste à l’âge adulte revêt donc un intérêt crucial. Or, peu d’instruments ont été développés dans le but d’explorer les traits de personnalité limite chez l’enfant et l’adolescent, restreignant ainsi les perspectives de recherche.

Controverse entourant le diagnostic de TPL chez les enfants et les adolescents

Une étude menée par Griffiths (2011) auprès de pédopsychiatres anglais démontre que seul 2 % de ces spécialistes estiment que le diagnostic de TPL est valide chez les enfants, soulignant notamment l’absence d’instruments permettant d’identifier des traits de personnalité pathologiques dans l’enfance. Toutefois, Tackett et Sharp (2014) estiment que les récentes recherches sur le plan de la psychopathologie et du développement convergent vers la possibilité d’observer des manifestations de l’ordre du TP dès l’enfance et lors de l’adolescence. Par ailleurs, depuis plusieurs années déjà, certains auteurs[1] (p. ex., A. Freud, 1988 ; P. Kernberg, 1990 ; Pine, 1986) ont proposé des modèles théoriques tenant compte du développement et qui situent l’apparition de certaines formes de cette psychopathologie dès l’enfance. Bien qu’ils soient fondés sur une vaste expérience clinique, les modèles proposés par ces auteurs n’ont pas été vérifiés empiriquement.

Dans un document concernant les changements proposés pour la classification des TP, disponible sur le site internet de la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) avant sa récente publication, l’APA (2012) avait annoncé l’utilisation d’un modèle de classification hybride, de nature à la fois dimensionnelle et catégorielle, de la personnalité. Les cliniciens auraient alors été en mesure de décrire la personnalité du patient, qu’il ait un TP ou non, en se basant sur l’altération du fonctionnement de celle-ci et sur la présence des traits de personnalité pathologiques. Bien qu’encore centré sur l’évaluation des adultes, ce modèle aurait permis d’identifier un fonctionnement déficitaire de la personnalité et des traits de personnalité pathologiques chez les enfants et les adolescents, sans pour autant leur poser un diagnostic de TPL, tout en considérant les aspects relatifs au développement normal (APA, 2013). Pourtant, le modèle hybride d’abord envisagé n’a pas été retenu lors de la publication du manuel. Le DSM-5 (APA, 2013) propose en fait deux modèles distincts de compréhension et de classification des TP, soit un modèle dimensionnel et un modèle catégoriel[2]. Le modèle dimensionnel est présenté dans une section différente du manuel comme étant une façon alternative de comprendre les TP. Quatre dimensions sont considérées pour évaluer le fonctionnement déficitaire de la personnalité du patient, tandis que sept traits de personnalité sont identifiés comme étant pathologiques. Le modèle catégoriel, quant à lui, requiert les mêmes critères diagnostiques pour le TPL que la version précédente. Par ailleurs, il stipule que ce trouble n’apparaît qu’au début de l’âge adulte et déconseille le diagnostic chez les individus de moins de 18 ans.

Considérant les facteurs étiologiques du TPL, il est possible de supposer que les premières manifestations de traits de personnalité pathologiques surgissent pendant l’enfance. Certains patrons de comportement s’approchant du TPL pourraient alors être identifiés durant cette période et se révéler des précurseurs du trouble à l’âge adulte (Crick et al., 2005). Cette perspective permettrait de pallier les dilemmes éthiques qui sont associés aux positions extrêmes concernant le fait de poser ou non un diagnostic de TPL chez les enfants et les adolescents. D’une part, le fait de poser un diagnostic pendant l’enfance permettrait d’intervenir précocement dans le but d’éviter la cristallisation du trouble. D’autre part, ce geste pourrait donner lieu à la stigmatisation de l’enfant dans une période de la vie où de nouvelles réorganisations de la personnalité et l’influence de son entourage pourraient encore altérer le cours de son développement sur le plan psychologique. Il est donc possible de proposer une vision alternative relativement à la controverse entourant le diagnostic de TPL chez les enfants et les adolescents, soit l’évaluation des traits de personnalité et des comportements problématiques pouvant être associés au TPL tel qu’il se manifeste à l’âge adulte, tout en tenant compte des aspects relatifs au développement de l’enfant (Dubé et al., 2013).

