Corps de l’article

Introduction

La schizophrénie représente un emblème en psychiatrie en matière de médecine fondée sur les évidences. Pour vous en convaincre, il vous suffit des taper les mots « schizophrénie » et « méta-analyse » dans PubMed, et vous tomberez sur 1398 méta-analyses publiées avant janvier 2014 abordant des thèmes comme la génétique, la psychopharmacologie, l’intervention psychosociale, la cognition et l’imagerie cérébrale.

La comorbidité entre la schizophrénie et la toxicomanie n’est pas en reste en ce qui concerne la médecine fondée sur les évidences, puisque bon nombre de méta-analyses ont été publiées sur cette thématique au fil des ans (voir ci-bas). Dans le domaine de la comorbidité, une majorité d’auteurs et de cliniciens soutiennent que la consommation de cannabis est un facteur associé au développement de la psychose ; que la toxicomanie est hautement prévalente dans la schizophrénie ; que la toxicomanie nuit au pronostic de la schizophrénie ; et que les traitements intégrés sont supérieurs aux soins habituels (treatment as usual) offerts à cette population (Drake et al., 2007 ; Mueser et al., 1998 ; Semple et al., 2005 ; Ziedonis et al., 2005). Le présent article est une revue systématique des méta-analyses publiées à ce jour dans le domaine de la comorbidité entre la psychose et la toxicomanie. En plus d’offrir un portrait global des connaissances, l’article vise à déterminer si les quatre grands postulats du domaine de la comorbidité sont fondés sur des évidences.

Méthodes

Une fouille des écrits scientifiques publiés avant janvier 2014 a été effectuée à l’aide de PubMed, EMBASE et PsycInfo. Les mots clés suivants ont été utilisés : schizophrénie (schizophrenia) OU (OR) psychose (psychosis) ET (AND) alcool (alcohol) OU (OR) amphétamines (amphetamines) OU (OR) cannabis OU (OR) cocaïne (cocaine) OU (OR) opioïdes (opioids) OU (OR) phencyclidine OU (OR) tabac (tobacco) ET (AND) méta-analyse (meta-analysis). Toute méta-analyse portant sur la relation entre la psychose et la toxicomanie a été incluse. Les revues de la documentation scientifique qualitatives n’ont pas été retenues. Dans la suite de l’article, nous utiliserons les termes « comorbidité », « double diagnostic » et « troubles concomitants » de façon interchangeable.

Résultats

Notre fouille a identifié 27 méta-analyses correspondant à nos critères d’inclusion. Reposant sur deux études, la méta-analyse de Ruiz-Veguilla et al. (2012) sur les symptômes neurologiques mineurs (neurologic soft signs) a été exclue, de même que l’analyse de Talamo et al. (2006), qui a été écartée en raison de sa fouille non exhaustive des écrits (Potvin et al., 2007a). De ce nombre, 25 méta-analyses ont été retenues (Tableau 1).

La prévalence de la toxicomanie dans la psychose

L’alcool

Sur un échantillon de 60 études (n = 60 317), le groupe de Koskinen (2009) a effectué une méta-analyse évaluant la prévalence de l’alcoolisme (abus ou dépendance) dans la schizophrénie. Cette synthèse de la documentation scientifique a montré que la prévalence actuelle et la prévalence à vie de l’alcoolisme sont respectivement de 9,4 % et de 20,6 % dans la schizophrénie, et que la prévalence de l’alcoolisme est plus élevée dans la tranche d’âge de 30 à 39 ans. Enfin, la méta-analyse a montré que la prévalence de l’alcoolisme est plus élevée lorsque le DSM-III-R est plutôt utilisé comme système diagnostic que le DSM-IV, l’ICD-9 ou l’ICD-10.

Le cannabis

Sur un échantillon de 35 études, le groupe de Koskinen et collaborateurs (2010) a effectué une méta-analyse évaluant la prévalence des troubles d’utilisation du cannabis (abus ou dépendance) dans la schizophrénie. La méta-analyse a montré que la prévalence actuelle et la prévalence à vie des troubles d’utilisation du cannabis sont de 16 % et 27,1 % dans la schizophrénie, et que la prévalence des troubles d’utilisation du cannabis est plus élevée lors du premier épisode psychotique, de même que chez les patients de sexe masculin et chez les patients les plus jeunes.

Le tabac

Sur un échantillon de 20 études incluant 7593 patients, De Leon et Diaz (2005) ont estimé que le risque de fumer présentement la cigarette (tabac) est six fois plus élevé dans la schizophrénie que dans la population générale, et que ce risque est davantage accru chez les hommes que chez les femmes atteintes de la schizophrénie (ratio de cote : 7,2 versus 3,3). À vie, le risque de fumer régulièrement est trois fois plus élevé dans la schizophrénie que dans la population générale.

