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Introduction

En comparaison avec d’autres troubles psychiatriques, les personnes atteintes de la schizophrénie ont la plus faible autocritique par rapport à leurs symptômes (Cuesta et al., 2000 ; Pini et al., 2001). À ce jour, la plupart des études sur l’autocritique dans la schizophrénie se sont concentrées sur les symptômes dits positifs (délires et hallucinations) (McEvoy et al., 1989 ; Young et al., 2003). Ces études ont produit des résultats portant à penser que le manque d’autocritique des personnes atteintes de la schizophrénie compromet l’alliance thérapeutique et l’observance du traitement (pharmacologique ou non pharmacologique) (Amador et Gorman, 1998 ; Beck et al., 2004), qui sont d’importants déterminants du pronostic clinique.

En comparaison, un plus petit nombre d’études se sont intéressées aux plaintes cognitives subjectives, en dépit du fait que la documentation clinique a montré que 70 à 75 % des personnes atteintes de la schizophrénie ont des déficits cognitifs significatifs (Kalkstein et al., 2010). Ces déficits se manifestent dans les domaines de l’attention, de la résolution de problèmes, de la vitesse de traitement de l’information, de la mémoire épisodique (verbale et visuelle), de la mémoire de travail (Nuechterlein et al., 2004), de même que de la cognition sociale (Schmidt et al., 2011). La performance cognitive des personnes atteintes de la schizophrénie se situe généralement entre 1 et 1,5 écart-type en dessous de la performance de la population générale (Stip, 2006). Fait important : ces déficits cognitifs prédisent mieux le fonctionnement social et occupationnel des patients que les symptômes positifs et négatifs (anhédonie, retrait social, etc. ; Green, 1996).

Durant la dernière décennie, des efforts accrus ont été investis dans l’étude de la conscience (ou l’absence de conscience) que les patients atteints de la schizophrénie ont de leurs déficits cognitifs. En comparant les plaintes cognitives subjectives des patients à leur performance cognitive objective, telle qu’évaluée par des tests cognitifs validés, certaines études ont montré une absence de corrélation entre les mesures subjectives et objectives (Cella et al., 2013 ; Donohoe et al., 2009 ; Sellwood et al., 2013), alors que d’autres études ont montré des associations significatives, quoique généralement modestes, entre les deux types de mesures (Hake et al., 2007 ; Potvin et al., 2005 ; Stip et al., 2003). Pris ensemble, ces résultats suggèrent que dans la schizophrénie, l’autocritique par rapport aux déficits cognitifs est compromise, voire absente. La difficulté qu’éprouvent les patients à reconnaître leurs déficits cognitifs ne serait pas sans conséquence. Des données préliminaires suggèrent, en effet, que la capacité à reconnaître ses propres déficits cognitifs serait associée à une meilleure issue fonctionnelle dans la schizophrénie (Verdoux et al., 2010). Aussi, l’évaluation autorapportée des déficits cognitifs fait de plus en plus partie des items utilisés pour évaluer la qualité de vie des patients atteints de schizophrénie (Barr, 1998).

Plusieurs facteurs pourraient rendre compte de l’hétérogénéité des résultats des études s’intéressant aux plaintes cognitives subjectives dans la schizophrénie, incluant l’échelle utilisée afin de mesurer ces dernières et les domaines cognitifs étudiés. Dans la schizophrénie, la question de la conscience des déficits neurocognitifs a été étudiée avec une pluralité d’échelles, et il est tout à fait possible que des différences quant aux qualités psychométriques de celles-ci puissent expliquer l’hétérogénéité des résultats qui ont été rapportés jusqu’ici dans la documentation scientifique (Bacon et al., 2011 ; Mass et al., 2005 ; Stip et al., 2003). Par ailleurs, les études dans le domaine ont mesuré des fonctions cognitives fort hétérogènes, à l’aide de tests cognitifs fort variables d’une étude à l’autre, et il est tout à fait possible que cette hétérogénéité dans la mesure puisse expliquer, ne serait-ce qu’en partie, l’hétérogénéité des résultats décrits à ce jour (Chan et al., 2008 ; Moritz et al., 2004 ; Potvin et al., soumis ; Voruganti et al., 2007).