Le Borderline Personality Scale for Children : description, avantages et études de validité de l’instrument

La lecture d’articles scientifiques s’intéressant aux traits de personnalité limite ou au diagnostic de TPL chez les enfants et les adolescents témoigne de la variété des instruments utilisés, rendant parfois difficile l’intégration de leurs résultats sur le plan théorique. Sharp et Romero (2007) ont d’ailleurs fait la recension d’instruments de mesure issus d’approches catégorielle et dimensionnelle permettant d’évaluer la présence d’un trouble ou de traits de personnalité limite chez l’enfant. Parmi ceux-ci, le Borderline Personality Features Scale for Children (BPFS-C ; Crick et al., 2005) est le seul questionnaire issu d’une approche dimensionnelle conçu jusqu’à présent pour les enfants (Sharp, Mosko, Chang et Ha, 2011). Il consiste en une adaptation de quatre composantes du Personality Assessment Inventory (PAI ; Morey, 1996) afin de les rendre applicables à l’évaluation de la personnalité d’enfants âgés de neuf ans et plus issus d’une population non clinique. L’intérêt de développer un instrument adapté à la période de l’enfance découle, selon Crick et al., du fait que les symptômes du TPL se manifestent différemment au cours des diverses périodes du développement. Les auteurs proposent qu’une variété de symptômes précède l’apparition du TPL et augmente la probabilité de ce diagnostic à l’âge adulte. L’utilisation d’une échelle dimensionnelle permet alors de détecter, par la recension de traits, la vulnérabilité d’un enfant à développer une psychopathologie à l’âge adulte, tout en tenant compte de la malléabilité de la personnalité à cette période et de la variabilité possible sur le continuum de sévérité au fil du temps (De Clercq et De Fruyt, 2007).

Sur la base des connaissances théoriques et cliniques relatives au développement de l’enfant, Crick et al. (2005) ont identifié les tâches reliées aux différents acquis développementaux ainsi que les défaillances dans la réalisation de ces tâches pouvant conduire au développement d’un TPL à l’âge adulte. Le modèle théorique proposé par les auteurs est composé de cinq indices du trouble chez les enfants et chacun de ces indices reflète 1) une facette unique du TPL tel qu’il se manifeste à l’âge adulte et 2) une difficulté chez l’enfant à composer avec les tâches développementales s’y rapportant. Ces indices font référence à la sensibilité cognitive, à la sensibilité émotionnelle, aux relations d’exclusivité avec les amis, à l’impulsivité et à un sens cohérent de l’identité (voir Tableau 1).

Tableau 1

Modèle théorique des tâches et défaillances pouvant mener au développement d’un TPL

Modèle théorique des tâches et défaillances pouvant mener au développement d’un TPL

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Une première étude de validation de l’instrument (Crick et al., 2005) a été réalisée auprès de 400 enfants (54 % de filles) de quatrième, cinquième et sixième année du primaire d’une école publique des États-Unis. Le BPFS-C a été administré à trois reprises (automne, printemps, automne), permettant ainsi de mesurer la stabilité temporelle de l’instrument, de même que celle des traits de personnalité limite. La validité conceptuelle du BPFS-C a été évaluée par sa correspondance avec des indicateurs théoriques du TPL adaptés à la période développementale de l’enfance et dérivant d’une analyse de contenu des critères diagnostiques du DSM-IV (APA, 1994). Toutefois, la validité d’une des sous-échelles, soit les problèmes d’identité, n’a pas été vérifiée par un test critère en raison de l’absence d’instrument équivalent adapté aux enfants. L’administration d’un instrument évaluant les symptômes dépressifs a permis de conclure que les indicateurs mesurés par le BPFS-C sont significativement associés aux traits caractéristiques du TPL et non à d’autres psychopathologies (p. ex., les symptômes dépressifs), démontrant ainsi la validité divergente de l’instrument (Crick et al., 2005). La stabilité temporelle des traits de personnalité limite s’est avérée être modérée à travers les trois temps de mesure (0,58 ≥ r ≥ 0,47).

