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Introduction

Les plus récentes commissions sénatoriales canadiennes de Kirby (2006) et de Romanow (2002) ainsi que le Forum de la Table de la santé mentale (CPA, 2011) ont appelé à une réorganisation du système de prestation de santé mentale pour accroître et améliorer l’accès aux services de santé fondés sur des preuves dans les soins primaires. Dans la même lignée, le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a lancé un Plan d’action en santé mentale (MSSS, 2005) ayant comme objectif de doter le Québec d’un système de santé mentale plus efficient, offrant de meilleurs soins et permettant un meilleur accès aux traitements en soin primaire, en particulier pour les personnes souffrant de troubles dépressifs ou anxieux ou de troubles mentaux sévères. Le récent plan d’action en santé mentale de l’Organisation mondiale de la Santé 2013-2020 (WHO, 2013) a souligné à nouveau les importantes lacunes et la nécessité des systèmes de santé de répondre aux besoins en santé mentale de la population. Le rapport de 2013 du Commissaire à la santé et au bien-être du Québec (2013) sur la performance du système de santé a clairement mis en évidence les lacunes quant à la collaboration entre les médecins de soins primaires et les spécialistes de santé mentale, une diminution de l’accessibilité, des inégalités d’accès aux services de santé mentale efficaces telles que la psychothérapie et la nécessité de réévaluer les mécanismes d’allocation des ressources.

Questionner l’accès aux psychothérapies, en termes de profil de patients à prendre en charge (c.-à-d. symptomatologie, âge, minorité…), de modalité de traitement, de financement, de coûts et de bénéfices du traitement pour un programme qui pourrait être mis en place au Québec et dans d’autres provinces, requiert d’étudier ce qui a été entrepris dans d’autres pays, en particulier les programmes anglais et australien, sur lesquels nous disposons d’une importante littérature pouvant nous guider. Par ailleurs, le ministre de la Santé et des Services sociaux a confié à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) le mandat d’effectuer une analyse descriptive des modalités et des conditions d’accès aux psychothérapies dans divers pays. Les premiers rapports (INESSS, 2015), idéalement combinés à des données d’études locales (Bradley et Drapeau, 2014) servent actuellement de base à l’INESSS pour son dernier rapport annoncé en 2016, sur l’élaboration de modèles adéquats d’assurabilité et d’introduction de la psychothérapie dans l’offre thérapeutique du Québec en vue d’augmenter l’accessibilité à la psychothérapie.

Contexte et méthodologie de l’étude

En 2009, l’une des auteures (HMV), a reçu une subvention dans le cadre des programmes « Subventions de planification et activités de dissémination » des Instituts de Recherche en Santé du Canada où elle a eu l’occasion de rencontrer en Angleterre (2009) et en Australie (2010) des décideurs et des chercheurs qui ont participé et agit comme catalyseurs afin que la psychothérapie soit remboursée par l’État et le régime d’assurance de santé publique. En Angleterre, on parle du programme IAPT « Improving Access to Psychological Therapies » et en Australie du programme « Better Access ». Deux rapports, un pour l’Angleterre et un pour l’Australie, ont été produits pour introduire et résumer le processus d’implantation de ces programmes.

À la suite de ceci, deux réunions ont été organisées, le 26 avril et le 17 mai 2010, au Centre de Recherche Fernand-Seguin, aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Les invités comptaient un nombre de décideurs dont : Y. Brunelle (analyste émérite des politiques, MSSS) ; A. Delorme (directeur national de la santé mentale, Direction de la santé mentale, MSSS) ; H. Chodos (directeur de Stratégie en matière de santé mentale de la Commission de la santé mentale du Canada) ; G. Mulvale (analyste senior des politiques, Commission de la santé mentale du Canada) ; R.-M. Charest (présidente, Ordre des psychologues du Québec) ; C. Yarrow (registraire et directrice, Collège des psychologues de l’Ontario) ; P. Upshall (Société pour les troubles de l’humeur du Canada) ; J.-R. Provost (directeur général de Revivre, Association québécoise de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires) ; ainsi que des cliniciens et chercheurs, dont D. Streiner (Baycrest Center and University of Toronto) ; M.-H. Chomienne et J. Grenier (Université d’Ottawa), C. Hudon (Université de Sherbrooke), C. Dewa (Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto) et P. Jacobs (Institute of Health Economics, Alberta).

