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L’introduction des benzodiazépines dans la pharmacopée au début des années 1960 a eu autant d’impact sur la pratique médicale et psychiatrique pour le traitement de diverses pathologies anxieuses qu’en ont eu les antipsychotiques dans les années 1950 pour le traitement des psychoses. Les benzodiazépines ont rapidement supplanté les barbituriques dans le traitement de l’agitation et de l’anxiété, car les barbituriques comportaient des symptômes de sevrage très sévères tout en présentant un risque très élevé de morbidité et de mortalité lors d’intoxication. Pour leur part, les benzodiazépines peuvent induire des effets indésirables immédiats en début de traitement, notamment de la somnolence qui est par ailleurs un effet recherché pour le traitement de l’insomnie, une amnésie antérograde et des effets paradoxaux tels que l’agitation et la confusion qui sont davantage observés chez les personnes âgées. Néanmoins, lorsque utilisées à faibles doses, les benzodiazépines comportent peu d’effets indésirables et sont généralement bien tolérés tout en étant efficaces en quelques heures. Une personne anxieuse ressent en effet rapidement un soulagement de ses symptômes créant ainsi un renforcement positif très important. Ainsi, pour toutes ces raisons, les benzodiazépines sont d’une certaine façon victimes de leur succès thérapeutique et le risque de dépendance psychologique en étant d’autant plus important. L’objectif de cet article est de résumer les connaissances actuelles sur le sevrage des benzodiazépines et faire des recommandations pratiques sur l’approche clinique lors d’un sevrage.

Évaluation initiale

Raison de consultation et motivation du patient

L’évaluation initiale d’une personne qui désire cesser une benzodiazépine s’avère d’une importance majeure. L’évaluation initiale vise d’abord à comprendre les raisons et la motivation du patient de cesser son traitement pharmacologique. Ceci permettra au clinicien de fixer avec le patient des objectifs réalistes dans le temps. Bien souvent les patients qui consultent décrivent l’utilisation d’une benzodiazépine de façon quotidienne depuis plusieurs mois voire même plusieurs années. La majorité d’entre eux reconnaissent le risque d’accoutumance qui conduit à une augmentation des doses utilisées, et à la dépendance physique et psychologique associés à l’utilisation prolongée des benzodiazépines. Ainsi, ces patients souhaitent cesser leur traitement avant de développer ou d’accentuer leur dépendance. D’autres expriment être tout simplement fatigués de prendre un médicament à tous les jours et ne plus ressentir l’effet thérapeutique. Certains patients décrivent un inconfort tel que fatigue, lassitude ou autres symptômes qu’ils attribuent à des effets secondaires causés par le médicament. À ce niveau, quelques études confirment le développement de troubles cognitifs après un usage prolongé de benzodiazépines (Curran et al., 1994). À l’occasion, les femmes qui désirent avoir un enfant consultent car elles craignent un effet tératogène des benzodiazépines. Cette inquiétude est justifiée dans une certaine mesure, quoique les études épidémiologiques n’aient pas clairement démontré qu’un tel risque soit réel (Eros et al., 2002). Néanmoins, ces études suggèrent une association possible entre la présence d’une fissure palatine chez le nouveau-né et l’utilisation de benzodiazépines durant le premier trimestre de la grossesse. Par contre, l’usage d’une benzodiazépine durant les jours qui précèdent l’accouchement peut favoriser une hypotonicité, un trouble de succion et un syndrome de sevrage chez le nouveau-né (Perault et al., 2000).

Dans certaines circonstances, la motivation de la personne est mise en doute surtout si elle désire cesser sa médication à la demande d’une tierce personne comme un conjoint ou encore, si on soupçonne que les motifs de la consultation sont d’obtenir une prescription du médicament. Dans une telle situation, l’importance de vérifier auprès du médecin-prescripteur est fortement recommandée, surtout si le patient qui consulte n’est pas connu de votre clinique. Parfois survient une situation ambiguë où le pharmacien a continué d’honorer une prescription échue depuis un certain temps sans que le patient ne soit suivi par un médecin. Encore une fois, nous recommandons au médecin de communiquer avec le pharmacien pour clarifier la situation.