Une seconde étude de validation (Sharp et al., 2011) a été menée auprès de 171 garçons âgés de 8 à 18 ans (M = 13,50, ÉT = 1,90) recrutés au sein d’un organisme communautaire pour les jeunes. Le BPFS-C a été administré de façon concomitante avec le Youth Self-Report et le Child Behavior Checklist (Achenbach et Rescola, 2001), deux instruments permettant d’évaluer les problèmes émotionnels et les difficultés comportementales des enfants et des adolescents. Il est apparu que les garçons ayant une forte présence de traits de personnalité limite selon le BPFS-C rapportaient un pauvre fonctionnement psychosocial, ce qui appuie la validité concomitante convergente de l’instrument (Sharp et al., 2011).

Une troisième étude de validation (Chang, Sharp et Ha, 2011) a été réalisée auprès de 51 adolescents (56,86 % de filles), âgés de 12 à 18 ans (M = 16,00, ÉT = 1,00) issus d’un milieu clinique et présentant de sévères difficultés de comportement, des désordres psychiatriques, des problèmes d’abus de substance ou des diagnostics multiples. L’administration du Childhood Interview for DSM-IV Borderline Personality Disorder (CI-BPD ; Zanarini, 2003) a permis de cibler un groupe d’adolescents (n = 20) répondant aux critères du TPL. Ce groupe présentait un score moyen significativement plus élevé au BPFS-C que le groupe n’ayant pas obtenu la mention diagnostique au CI-BPD, ce qui appuie la validité de critère de l’instrument. De même, il apparaît que le BPFS-C peut prédire un diagnostic de TPL obtenu avec le CI-BPD, ce qui soutient sa validité prédictive. L’outil a également démontré une excellente cohérence interne (α = 0,89 ; Chang et al., 2011).

Enfin, une récente étude de validation menée par Sharp, Steinberg, Temple et Newlin (2014) a examiné la structure à quatre facteurs du BPFS-C à l’aide d’une approche confirmatoire multidimensionnelle basée sur la théorie des réponses aux items (Item Response Theory). L’analyse factorielle a été menée sur les résultats obtenus auprès de 1 042 adolescents (55,90 % de filles), âgés de 14 à 19 ans, fréquentant des écoles publiques des États-Unis. Il est apparu que l’instrument est unidimensionnel, c’est-à-dire qu’un seul concept est mesuré à l’aide des quatre facteurs. Ainsi, les auteurs déconseillent l’utilisation des sous-échelles, préférant l’usage du score global. Par ailleurs, une version abrégée à 11 énoncés a été créée (BPFSC-11), dont la validité conceptuelle a été testée auprès d’un échantillon clinique de 371 adolescents parmi lesquels 33 % remplissaient les critères diagnostiques du TPL d’une entrevue semi-structurée (CI-BPD ; Zanarini, 2003). Les résultats aux questionnaires du BPFS-C et du BPFSC-11 étaient plus élevés pour les adolescents ayant un TPL que pour les autres adolescents évalués. Par ailleurs, des corrélations significatives entre les mesures de la dérégulation émotionnelle et d’automutilation et les deux versions du BPFS-C ont été trouvées. Il reste cependant à vérifier si la structure unidimensionnelle et la version abrégée de l’instrument s’appliquent également aux enfants âgés de 9 à 14 ans, tranche d’âge qui n’a pas été considérée dans l’étude de Sharp et ses collègues.

Première étude de validation de la version française de l’instrument

Une étude de validation visant à obtenir les premiers indices des propriétés psychométriques de l’Échelle de traits de personnalité limite pour les enfants (ÉTPLE) a été menée auprès d’enfants francophones, anglophones et bilingues québécois avant la parution de l’article de validation de Sharp et al. (2014). L’ÉTPLE constitue une traduction, selon la méthode de traduction/retraduction (Translation/Back Translation ; Behling et Law, 2000), en utilisant une approche consensuelle (Bradley, 1994), du BPFS-C (Crick et al., 2005).