Une méta-analyse subséquente de Myles et al. (2012a) (41 études), ciblant le premier épisode psychotique (PÉP), a démontré que l’initiation à la consommation du tabac survient en moyenne 5,3 ans avant l’apparition du PÉP. La méta-analyse a montré par ailleurs que la prévalence de la consommation de tabac est de 58,9 % dans le PÉP, ce qui correspond à un risque six fois plus accru de fumer que le risque observé dans la population générale. La prévalence de la consommation de tabac est plus élevée en Australie et en Amérique du Nord qu’elle ne l’est ailleurs dans le monde. En revanche, la prévalence du tabagisme ne change pas après le traitement de la schizophrénie (de 6 à 120 mois).

Étiologie

Le cannabis comme facteur de risque de la psychose

Afin de déterminer si le cannabis est un facteur de risque dans le développement de la psychose, Henquet et collaborateurs (2005) ont effectué une synthèse quantitative de sept études prospectives (n = 112 218). La méta-analyse a montré que la consommation de cannabis accroît de 2,1 fois le risque de développer des symptômes psychotiques ou un trouble du spectre de la schizophrénie. Similairement, Semple et collaborateurs (2007) ont montré dans une seconde méta-analyse (sept études prospectives ou transversales, n = 51 688) que la consommation de cannabis accroît de 2,9 fois (ratio de cote) le risque de développer des symptômes psychotiques ou un trouble du spectre de la schizophrénie.

Ces deux méta-analyses ont été effectuées en prenant des ratios de cote non ajustés en fonction de facteurs potentiellement non confondants tels que le sexe, l’âge de début de consommation ou encore la vulnérabilité psychotique prémorbide. Afin de corriger cette faille, Moore et collaborateurs (2007) ont effectué une méta-analyse sur cette même thématique, mais en utilisant cette fois des ratios de cote ajustés. Leurs résultats ont montré que la consommation de cannabis est associée à un risque légèrement accru de développer des symptômes psychotiques ou un trouble de la lignée de la schizophrénie (ratio de cote : 1,41). Dans le cas de la consommation fréquente de cannabis, le risque des symptômes psychotiques ou un trouble de la lignée de la schizophrénie est augmenté de 2,1 fois. La méta-analyse n’a pas montré de différence fondamentale entre le fait de développer des symptômes psychotiques ou un trouble du spectre de la schizophrénie.

L’âge d’apparition du premier épisode psychotique

Dans la foulée des études montrant que la consommation de cannabis serait associée au développement de la psychose, des études ont visé à démontrer que l’âge d’apparition du PÉP serait plus précoce chez les consommateurs de cannabis. Large et al. (2011) ont effectué une méta-analyse sur la question, regroupant 83 études et 22 519 patients, laquelle a montré que la consommation de cannabis est associée à une apparition du PÉP à un plus jeune âge (effet faible à modéré), ce qui n’est pas le cas pour la consommation d’alcool. Par contraste, une autre méta-analyse basée sur 25 articles (n = 5062) a montré une absence d’association entre le fait de fumer du tabac et l’âge d’apparition du PÉP (Myles et al., 2012b).

Les effets cliniques des substances psychoactives dans la psychose

La violence (envers autrui)

La question de la violence dans la psychose est épineuse. D’une part, on dispose d’évidences montrant que seule une minorité d’actes de violence sont commis par des personnes ayant des troubles mentaux graves (Dumais et al., 2011). D’autre part, il y a des évidences disant que les patients psychotiques seraient plus à risque d’adopter des comportements violents, par rapport à la population générale. Afin de clarifier cette question, le groupe de Fazel et al. (2009) a effectué une méta-analyse de 20 études, longitudinales ou transversales, comparant 18 423 patients psychotiques et 1 714 904 personnes de la population générale. Leurs résultats ont montré que le risque d’adopter des comportements violents est cinq fois plus élevé dans la psychose que dans la population générale, qu’il est neuf fois plus élevé chez les patients psychotiques ayant une toxicomanie cooccurrente, et qu’il est seulement deux fois plus élevé chez les patients psychotiques sans toxicomanie cooccurrente. La méta-analyse a par ailleurs montré que le risque d’adopter des comportements violents est davantage accru chez les femmes que chez les hommes psychotiques (ratio de cote : 7,85 versus 3,98).

