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Qui mieux qu’un alcoolique en rétablissement peut comprendre un autre alcoolique qui souffre encore.

Maxime AA

Que Dieu me donne la force de supporter ce qui ne peut être changé ; et le courage de changer de qui peut l’être ; mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre.

Maxime AA qui, chez l’auteur latin Marc-Aurèle, débutait ainsi : Que me soit donnée…

Introduction

L’objectif de l’article est de présenter une expérience de soutien par les pairs à la faveur d’un programme de parrainage pour des personnes souffrant d’un trouble psychotique et s’inspirant du mouvement des Alcooliques anonymes (AA). Avant de décrire cette expérience comme telle, nous traiterons des valeurs du soutien par les pairs, de la différence du savoir expérientiel et du savoir professionnel, puis nous évoquerons les différentes formes de ce soutien par les pairs et la notion du rétablissement comme préalables à la présentation du rôle du parrainage chez les AA avant de décrire l’expérience du programme « Passer l’espoir au suivant ».

Le soutien des pairs désigne le soutien de personnes vivant ou ayant vécu des expériences semblables à une personne donnée en matière de santé, que soit de nature physique (p. ex. le cancer, les maladies coronariennes, l’obésité) que psychique (p. ex. l’alcoolisme) (Chinman et coll., 2014 ; Lloyd-Evans et coll., 2014). Dans la réadaptation et le rétablissement des problèmes de santé physique ou psychique, de plus en plus d’études montrent qu’en plus des divers types de traitements prodigués par des professionnels, la contribution des pairs est utile tant à une vision plus réaliste de l’expérience subjective de la maladie qu’au rétablissement en termes de soutien comme de prise du pouvoir sur la santé. Aujourd’hui, le soutien par les pairs est répandu dans divers domaines selon plusieurs modèles. Il a même été exporté dans le domaine de la consommation commerciale comme des groupes en ligne de consommateurs d’un produit. Certes, dans les milieux de soins, certains professionnels ont éprouvé des problèmes semblables à ceux des soignés ; cependant, dans leur fonction, tout en n’ignorant pas leur vécu dans leur manière d’intervenir, ils n’ont pas à en parler aux usagers des services, car c’est à titre professionnel, donc avec une expertise particulière, qu’ils s’adressent à eux.

Soutien par les pairs et santé mentale

C’est d’abord en santé mentale que le soutien des pairs est né. En effet, en 1935 naquirent les AA. Leur programme prévoit un cheminement (qu’on pourrait appeler aujourd’hui rétablissement) sur 12 étapes et comporte deux éléments interactifs avec des pairs : 1) des rencontres (meetings) de groupe avec des témoignages devant des pairs ; 2) un parrainage par un pair. C’est le plus ancien et plus durable des programmes pour des pairs (Solomon, 2004).

Ce programme et ceux qui lui ressemblent et lui ont succédé ont été mis sur pied comme une réponse à l’efficacité limitée des services traditionnels de santé et ont été conçus en misant sur le pouvoir des individus de s’offrir du soutien mutuel, de l’apprentissage et de l’assistance. Le premier élément, le groupe de soutien, s’est propagé en santé et hors de la santé mentale. Notre attention ici ira plutôt sur le deuxième élément, le parrainage.

Valeurs des programmes de soutien par les pairs

En dépit de leur diversité et de la variété de leur financement, les modèles de programmes de soutien par les pairs tendent à avoir des missions et des valeurs similaires.

Les valeurs fondamentales et la philosophie derrière le soutien et l’aide mutuelle par les pairs sont les suivantes : des relations non hiérarchiques, un choix mutuel ; un modèle (modeling) de rôle positif ; de la réciprocité ; un soutien ; un sens de la communauté (particulièrement dans les programmes de type drop in, autosoutien) ; et l’autodétermination (Holter et coll., 2004 ; Johnsen et coll., 2005 ; Riessman, 1998). De par ce grand éventail de valeurs, le soutien des pairs couvre le soutien sous ses aspects émotionnel, instrumental ou pratique (Gartner et Riessman, 1984), et vise à être mutuellement profitable grâce à un processus réciproque de donner et de recevoir (Mead et MacNeil, 2006). Comme le mentionne Copeland et Mead (2004) : « Le soutien par les pairs diffère du soutien clinique, tout en étant plus qu’être amis. Dans le soutien par les pairs, nous nous comprenons l’un l’autre parce que nous avons “vécu ça”, partagé des expériences similaires, et qu’on peut concevoir l’un pour l’autre un désir d’apprendre et de grandir. »