Indication clinique justifiant l’utilisation et le maintien d’une benzodiazépine

Les benzodiazépines sont reconnues efficaces pour de nombreuses situations cliniques (voir tableau 1). Donc, il devient très important d’identifier les raisons cliniques pour lesquelles la médication a été initiée et maintenue au fil des mois ou des années et de vérifier s’il y a encore des symptômes résiduels. Pour la majorité des gens qui consultent, on retrouve dans leur histoire médicale l’utilisation d’une benzodiazépine pour traiter une insomnie ou un trouble anxieux. Pour certaines situations cliniques, une approche psychothérapeutique peut être envisagée en prévision de la résurgence de symptômes comme par exemple ceux d’un trouble panique (Spiegel, 1999). D’autre part, il serait contre-indiqué de cesser une benzodiazépine utilisée dans le traitement de l’épilepsie sans obtenir un avis du neurologue.

Durée du traitement en cours

La durée de la prise de la benzodiazépine ainsi que la dose maximale en cours de traitement sont des facteurs importants à préciser. D’ailleurs, un syndrome de sevrage peut apparaître après un traitement continue de 6 semaines avec une benzodiazépine (Power et al., 1985). De plus, les études montrent que l’usage d’une benzodiazépine pendant plus de huit mois à des doses élevées est en relation avec la sévérité des symptômes de sevrage et l’un des facteurs de risque favorisant l’échec du sevrage (Rickels et al., 1983 ; Rickels et al., 1990 ; Murphy et Tyrer, 1991).

Type de benzodiazépines

Une benzodiazépine avec une longue demi-vie peut présenter certains avantages en réduisant l’intensité des symptômes de sevrage lorsqu’elle est cessée rapidement. Toutefois, les caractéristiques pharmacocinétiques ont peu d’importance lorsque la diminution se prolonge sur plusieurs semaines ou plusieurs mois (Rickels et al., 1990 ; O’Connor et al., 2003).

Tableau 1

Indications thérapeutiques des benzodiazépines

Indications thérapeutiques des benzodiazépines

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Comorbidité

La consommation d’alcool et de drogues illicites peut créer de l’anxiété ou de l’insomnie et ainsi entretenir l’utilisation de benzodiazépines pour réduire les symptômes associés à leur utilisation. Dans une situation de co-dépendance, il est donc préférable d’entrevoir un sevrage d’une benzodiazépine dans une approche globale qui inclut les autres drogues. La consommation légère à modérée d’alcool et de drogues est un des facteurs de risque associés à l’intensité des symptômes ou à l’échec du sevrage.

Personnalité

La sévérité des symptômes de sevrage et l’échec au sevrage sont plus importants chez des gens présentant des traits de personnalité passive et dépendante, des symptômes dépressifs ou d’anxiété (Rickels et al., 1990 ; Schweitzer et al., 1990). Ces facteurs prédisposants favorisent la dépendance psychologique au médicament. Cette variable doit donc être évaluée avant d’entreprendre le sevrage afin de permettre au clinicien de fixer des objectifs réalistes dans le temps (Schweizer et al., 1998).

Symptômes lors du sevrage

Il est important d’informer le patient des symptômes de sevrage en cours de diminution de la médication. Souvent les patients ont déjà tenté de cesser leur médicament ; il est important d’identifier les divers facteurs qui expliquent l’échec de ces tentatives de sevrage. La mise en lumière de ces facteurs permet de rassurer les patients qui anticipent souvent la réapparition des effets indésirables pouvant conduire à un nouvel échec. Il n’est pas rare que l’échec antérieur soit lié à un sevrage trop rapide. Les effets indésirables les plus désagréables et parfois même dangereux sont ceux observés durant les jours qui suivent une diminution importante de la dose ou la cessation de la médication, notamment l’anxiété rebond, l’insomnie rebond (Gillin et al., 1989) et les convulsions liées principalement à l’arrêt brusque de la médication (Fialip et al., 1987 ; Gatzonis et al., 2000). L’étude de Schweizer et al. (1990) a bien cerné les nombreux effets indésirables rapportés par les patients lors du sevrage d’une benzodiazépine (voir tableau 2). La sévérité des symptômes de sevrage est liée à la fois à la dose, à la rapidité de la diminution et parfois à la courte demi-vie du médicament. Parfois, il est difficile de distinguer l’anxiété ou l’insomnie rebond des symptômes d’un trouble préexistant qui réapparaît lors de la diminution de la médication. Il est donc important d’assurer un suivi régulier pour apporter des correctifs lorsqu’une telle situation se présente.