Méthode

Échantillon

Deux cent soixante-deux enfants québécois (n = 262 > 24 items X 10 participants ; Hair, Anderson, Tatham et Black, 1998), âgés de 9 à 12 ans (M = 10,52 ; ÉT = 0,96), étudiants de quatrième (29,40 %), cinquième (36,30 %) et sixième (34,30 %) année en cheminement régulier, provenant de trois écoles primaires francophones du secteur public des régions de Montréal et de Gatineau, ont participé à l’étude (55,70 % de filles). Quarante-trois enfants bilingues ont également rempli les deux versions du questionnaire (française et anglaise), à une semaine d’intervalle (60,50 % de filles ; Mâge = 10,65, ET = 0,98). La première passation a été effectuée en français et la deuxième en anglais. De plus, 23 enfants anglophones (56,50 % de filles ; Mâge = 10,42, ET = 1,12) de la région de Sherbrooke ont rempli le questionnaire dans sa version originale. Les enfants hors du cheminement régulier ont été exclus de l’échantillon puisqu’ils étaient susceptibles de présenter un diagnostic psychiatrique et des symptômes y étant associés.

Procédure

L’étude a d’abord reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche Lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke. Plusieurs écoles primaires de différentes régions du Québec, ne provenant pas des milieux socioéconomiques les plus défavorisés, ont ensuite été sollicitées afin de participer à l’étude. Une lettre d’invitation conjointement au formulaire d’information et de consentement (FIC) ont par la suite été envoyés à l’ensemble des parents d’élèves des quatrième, cinquième et sixième années en cheminement régulier des écoles ayant accepté de participer à l’étude. Une section du FIC était par ailleurs adressée directement aux enfants, leur expliquant, dans un langage adapté à leur âge, la nature de leur participation. Tous les enfants dont les parents ont consenti à leur participation ont pris part à la recherche. L’administration a été effectuée en groupe-classe ou dans une salle regroupant uniquement les enfants ayant l’autorisation de répondre au questionnaire.

Analyses

Instruments de mesure

Questionnaire sociodémographique. Les variables sociodémographiques concernant les enfants ont été colligées à l’aide d’un code numérique par un bref questionnaire joint au BPFS-C ou à l’ÉTPLE. Des informations sur le sexe, l’âge et l’année scolaire ont été recueillies. 

Borderline Personality Features Scale for Children (BPFS-C ; Crick et al., 2005). Ce questionnaire autoadministré évalue la présence de traits de personnalité limite chez les enfants d’âge scolaire. Le BPFS-C est composé de 24 énoncés distribués en quatre sous-échelles, soit l’instabilité affective, les problèmes d’identité, les relations interpersonnelles négatives et les comportements d’autodestruction (voir Tableau 2). L’enfant a pour consigne de lire des affirmations sur la façon dont il se sent et sur la façon dont il se sent par rapport aux autres et d’indiquer ce qui correspond le mieux à ce qu’il sent ou ce qu’il pense. Pour chaque énoncé, l’enfant répond sur une échelle de type Likert à cinq points allant de pas du tout vrai (1) à toujours vrai (5). L’échelle de cotation est inversée pour les énoncés 1, 5, 23 et 24. Le score total correspond à la somme des scores rencontrés pour chacun des énoncés. Un score total élevé indique une forte présence de traits de personnalité limite. L’instrument a été administré aux enfants bilingues, qui ont également rempli le questionnaire rédigé en français, dans le but d’établir la convergence entre les versions originale et traduite. Il a été également administré aux enfants unilingues anglophones afin de vérifier sa cohérence interne auprès d’un échantillon composé d’enfants québécois. L’instrument fait preuve d’excellentes propriétés psychométriques (Chang et al., 2011 ; Crick et al., 2005 ; Sharp et al., 2011 ; Sharp et al., 2014).

Tableau 2

Liste des énoncés du BPFS-C selon les 4 dimensions de la version originale de l’instrument

Liste des énoncés du BPFS-C selon les 4 dimensions de la version originale de l’instrument

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Échelle de traits de personnalité limite pour les enfants (ÉTPLE, Terradas et Achim, 2010). Cet instrument constitue une traduction, selon la méthode de traduction/retraduction (Behling et Law, 2000) du BPFS-C (Crick et al., 2005) en utilisant une approche consensuelle (Bradley, 1994) : deux personnes bilingues ont effectué une première traduction de la langue originale de l’instrument (anglais) à la langue de traduction (français), de façon parallèle (Behling et Law, 2000). Une mise en commun a ensuite permis de comparer les deux versions et de résoudre les différences. Une troisième personne bilingue a retraduit l’instrument dans la langue originale afin de vérifier si les énoncés conservaient leur signification. Ultimement, la version française de l’instrument a été révisée par des experts et des utilisateurs potentiels du questionnaire afin d’améliorer la traduction (Bradley, 1994). Trois enfants bilingues ont également rempli le questionnaire afin de faire une vérification préliminaire.