En plus de ce problème d’hétérogénéité, l’étude de la cognition subjective dans la schizophrénie se bute également à un problème de spécificité. En effet, certaines études ont montré des relations significatives entre les symptômes psychiatriques de la schizophrénie et les plaintes cognitives des patients (Johnson et al., 2009 ; Saperstein et al., 2012 ; Sellwood et al., 2013), ce qui suggère que les plaintes cognitives pourraient refléter, dans la schizophrénie, l’expression d’un malaise diffus plutôt qu’une conscience réelle de leurs déficits cognitifs. Dans le même ordre d’idées, certains auteurs se sont intéressés à la relation entre la cognition subjective et l’autocritique par rapport à la maladie. Alors que certaines études ont montré que les deux phénomènes sont interreliés (Bayard et al., 2009 ; Lavola et al., 2013), d’autres études ont montré, au contraire, une absence de relation entre ces phénomènes (Donohue et al., 2009 ; Potvin et al., soumis), de sorte qu’il est difficile de déterminer, dans l’état actuel de la connaissance, si l’absence de conscience des déficits neurocognitifs dans la schizophrénie constitue un phénomène indépendant ou s’il constitue, au contraire, l’une des multiples expressions de difficultés métacognitives plus générales.

Les objectifs primaires de la présente méta-analyse visent à déterminer si les patients atteints de la schizophrénie se plaignent de déficits cognitifs, et si ces plaintes varient en fonction des domaines cognitifs traditionnellement atteints dans la schizophrénie. De façon secondaire, la méta-analyse vise à vérifier les plaintes cognitives des patients variant en fonction de l’échelle utilisée afin de quantifier ces plaintes, voir si ces plaintes sont davantage liées à la dysfonction cognitive objective ou à la symptomatologie psychiatrique et enfin, si l’inconscience des déficits neurocognitifs est un phénomène distinct ou non de l’absence d’autocritique par rapport à la « maladie ».

Méthodologie

Procédures de sélection

Fouille des écrits scientifiques

Une fouille des écrits scientifiques a été effectuée avec PubMed, PsycInfo et EMBASE, à l’aide des mots clés suivants : schizophrenia OU psychosis ET cognition OU memory OU attention OU `executive functions` ET insight OU `subjective cognition` OU awareness. Nous avons retenu les études publiées avant janvier 2014.

Crtières de sélection

Les études ont été sélectionnées en fonction des critères suivants : 1. elles incluent des patients atteints d’un trouble de la lignée de la schizophrénie, établi à l’aide de critères diagnostiques reconnus ; 2. elles comprennent une évaluation de la cognition subjective à l’aide d’une échelle autoadministrée validée. Nous avons inclus dans la méta-analyse les études n’évaluant pas la cognition objective, seulement si l’étude évaluait la relation entre la cognition subjective et les symptômes psychiatriques des patients. En revanche, nous avons exclu les études évaluant la cognition subjective dans d’autres troubles psychiatriques que la schizophrénie. Les études évaluant la conscience des déficits neurocognitifs à l’aide d’entrevues à la troisième personne ont également été exclues, de même que les études utilisant des échelles évaluant l’autocritique par rapport à des processus de pensée (exemple : Beck Cognitive Insight Scale), plutôt que des fonctions cognitives définies en termes neuropsychologiques (attention, mémoire, etc.). Dans le cas des échelles évaluant à la fois l’autocritique par rapport aux processus de pensée et l’autocritique par rapport à la neuro-cognition, nous avons seulement utilisé la sous-échelle évaluant la conscience des déficits neurocognitifs. Enfin, nous avons exclu les études utilisant des statiques non paramétriques.

