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Stress au travail : un constat déjà bien lourd…

La multiplicité des déterminants impliqués dans le stress au travail articulée aux mécanismes cognitifs complexuels en jeu dans l’évaluation d’une situation engendre de nombreuses réactions de stress qui préfigurent des répercussions physiques et psychologiques potentielles sur le travailleur tels les troubles dépressifs, les troubles anxieux, ou encore l’épuisement professionnel.

Face à ce constat, la question du stress au travail est identifiée comme une tendance majeure et elle préoccupe les entreprises, les institutions, et les collectivités sur le plan économique et sociétal, comme en témoigne la multitude de rapports et d’enquêtes. À titre d’exemple, le National Institute for Occupational Safety and Health publia en 1999 que le pourcentage de personnes interrogées se déclarant souvent, ou très souvent, épuisées ou stressées par leur travail était de 26 %. Un rapport de l’American Psychological Association mené en 2007 sur un échantillon de 1848 personnes mentionne que, pour 74 % d’entre elles, la cause première du stress est liée au travail, les facteurs de stress avancés étant une rémunération faible (44 %), une charge de travail importante (41 %), une absence d’opportunités d’évolution (44 %), une incertitude de l’emploi (40 %), et la charge horaire (39 %). Selon l’American Institute of Stress, le stress serait incriminé dans 80 % de l’ensemble des blessures liées au travail et dans 40 % des rotations du personnel (Atkinson, 2004). Enfin, sur un plan européen, la 4e enquête sur les conditions de travail (2005), rapportée par l’European Agency for Safety and Health at Work (2009), indique que le stress a été éprouvé en moyenne par 22 % des travailleurs des 25 États membres et des 2 pays accédants de l’Union européenne.

Les coûts directs et indirects des pathologies liées au stress affolent les agrégats économiques. Selon les données disponibles aux États-Unis, les soins de santé conséquents au stress représentent pour les industries un coût de 69 milliards de dollars annuel (Manning et Jackson, 1996). Comparativement, les données européennes issues de l’enquête précitée font état en 2002 d’un coût annuel de 20 milliards d’euros pour les 15 États membres de l’Union européenne.

Stratégies organisationnelles et pistes de solutions

Quelles sont les stratégies organisationnelles et les pistes de solutions envisageables pour pallier l’impact du stress au travail sur la santé des salariés ? Quelle efficacité est la leur ? Ce questionnement a fait l’objet d’une littérature scientifique foisonnante en matière d’application d’actions de prévention et de lutte contre le stress professionnel habituellement répertoriées sous l’appellation Stress Management Intervention ou SMI. Pour Ivancevish et al. (1990), les SMI déclinées respectivement sous la forme d’interventions dites primaires, secondaires, ou tertiaires déterminent trois cibles différentes dans le cycle du stress : l’intensité des stresseurs sur le lieu de travail, l’évaluation des situations stressantes par les salariés, ou la capacité de ces derniers à faire face aux répercussions du stress vécu. Les SMI primaires s’intéressent principalement à repérer les stresseurs réels ou potentiels inhérents au milieu de travail, à procéder à des ajustements en rapport avec la réalisation et la structure des tâches, ou avec l’environnement physique (Cox et al., 2002), et à les éliminer afin de réduire leur impact négatif sur l’individu (Cooper et Cartwright, 1997). Par contraste, les interventions sur le plan secondaire s’emploient à réduire la gravité des symptômes de stress avant qu’ils ne mènent à des problèmes de santé plus conséquents. Elles sont destinées à l’individu et impliquent des actions qui ont pour objectif de modifier son évaluation des situations stressantes et les réponses données (Richardson et Rothstein, 2008), et de développer son endurance au stress en diminuant la symptomatologie associée (Légeron, 2008). Les interventions de gestion du stress tertiaires ont pour vocation d’intervenir sur un ensemble de programmes dont la particularité est de proposer de l’aide aux salariés qui ont manifesté des troubles physiques ou psychologiques imputables au stress professionnel (Légeron, 2008). Ces programmes assimilés à une prise en charge individualisée associent généralement une activité de soin et d’accompagnement à la reprise du travail. Selon Cooper et Cartwright (1997), les entreprises tendent à préférer la mise en place d’interventions sur plans secondaire et tertiaire, et les techniques de relaxation et de méditation comptent parmi les éléments de programmes les plus populaires (Richardson et Rothstein, 2008). Parmi les approches de prévention secondaire, les interventions cognitivo-comportementales ont été distinguées comme les méthodes les plus efficaces, suivies des interventions désignées sous l’appellation « relaxation » qui incluent, dans certains cas, la composante méditation (Richardson et Rothstein, 2008 ; van der Klink et al., 2001). Les interventions cognitivo-comportementales encouragent les individus à prendre en charge leurs pensées, sentiments, et comportements négatifs consécutifs en modifiant leurs cognitions et leurs émotions de façon à ce qu’elles soient plus adaptées, et en identifiant et en développant des réponses comportementales plus fonctionnelles. En d’autres mots, elles soutiennent le développement de réponses au stress aussi bien proactives que réactives. Par contraste, les objectifs et les méthodes de relaxation et de méditation consistent à recentrer l’attention loin de la source de stress, à améliorer la conscience de la tension dans le corps et l’esprit, et à réduire cette tension en lâchant prise. Bien qu’elles puissent réduire ou éliminer les pensées ou les sentiments perturbateurs, elles n’incitent cependant pas à l’affrontement des idées, des émotions, ou des comportements dysfonctionnels. L’étude de Shapiro et al. (2005), relevée dans la méta-analyse de Richardson et Rothstein (2008), se distingue des autres études basées sur des interventions de type relaxation en mettant en avant un programme exclusivement conçu sur une forme de méditation dite de pleine conscience, la MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction). Cette étude randomisée réalisée sur des professionnels de la santé met en évidence des effets bénéfiques du programme MBSR sur la mesure du burnout comparativement à un groupe contrôle (10 % vs 4 %), résultats prometteurs en outre corroborés par les études de Cohen-Katz et al. (2005) et de Mackenzie et al. (2006).