La conclusion de ces deux réunions était qu’il existait déjà une pléthore d’études sur l’efficacité des psychothérapies. Il y avait consensus sur le besoin d’études portant sur les coûts et bénéfices (effets cliniques) d’un éventuel programme ayant pour but d’améliorer l’accès à la psychothérapie au niveau de la population, ce type d’étude permettant de fournir des données à la commission canadienne pour supporter et informer l’allocation des ressources provenant du fédéral pour la santé mentale et la toxicomanie.

À la suite de ces rencontres, en 2012, nous avons reçu, avec ce comité, une subvention de fonctionnement s’intitulant : System level costs and benefits of improving access to psychological services for depression in Canada. L’objectif de ce projet est de modéliser, pour les cas incidents de dépression, les coûts et effets (qualité de vie liée à la santé) sur une période de 40 années, associés avec une augmentation à l’accès à la psychothérapie pour les personnes ne recevant pas un traitement adéquat pour leur dépression et rapportant un besoin de santé mentale non comblé.

Nous rapporterons ici les résultats de ces entrevues et revues des documents australiens et britanniques, et nous discuterons des premiers résultats de la modélisation des coûts d’un accès équitable à la psychothérapie pour la dépression au Canada, celle-ci n’étant pas encore complétée.

Nous présentons donc les résultats des entrevues effectuées en 2009 (IRSC) (voir Tableau 1 pour les personnes rencontrées) qui avaient comme objectif de documenter les étapes menant au financement public de services psychologiques par des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), au Royaume-Uni et en Australie. Ce, afin de décrire et d’avoir une meilleure perception de l’instauration, de l’expérience et des processus de mise en oeuvre de programmes visant l’amélioration de l’accès aux psychothérapies, à la fois au Royaume-Uni et en Australie. Nous avons consulté les documents et articles scientifiques indiqués par les répondants et par nos propres recherches subséquentes. Nous présentons les résultats de façon narrative pour les lecteurs de la revue Santé mentale au Québec.

Résultats

Le programme IAPT en Angleterre

En octobre 2007, l’Angleterre a mis en place une politique de prise en charge des psychothérapies, le programme Improving Access to Psychological Therapies (IAPT), financé par l’organisme de sécurité sociale anglais, le National Health Service (NHS), pour les personnes souffrant de troubles courants de santé mentale (troubles dépressifs et anxieux). Le recours aux psychothérapies dans le cadre du programme est totalement gratuit pour le patient.

L’idée du programme a émergé dans une problématique de santé publique révélant que les Anglais souffrant de troubles de santé mentale courants présentaient une consommation élevée de psychotropes. En Angleterre, les psychotropes étaient le traitement le plus disponible, par delà le plus utilisé, ce qui impliquait un problème d’offre de traitements en santé mentale (Layard, 2006). Ces patients montraient ainsi un faible recours aux traitements psychothérapiques, alors que ces soins montraient des preuves de leur efficacité clinique (Layard, 2006 ; NICE, 2010). En 2005, le National Health Service a demandé un rapport d’expertise à l’équipe de recherches du Pr Richard Layard (le Plan Layard). Ce rapport a évalué la situation des besoins de soins et de l’offre en santé mentale en Angleterre, et a évalué les coûts imputables et évitables à la mise en place d’une politique de remboursement des traitements psychologiques (Layard, 2005 ; Layard, Clark, Knapp et al., 2006).