Analyses statistiques

Les données ont été analysées à l’aide du logiciel Comprehensive Meta-Analysis, version 2 (Biostat, Inc., Englewood, NJ, USA). Ce logiciel utilise les mêmes algorithmes computationnels que le groupe Cochrane, puisqu’il pondère le poids relatif des études selon la méthode de la variance inverse (Borenstein et al., 2005). Comme taille de l’effet, notre mesure primaire est le coefficient de corrélation de Pearson (r), lequel évalue la relation linéaire entre la performance neurocognitive et la plainte cognitive subjective des patients atteints de la schizophrénie. Nous avons d’abord effectué cette analyse en regroupant l’ensemble des domaines cognitifs, puis en prenant chaque domaine cognitif séparément. Pour la présente méta-analyse, les tests cognitifs ont été regroupés en fonction des six domaines cognitifs établis par le groupe MATRICS, soit l’attention, la mémoire de travail, la mémoire verbale, la mémoire visuelle, la résolution de problèmes et la vitesse de traitement de l’information (Green et al., 2004). Dans le passé, nous avons utilisé avec succès cette approche dans la schizophrénie (Potvin et al., 2008). Afin d’évaluer l’effet potentiel du type d’échelle utilisé pour mesurer la cognition subjective, nous avons effectué des sous-analyses catégorielles (Paulson et al., 2010). La relation entre la plainte cognitive subjective et les symptômes psychiatriques, d’une part, et l’autocritique par rapport à la maladie, d’autre part, a également été évaluée à l’aide du coefficient de corrélation de Pearson. Comme mesure secondaire, nous avons évalué la différence dans les plaintes cognitives subjectives entre les patients atteints de la schizophrénie et les sujets sains. Cette différence intergroupe a été évaluée à l’aide du d de Cohen, lequel correspond à la différence des moyennes des deux groupes, divisée par l’écart-type composé. Par convention, un d de 0,2, de 0,5 et de 0,8 est considéré comme étant petit, moyen et grand (respectivement) (Cohen, 1988). Le seuil de signification a été fixé à p < 0,05, et aucune correction de Bonferroni n’a été appliquée. L’hétérogénéité entre les études a été évaluée à l’aide de l’index I2. Par convention, une hétérogénéité de 25, 50 et 75 % est considérée comme étant faible, moyenne et forte (respectivement) (Lipsey et Wilson, 2000). Étant donné que notre base de données était hautement hétérogène (voir ci-bas), nous avons effectué l’agrégation des études à l’aide d’un modèle à effets aléatoires et non pas un modèle à effets fixes, car ce modèle tient compte de l’hétérogénéité entre les études et produit ainsi une estimation davantage conservatrice de la taille de l’effet composé (Cooper et al., 2009). Enfin, la possibilité d’un biais de publication a été évaluée à l’aide du test-t d’Egger et collaborateurs (1997).

En effectuant la méta-analyse, nous avons constaté que les auteurs ont tendance à ne pas rapporter le coefficient de Pearson lorsque la relation entre la cognition objective et la cognition subjective n’est pas significative. Afin de pallier ce problème bien connu, il existe trois solutions. La première consiste à remplacer la valeur manquante par un coefficient de 0 ; la seconde, à la remplacer par la moyenne des tailles de l’effet. Alors que la première approche sous-estime la taille de l’effet, la seconde a tendance à la surestimer. Nous avons donc opté pour une troisième approche, intermédiaire, qui consiste à remplacer la valeur manquante par la limite inférieure de l’intervalle de confiance de la taille de l’effet composé. Il s’agit d’une approche dont la validité est reconnue (Aleman et al., 2006).

Résultats

Description des études retenues

Notre fouille a permis de relever 24 études. Parmi celles-ci, les études de Zhornitsky et al. (2011) et de Van den Bosch et al. (1993) ont été exclues en raison d’un recoupement partiel des données avec l’étude de Potvin et al. (soumis) et de Van den Bosch et al. (1998), respectivement. Au total, nous avons donc inclus 22 études dans la méta-analyse, incluant un total de 1609 patients atteints de la schizophrénie et de 294 sujets sains. Le Tableau 1 décrit les caractéristiques de ces 22 études.

Table 1

Description des études incluses dans la méta-analyse[*]

Description des études incluses dans la méta-analyse*

BIS = Birchwood Insight Scale ; BPRS = Brief Psychiatric Rating Scale ; CDSS = Calgary Depression Scale for Schizophrenia ; CFQ = Cognitive Failure Questionnaire ; ESI = Eppendorf Schizophrenia Inventory ; FEDA = Questionnaire for Self-Experienced Deficits of Attention (Fragebogen erlebter, Defizite der Aufmerksamkeit) ; FHDA = Hospital Depression and Anxiety ; MIA = Metamemory Inventory in Adulthood ; MIC-SR = Measure of Insight into Cognition – Self-Report ; PANSS = Positive And Negative Syndrome Scale ; PRMQ = Prospective and Retrospective Memory Questionnaire ; PSD = Paranoid Depression Scale ; SA = trouble schizo-affectif ; SAI = Scale for the Assessment of Insight ; SANS = Scale for the Assessment of Negative Symptoms ; SAPS = Scale for the Assessment of Positive Symptoms ; SCORS = Schizophrenia Cognition Rating Scale ; SCZ = schizophrénie ; SPAIQ = Subjective Perception of Attention Improvement Questionnaire ; SS = sujets sains ; SSTICS = Subjective Scale to Investigate Cognition in Schizophrenia ; SUMD = Scale to assess Unawareness of Mental Disorder ; TAS = Test of Attention Style.