Cet article s’applique à rapporter les résultats d’une étude exploratoire dont l’objet était de concevoir et d’appliquer un programme de gestion du stress professionnel basé sur la MBCT. La réflexion inhérente au choix de l’adaptation de ce protocole initialement conçu pour prévenir la rechute dépressive a été nourrie par sa structure articulée à la fois sur le pôle méditation de pleine conscience issu de la MBSR et sur un pôle cognition emprunté à la thérapie cognitive. Après avoir dépeint le cadre théorique relatif, d’une part, à la mise en évidence du rôle nocif des patterns cognitifs dans l’apparition du stress et, d’autre part, au concept de la MBCT, nous détaillerons l’expérimentation de notre programme MBCT adapté au stress professionnel par une population de travailleurs en milieu industriel.

Cadre théorique de l’étude

Le rôle des processus cognitifs dans le stress

Selon Beck (1984), le modèle cognitif de base du stress (Lazarus, 1966) comporte une évaluation de la nature de la menace perçue et de la capacité de l’individu à y faire face. La perception de celle-ci est soumise à des postulats préétablis (schémas cognitifs) qui tiennent compte d’un système de croyances. Aussi l’évaluation d’une situation stressogène et les ressources potentielles pour gérer le stresseur sont-elles influencées par les schémas cognitifs de base. Ceux-ci représentent des processus sous-jacents qui filtrent et transforment les expériences du sujet et sont à l’origine de distorsions cognitives.

Les schémas sont des structures de connaissance stables (souvenirs, croyances, expériences de soi et du monde, enseignements prescriptifs, etc.) architecturées dans la mémoire à long terme et qui agissent par filtrage et interprétation durant l’activation du processus de traitement de l’information en polarisant l’attention (Rusinek, 2006). Ainsi, confronté à un événement, l’individu superpose le contenu informationnel capté par rapport à celui-ci à l’élaboration de sa réalité psychique dirigée par ses schémas. La traduction cognitive qui s’opère alors, renforcée et façonnée par les patterns cognitifs, peut générer des lectures interprétatives ou représentatives biaisées (distorsions, erreurs) de la situation perçue par le sujet, et régir ainsi son comportement de façon inadaptée.