Le but du programme IAPT est de promouvoir l’accès aux thérapies structurées afin de diminuer rapidement le recours au traitement psychotrope seul. La finalité du programme est d’épargner des dépenses de santé et de réduire les coûts indirects pour la société (liés à la productivité et l’incapacité) dus aux troubles de santé mentale courants, grâce au suivi du traitement psychothérapeutique (Clark, 2011).

Le patient est généralement référé par son médecin à un centre de soin ; le patient peut aussi s’adresser directement au centre – ce qui a été le cas pour 9 % des patients (Glover, Webb et Evison, 2010). Après évaluation, un programme de soins sera proposé au patient, programme qui suit les recommandations de pratiques cliniques du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE). Le NICE est une agence qui est responsable d’établir les standards cliniques du système de santé britannique, elle est comparable à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) du Québec.

Le programme IAPT inclut la formation de 6 000 thérapeutes sur 7 ans (2008-2015). Le coût d’une formation d’un psychothérapeute de basse intensité est de 5 000 £, celui d’une formation de haute intensité est de 10 000 £, et les frais de formations autres que les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), counselling pour la dépression, la psychothérapie interpersonnelle brève et la thérapie de couple s’élèvent à 3 000 £. Le coût de formation des thérapeutes entre 2011 et 2017 est estimé à 41 M£ (NHS, 2011 ; NHS-IAPT, 2011).

La prise en charge s’effectue dans une approche de soins en étape (stepped-care approach) dont le traitement proposé est adapté à la symptomatologie du patient et gradué, s’intensifiant selon le niveau de sévérité du trouble. Le type de prise en charge selon la symptomatologie et la sévérité du trouble psychique suit les recommandations des guides de pratiques cliniques du NICE. Le niveau 1 correspond au diagnostic du trouble psychique. Le niveau 2 propose, pour les personnes souffrant des troubles les plus légers, du self-help (assisté par ordinateur ou par bibliothérapie) seul ou guidé par un professionnel, et/ou des séances de psychoéducation en groupe. Pour les personnes souffrant de troubles légers à modérés, selon la pathologie, sont proposées des séances de counseling, ou une thérapie dite de basse intensité, dont la méthode utilisée est généralement la TCC. Le niveau 3, qui est réservé aux personnes souffrant de troubles plus sévères, complexes, chroniques et/ou récurrents, propose des psychothérapies de haute intensité. Plusieurs méthodes psychothérapeutiques peuvent être envisagées, dont la TCC, l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), la psychothérapie interpersonnelle.

La méthode thérapeutique largement proposée est la TCC, toutefois chaque centre doit pouvoir proposer des psychothérapies interpersonnelles et des psychothérapies de couple (NHS, 2011). Le patient a théoriquement la possibilité de choisir la méthode psychothérapeutique (mais l’offre de psychothérapie interpersonnelle est limitée et requiert une seconde évaluation).

Plusieurs types de professionnels sont impliqués dans le programme : (1) les PWP (Psychological Well-being Practitioner), professionnels de l’accompagnement au self-help, pouvant délivrer des conseils et interventions psychologiques de basse intensité, ils ne sont toutefois pas psychothérapeutes. (2) Les counselors ou thérapeutes pour les thérapies (TCC) de basse intensité et (3) les psychologues cliniciens pour les thérapies de haute intensité (TCC ou psychothérapie interpersonnelle) (NHS, 2008 ; NHS, 2010).

En 2006, le Plan Layard a estimé que le coût annuel, pour les deux premières années, du programme IAPT allait s’élever à 600 M£ pour soigner 800 000 patients. Cette population de 800 000 patients a été calculée à partir des 30 % des 2,75 millions d’Anglais, en âge de travailler (18-64 ans), souffrant d’un problème de santé mentale qui consultent annuellement un professionnel de santé (Layard, Clark, Knapp et al., 2006). Ce qui correspond à 8,4 % de la population anglaise.