Dans une méta-analyse subséquente, visant à identifier l’ensemble des facteurs de risque de la violence dans la psychose, Witt et collaborateurs (2013) ont réuni 110 études incluant 45 533 patients psychotiques. Parmi les nombreux facteurs de risque relevés, l’utilisation problématique (misuse) de l’alcool et des drogues et la polyconsommation se sont avérées des facteurs de risque significatifs (ratios de cote de 2,3, de 2,1 et de 10,3, respectivement).

Enfin, dans une méta-analyse portant, plus spécifiquement, sur les patients ayant leur PÉP (neuf études ; n = 2454), Large et Nielssen (2011) ont documenté que la proportion de la violence (toute forme confondue) et de la violence sévère (exemple : homicide) est respectivement de 34,5 et 0,6 % dans cette population. Parmi les divers facteurs de risque trouvés, la consommation de substance psychoactives s’est avérée une variable significativement associée à la violence dans cette population.

La violence envers soi-même (deliberate self-harm)

Challis et collaborateurs (2013) ont effectué une méta-analyse sur la prévalence des comportements autoagressifs volontaires (tentative de suicide et automutilation ; violence envers soi-même) dans la psychose. La méta-analyse a montré que la prévalence des comportements autoagressifs volontaires est de 28,4 % avant le traitement du PÉP ; de 9,8 %, durant la période non traitée de l’épisode psychotique ; et de 11,4 % durant le suivi thérapeutique. L’abus d’alcool et la consommation de drogues font partie des facteurs qui augmentent le risque d’adopter des comportements autoagressifs dans la psychose.

Les symptômes psychiatriques

Afin d’évaluer l’impact potentiel de la toxicomanie sur les symptômes psychiatriques de la schizophrénie, quatre méta-analyses ont été effectuées. Dans une première méta-analyse de 20 études transversales (n = 3283), Potvin et collaborateurs (2007) ont montré que la toxicomanie est associée à une exacerbation des symptômes dépressifs de la schizophrénie, surtout dans le cas de l’alcool et de la cocaïne, et que le choix de l’échelle de mesure influence les résultats. Dans une méta-analyse subséquente, Mullin et collaborateurs (2012) ont divisé 23 études transversales (n = 2024) en fonction de l’utilisation présente ou passée de substances psychoactives. Les résultats ont montré que l’utilisation courante de substances psychoactives est associée à une exacerbation des symptômes positifs et dépressifs de la schizophrénie, alors qu’aucune différence en termes de symptômes positifs n’est notée dans le cas de la consommation passée. Ces résultats suggèrent, sans le prouver, que l’arrêt de la consommation pourrait s’accompagner d’une amélioration des symptômes positifs. Corroborant ces résultats, une méta-analyse de Gupta et collaborateurs (2013) a mis en relief une absence de différences en ce qui a trait aux symptômes positifs, négatifs et dépressifs entre les patients psychotiques avec et sans historique passé de consommation. Dans les études de haute qualité, la méta-analyse a montré que les patients ayant un historique passé de consommation ont, en fait, moins de symptômes positifs.

Paradoxalement, une méta-analyse de Potvin et collaborateurs (2006) a montré que les troubles d’utilisation du cannabis et de la cocaïne sont associés à moins de symptômes négatifs dans la schizophrénie. En raison de la nature transversale des 11 études incluses dans la méta-analyse (n = 1135), il est impossible de déterminer si ces différences de symptomatologie négative sont primaires ou secondaires à la consommation dans la schizophrénie. Par ailleurs, il importe de mentionner que cette méta-analyse a utilisé la Scale for the Assessment of the Negative Symptoms (SANS) comme mesure des symptômes négatifs, alors que les méta-analyses ayant utilisé d’autres instruments de mesure n’ont pas mis en évidence de différences de symptômes négatifs relativement à la consommation dans la schizophrénie (Gupta et al., 2013 ; Mullin et al., 2012). L’une des différences notables entre la SANS et d’autres échelles d’évaluation des symptômes négatifs est qu’elle comporte un item d’anhédonie. Or, c’est précisément par rapport à cet item que Potvin et al. (2006) ont observé la différence la plus significative entre les groupes.

La durée de la psychose non traitée

Sachant que la durée de la psychose non traitée est liée à un moins bon pronostic dans la psychose, Burns et al. (2012) ont réalisé une méta-analyse visant à déterminer si la consommation de substances psychoactives est liée à la durée de la psychose non traitée (neuf études, 1726 patients ayant un PÉP). Cette synthèse n’a pu montrer un lien significatif entre la consommation de substances psychoactives (incluant le cannabis) et la durée de la psychose non traitée. La méta-analyse a mis en relief des biais potentiels dans les études, notamment le fait que la consommation de cannabis est associée au sexe masculin.