Comme le rappellent Lôo et al. (2003), le modèle cognitif du fonctionnement mental, originellement développé pour la dépression (Beck, 1976), met en jeu trois mécanismes cognitifs principaux : (a) les schémas cognitifs qui conditionnent une lecture sélective et interprétative des événements selon un système de croyances personnelles ; (b) les pensées automatiques découlant des schémas et induites spontanément à l’issue d’une émotion qui sont souvent le résultat de distorsions cognitives ; et (c) les distorsions cognitives qui constituent des perturbations des mécanismes de la pensée logique en réduisant la vision des événements selon des processus de traitement de l’information dysfonctionnels. Ceux-ci ont trait à l’inférence arbitraire, la surgénéralisation, l’abstraction sélective, la catastrophisation, la personnalisation et la minimalisation. Cottraux (2004a) formalisa un modèle cognitif qui met en évidence l’articulation de ces trois processus cognitifs face à un événement dans un fonctionnement normal ou pathologique.

L’approche du modèle cognitif montre son intérêt et sa pertinence par rapport à la compréhension des réactions de stress. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les individus sont enchâssés dans un système d’évaluation cognitive constant et automatique des événements vécus. Il s’ensuit un processus d’arbitrage destiné à apprécier les enjeux de la situation en termes d’exigences et de ressources. L’interprétation finale confronte l’activation des schémas cognitifs à l’événement perçu et aux réactions potentielles. Ce résultat perceptif détermine des inclinations comportementales (tendances à agir ou intentions d’agir) qui résultent de la mobilisation des impulsions, des besoins ou des souhaits, et des réponses émotionnelles. Une fois suscitées, ces inclinations comportementales et ces réponses émotionnelles deviennent des éléments de la situation à laquelle l’individu doit faire face. Selon ce principe, l’individu répond non seulement à la situation extérieure mais également aux émotions et aux impulsions qui sont générées. La réaction comportementale, ainsi que toute émotion exprimée, peuvent avoir des effets sur la situation à laquelle l’individu est confronté, susciter ou décourager le soutien social, et augmenter ou diminuer les capacités d’ajustement et les ressources personnelles. Le modèle cognitif du stress envisage ainsi le stress comme le résultat d’une interaction dynamique entre l’individu et son environnement où la cognition joue un rôle prépondérant.

La MBCT

La MBCT est un programme de huit semaines manualisé qui a été élaboré par Segal et al. (2002) en réponse à la recherche sur les facteurs de vulnérabilité cognitifs clés de la dépression récurrente. Il s’apparente à des classes d’entraînement en groupe dirigées par un instructeur à raison d’une séance de deux heures hebdomadaire.

Empruntant à la MBSR le concept de la pleine conscience défini comme « le fait d’être attentif d’une manière particulière : délibérément, dans le moment présent, et sans jugement » (Kabat-Zinn, 1990, 4), la MBCT décline un enseignement conçu comme un triptyque avec, pour sa composante centrale, des pratiques méditatives de pleine conscience combinées avec des techniques cognitives et, dans sa périphérie, une démarche psychoéducative. Si cette dernière consiste à communiquer de l’information sur les syndromes dépressifs et à développer chez le sujet des compétences de monitoring des symptômes et de détection des prodromes, le versant pratique articulé autour de la méditation et de la cognition l’encourage à opérer une réorganisation cognitive par la mise en oeuvre de processus de distanciation et de décentration par rapport à ses schémas de pensée négatifs.

Un élément clé du programme se révèle, par ailleurs, l’engagement quotidien du sujet dans une pratique d’exercices méditatifs et cognitifs à domicile qui font l’objet d’une mise à l’écrit de l’éprouvé. Lors des séances collectives, le matériel recueilli individuellement est partagé avec l’instructeur MBCT et les autres participants du groupe. L’objectif est de mettre en lumière les éventuels écueils rencontrés par le sujet, et d’évaluer sa progression dans la maîtrise de l’ensemble des techniques nécessaires au développement de stratégies comportementales. Ces dernières sont destinées à enrayer le processus de la rechute dépressive en vue d’installer une autogestion sur le long terme à l’issue du programme.