Les deux premières années du programme IAPT ont été axées sur les personnes en âge de travailler (18-64 ans). À partir de la troisième année, le programme a été élargi aux patients plus jeunes, plus âgés et ouverts à un plus large éventail de symptomatologie – troubles bipolaires et de schizophrénie (Layard, 2005 ; Clark, Layard, Smithies et al., 2009 ; NHS, IAPT, 2011). Les résultats des deux sites pilotes (NHS-IAPT, 2011) ont permis d’estimer les coûts (comprenant le salaire du thérapeute, charges incluses, les frais d’administration et de structure – hors frais de formation) d’une thérapie par patient en différenciant les thérapies de haute intensité à celles de basse intensité. Pour les troubles modérés ou sévères (thérapie de haute intensité), le coût d’une psychothérapie s’élève à 754 £ pour une moyenne de 13 séances. Pour les troubles légers (de basse intensité), une psychothérapie coûte 136 £ pour le suivi de 4 à 5 séances.

Les résultats obtenus sur deux sites pilotes, Doncaster et Newham (Glover, Webb et Evison, 2010), ont montré que sur les 41 724 patients ayant pris contact, 95 % ont reçu un traitement. Parmi ceux qui ont été traités, 61 % ont reçu un traitement de faible intensité, 46 % un traitement de haute intensité, et 19 % ont reçu les deux. La forme la plus courante de traitement pour les thérapies de haute intensité est la TCC, puis le counseling. Quelques psychothérapies interpersonnelles et thérapies de couple ont également été délivrées. 38 % des patients ayant fini leur traitement ont jugé l’avoir terminé, 22 % ont abandonné, 9 % ont refusé le traitement, 12 % ont été jugés inappropriés (la plupart du temps quand le traitement avait commencé), les 20 % restant sont des données manquantes. Le nombre déclaré de séances de traitement par patient a été plus faible en comparaison aux recommandations NICE, avec 13 séances suivies en moyenne pour les thérapies de haute intensité et entre 4 et 5 pour les thérapies de basse intensité. Les auteurs précisent que cette constatation doit être prise avec prudence en raison de la fiabilité des résultats (Glover, Webb et Evison, 2010).

Les résultats ont été démontrés comme probants pour la rémission des symptômes : 55 % des patients ont retrouvé leur santé psychique post-traitement, et maintenu les gains à 10 mois (Clark, Layard, Smithies et al., 2009). La récente étude de Chan et Adams (2014) confirme un taux similaire de rémission (52,6 %) dans un autre centre IAPT.

Les dernières publications (Health and Social Care Information Centre 2014a, 2014b) sur le suivi du programme IAPT montrent qu’en 2013, 947 640 personnes ont bénéficié du programme. En ce qui concerne les caractéristiques de ces utilisateurs qui ont bénéficié du programme en 2013, 63 % sont des femmes, la majorité a entre 25 et 29 ans, 27 % souffrent de dépression seulement, 26 % présentent un diagnostic dépressif et anxieux, et 48 % souffrent de troubles anxieux sans symptôme dépressif. Concernant les délais de consultation, 61 % des patients ont reçu un traitement dans les 28 jours et 89 % dans les 90 jours. En moyenne, les patients ont suivi 6 séances. Le plus grand nombre de séances a été suivi chez les personnes souffrant d’un trouble obsessionnel compulsif (soit 9 séances). Les TCC ont été pratiquées dans 38 % des séances thérapeutiques, suivi par le self-help guidé par un professionnel et par le counselling dans 20 % et 15 % des cas.

L’évaluation des résultats a montré que 60 % des patients ayant terminé leur psychothérapie ont montré une rémission évaluée à partir du Patient Health Questionnaire (PHQ-9), du Generalised Anxiety Disorderscale (GAD7) et du Anxiety Disorder Specific Measure (ADSM). Treize pour cent (13 %) des personnes qui prenaient un traitement pharmacologique de psychotropes au début de la prise en charge psychothérapeutique n’en prenaient plus à la fin. La moitié des patients ont conservé leur emploi et 10 % ont retrouvé un emploi. Les arrêts pour maladie de longue durée ont aussi baissé (Health and Social Care Information Centre, 2014a 2014b). De plus, ces études ont rapporté une réduction dans l’utilisation des soins de santé (consommation de médicaments, consultation et hospitalisation) avec des économies pour le système de santé estimées à la hauteur de 272 M£ d’ici 2017 (NIMH, 2012).