Solomon (2004) fait l’hypothèse que le soutien par les pairs est efficace à travers des processus comme le soutien social et émotionnel, l’apprentissage expérientiel ou réciproque, l’apprentissage social (p. ex. le modelage du rôle (role modeling), et les mécanismes reliés à la théorie de la comparaison sociale. Par exemple, le sens de la normalité fournie par le partage entre individus ayant vécus des expériences similaires : comparaison vers le haut (upward comparison) et l’offre d’espoir et d’optimisme, et comparaison vers le bas (downward comparison) et la reconnaissance que les choses pourraient être pires.

Savoir expérientiel et expertise expérientielle

Un élément clé dans la spécificité du soutien par les pairs est assurément le savoir expérientiel de ceux-ci par rapport au savoir professionnel. Le savoir expérientiel comporte deux éléments importants : le type d’information sur lequel il se fonde et l’attitude de l’individu envers cette information (Borkman, 1976). Le type d’information, c’est la sagesse et le savoir-faire issu du fait d’avoir vécu un phénomène et d’y avoir réfléchi. L’attitude est le haut degré de conviction qui l’accompagne. À côté du savoir expérientiel, il y a aussi l’expertise expérientielle, qui réfère à la compétence ou l’habileté à gérer ou résoudre un problème acquise à partir de l’expérience personnelle (Borkman, 1976). En effet, pour une même difficulté, le degré d’intégration de l’information et d’acquisition de compétences pour appliquer cette dernière varie d’une personne à l’autre. Celui qui a l’expertise expérientielle devient un modèle d’identification et une source d’espoir (Toch, 1965) et cette expertise peut l’amener à un rôle de leader dans un groupe d’entraide. Par ailleurs, les confessions ou témoignages publics sont probablement les moyens dominants de partage de l’information expérientielle dans les groupes d’entraide (Borkman, 1976).

Le savoir professionnel et le savoir expérientiel ne sont pas mutuellement exclusifs. Certains professionnels utilisent leur savoir expérientiel personnel dans leur travail, mais à l’intérieur de leur savoir professionnel et comme subsidiaire à lui (Freidson, 1970). Par ailleurs, autant les groupes d’entraide que les professionnels peuvent autoriser une deuxième source de vérité comme intrant dans la compréhension d’un problème.

Ces deux savoirs ont des ressemblances. Tous les deux appartiennent aux individus qui, une fois qu’ils les ont acquis, demeurent solides (Etzioni, 1964). Le fondement des relations entre professionnels ou entre pairs est d’être égalitaire, non hiérarchique. Ces savoirs comporteraient néanmoins selon Borkman (1970) quatre différences fondamentales.

D’abord, par contraste avec l’information professionnelle, le savoir expérientiel est pratique plutôt que théorique ou scientifique. Il met l’accent sur ce qui donne des résultats concrets et observables tels que perçus subjectivement par l’individu qui traverse une expérience, dans la perspective du profane.

Ensuite, le savoir expérientiel est orienté sur l’action dans le présent et l’expérience plutôt que sur le développement au long cours et l’accumulation d’un savoir et un enseignement didactique.

Également, le savoir expérientiel est holistique et global plutôt que segmenté, il couvre le phénomène total éprouvé par la personne, y compris les émotions et les perceptions subjectives alors que le savoir professionnel est segmenté en disciplines et en approches distinctes pour un même problème. Par exemple, un trouble d’usage de l’alcool peut être défini comme simplement boire de l’alcool trop ou trop souvent. Mais souvent la racine ou un facteur puissamment renforçateur peut être l’environnement social de l’individu, soit insuffisant, soit inadéquat. La dimension holistique rend possible une identification mutuelle qui peut-être un tremplin vers le développement de l’individu (Hurvitz, 1970).