Problématique et hypothèses de l’étude

Le modèle cognitif du stress de Beck a mis en évidence l’implication de constellations cognitives primaires spécifiques dans l’évaluation d’une situation stressogène. Cette association constitue la sensibilité propre d’un individu donné et ouvre la voie aux réactions inappropriées ou excessives. Se basant sur la conception de Kovacs et Beck (1978), citée par Segal et al. (2006, 49), selon laquelle « les individus vulnérables auraient acquis tôt dans leur vie certaines convictions ou attitudes qui persisteraient dans leur vie adulte et les accompagneraient tout au long de l’existence. Quand quelqu’un voit le monde d’un tel point de vue, le risque qu’il souffre de dépression augmente car, lorsqu’un événement négatif survient, il est vu au travers de croyances sous-jacentes faisant surgir des sentiments de tristesse qui peuvent être disproportionnés par rapport à l’événement lui-même. » Se basant sur ce constat, Segal et al. (2006) pensèrent la MBCT comme un programme thérapeutique qui agirait sur de tels schémas ruminatifs dysfonctionnels. Le programme ferait la promotion non pas du changement du contenu des pensées tel que prôné par la thérapie cognitive, mais du changement de la relation même à ces pensées. Comment ? Par le phénomène de décentration induit par la méditation de pleine conscience qui consiste en une mise à l’écart des pensées négatives émergentes pour en évaluer le contenu, et ainsi être en mesure d’adopter une perspective plus large par rapport à celles-ci.

Ce passage à un mode de traitement métacognitif de l’information permet au sujet de se déprendre des pensées automatiques associées à leur contenu et de les voir ainsi simplement comme des événements mentaux et non comme des réflexions de la réalité, tout en accentuant leur acceptation. L’adoption d’une telle posture cognitive constituera alors pour le sujet le moyen d’entraver l’escalade des pensées négatives au moment d’une rechute dépressive potentielle.

Comme l’efficacité de la MBCT sur la réduction des risques de rechutes dépressives chez les patients qui présentent au moins trois épisodes dépressifs antérieurs a été mise en évidence à plusieurs reprises et que l’analyse du modèle de Beck dans la réponse au stress révèle le rôle central de patterns cognitifs alimentés par un système de croyances préétabli, nous nous sommes proposés dans cette étude-pilote de vérifier si le programme MBCT transposé à la problématique du stress professionnel pouvait faire preuve d’un tel potentiel thérapeutique. Pour cela, nous avons posé deux hypothèses opérationnelles :

  1. Après les huit semaines de programme MBCT, des effets significatifs seraient constatés en ce qui a trait au stress (PSS et Indice de stress au travail de Légeron) et des symptômes associés (MBI, GHQ-28 et BDI-13) chez les participants.

  2. Par comparaison à un groupe contrôle, les participants ayant bénéficié du programme MBCT rapporteraient (1) une diminution du stress perçu (PSS et indice de stress au travail de Légeron) ; (2) une amélioration en ce qui concerne les dimensions du burnout (MBI) ; (3) une diminution de la détresse psychique (GHQ-28) ; et (4) une diminution des troubles dépressifs (BDI-13) plus importante.

Méthodologie de l’étude

Les participants

Vingt participants volontaires de langue maternelle française issus de catégories professionnelles diverses (employés, managers européens, managers de département, et superviseurs de département) au sein d’une usine de métallurgie basée au Luxembourg ont été recrutés pour participer à un programme de gestion du stress. L’instructeur MBCT les avait entendus au préalable de façon individuelle dans le but de leur expliquer la démarche de l’intervention proposée et d’évaluer leur motivation à s’engager dans une pratique quotidienne à domicile. Si aucun critère d’inclusion n’avait été retenu, nous nous étions néanmoins assurés qu’aucun d’entre eux n’était sous traitement médicamenteux pour troubles psychiques.

Par les sujets, 85 % étaient âgés de moins de 45 ans (35 % de - de 35 ans, 50 % de 35-45 ans) et 85 % avaient une ancienneté dans l’entreprise de moins de 10 ans (70 % de - de 5 ans, 15 % de 5-10 ans). Par ailleurs, nous n’avons pu recueillir que des données restrictives sur les variables sociodémographiques, la direction et les syndicats n’ayant pas consenti à communiquer d’autres paramètres (telles les fonctions respectives des salariés volontaires ou encore leur civilité) pour des raisons de confidentialité.