De 2011 à 2015, le NHS a de nouveau investi 400 M£ afin d’étendre le programme IAPT auprès des enfants, des adolescents, des personnes âgées et de leurs aidants, les personnes souffrant de troubles mentaux graves et celles souffrant de problèmes de santé physique chroniques (Thornicroft 2011 ; Jolley et al., 2015).

Les programmes australiens : ATAPS et Better Access

À la fin des années 1990, plusieurs rapports australiens ont montré que l’Australie présentait d’importantes prévalences de troubles anxieux et dépressifs, d’importants coûts liés aux incapacités et la perte de productivité, associés à ces troubles. Elle présentait aussi une forte inégalité d’accès aux soins, le fait que seulement une personne souffrant de troubles de santé mentale sur trois utilisait les services de santé mentale, que la majorité d’entre eux ne consultait que leur médecin généraliste et qu’une minorité recevait un traitement psychologique. Cette situation a permis de faciliter l’implantation d’une réforme pour un meilleur accès aux services de santé mentale. La première phase de la réforme australienne en santé mentale consistait initialement à réorganiser le secteur spécialisé en santé mentale afin d’améliorer l’accès des patients souffrant des troubles peu prévalents (des troubles psychotiques principalement), puis la réforme s’est élargie à un plus grand nombre d’usagers, en mettant l’accent sur les services de santé mentale de première ligne, en favorisant les personnes souffrant des troubles mentaux courants : troubles dépressifs et anxieux (Hickie, Davenport, Naismith, et al., 2001 ; Australian Institute of Health and Welfare 1999 ; The Australian Psychological Society Limited, 2003).

L’objectif de la réforme australienne était, et demeure aujourd’hui d’améliorer les résultats de santé des patients en offrant une alternative aux traitements pharmacologiques, par une offre de psychothérapies brèves basées sur les preuves, en soin primaire. Cette réforme reconnaît l’importance du rôle du médecin généraliste dans la prise en charge des troubles, et l’orientation des patients aux professionnels de santé mentale.

Le gouvernement australien a mis en place deux principaux programmes :

(1) Better Outcomes in Mental Health Care (BOiMHC), introduit en 2003 qui est composé de Access to Allied Psychological Services (ATAPS) et de GP Psych Support qui offre la formation des médecins généralistes et un soutien de la part des psychiatres. (2) Better Access to Psychiatrists, Psychologists and General Practitioners qui a été mis en place en 2006. Le but plus spécifique de Better Access est d’améliorer les traitements et l’organisation des soins pour les troubles de santé mentale courants, d’améliorer l’accès aux professionnels et aux équipes de soin en santé mentale, et d’offrir des soins de qualité qui soient financièrement accessibles. Les médecins généralistes sont encouragés à travailler de façon étroite et en collaboration avec les psychiatres, psychologues et psychothérapeutes.

Ces programmes permettent aux médecins généralistes de référer un patient souffrant de troubles mentaux courants aux services appropriés. Les soins dispensés sont offerts par des professionnels de la santé mentale : des psychologues (dans 9 cas sur 10), ainsi que des travailleurs sociaux, infirmiers, et ergothérapeutes ; 75 % des séances sont couvertes par le régime public ; le reste à charge pour le patient varie entre 5 AUD et 20 AUD. Les méthodes thérapeutiques employées sont basées sur des données probantes, majoritairement la TCC. Le nombre de séances varie selon la sévérité du trouble : entre 6 et 18 pour ATAPS et entre 6 à 10 pour Better Access.