Enfin, en contraste avec le savoir scientifique parfois sujet à changement, le savoir expérientiel comporte un niveau très fort de conviction, résultant d’une expérience vécue comme vraie. On pourrait argumenter que le savoir professionnel n’est pas aussi théorique et loin du vécu que le présente Borkman (1976), mais on doit réaliser les caractéristiques qui rendent le savoir expérientiel utile et efficace. Dans sa description de son expérience personnelle de tels groupes, Luc Vigneault (Cailloux-Cohen et Vigneault, 1997) décrit comment, par exemple, le groupe développe des techniques spécifiques pour gérer mieux les hallucinations auditives, ou visuelles, en ajoutant : « Plus nous sommes entourés d’amour, moins les problèmes ont d’emprise sur nous (…) J’ai vu de mes yeux vu que par ces groupes l’impossible devient possible, l’irréalisable devient réalisable. »

Le soutien par les pairs en santé mentale

En santé mentale, le soutien des pairs peut prendre différentes formes : participation ou appartenance à un groupe autogéré (Perrow, 1970 ; Sills, 1968) ou géré avec la supervision minimale par un non-pair, professionnel, paraprofessionnel ou non, et le parrainage un à un. Il est à noter que, contrairement à un parrain dans les AA, un pair aidant qui travaille dans les services offrira une aide qui n’est pas mutuelle.

Il existe en effet des pairs aidants, rémunérés à ce titre, et qui ont un statut et un rôle particuliers et nécessaires (Anthon et coll., 2002). Ils ont l’expertise de l’expérience du trouble psychiatrique ayant requis des soins et dont ils sont considérés comme rétablis. Ceci n’exclut pas, dans le parcours progressif de leur rétablissement, une évolution comportant, mais de moins en moins, des moments de stagnation, d’avancées et de recul. Depuis plus d’une vingtaine d’années, un mouvement de « professionnalisation » de ce type d’intervenant dans le système de soins s’impose puisqu’ils doivent réussir une formation spécialisée en intervention par les pairs, comme c’est le cas au Québec avec le programme Pairs Aidants Réseau. Membres d’une équipe soignante, ils ont comme contribution spécifique de sensibiliser cette équipe à reconnaître, à comprendre et à respecter le point de vue des personnes en suivi et aussi à soutenir et accompagner leurs pairs comme des mentors et des modèles d’identification dans l’apprentissage d’habiletés requises pour gérer les symptômes et pour savoir utiliser les diverses ressources dans la communauté (Gélinas, 2006). L’embauche d’usagers à titre de pourvoyeur de services n’a pas montré d’impact négatif auprès de la clientèle suivie (Simpson et O’House, 2002), mais plutôt même des effets positifs (Solomon, 2004). Mais le pair aidant professionnel rencontre plus ou moins les mêmes contraintes que ses collègues, notamment le nombre d’usagers toujours changeants dont ils peuvent s’occuper dans leur charge de travail, la durée de leurs interventions au cours d’un épisode de soins et la solidarité d’équipe centrée sur le patient dans la perspective du rétablissement. Du fait que le pair aidant est membre d’une équipe traitante et aussi rémunéré comme membre de l’équipe, on peut y trouver une double asymétrie relationnelle avec l’usager. C’est d’ailleurs pour le pair aidant un enjeu important que de veiller à éviter la confusion des rôles dans les perceptions de l’équipe de soin et du pair aidé.