Design de l’étude

Les 20 salariés recrutés ont été assignés par randomisation à un groupe MBCT et à un groupe contrôle. Les deux groupes constitués respectivement de six hommes et de quatre femmes ont complété les mesures du questionnaire au Temps 1 (Pré-programme) et au Temps 2 (Post-programme). Le programme MBCT a été dispensé par un psychologue instructeur MBCT à l’extérieur de l’entreprise sous un format en quatre séances de quatre heures bimensuelles afin de faire coïncider les plannings de travail de chaque participant. Cette pratique en groupe a été complétée par une prescription d’exercices à domicile quotidiens.

Les instruments de mesure

Les variables dépendantes retenues témoignent de la mise en évidence des répercussions du stress sur la santé en évaluant le stress perçu de façon générale (PSS) et contextualisé au travail (indice de stress au travail de Légeron), l’épuisement professionnel (MBI), et les manifestations psychiques et somatiques (GHQ-28, BDI-13).

La Perceived Stress Scale (PSS) (Cohen et al., 1983 ; Cohen et Williamson, 1988) présente un questionnaire de 14 items destiné à mesurer le sentiment subjectif de stress dans la vie de tous les jours. Le sujet évalue chaque item sur une échelle à 5 points en fonction de la fréquence (de 1 = jamais à 5 = très souvent). Le score global de l’échelle de stress perçu est la somme des notes obtenues à chaque item, le maximum étant de 70. On considère qu’un score < 25 correspond à un niveau de stress faible, un score > 50 témoignant d’un niveau de stress élevé.

L’indice de stress au travail de Légeron (2003) permet d’évaluer si le travail est jugé stressant par un individu d’un point de vue multifactoriel en détaillant les principaux facteurs de stress incriminés : pression au travail, changements, frustrations, relations, violence et environnement. L’échelle comporte 24 items cotés de 0 à 3. Le score global correspond à la sommation des scores aux six sous-échelles. L’auteur pose un seuil de signification à 40 en nuançant le stress perçu selon les paliers graduels suivants : total entre 0 et 10, le travail est peu stressant, entre 11 et 20, il existe quelques facteurs de stress, entre 21 et 30, il y a de nombreux facteurs de stress, entre 31 et 40, le travail est très stressant, > 40, le travail est extrêmement stressant.

Le Maslach Burnout Inventory (MBI) de Maslach et Jackson (1981, 1986) s’emploie à évaluer le syndrome de l’épuisement professionnel. La version utilisée est la validation française réalisée par Dion et Tessier (1994). Le sujet évalue la fréquence de chaque item par rapport au vécu de certaines émotions négatives liées au travail sur une échelle de type Likert de 0 (jamais) à 6 (chaque jour). L’outil comporte 22 items mesurant trois sous-échelles qui correspondent à : (1) la dimension de l’épuisement émotionnel (EE) composée de 9 items (a . 90) ; (2) la dimension de la dépersonnalisation (DE) composée de 5 items (a. 79) ; et (3) la dimension de l’accomplissement personnel (AP) composée de 8 items (a . 71). Le score de chaque sous-échelle est obtenu par la sommation des évaluations de chacun de ces items. Des points de césure qui favorisent la catégorisation selon un continuum de niveau de burnout en degré d’affection faible, modéré ou élevé ont été établis par les auteurs. Selon Maslach et Jackson (1981), un sujet qui présente un score élevé aux sous-échelles EE et DE associé à un score faible à la sous-échelle AP reflète un niveau élevé de burnout. Actuellement, il n’existe pas de consensus sur la manière de considérer les scores à cette échelle. Néanmoins, nous retiendrons les scores suivants comme seuils significatifs : (a) EE > 29 ; (b) DE > 11 ; et (c) AP < 33.