Tableau 2

Symptômes de sevrage le plus souvent rapportés lors de l’arrêt graduel des benzodiazépines chez des gens qui prenaient une benzodiazépine depuis plus d’un an (Modifié de Schweizer et al., 1990)

Symptômes de sevrage le plus souvent rapportés lors de l’arrêt graduel des benzodiazépines chez des gens qui prenaient une benzodiazépine depuis plus d’un an (Modifié de Schweizer et al., 1990)

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Stratégies de sevrage

Approche psychoéducative

L’évaluation clinique est la première étape du processus de sevrage et elle permettra de rassurer le patient et d’établir un lien de confiance. Il est utile de prendre le temps d’expliquer à la personne qui consulte le mode d’action des benzodiazépines, des mécanismes sous-jacents à la dépendance et à l’accoutumance, et lorsque indiqué, qu’il y a une dépendance croisée entre les benzodiazépines et l’alcool. L’étape suivante consiste à déterminer avec le patient la façon dont se fera le sevrage. D’abord, il faut insister qu’il est fortement déconseillé de cesser une benzodiazépine de façon rapide puisque le patient ressentira invariablement des symptômes de sevrage dont certains potentiellement dangereux, et que cette stratégie comporte un risque d’échec plus élevé. Si une telle approche s’avère nécessaire, il est préférable de prescrire à dose équivalente une benzodiazépine avec une longue demi-vie (voir tableau 3) qui permet de prolonger de quelques jours la présence dans le sang du médicament et de réduire quelque peu la sévérité des symptômes de sevrage (Rickels et al., 1990). En informant le patient que le sevrage se fera sur une période variant entre 8 à 16 semaines, et parfois davantage lorsqu’un patient aura fait l’usage quotidien d’une benzodiazépine pour plus de 3 mois, ceci aura comme effet de le rassurer et d’éviter que ce dernier précipite la réduction du médicament.

Tableau 3

Demi-vie et dosages des benzodiazépines

Demi-vie et dosages des benzodiazépines

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Stratégies de réduction de la médication

Certains auteurs ont proposé une diminution hebdomadaire par palier de 25 % de la dose initiale (Dupont et al., 1990). Cette stratégie est utile en début de sevrage pour les patients prenant des doses modérément élevées mais non pour ceux traités avec une petite dose. Aussi, notre expérience clinique nous apprend qu’une telle approche s’avère difficile lorsque nous arrivons à la moitié de la dose initiale, car les patients trouvent que la diminution se fait trop rapidement. Une telle stratégie ne prend pas en considération les difficultés de sevrage ainsi que les événements personnels qui surviennent en cours de réduction de la médication. Ainsi, la stratégie préconisée devrait avoir comme objectif de diminuer la dose du médicament en minimisant le risque de symptômes de sevrage, surtout lors des premières étapes de diminution, et de s’adapter aux situations cliniques qui surgissent, le tout pour réduire les inconforts du patient et augmenter sa confiance.

Impliquer le patient dans les décisions

Lorsque le médicament est prescrit en doses fractionnées durant la journée, il faut donner l’occasion au patient de déterminer à quel moment de la journée la diminution sera initiée. Certaines benzodiazépines sont disponibles sous forme de capsule et il est préférable de procéder à une substitution à dose équivalente avec une benzodiazépine en comprimé facilitant ainsi la diminution en fractionnant le comprimé. À toutes les étapes, il est recommandé de laisser au patient la décision de prendre un comprimé, qu’il a en réserve, si jamais les symptômes sont intolérables. De toute façon, l’expérience clinique démontre que très peu de gens en feront une utilisation abusive.