*

Seules les données ayant servi à des fins d’analyses statistiques sont décrites dans le présent tableau.

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Schizophrénie versus sujets sains

La comparaison entre les patients atteints de la schizophrénie et les sujets sains a montré que les patients se plaignent davantage de problèmes cognitifs et que cette différence est modérée (Tableau 2). Pour cette analyse, aucun biais de publication n’a été mis en évidence (t = 0,1 ; p = 0,914).

La relation entre la cognition subjective et la cognition objective

Sur la base de 18 études, une relation faible mais significative a été identifiée entre la cognition objective (performance cognitive globale) et la cognition subjective dans la schizophrénie (Tableau 2). Une sous-analyse a montré que la relation entre cognition subjective et cognition objective est plus forte lorsque la cognition subjective est évaluée avec la Subjective Scale To Investigate Cognition in Schizophrenia (SSTICS) que lorsqu’elle est évaluée avec d’autres échelles (Tableau 2). Des sous-analyses portant sur les six domaines cognitifs déficitaires dans la schizophrénie ont montré que la relation entre la cognition subjective et la résolution de problèmes est modérée, alors que cette relation est (très) faible et/ou non significative dans le cas des autres domaines cognitifs (Tableau 2). Le test-t d’Egger n’a pas mis en évidence de biais de publication en ce qui concerne la relation avec la performance cognitive globale (t = 0,7 ; p = 0,51).

Tableau 2

Méta-analyse de la conscience des déficits neurocognitifs dans la schizophrénie

Méta-analyse de la conscience des déficits neurocognitifs dans la schizophrénie

SSTICS = Subjective Scale to Investigate Cognition in Schizophrenia

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La relation entre la cognition subjective et les symptômes psychiatriques

La méta-analyse a mis en évidence une absence de relation entre la cognition subjective et les symptômes positifs et négatifs de la schizophrénie (Tableau 2). En revanche, une relation modérée entre la cognition subjective et la symptomatologie dépressive a été mise en lumière, de même qu’une relation faible mais significative entre la cognition subjective et l’autocritique par rapport à la « maladie » (Tableau 2).

Discussion

Contrairement à une idée largement répandue, les résultats de la présente méta-analyse montrent que les patients atteints de la schizophrénie se plaignent de déficits cognitifs. En revanche, les résultats montrent que ces plaintes corrèlent pauvrement avec les déficits cognitifs des patients, tels qu’objectivés à l’aide de tests neuropsychologiques. La relation entre la plainte subjective et la performance cognitive objective varie en fonction de deux variables, soit le choix de l’échelle mesurant les plaintes subjectives et le domaine cognitif d’intérêt. En effet, il semble que la corrélation entre les plaintes subjectives et la performance cognitive objective soit plus forte dans les études utilisant l’échelle STICSS que dans les études utilisant d’autres échelles. La corrélation semble également plus forte entre les plaintes subjectives et les dysfonctions exécutives que la relation entre les plaintes subjectives et les autres domaines cognitifs traditionnellement atteints dans la schizophrénie. La méta-analyse montre, par ailleurs, que les plaintes cognitives subjectives des patients sont tout autant corrélées avec leurs symptômes dépressifs qu’avec leurs déficits cognitifs. Enfin, la méta-analyse montre que l’absence de conscience des déficits neurocognitifs et l’absence d’autocritique par rapport à la « maladie » sont des phénomènes pauvrement intercorrélés.