Le General Health Questionnaire (GHQ-28) de Goldberg et Hillier (1979) s’applique à évaluer le changement de fonctionnement au quotidien de l’individu lié à la détresse. Il s’avère le plus pertinent dans l’évaluation générale des troubles psychiatriques. Il constitue une mesure multidimensionnelle de symptômes spécifiques : anxiété-insomnie, dépression, symptômes somatiques et dysfonctionnement social. La version utilisée comprend 28 items. Pour chacun d’entre eux, le sujet se prononce selon son impression d’aller mieux que d’habitude, aussi bien que d’habitude, moins bien que d’habitude, ou beaucoup moins bien que d’habitude. Les auteurs conseillent une cotation ordinale du score de la forme absent/présent (0-0-1-1) pour chaque item, méthode où l’on attribue 0 si le sujet répond mieux ou autant que d’habitude, et 1 s’il répond plus ou bien plus que d’habitude. Selon la cotation 0-0-1-1, la littérature internationale pose un seuil à cinq symptômes présents. Les sous-échelles de la GHQ-28 représentent les dimensions de la symptomatologie mais ne donnent pas un diagnostic précis. Comme les échelles ne sont pas indépendantes les unes des autres, le score total indique plutôt les troubles psychologiques généraux alors que les scores individuels ne sont que représentatifs d’un trouble psychologique spécifique. Une version européenne française de l’échelle GHQ-28 montre des propriétés psychométriques satisfaisantes avec un indice de sensibilité de 79 % (Goldberg et al., 1997).

Le Beck Depression Inventory (BDI-13) de Beck et al. (1961) a fait l’objet d’une version francophone abrégée en 13 items (Collet et Cottraux, 1986). Il s’agit d’une échelle d’autoévaluation qui donne une estimation quantitative de la sévérité des troubles dépressifs. Chaque item de l’inventaire est constitué d’une série de quatre énoncés qui correspondent à des degrés d’intensité croissants de symptômes, scorés de 0 à 3. Une note globale est obtenue par sommation des 13 items. Le point de césure est de 16 pour une dépression sévère.

Programme : la Mindfulness-Based Cognitive Therapy appliquée au stress professionnel

La MBCT destinée à la prise en charge du stress professionnel est une intervention de groupe adaptée à partir du programme MBCT conçu pour prévenir la rechute dépressive (Segal et al., 2002). Les deux programmes combinent la théorie et la pratique de la pleine conscience avec des interventions cognitives dans le but d’aider les sujets à réaliser une autorégulation émotionnelle par le développement d’une attention pleinement consciente. À la différence de la thérapie cognitive, aucun effort n’est entrepris dans le sens d’une restructuration ou d’une modification des pensées ou émotions existantes. Cependant, la MBCT adaptée à l’objet du stress professionnel diffère du programme MBCT initial sur deux plans fondamentaux.

Premièrement, nous avons apporté une modification structurelle : à la différence du format originel de la MBCT, ce dernier se décline en quatre séances de quatre heures bimensuelles pour des raisons d’organisation du travail inhérentes aux fonctions respectives des participants (contraintes de temps, déplacements, plannings) et la réalisation du programme au cours des heures de présence au travail. Secondement, nous avons procédé à une modification d’ordre constitutif. Nous avons enrichi le programme existant de deux manières. D’abord par l’apport d’un matériel didactique sur le plan du pôle méditation par la traduction des supports à guidance verbale issus de la MBSR (Kabat-Zinn, 2002a ; 2002b) et la transcription d’enregistrements audio téléchargeables[1]. Nous avons aussi intégré au matériel didactique deux exercices supplémentaires, l’exercice « S’exercer à l’ici et maintenant » qui s’inspire du livre de Maex (2007)[2], et les sept attitudes requises pour la pratique de la pleine conscience selon Kabat-Zinn (2009)[3].

Dans un second temps, nous avons élaboré nos propres outils relatifs aux exercices cognitifs. Nous avons adapté ceux du manuel de Segal et al. (2006) au contexte spécifique du stress professionnel. Nous nous sommes aussi inspirés des ouvrages de Greenberger et Padesky (2005[4]), et de Cottraux (2004a ; 2004b), et nous avons personnalisé les méthodes qui y sont présentées de sorte à cibler les schémas cognitifs incriminés dans l’apparition du stress selon le modèle de Pretzer et Beck (2007).

Enfin, nous avons adjoint à notre programme une démarche psychoéducative basée sur des exposés relatifs à la compréhension du stress et des émotions, ainsi que sur l’auto-administration d’un questionnaire destiné à évaluer la nature et l’intensité de la symptomatologie du stress (Lafleur et Béliveau, 1994).

Résultats

Nous avons testé nos hypothèses en ayant recours à deux tests non paramétriques, le test de la somme des rangs de Wilcoxon pour deux échantillons pairés et le test de Mann-Whitney pour deux échantillons indépendants. L’ensemble des résultats a été traité statistiquement par SPSS 17.0.