Le parrainage comme forme de soutien par les pairs

Chez les AA, le savoir expérientiel se transmet par les témoignages publics lors des réunions, mais aussi par la relation de parrainage. Celle-ci est un ingrédient actif de leur programme en 12 étapes. La première tâche du parrain est de guider le nouveau membre à travers le programme, le parrainage y étant fortement encouragé. De fait, il s’avère un avantage documenté pour prédire une meilleure fidélité aux rencontres des 12 étapes, à une réduction des rechutes (c.-à-.d. une plus grande abstinence), un meilleur accès à un soutien social approprié (Cross et coll., 1990 ; Caldwell et Cutter, 1998 ; Crape et coll., 2002 ; Kelly et Moss, 2003 ; Morgenstren et coll., 2003 ; Pagano et coll., 2004 ; Zemore et Kaskutas, 2004 ; Witbrodt et Kaskutas, 2005 ; Timco et Debenedetti, 2007 ; Wilbrodt et coll., 2012 ; Rynes et Tonnigan, 2012), et une plus grande contribution aux activités de services de l’organisation (Subbaraman et coll., 2011). Selon Radach (1999), la confidentialité étant l’élément qui a globalement le plus d’impact sur l’efficacité des parrains.

Selon une étude pilote de Whelan et coll. (2009), la relation parrain-filleul chez les AA évolue avec le temps. Il y a l’étape du développement du lien de confiance découlant d’une attitude basée sur l’écoute sans jugement du parrain. « Le fait que le parrain ne soit pas un professionnel facilite, au long cours, un processus d’identification et, après un long temps d’abstinence du parrainé, la relation évolue vers l’amitié. »

Réadaptation et rétablissement en santé mentale

On peut se représenter la santé d’un individu comme au croisement de deux axes : d’une part, l’axe pathologique, caractérisé ou non par des lésions ou leurs cicatrices, et d’autre part l’axe santé consistant en la présence ou l’absence des moyens favorables à la santé. Celui qui a fait un infarctus peut, moyennant des changements dans son mode de vie, retrouver une santé et un fonctionnement équivalent sinon supérieur à son état prémorbide malgré sa cicatrice au coeur.

Il y a quelques décennies, la psychiatrie s’est occupée principalement de l’axe maladie, c’est-à-dire la suppression ou l’atténuation des symptômes chez les personnes souffrant de psychose ou de trouble apparenté. C’est alors que des usagers se sont auto-désignés comme étant des « usagers survivants » (consumer survivors) (Deegan, 1988, 2003), parce qu’ayant par eux-mêmes surmonté cette lacune, et ils ont voulu changer la perspective. Ils ont mis l’accent sur les forces et les potentialités de l’individu plutôt que sur ses faiblesses et ses limites. Ils ont même changé le vocabulaire. Ainsi, un trouble psychiatrique est devenu un problème santé mentale, en éliminant partout le plus possible le terme psychiatrique.

Ils ont aussi introduit une conceptualisation du rétablissement qui s’occupe de l’axe santé. Il devient alors un construit qui comprend notamment les dimensions suivantes dont des services adéquats devraient s’occuper : éviter l’autostigmatisation par une identification à la maladie ; avoir de l’espoir ; vivre dans un contexte social sain (p. ex. pour un individu avec un problème d’usage d’alcool, éviter certains lieux ou certaines fréquentations) ; avoir une qualité de vie satisfaisante), accroître le pouvoir sur sa santé (empowerment) ; et une insertion sociale signifiante pour soi et autrui (McCubbin et Dallaire 2010). Les services devraient ainsi en tenir compte dans leur prestation. Le rétablissement est tantôt présenté comme un résultat d’un processus, tantôt comme ce processus lui-même qui se déroule selon une trajectoire pas toujours linéaire, mais néanmoins au long cours, allant vers un mieux-être, et qu’on pourrait apparenter à un processus de développement personnel (Davidson, 1999, 2006 ; Wallot 2013).

Le CTR et le rétablissement

Depuis ses débuts il y a une vingtaine d’années, le Centre de traitement et de réadaptation (CTR) de Nemours de Québec, rattaché à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec, offre des services de réadaptation psychiatrique aux personnes souffrant de troubles psychotiques importants, et avec déficits fonctionnels. Outre une organisation de services professionnels particulière, il offrait jusqu’alors des groupes de pairs, notamment un groupe d’entraide (des rencontres sociales programmées par les participants), un groupe sur le rétablissement (groupe d’échange) et un groupe Toxico, les trois groupes animés par un pair aidant qui avait aussi d’autres tâches dans ce programme.