Les analyses effectuées visaient à vérifier certaines propriétés psychométriques de l’ÉTPLE. Quatre analyses principales ont été réalisées, soit 1) une analyse des énoncés composant l’instrument, 2) une analyse en composantes principales (ACP), 3) des analyses de la cohérence interne de la version anglaise et de la traduction française de l’instrument, et 4) une analyse de corrélation entre les énoncés de l’instrument francophone et ceux de la version originale.

Résultats

Une analyse initiale des items a révélé que la plupart des énoncés corrèlent de façon significative avec les quatre sous-échelles initiales du BPFS-C, ce qui s’explique par le fait que ces dernières mesurent un même concept, soit les traits de personnalité limite. Toutefois, un énoncé a été jugé problématique en raison de corrélations très faibles et non significatives avec plusieurs autres énoncés, avec le score total et avec sa sous-échelle.

L’analyse des corrélations entre les énoncés (0,45 < r < 0,85), les scores des quatre sous-échelles (0,67 < r < 0,83) et le score total (r = 0,84) de la version française d’une part et le score total de la version anglaise d’autre part révèle qu’elles corrèlent fortement entre elles, ce qui appuie la qualité de la traduction effectuée (voir Tableau 3).

Tableau 3

Corrélations entre les énoncés, les sous-échelles et le score total de l’ÉTPLE et ceux du BPFS-C (N = 43)

Corrélations entre les énoncés, les sous-échelles et le score total de l’ÉTPLE et ceux du BPFS-C (N = 43)

Note. Toutes les corrélations sont significatives à p < 0,01.

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Étant donné que l’instrument mesure différentes facettes d’un même concept, une analyse en composantes principales à rotation oblique a ensuite été effectuée sur les 23 énoncés restants. L’ACP a démontré que les énoncés ont une communauté suffisante (supérieure à 0,2 ; Tabachnick et Fidell, 2007). L’analyse du diagramme des éboulements a révélé des modèles allant d’une à six composantes possédant une valeur propre initiale supérieure à un. Les modèles à six et cinq composantes ont été rejetés puisqu’il était difficile de leur trouver un sens compte tenu de la distribution des énoncés et des saturations croisées. Le modèle choisi, à quatre composantes, expliquait initialement 46,61 % de la variance totale. Toutefois, un énoncé a été éliminé en raison de saturations croisées substantielles avec plusieurs composantes. Un nouveau modèle, exempt de cet énoncé, explique 47,16 % de la variance totale. L’indice Kaiser-Meyer-Olkin était de 0,86, ce qui est méritoire. Le test de sphéricité de Bartlett était également significatif (p < 0,001). Le Tableau 4 présente les composantes de la version française de l’instrument obtenues par ces analyses ainsi que les saturations des items sur chacune des composantes. Pour la composante « contrôle des impulsions », les saturations des items varient de 0,32 à 0,83. En ce qui a trait à la composante « relations interpersonnelles négatives », les saturations varient de 0,45 à 0,73. Celles reliées à la composante « régulation des émotions » vont de 0,39 à 0,71. Enfin, les saturations des items associés à la composante « sentiment de vide » varient de 0,49 à 0,78.

Tableau 4

Composantes de l’ÉTPLE et saturation des items sur sa composante respective

Composantes de l’ÉTPLE et saturation des items sur sa composante respective

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Le Tableau 5 présente les corrélations obtenues entre les diverses sous-échelles composant l’ÉTPLE et entre ces sous-échelles et le score global de l’instrument. Les corrélations entre les différentes composantes varient de 0,42 à 0,53. Les corrélations entre ces composantes et le score global de l’ÉTPLE varient de 0,68 à 0,88 et sont supérieures à celles observées entre les diverses composantes. Ces résultats appuient la validité conceptuelle et la nature multidimensionnelle de l’instrument.