Résultats préliminaires

Les groupes MBCT (n = 10) et contrôle (n = 10) ne différaient pas significativement selon le sexe (c2 = ,00 ; ddl = 1 ; p = 1), l’âge (c2 = ,476 ; ddl = 2 ; p = ,788), et l’ancienneté (c2 = 1,333 ; ddl = 3 ; p = ,721).

Les résultats au Temps 1 montrent des scores significatifs par rapport au seuil fixé à la fois à la PSS (stress modéré) pour les deux groupes et à l’indice de stress au travail de Légeron avec une évaluation plus importante pour le groupe MBCT (travail très stressant) par rapport au groupe contrôle (nombreux facteurs de stress). Tous les autres scores aux échelles n’étaient pas significatifs selon les seuils établis. L’analyse statistique intergroupe indique que le groupe MBCT apparaît comme plus symptomatique malgré la randomisation.

Effets du programme MBCT et mesure de sa pertinence en fonction d’une comparaison intergroupe

Première hypothèse : la MBCT réduit le niveau de stress et les symptômes associés.

Les résultats statistiques Pré-post (Tableau 1) révèlent sur la totalité des échelles mesurées une diminution du stress perçu et une amélioration de la santé psychique. Parallèlement, les analyses Pré-post (Tableau 1) montrent une évolution statistiquement significative en ce qui concerne trois échelles sur cinq. En effet, les résultats aux mesures contextualisées au travail montrent une différence significative sur le plan de l’évaluation globale du stress au travail de Légeron (Wilcoxon, Z = -2,54 ; p = ,011), de la dimension EE (Wilcoxon, Z = -2,67 ; p = ,008) et de la dimension DE du burnout (Wilcoxon, Z = -2,84 ; p = ,005). De plus, la diminution du degré de souffrance psychique rapportée par les participants indique une significativité statistique au score global du GHQ-28 (Wilcoxon, Z = -2,83 ; p = ,005). Enfin, notons que le BDI-13 met en évidence un seuil tendanciel à la significativité (p = ,066).

Seconde hypothèse : le groupe MBCT affiche une diminution plus significative que le groupe contrôle sur le plan du stress et des symptômes associés.

Les résultats (Tableau 1) aux mesures intergroupes en situation Post-programme rapportent pour les participants du groupe MBCT une amélioration statistiquement significative uniquement sur le plan de la dimension EE du burnout (Mann-Withney, U = 19,50 ; p = ,011) et du score global à l’échelle du stress au travail de Légeron (Mann-Withney, U = 16 ; p = ,009).

Discussion

Les objectifs de la recherche étaient d’élaborer le premier programme MBCT appliqué au stress professionnel en entreprise, et d’attester d’apports préliminaires quant à son impact sur une population non clinique de salariés en milieu industriel dans un design randomisé et contrôlé.

Tableau 1

Comparaison statistique des mesures Pré- et Post-programme du groupe MBCT et comparaison statistique MBCT/Contrôle au niveau de l’ensemble des échelles de mesure

Comparaison statistique des mesures Pré- et Post-programme du groupe MBCT et comparaison statistique MBCT/Contrôle au niveau de l’ensemble des échelles de mesure

Les moyennes assorties d’une lettre différente en exposant sont statistiquement significatives au moins au seuil ,05, ces exposants exprimant des différences entre les phases Temps 1 et Temps 2 pour le groupe MBCT.

Les moyennes assorties d’un chiffre différent en indice expriment une différence significative au moins au seuil ,05 entre les groupes MBCT et Contrôle, ceci pour chacune des phases Pré- et Post-programme.

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Les résultats de notre étude suggèrent l’efficacité d’un programme MBCT sur l’expérience subjective de se sentir stressé au travail, l’amélioration sur le plan des dimensions EE et DE du burnout, et la diminution de la détresse psychique, notamment sur le plan des dimensions anxiété-insomnie et dysfonctionnement social. Bien que ces résultats Pré-Post montrent une amélioration de la santé sur la quasi-totalité des mesures évaluées, à l’exception de la dimension AP du burnout et du stress perçu dans la vie quotidienne, seules les mesures de l’EE et du stress perçu contextualisé au travail au Temps 2 révèlent une significativité statistique de la MBCT comparativement au groupe contrôle. Étant donné que le groupe MBCT affichait des scores plus élevés sur l’ensemble des mesures au Temps 1 et que l’évolution Pré-Post témoignait d’un effet significatif du programme MBCT, nous nous attendions à ce qu’il montre une significativité plus importante au Temps 2 par comparaison avec le groupe contrôle.