Pris ensemble, les résultats de la présente méta-analyse suggèrent que les patients atteints de la schizophrénie se plaignent bel et bien des déficits cognitifs, mais qu’ils n’ont pas forcément une représentation claire de la nature de ces déficits, et que ces plaintes ne sont pas reliées spécifiquement à leurs déficits cognitifs en tant que tels. Considérant que les plaintes des patients corrèlent tout autant avec les symptômes dépressifs de la schizophrénie qu’avec les déficits cognitifs objectifs, il serait intéressant de poursuivre dans le futur des travaux de nature phénoménologique explorant la signification de la notion de déficits cognitifs, telle que les patients se la représentent subjectivement. Un élément de réponse réside possiblement dans le fait que ce sont les fonctions exécutives qui semblent être les plus étroitement corrélées avec les plaintes subjectives des patients. On pourrait donc penser qu’aux yeux des patients, la notion de déficits cognitifs renvoie avant tout à des problèmes d’organisation, de planification et de mise en place de stratégies afin de résoudre ces problèmes. Une autre possibilité est que les patients se plaignent surtout de déficits exécutifs, car ce sont ces déficits qui, à leurs yeux, leur nuisent le plus. Il est toutefois prudent de rappeler ici que les sous-analyses portant sur les domaines cognitifs (mémoire, attention, fonctions exécutives, etc.) se basent sur un nombre restreint d’études, et que l’inclusion de nouvelles études dans le futur pourrait invalider une partie des résultats que nous rapportons ici. Pour l’instant, les résultats de la présente méta-analyse suggèrent avant tout que les plaintes cognitives des patients atteints de la schizophrénie expriment un mal-être pauvrement défini, qui ne recoupe que partiellement la notion de déficits cognitifs telle que conçue en neuropsychologie. Ces résultats font écho à une méta-analyse récente, portant sur l’autocritique par rapport à des processus de pensée, telle que mesurée à l’aide de la Beck Cognitive Insight Scale, laquelle a montré elle aussi une relation significative mais faible entre la cognition subjective et la cognition objective dans la schizophrénie (Nair et al., 2014).

Les résultats de la présente méta-analyse ont des implications conceptuelles. En effet, en théorie, on pourrait postuler que des mécanismes cognitivo-affectifs communs sous-tendent les problèmes de conscience des déficits neurocognitifs et les problèmes d’autocritique par rapport à la « maladie » dans la schizophrénie. Les résultats de la présente méta-analyse ne corroborent pas cette hypothèse, et suggèrent plutôt que le manque de conscience des déficits neurocognitifs et le manque d’autocritique par rapport à la « maladie » sont des phénomènes largement indépendants. En 2006, Stip a formé le terme de « schizo-anosognosie » afin de départager le manque d’autocritique par rapport aux déficits cognitifs du manque d’autocritique tel qu’on le conçoit traditionnellement, soit le manque d’autocritique par rapport à la « maladie » (Homayoun et al., 2011). Les résultats de la présente méta-analyse confortent la pertinence du concept de schizo-anosognosie, de même que les efforts investis dans la littérature métacognitive afin d’identifier les différentes formes de manque d’autocritique dans la schizophrénie (Gilleen et al., 2011).