Tableau 5

Corrélations obtenues entre les sous-échelles et entre les sous-échelles et le score global de l’ÉTPLE (N= 262)

Corrélations obtenues entre les sous-échelles et entre les sous-échelles et le score global de l’ÉTPLE (N= 262)

Note. Toutes les corrélations sont significatives à p < 0,01.

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Enfin, la cohérence interne de la version française intégrale de l’instrument est très satisfaisante (α = 0,86). L’indice de cohérence interne augmente à 0,87 après la suppression des deux énoncés précédemment mentionnés. L’indice de cohérence interne de la version originale anglaise obtenu auprès des enfants anglophones québécois est également très satisfaisant (α = 0,86).

Discussion

L’analyse en composantes principales révèle un modèle en quatre composantes. La première, contrôle des impulsions, explique un fort pourcentage de la variance. La composante rassemble les items initialement regroupés dans la sous-échelle comportements autodestructeurs du BPFS-C et certains items reliés aux problèmes d’identité. Des énoncés reliés à cette dernière composante s’y retrouvent puisque l’incapacité, pour un enfant, à avoir une représentation de soi cohérente peut perturber sa capacité à réfléchir sur soi et sur ses actions, entraînant ainsi des lacunes sur le plan de la planification et de la prise de décision. À l’instar de la présente étude, une recherche effectuée par Becker, McGlashan et Grilo (2006), menée auprès d’adolescents, identifie une composante regroupant des énoncés en lien avec l’impulsivité et la perturbation de l’identité.

La seconde composante regroupe des énoncés reliés à des relations interpersonnelles négatives. Ceux-ci évaluent la perception de l’enfant quant à la durabilité de ses relations, de même que l’agressivité relationnelle y étant associée. L’agressivité relationnelle serait significativement reliée aux traits de personnalité limite (Crick et al., 2005). Elle s’exprimerait dans les relations amicales de l’enfant par des hauts niveaux d’intimité et d’exclusivité qui permettent l’exercice d’un contrôle sur la relation et reflètent de la jalousie (Grotpeter et Crick, 1996). Cette composante correspond à la sous-échelle du même nom du BPFS-C.

La troisième composante, régulation des émotions, contient deux énoncés faisant référence au caractère changeant et intense des émotions, issus de la sous-échelle d’instabilité affective. Ceux-ci rejoignent l’indicateur de Geiger et Crick (2001) selon lequel des affects intenses, instables et souvent inappropriés au contexte sont des précurseurs du TPL à l’âge adulte. Les autres énoncés évaluent les sentiments d’inquiétude et de malaise ressentis lors de la séparation d’avec les personnes aimées, l’enfant ayant besoin d’autrui pour l’aider à réguler ses affects (Shedler et Westen, 2004). Les personnes ayant un TPL ont d’ailleurs tendance à s’identifier aux pensées, aux croyances et aux sentiments des autres (Westen, Betan et DeFife, 2011). Le départ des personnes significatives, même momentané, apparaît alors particulièrement menaçant puisque sans l’autre, il y a une perte des ancrages internes (Westen et al., 2011). La peur de l’abandon est un élément fondamental de la psychopathologie limite (Goldman, D’Angelo, DeMaso et Mezzacappa, 1992) qui a d’ailleurs été identifié comme le symptôme ayant la plus grande validité prédictive d’un diagnostic de TPL chez les adolescents (Becker, Grilo, Edell et McGlashan, 2002).

La quatrième composante regroupe des énoncés évaluant le sentiment de vide. Les enfants ayant des traits de personnalité limite sont plus susceptibles de présenter un sentiment de vide, qui se traduit par l’ennui et la solitude (Goldman et al., 1992), et qui entraînerait une souffrance significative. Une étude réalisée auprès d’adolescents a démontré que la perturbation de l’identité est un construit multidimensionnel pouvant être décomposé en quatre facteurs, dont l’un (painful incoherence) rejoint la présente composante en étant axé sur l’expérience subjective d’un vide intérieur ainsi que sur la présence de sentiments de confusion, d’incohérence et de fragmentation. Il s’agit d’ailleurs du facteur corrélant le plus fortement avec les symptômes borderline chez l’adolescent (Westen et al., 2011). Cette composante est celle qui s’approche le plus de la sous-échelle problèmes d’identité présentée dans le BPFS-C.