En s’inspirant du modèle de parrainage des AA, le CTR a démarré en janvier 2015 un programme de parrainage par les pairs. Comme chez les AA, le principe de base est de donner au partage du vécu son importance, en insistant sur le fait qu’une personne rétablie est bien placée pour aider une personne encore souffrante. Les valeurs préconisées par ce programme sont l’entraide entre pairs, le respect sous toutes ses formes, l’équité entre les participants et la confidentialité.

Sous le thème « Passer l’espoir au suivant », un jumelage unit d’une façon volontaire une personne rétablie et autonome à une personne en cheminement pour se rétablir. Le parrainage peut prendre diverses formes, dans le respect des besoins et des intérêts des personnes concernées. Habituellement, il se traduit en sorties, en conversations téléphoniques, en échange de courriels ou toute autre forme d’entraide. Avec le parrainage, tel que mis sur pied au CTR, la personne aidée peut compter sur une personne qui va prendre le temps de l’écouter et de l’aider à trouver l’information dont elle a besoin, et la plupart du temps devenir un ami, contrairement à la situation qu’elle aura pu vivre avec le pair aidant employé au CTR.

Pour les usagers qui y participent, ce parrainage peut devenir un complément au travail de l’équipe de soins qui suit la personne, complément qui se poursuit une fois terminé le suivi de l’équipe. De plus, en aidant les autres, les parrains constatent qu’ils s’aident eux-mêmes. Ils en retirent un fort sentiment de satisfaction qui les incite à progresser davantage avec le parrainé.

Le programme s’adresse actuellement à des personnes vivant avec la schizophrénie ou un trouble apparenté, et recevant des services du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale nationale, ou d’organismes communautaires dans Québec. Pour maximiser les chances de succès d’un jumelage, les responsables associent les personnes selon leur compatibilité, évaluée en fonction de la collecte préalable des besoins et des intérêts. À l’écoute des témoignages des participants, parrainés et parrains, le programme permet de :

  1. donner un sens à leur vécu de leur psychopathologie ;

  2. briser l’isolement et élargir le réseau social ;

  3. favoriser la mise en action et accroître le sentiment de bien-être ;

  4. développer l’espoir et augmenter l’estime de soi ;

  5. avoir un rôle valorisant.

Les étapes à suivre pour inclure un participant au programme sont les suivantes :

  1. un premier contact où le projet est présenté et expliqué ;

  2. une évaluation des besoins et des intérêts lors d’une rencontre avec le candidat potentiel ;

  3. une ouverture de fichiers (dossiers) des personnes ;

  4. un jumelage selon certains critères d’évaluation (le sexe, l’âge, la disponibilité, les moyens de communication, le tempérament, les intérêts, le territoire de résidence, les restrictions) ;

  5. la présentation du parrain au parrainé sous supervision.

Le futur parrain bénéficie d’une heure de formation sur le rôle qu’il aura à jouer auprès du parrainé. Cette formation met l’accent sur le respect des limites, l’enseignement du code d’éthique du programme et sur son rôle d’entraide dont on lui enseigne qu’il diffère du rôle des professionnels de l’éventuel parrainé, y compris du rôle d’un éventuel pair aidant.

Un suivi mensuel est mis en place, mais seulement durant la première année pour s’assurer du bon fonctionnement du jumelage. Il y a un « meeting » mensuel dont la « vedette » est l’espoir. Cette rencontre s’adresse aux parrains comme aux parrainés, ainsi qu’aux proches qu’ils auront désignés. Ces soirées s’inspirent du modèle des AA en ce qu’elles proposent un témoignage portant sur l’espoir et le rétablissement. L’entrée est libre : « Lors des témoignages, ce sont des gens qui viennent parler de leurs épreuves de vie et comment ils se sont rétablis. » (Luc Vigneault, inédit)