Le soutien psychologique est important

Le patient peut remettre au médecin lors des visites chaque comprimé ou demi-comprimé non consommé. Ceci a comme objectif d’amener le patient à réaliser des progrès qui agissent comme renforçateur positif. Au début de la diminution, un rendez-vous est recommandé à toutes les semaines ou aux 2 semaines, puis à toutes les 4 semaines lorsque le sevrage se fait sans difficulté. L’étape la plus difficile demeure celle de l’arrêt de la médication (Rickels et al., 1999). Si la difficulté de cesser la médication apparaît davantage liée à une composante psychologique, le médecin doit considérer qu’éventuellement il devra utiliser une approche un peu plus incisive. Par contre, si le patient se plaint de symptômes qui paraissent davantage liés à ceux d’un sevrage, il faut réduire la vitesse de la diminution de la médication ou considérer substituer une benzodiazépine avec une demi-vie intermédiaire par une longue demi-vie. Parfois, espacer la prise du médicament aux 2 puis aux 3 jours pendant quelques semaines permet de cesser plus graduellement.

À l’aide d’une vignette clinique nous tenterons de souligner certains aspects de l’approche clinique préconisée.

Vignette Clinique

Patiente âgée de 42 ans qui consulte car elle désire cesser la prise de clonazépam : elle reçoit 0,5 mg de clonazépam trois fois par jour depuis près de cinq ans suite à une consultation chez son omnipraticien. Madame aurait consulté car depuis plusieurs semaines, elle était incapable de prendre le métro. En effet, elle aurait ressenti soudainement dans le métro, des symptômes tels que palpitations, tremblements, difficulté à respirer. Puisqu’elle devait absolument se déplacer en métro pour se rendre au travail, il était primordial de l’aider rapidement. Dans un premier temps, un traitement incluant l’essai sur plusieurs semaines d’antidépresseurs a été instauré, mais madame était incapable de tolérer les effets secondaires de ces derniers. Devant l’impossibilité de poursuivre la prescription d’antidépresseurs, le médecin de famille opte pour une benzodiazépine à savoir le clonazépam. Six mois plus tard, le médecin réalisant que la patiente était complètement asymptomatique décide donc de proposer à madame une diminution de la médication. Cette dernière refuse craignant la réapparition des attaques de panique. Il lui suggère de diminuer à deux comprimés et remplit la prescription selon cette recommandation. Trois semaines plus tard, madame consulte de nouveau. En effet, elle a dû se présenter au service des urgences suite à une attaque de panique. D’un commun accord, ils s’entendent pour reprendre le clonazépam à trois comprimés pour une autre période de six mois. Donc, à trois reprises durant les cinq dernières années, il y aurait eu tentative de sevrage sans succès soit par réapparition des symptômes ou soit tout simplement par anticipation de vivre des attaques de panique. Cependant madame désire fortement cesser cette médication. Elle a l’impression qu’elle est moins vigilante à son travail, se sent très dépendante de cette médication et surtout a l’impression que sa qualité de vie est diminuée. D’autre part, elle anticipe constamment la réapparition des attaques de panique même si elle n’a plus ressenti de symptômes depuis près de deux années. Le médecin de famille et