Au final, le modèle en quatre composantes présente des similarités avec les quatre sous-échelles proposées par Crick et al. (2005). Toutefois, les énoncés appartenant initialement à la sous-échelle problèmes d’identité du BPFS-C se distribuent dans trois autres composantes. Il s’agit par ailleurs de la seule sous-échelle dont la validité convergente n’avait pas été démontrée par Crick et al. (2005). Ainsi, la pertinence de cette sous-échelle n’a pas été confirmée au terme de l’étude. Ceci pourrait s’expliquer par la formulation des énoncés ou par le fait que la perturbation de l’identité se traduit chez l’enfant dans divers domaines : son attitude à l’école, l’établissement de ses amitiés, les comportements socialement acceptables, son plan de carrière et son image de soi (Goldman et al., 1992).

Limites de l’étude

La présente étude possède certaines limites. D’abord, la faible taille de l’échantillon de participants anglophones a réduit les analyses statistiques pouvant être accomplies. En effet, le nombre d’enfants anglophones étant insuffisant pour exécuter une analyse en composantes principales (Hair et al., 1998), la comparaison des modèles de composantes des instruments anglophone et francophone n’a pas pu être réalisée. Ensuite, la spécificité de l’instrument en regard d’autres psychopathologies n’a pas été vérifiée dans le cadre de cette étude.

Conclusions et pistes de recherches futures

Le diagnostic de TPL chez les enfants et les adolescents étant controversé, il s’avère nécessaire de développer des instruments permettant d’identifier des traits de personnalité et des comportements associés au développement du TPL pouvant se manifester pendant l’enfance. D’abord, ces instruments permettraient de valider les modèles théoriques proposés par différents auteurs concernant le développement dès l’enfance de traits de personnalité pathologiques liés au TPL tel qu’il se manifeste à l’âge adulte, fondés principalement sur des expériences cliniques. Ensuite, ces instruments auraient une valeur clinique significative puisqu’ils permettraient d’identifier les enfants à risque de développer un TPL. Ainsi, ils contribueraient à faire de la prévention afin d’éviter la chronicisation de traits de personnalité pathologiques chez ces enfants.

Plusieurs résultats de recherche confirment les excellentes propriétés psychométriques du BPFS-C (Chang et al., 2011 ; Crick et al., 2005 ; Sharp et al., 2011 ; Sharp et al., 2014). Issu d’une approche dimensionnelle, cet instrument tient compte des aspects développementaux lors de l’évaluation des traits de personnalité limite en émergence chez les enfants et les adolescents. Les résultats de la première étude de validation de la version française de l’instrument sont également prometteurs. Dans le contexte d’études subséquentes, des analyses supplémentaires devront être réalisées afin d’appuyer la validité des énoncés associés aux problèmes d’identité. La stabilité temporelle de l’instrument devra être démontrée, de même que sa validité de critère. Aussi, l’outil devra être validé auprès d’enfants provenant de milieux défavorisés ou cliniques, soit des populations présentant une plus forte prépondérance de facteurs de risque liés au développement d’un TPL. Il serait par ailleurs fort intéressant de comparer les versions anglaise et française de l’instrument auprès d’une population bilingue afin de calculer le pourcentage de la variance relié aux effets de la traduction. Enfin, il serait également intéressant d’établir des normes à l’instrument afin d’identifier quels scores peuvent être considérés comme normaux et lesquels peuvent témoigner d’une forte présence de traits de personnalité pouvant s’avérer problématiques.

Ainsi, au terme du processus complet de validation, l’instrument permettra d’identifier les enfants présentant des traits de personnalité pathologiques susceptibles d’évoluer vers un TPL à l’adolescence ou à l’âge adulte. L’objectif ultime découlant de l’usage de ce questionnaire est d’offrir des soins appropriés de façon à prévenir l’émergence d’un TP. Par ailleurs, l’instrument favorisera la réalisation d’études prospectives, qui apparaissent nécessaires aux yeux de plusieurs auteurs (Crick et al., 2005 ; De Clercq et De Fruyt, 2007). L’utilisation de l’instrument a le potentiel d’augmenter les connaissances sur l’étiologie du TPL, ses manifestations et sa trajectoire au cours du développement.