La majorité des patients souffrent de troubles dépressifs (76 %) et de troubles anxieux (59 %) avec une importante comorbidité des troubles. Le programme offre largement des services aux personnes à bas revenus (68 % des patients) et celles vivant dans des zones rurales ou éloignées (45 % des patients).

Les deux programmes fonctionnent selon deux modèles de financement. Dans les deux cas, une contribution financière peut être demandée à l’usager par les fournisseurs de services (voir aussi Bradley et Drapeau, ce numéro, pour des équivalences au Québec). Dans le cas d’ATAPS, le financement dispensé est plafonné par l’État et les structures locales de Medicare reçoivent un montant fixe pour mener les projets du programme et pour payer les professionnels. Le gouvernement australien a alloué environ 27 MAUD par an au programme ATAPS. Pour Better Access, le financement fourni par le gouvernement australien n’est pas plafonné et une remise provenant de Medicare Australie est donnée aux fournisseurs de services selon les règles sur les indemnités d’assurance maladie. À partir de décembre 2009, Better Access compte 16 450 professionnels de santé mentale non-médecin, 24 000 médecins généralistes et 1 700 psychiatres.

ATAPS est généralement considéré comme étant plus apte à répondre aux besoins des groupes. Par contre, Better Access a une plus grande portée globale qu’ATAPS (Bassilios, Pirkis, Fletcher et al., 2010). Plusieurs sous-programmes d’ATAPS ont été mis en place afin de s’occuper prioritairement des populations plus à risque, par exemple, la dépression périnatale, les services spécialisés pour le suicide et les enfants souffrant de troubles mentaux (Reifels, Bassilios, King et al., 2013).

Pour le programme ATAPS, 113 107 usagers (25 135 par an) ont reçu des services entre janvier 2006 et juin 2010. Parmi ces patients, 45 % n’avaient pas d’antécédent de soins de santé en santé mentale, mais 72 % avaient déjà reçu un diagnostic de dépression et/ou d’anxiété. 82 % ont bénéficié de 6 séances ou moins et 69 % d’une TCC. Les résultats pré – et post-traitement obtenus ont montré une amélioration statistiquement significative au niveau des échelles du Depression Anxiety Stress Scales (DASS 21) mesurant la dépression, l’anxiété, le stress et le Kessler-10 (K-10) mesurant la détresse psychologique en général (Pirkis, Bassilios, Fletcher, et al., 2011). Les patients présentant des niveaux de détresse psychologique élevée et très élevée ont vu leur santé s’améliorer, en présentant des scores de détresse modérés sur le K-10. Les patients présentant des niveaux de dépression, d’anxiété et de stress modéré et élevé avant l’intervention ont rapporté des niveaux normal ou modéré sur le DASS-21 en post-traitement.

Dans le cas du programme Better Access, 2 016 495 utilisateurs ont reçu des soins pendant les trois premières années (2007 à 2009). Parmi eux, 58 % n’avaient jamais reçu de service de santé mentale. Les plus forts déterminants de l’utilisation de Better Access sont le diagnostic et la sévérité de la maladie. Environ 90 % des utilisateurs ont bénéficié d’une TCC. Les utilisateurs ont présenté des améliorations statistiquement significatives pour le K-10 (Kessler 10 ; détresse psychologique) et les scores DASS (dépression, anxiété et stress) entre le pré – et le post-traitement (Pirkis, Ftanou, Williamson, et al., 2011). Il faut cependant noter l’absence des groupes témoins pour évaluer l’effet des programmes sur les symptômes évalués avec le DASS-21 et le K-10. Les évaluations pré- et post-traitement ont été réalisées dans le même groupe de patients, ainsi l’amélioration des scores peut être liée à des facteurs non attribuables au programme lui-même.