la patiente conviennent de débuter un sevrage, mais cette fois-ci le médecin demande à madame de consulter un service spécialisé pour le traitement des troubles paniques. Par le biais d’un service de consultation liaison, le médecin de famille a été aidé par un psychiatre pour les étapes du sevrage. La patiente suivait en même temps une thérapie cognitivo-comportementale. Le sevrage s’est déroulé comme suit : dans un premier temps, il fut entendu que madame prendrait ses comprimés toujours à horaire fixe et non lorsqu’elle anticipe une attaque de panique. Pendant deux semaines, les doses ont donc été fixées à un comprimé à 8 h, un comprimé à 13 h et un comprimé à 19 h. Ainsi, elle a réalisé qu’elle pouvait ressentir des malaises et que le soulagement n’était pas d’emblée associé à la prise de clonazépam. La seconde étape fut d’établir avec la patiente le processus de sevrage : à quel rythme, quel dosage et à quelle fréquence. Ainsi, il fut décidé que le dosage passerait de 0,5mg trois fois par jour à 0,5mg deux fois par jour et 0,25 mg au coucher. Ce dosage serait maintenu pour une période de trois semaines. Il fut aussi demandé à la patiente d’écrire dans un cahier le nombre de comprimé pris par jour, l’heure de la prise, pouvant ainsi visualiser à chaque jour et à chaque semaine l’évolution du sevrage. Elle devait aussi inscrire si elle prenait plus que la dose recommandée et en donner la raison. Ce « journal de sevrage » devenait en quelque sorte un guide pour la patiente et pour le médecin. L’objectif était d’amener cette patiente à comprendre que le sevrage se déroulerait de façon graduelle en respectant son rythme et en permettant des périodes de « plateau » si nécessaire c’est-à-dire de se permettre de maintenir les mêmes doses sur une période de six semaines au lieu de trois semaines. Ainsi, on avait choisi de diminuer de 0,25 mg aux 3 semaines et de planifier des rencontres de suivi aux trois semaines. À quatre reprises, il fut accordé des périodes de « plateau », ces quatre périodes correspondant à l’étape de diverses expositions proposées par la thérapie cognitivo-comportementale qu’elle avait entreprise. Ainsi, après plusieurs mois d’un suivi régulier, avec l’aide du « journal de sevrage » et en association avec une thérapie cognitivo-comportementale cette patiente a enfin atteint une faible dose de clonazepam de 0,25 mg par jour. La fin du sevrage est une étape importante mais difficile dans la réussite du sevrage. La patiente anticipait l’apparition d’anxiété même si elle avait maintenant un très bon contrôle des attaques de panique. Il fut donc convenu de changer le rythme et d’adopter celui-ci : pendant trois semaines la prise de 0,25 mg se fera une journée sur deux, puis une journée sur trois pendant deux semaines et finalement une journée sur quatre pendant 2 semaines avant de cesser la médication complètement. C’est à ce moment là que le journal prend une grande importance permettant toujours de bien visualiser les réussites et mettant en évidence la progression faite durant toutes ces nombreuses semaines. Finalement, la patiente a réussi à cesser la prise du clonazépam et trois mois plus tard, lors d’une visite de contrôle, elle nous dira qu’elle n’avait repris qu’une seule fois un comprimé de 0,25 mg lors d’une situation très difficile vécue à son travail.