À l’instar des 12 étapes du programme des AA, le programme comporte douze étapes (tableau 1). Pour chacune des étapes, les créateurs du projet ont commencé à élaborer des indicateurs observables et mesurables et des suggestions de moyens pour faciliter la passation des étapes. Par exemple, l’étape 7 « Je reconnais que j’ai un problème de santé psychiatrique et je m’investis dans mon rétablissement » aura comme indicateurs : 1) « Avoir élaboré son plan d’intervention de rechute où l’on retrouve les informations sur la maladie et sur l’intervention » ; 2) « Être capable de décrire sa maladie et ses signes précurseurs ». Les moyens suggérés pour l’étape 7 sont : 1) Participer à l’activité « Pare-à-chute, mieux vaut prévenir…. » ; et 2) Élaborer son plan de prévention de rechute avec son intervenant pivot ou un proche. Par ailleurs, le parrain et le parrainé s’engagent aussi à respecter un code d’éthique (tableaux 1 et 2) pour permettre les échanges et le partage dans l’harmonie.

Les professionnels impliqués dans les services aux parrains ou parrainés ne sont pas informés de l’activité de ces derniers, sauf si ces derniers s’en ouvrent, mais ils doivent alors garder la confidentialité sur la deuxième personne du tandem parrain-parrainé.

Pour ce projet, jusqu’au transfert récent au Pavois[1], il y avait deux responsables, une éducatrice spécialisée, Martine Goudreault, et une psychologue, Susan Dennie. L’éducatrice recrutait les participants, faisait le contact entre chacune des personnes parrainées et son parrain, et organisait et coordonnait les activités prévues au programme. La psychologue élaborait la formation destinée aux parrains, ajustait la programmation et s’impliquait dans la supervision des divers secteurs du projet.

Démarré en 2015, le programme avait déjà, après un an, 24 parrains formés, dont 16 parrainaient déjà quelqu’un. Quelques parrains parrainent deux personnes. De plus, après un an et demi, 65 personnes avaient été évaluées et 34 personnes étaient déjà jumelées. Cependant, le programme est trop jeune pour pouvoir permettre d’évaluer sa pleine efficacité d’une manière quantitative. L’objectif de l’avenir consistait à ouvrir la formule aux usagers de diverses ressources communautaires, ce que les réformes récentes ont consacré.

Enfin, un volet recherche avait été amorcé avec cueillette de données pour vérifier si le programme de parrainage contribue au rétablissement des usagers. Mais ce volet a pris fin lors du transfert tout à fait récent de ce programme à un organisme communautaire suite aux réformes dans la santé. Nous pouvons seulement donner une idée par quelques exemples anecdotiques provenant des témoignages lors de soirées, « meetings », mensuelles. Roger, un parrain, demeure marqué par ses hospitalisations, mais, malgré ses peurs, il visite Roland son parrainé hospitalisé dans ce moment difficile. Micheline et Marie jouent du piano ensemble, la marraine Micheline a même réservé un local avec deux pianos, et Marie parle de Micheline comme d’une « grande soeur ». Raymonde, marraine, et Lucie, parrainée, sont seules et passent le réveillon de Noël ensemble. Jonathan, parrain, téléphone à Maurice, parrainé, toutes les semaines depuis un an et Maurice parle de cette « attention touchante » à son médecin ; il leur arrive d’aller manger ensemble dans un buffet connu. Ludovic, parrain, vit une rechute en lien avec l’usage de l’alcool et décide donc de prendre une pause avec sa parrainée, Nicole, mais il est surpris et touché de recevoir un appel de Nicole qui priera pour lui et lui souhaite bonne chance. Maurice demande à parrainer quelqu’un à son tour parce qu’il dit avoir eu un « beau modèle » et il souhaite transmettre cet héritage. Yvan quant à lui, souhaite parrainer une deuxième personne, car il dit s’aider et se faire du bien en accompagnant des pairs.

Conclusion

Pour les personnes souffrant de certaines psychopathologies importantes, le rétablissement est un cheminement long, un processus parsemé d’embûches, une montée en dents de scie, avec des moments difficiles. L’espoir est un ingrédient majeur pour compléter ce processus et, en parallèle d’autres moyens d’intervention pour aider ces personnes souffrantes à se rétablir, l’expérience du programme de parrainage apparaît comme un outil pouvant contribuer à mieux le compléter. Il reste au programme d’intéressants développements possibles, soit d’être coordonné par un pair-aidant ou mieux, comme chez les AA, par un des parrains dans le programme.