ATAPS propose aussi des services spécifiques auprès des usagers présentant ou non un diagnostic de maladie mentale et étant à risque de suicide. L’étude de King et al. (2013) rapporte qu’entre octobre 2008 et juin 2011, plus de 2 070 personnes ont reçu des services (752 par an), dont 35 % n’avaient pas d’antécédent de soins en santé mentale et 86 % avaient déjà reçu un diagnostic de troubles mentaux (majoritairement la dépression). Plus de 10 503 séances ont été prodiguées pendant cette période (moyenne de 5,2 par usager), 43 % étaient des interventions cognitives et 25 % des interventions comportementales. Des améliorations ont été observées avec le MSSI (Modified Scale for Suicidal Ideation), le DASS et le K-10 (King, Bassilios, Reifels et al., 2013). Comme dans l’étude précédant, on constate l’absence de groupe témoin.

Face au succès du programme, en 2011, le programme ATAPS s’est vu doté d’un budget de 206,1 MAUD sur une période de cinq ans afin de prendre en charge des populations plus vulnérables : minorités et aborigènes, les personnes habitant dans des zones défavorisées ou éloignées, ainsi que les enfants et leur famille (Russell, 2011).

En conclusion, les programmes ATAPS et Better Access semblent avoir amélioré l’accès aux soins de santé mentale primaires pour les personnes souffrant de troubles mentaux courants. Le fait qu’ils opèrent sous différents modèles de financement et avec différents systèmes de prestation de services permet de penser que bon nombre de leurs caractéristiques pourraient être applicables dans d’autres contextes.

Discussion

Les programmes d’accès à la psychothérapie en Australie et en Angleterre ont montré qu’un nombre important de personnes avec des troubles de santé mentale et un besoin en santé mentale non comblé ont eu accès à des services de psychothérapies efficaces basés sur des données probantes. En Australie comme en Angleterre, une personne sur 10 a bénéficié du programme de prise en charge. Ces programmes ont aussi permis une meilleure accessibilité à des services de santé mentale auprès des personnes souffrant de troubles de santé mentale n’ayant pas reçu de soins de services de santé antérieurement. L’efficacité de ces programmes a aussi été démontrée par une amélioration des symptômes de troubles de santé mentale et de détresse psychologique chez près de la moitié des patients. Ces conclusions permettent de supposer que la mise en place d’un programme dans un pays comparable, basé sur le modèle de l’un des deux programmes permettrait d’améliorer aussi la santé des patients et d’avoir des retombées économiques favorables pour la société. Le programme IAPT a montré qu’un investissement de 1 £ permettait au secteur public de sauver 1,75 £ (NHS, 2011).

À cet effet, l’étude de Vasiliadis, Dezetter, Latimer, Drapeau et Lesage (2015) porte sur une modélisation populationnelle, avec un suivi sur 40 années, des effets associés avec une augmentation de l’accès à la psychothérapie au Canada pour les cas incidents de dépression ayant rapporté un besoin de santé mentale non comblé pour la psychothérapie et avoir reçu des traitements de santé mentale inadéquats vis-à-vis des lignes directrices pour le traitement de la dépression. Dans le contexte de l’organisation des services de santé au Québec, le modèle de financement de l’Australie a été utilisé dans l’étude de Vasiliadis et al. (2015) où les personnes devraient consulter le médecin généraliste ou omnipraticien pour avoir accès à des services de psychothérapie. Le modèle australien serait adapté à la situation québécoise puisque dans les deux pays, le médecin généraliste est la porte d’entrée vers les soins et que le Québec compte déjà 7 700 psychothérapeutes. Les analyses de coût-efficacité et de coût-utilité incrémentaux préliminaires montrent que l’augmentation des investissements par l’État pour couvrir les services psychologiques est associée à des coûts du système de santé inférieurs dus à une diminution des taux de rechute et une diminution de l’invalidité associée à la dépression. Accroître l’accès aux services psychologiques pour les personnes souffrant de dépression s’avère rentable. Les résultats de l’étude ont montré qu’un investissement de 1 $ permettrait de réaliser des économies de 2 $ pour la société.