Sevrage compliqué

Il se peut que l’arrêt de la médication soit difficile pour certains patients en raison de la sévérité des symptômes de sevrage ou de la résurgence des symptômes masqués par l’utilisation des benzodiazépines telle une insomnie sévère ou un trouble anxieux. Il faut alors se demander s’il y va de l’intérêt du patient de cesser sa médication immédiatement. Aussi, on peut considérer si une approche psychologique plus intensive ou une substitution de médicament sur une base temporaire peut permettre de compléter le sevrage. Quelques études ont démontré que les antiépileptiques et, dans une moindre mesure les antidépresseurs permettent de réduire les symptômes de sevrage causés par les benzodiazépines (Rickels et al., 1999). Le second psychotrope pourraêtre cessé dans un deuxième temps. Par contre, il se peut que la nouvelle médication traite le trouble psychiatrique qui est responsable de la difficulté de cesser la benzodiazépine. Ainsi, l’arrêt du second psychotrope sera tout aussi difficile que l’arrêt de la benzodiazépine.

Vignette clinique

Madame B. est une dame âgée de 40 ans. Elle prend du clonazépam depuis 4 ans soit depuis qu’elle a été hospitalisée à la suite d’une dépression majeure sévère. L’antidépresseur qu’elle a pris pendant près de 2 ans a été graduellement cessé il y a un an. Toutefois, la patiente n’arrive pas à cesser le clonazépam qu’elle prend à des doses de 0,5 mg le matin et 1,0 mg au coucher. À une reprise, elle a tenté de le cesser graduellement sur une période d’une semaine, mais elle a du le reprendre car elle se sentait trop anxieuse et souffrait d’insomnie. Lors de la rencontre d’évaluation la patiente ne présentait aucun symptôme dépressif. Elle avait repris le travail depuis plus d’un an et fonctionnait normalement. Nous lui avons expliqué qu’il faudra être prudent durant la période de sevrage afin de s’assurer qu’il n’y ait pas de rechute dépressive et prévoir que le sevrage se prolonge sur une période de quelques mois. Dans un premier temps, il fut décidé de réduire le clonazépam du matin à 0,25 mg pour les deux premières semaines puis de le cesser tout en maintenant la même dose au coucher. La patiente a bien évolué et n’a ressenti aucun symptôme de sevrage. Un mois plus tard, le clonazepam du coucher a été réduit à 0,75 mg. La patiente a éprouvé un peu d’insomnie initiale et de l’anxiété rebond mais le tout s’est rétabli au bout d’une semaine. Nous avons convenu d’attendre deux semaines avant de réduire à nouveau le clonazépam à 0,5 mg. Suite à cette dernière réduction, la patiente a présenté une insomnie initiale mais de façon plus marquée qu’antérieurement quoique le sommeil se soit amélioré au bout d’une semaine. Encore une fois, il a été décidé d’attendre deux autres semaines avant de réduire la dose à 0,25 mg au coucher. À cette nouvelle dose, la patiente a de nouveau présenté une insomnie sévère avec seulement quelques heures de sommeil par nuit. La réduction de la médication a été prévue pour la fin de semaine afin d’éviter une répercussion sur le travail dans l’éventualité d’une insomnie. Cette dose fut maintenue pendant trois semaines mais le sommeil ne s’est jamais complètement rétabli. Une tentative d’espacer la prise du clonazépam aux deux jours s’est avérée catastrophique, car la patiente a connu trois nuits consécutives sans dormir et c’est par la suite qu’elle a rapidement sombré dans un état dépressif profond nécessitant un congé de maladie. Le clonazepam a été augmenté d’abord à 0,5 mg, puis à 1,0 mg au coucher mais la patiente n’arrivait plus à retrouver le sommeil. L’état de la patiente s’est détérioré à un point tel qu’elle n’arrivait plus à fonctionner à la maison, elle ne mangeait presque plus, elle était envahie par une anxiété importante et ruminait des idées suicidaires à tous les jours. C’est alors qu’il fut décidé de réintroduire un antidépresseur. Ce n’est que quatre mois plus tard que la patiente a pu retrouver le niveau de fonctionnement qu’elle présentait au moment où elle a consulté pour cesser le clonazepam.

Rechute

Les études démontrent que 20 % à 30 % ne pourront cesser leurs médicaments et qu’entre 27-87 % des patients ayant réussi un sevrage reprendront une benzodiazépine dans les années suivant la cessation (Golombok et al., 1990 ; Holton et Tyrer, 1990 ; Rickels et al., 1991 ; Couvée et al., 2002). Par contre, chez ceux qui reprennent une benzodiazépine, la durée de la prise du médicament ainsi que la dose prise seront moindres, suggérant que le risque de développer une dépendance aux benzodiazépines n’est pas plus élevé dans cette population dans l’éventualité qu’un tel traitement s’avère nécessaire.

Sommaire et recommandations

Les benzodiazépines sont des médicaments très utiles pour le traitement de plusieurs pathologies psychiatriques et médicales, mais le risque d’accoutumance et les difficultés de sevrage sont parfois sous-estimés lorsque le médecin initie un tel traitement. Avant d’initier un sevrage, il est important de préciser la motivation du patient et de vérifier s’il y a présence d’une co-dépendance à des substances qui entretient l’utilisation d’une benzodiazépine. Une évaluation médicale permettra d’identifier la raison pour laquelle le patient prend une benzodiazépine et voir si une approche psychothérapeutique pourrait contribuer à l’arrêt de la médication. La diminution de la dose de la médication devrait se faire graduellement pour minimiser la sévérité des symptômes de sevrage. L’implication du patient dans les décisions ne peut qu’augmenter le succès de l’arrêt de la médication. Le support psychologique demeure un facteur important et pour cette raison des visites médicales régulières aux 2 à 4 semaines, un support social et dans certaines situations cliniques une thérapie cognitivo-comportementale peuvent favoriser l’arrêt de la médication. Le risque de rechute est toujours présent et peut être attribué à la dépendance psychologique, à la sévérité des symptômes de sevrage ainsi qu’à la résurgence de symptômes du trouble psychiatrique qui a nécessité l’utilisation d’une benzodiazépine.