Malgré plusieurs résultats encourageants, cette étude a révélé de nombreuses limites qui suscitent de nouvelles pistes de recherche. Nous noterons tout d’abord une taille d’échantillon réduite qui intègre une population non clinique ainsi qu’une absence d’homogénéité entre les deux groupes sur les mesures au Temps 1, le groupe contrôle présentant des scores nettement inférieurs au groupe MBCT. Ainsi, la structure de l’échantillon et le manque de crédibilité du groupe Contrôle ont pu impacter les résultats des mesures Pré-programme, et conséquemment des mesures Post-programme.

Par ailleurs, le fait que l’ensemble des salariés ait été volontaire et motivé pour participer au programme a pu biaiser les résultats aux évaluations. De plus, une randomisation non aveugle avant l’évaluation Pré-programme a pu incliner des comportements prédéterminés chez les participants des deux groupes. L’expérience a mis en lumière d’autres types de limites telles que la difficulté de l’observance d’un programme d’exercices à domicile. Les participants ont exprimé ne pas avoir toujours eu le temps suffisant pour pratiquer et l’instructeur a eu des difficultés à contrôler le suivi à domicile du fait d’un manque de rigueur de ces derniers. La ponctualité n’a pas toujours été respectée en raison d’impératifs ou d’impondérables professionnels. Enfin, l’allongement de la durée des séances par rapport à la version originelle a révélé la difficulté à maintenir une concentration et une réceptivité égales tout au long de la séance.

Nous suggérons que les études futures pourraient explorer un programme qui inclue des séances plus courtes et hebdomadaires, voire un programme décliné sur une durée plus longue, huit semaines ne suffisant peut-être pas à acquérir les compétences de pleine conscience nécessaires. D’autre part, le design de cette étude-pilote limité à un groupe traitement et à un groupe contrôle ne permet pas d’asseoir le potentiel thérapeutique réel de la MBCT. Nous suggérons qu’il serait judicieux d’inclure dans les recherches futures un groupe MBSR étant donné que celle-ci a nourri l’élaboration de la MBCT, et que des études ont d’ores et déjà montré son efficacité sur la gestion du stress auprès de professionnels de la santé. Enfin, l’absence de suivi longitudinal ne permet pas d’observer les bénéfices à long terme, mais uniquement l’influence positive immédiate du programme. Nous suggérons que les études à venir pourraient inclure des mesures à différentes périodes et que le programme MBCT conçu pour l’entreprise pourrait prévoir des réunions de suivi et une révision des pratiques méditatives.

Conclusion

Cette étude-pilote souligne le potentiel d’applicabilité d’un programme MBCT au monde de l’entreprise dans le but de mettre en oeuvre une politique de prévention et de gestion du stress, et d’améliorer les compétences psychosociales des employés. Dispenser un programme MBCT dans le cadre de l’entreprise revêt certaines difficultés. Il faut constituer des groupes qui ne font pas cas d’éventuels liens de subordination entre participants. Autrement ces liens seraient susceptibles d’entraver l’expression des échanges expérientiels lors des séances ou d’amener certains participants à taire des informations professionnelles. C’est notamment le cas lors des exercices cognitifs où il est demandé de faire état des expériences difficiles vécues au travail, ou dans la partie psychoéducative du stress où les participants expriment les facteurs de stress auxquels ils sont soumis.

Par ailleurs, si cette étude révèle une efficacité prometteuse, nous ne pouvons néanmoins être assurés de l’attribution possible de ses bénéfices à son seul contenu, des facteurs externes ayant pu influencer les résultats tels le soutien de groupe ou encore des paramètres individuels, comme un soutien familial plus important ou des activités de loisirs. Au regard de l’ensemble des éléments précités, la MBCT s’avérerait une intervention adaptée au monde du travail et constituerait un gain probable à la fois pour les salariés et l’entreprise, ceci sans négliger un coût avantageux par rapport à d’autres actions de stress management.