Les résultats de la présente méta-analyse ont des implications méthodologiques pour les études futures qui seront menées dans le domaine. D’une part, nos résultats suggèrent que la SSTICS semble être, pour l’instant, la meilleure échelle pour mesurer les plaintes cognitives subjectives des patients atteints de la schizophrénie, puisque c’est avec cette échelle que les corrélations les plus fortes ont été observées à ce jour avec les déficits cognitifs des patients. D’autres échelles que la SSTICS existent et il n’est pas interdit que de nouvelles études démontreront éventuellement leur utilité, mais comme le montre le Tableau 1, ces échelles alternatives ont été utilisées dans un nombre limité d’études. Toujours sur le plan méthodologique, la présente méta-analyse illustre la nécessité, dans le futur, de mesurer les 6 grands domaines cognitifs qui sont atteints dans la schizophrénie, soit l’attention, les fonctions exécutives, la mémoire visuelle, la mémoire verbale, la mémoire de travail, la vitesse de traitement de l’information. Malheureusement, beaucoup d’études s’intéressant à la cognition subjective dans la schizophrénie ont mesuré un nombre restreint de domaines cognitifs, de sorte qu’on dispose seulement de quelques études quand vient le temps d’estimer la relation entre les plaintes cognitives et les domaines cognitifs dans la schizophrénie. De façon similaire, peu d’études se sont intéressées aux domaines des plaintes cognitives subjectives jusqu’ici, de sorte que nous n’avons pu faire d’analyse relative à cette question. Pourtant, lors de la création de la SSTICS, les items ont été conçus afin de correspondre aux grands construits cognitifs reconnus en neuropsychologie (attention, mémoire, etc.). À l’aide des sous-échelles prédéfinies de la SSTICS, notre groupe a étudié à trois reprises les relations potentielles entre les domaines cognitifs déficitaires et les domaines des plaintes subjectives dans la schizophrénie, et dans tous les cas, nous avons observé une absence d’adéquation (Potvin et al., soumis ; Prouteau et al., 2004 ; Stip et al., 2003). Ces résultats suggèrent que les patients atteints de schizophrénie ont de la difficulté, sur le plan de la métacognition, à interpréter leurs propres déficits cognitifs. Une autre faiblesse de la documentation scientifique sur les plaintes cognitives subjectives dans la schizophrénie réside dans le fait qu’on ignore encore les conséquences fonctionnelles du manque d’autocritique des patients. En théorie, on pourrait postuler que la faible conscience des déficits neurocognitifs dans la schizophrénie devrait porter entrave au traitement. Difficile, en effet, d’inciter un patient à s’inscrire à un programme de réadaptation cognitive s’il ne reconnaît pas, au point de départ, qu’il a des problèmes cognitifs. Malheureusement, trop peu d’études se sont intéressées au lien potentiel entre la cognition subjective et le fonctionnement social et occupationnel (Verdoux et al., 2010), de sorte que nous n’avons pas pu effectuer d’estimation méta-analytique à cet effet. Une autre limite de la documentation scientifique disponible est qu’elle postule une relation linéaire entre la cognition subjective et objective, alors qu’il pourrait s’agir d’une relation en U, du moins en théorie. En effet, une relation en U a été décrite entre le quotient intellectuel et l’absence d’autocritique par rapport à la « maladie » dans la schizophrénie (Lysaker et al., 2013). Or, aucun groupe n’a tenté de montrer qu’une telle relation existe, également, entre la cognition subjective et objective, du moins à notre connaissance. Notre méta-analyse met en relief enfin le fait que trop peu d’études ont mesuré les relations entre la cognition subjective et la cognition objective dans des groupes de comparaison, qu’il s’agisse de sujets sains ou encore de patients souffrant d’autres troubles psychiatriques que la schizophrénie. Cette faille méthodologique fait en sorte qu’il demeure difficile d’interpréter adéquatement la faible relation observée entre la cognition subjective et la cognition objective dans la schizophrénie. La faiblesse de cette relation pourrait certes suggérer que les patients atteints de la schizophrénie ont une conscience limitée de leurs propres déficits cognitifs. En l’absence de groupes de comparaison, on ne peut exclure toutefois la possibilité que la faible relation entre cognition subjective et cognition objective traduise surtout un problème de validité des échelles utilisées afin de mesurer les plaintes cognitives dans la schizophrénie. Parmi les études incluses dans la méta-analyse, l’étude de Moritz et collaborateurs (2004) a montré que la relation entre la cognition subjective et objective est plus forte chez les personnes dépressives que chez les patients atteints de la schizophrénie. De façon similaire, l’étude de Sellwood et collaborateurs (2013) a montré que la cognition subjective est davantage corrélée avec la performance cognitive objective chez les sujets sains qu’elle ne l’est chez les patients atteints de la schizophrénie. Bien que préliminaires, ces études suggèrent que l’inconscience des déficits cognitifs serait un problème propre à la schizophrénie, mais de plus amples études seront requises afin de corroborer ces premières observations préliminaires.

À notre connaissance, la présente méta-analyse est la première à étudier les plaintes neurocognitives subjectives dans la schizophrénie. Nos résultats suggèrent que les patients atteints de la schizophrénie se plaignent davantage de déficits cognitifs qu’on ne pourrait le penser a priori, mais que ces plaintes ne traduisent pas une conscience claire de la nature de ceux-ci. La méta-analyse montre par ailleurs que le manque de conscience des déficits neurocognitifs est largement indépendant du manque d’autocritique par rapport à la « maladie », ce qui suggère que les déficits métacognitifs de la schizophrénie sont multiples et qu’ils ne sauraient se résumer à un tronc commun de processus de pensée problématiques. Dans le futur, une plus grande attention devra être portée aux différents domaines cognitifs atteints dans la schizophrénie, de même qu’au manque de conscience des déficits neurocognitifs dans d’autres troubles psychiatriques que la schizophrénie. Il sera aussi important de déterminer la portée clinique des présents travaux, surtout dans le contexte où l’inconscience des déficits neurocognitifs est de plus en plus considérée comme étant une cible d’intervention dans les programmes de réadaptation cognitive dans la schizophrénie (Lalova et al., 2013).