La cognition

Les déficits cognitifs associés à la schizophrénie sont les symptômes qui nuisent le plus les patients dans leur capacité de fonctionner socialement et sur le plan occupationnel (Fett et al., 2011). Sachant que les substances les plus consommées (alcool, cannabis et stimulants) par les personnes psychotiques peuvent provoquer à long terme des déficits cognitifs, plusieurs groupes se sont intéressés aux effets cognitifs de la consommation de substances psychoactives dans la schizophrénie (Potvin et al., 2012). Les résultats n’ont pas démontré une détérioration claire du fonctionnement cognitif dans la schizophrénie, comme attendue.

Dans une première synthèse, Potvin et collaborateurs (2008) ont effectué une méta-analyse de 22 études comparant la performance cognitive de 1870 patients psychotiques avec et sans toxicomanie cooccurrente. La méta-analyse a montré une absence de différence entre les groupes quand on considère le fonctionnement cognitif global des patients. Des sous-analyses ont révélé que les patients avec un double diagnostic ont une meilleure vitesse de traitement de l’information (effet modéré). Des analyses de méta-régression ont mis en évidence une relation linéaire négative entre la taille de l’effet (pour la performance cognitive globale) et l’âge moyen des patients, suggérant que la performance cognitive des participants ayant un trouble comorbide est supérieure à celle des participants non toxicomanes avant l’âge de 35 ans environ, et qu’elle est au contraire inférieure chez les patients âgés de plus de 35 ans. Des sous-analyses effectuées sur un nombre restreint d’études (n ≤ 3) ont montré que l’alcool semble aggraver les déficits de mémoire de travail dans la schizophrénie ; et que la consommation de cannabis va de pair avec une relative préservation des fonctions exécutives et de la mémoire visuelle. Enfin, la méta-analyse a révélé qu’il y a une plus forte proportion de personnes de sexe masculin parmi les consommateurs que les non-consommateurs schizophrènes.

Plus récemment, deux méta-analyses ont été effectuées, plus spécifiquement, sur les effets du cannabis sur la cognition dans la schizophrénie. Sur un échantillon de huit études (n = 942), Rabin et collaborateurs (2011) ont montré que la consommation de cannabis est associée à une meilleure performance cognitive (effets faibles à modérés) dans la schizophrénie, en ce qui a trait à la cognition générale, l’attention et les habiletés visuo-spatiales. Yucel et collaborateurs (2012) ont eux aussi montré que la consommation de cannabis est associée à une meilleure performance cognitive dans la schizophrénie (n = 572 ; effets faibles à modérés), en ce qui a trait à l’attention, les capacités de planification, la mémoire visuelle et la vitesse de traitement de l’information.

Une dernière méta-analyse a été effectuée, s’intéressant aux effets cognitifs des substances psychoactives illicites dans la schizophrénie (19 études, n = 1533) (Donoghue et al., 2012). Cette méta-analyse a montré que la toxicomanie est associée à une meilleure performance cognitive dans la schizophrénie (effet faible), que la polytoxicomanie est associée avec une relative préservation de l’attention et de la mémoire verbale (effets faibles à modérés), alors que la cocaïne est associée avec une détérioration de la mémoire verbale et une préservation des capacités attentionnelles (effets faibles à modérés).

Les symptômes neurologiques

Les antipsychotiques peuvent produire des symptômes extrapyramidaux (SEP), tels que l’akathisie (besoin irrésistible de bouger), la dyskinésie (mouvements oro-faciaux incontrôlables), la dystonie (crampes musculaires) et le parkinsonisme (bradykinésie, tremblements au repos, etc.). Afin de déterminer si la toxicomanie exacerbe les SEP induits par les antipsychotiques dans la schizophrénie, notre groupe a effectué en 2009 une méta-analyse de 16 études incluant 3479 patients (Potvin et al., 2009). Les résultats ont montré que la toxicomanie s’accompagne d’une légère augmentation de la sévérité des SEP dans la schizophrénie. La consommation de cocaïne (n = trois études) est associée à une exacerbation significative des SEP dans la schizophrénie (g = 0,773), ce qui ne semble pas être le cas de l’alcool. La méta-analyse a mis en relief le fait qu’il y a une plus forte proportion de personnes de sexe masculin parmi les consommateurs que les non-consommateurs ayant la schizophrénie.

Le traitement

Les interventions psychosociales

En termes de traitement psychosocial, dans le domaine de la comorbidité, la documentation scientifique disponible recommande d’adopter des interventions dites intégrées (ciblant à la fois la psychose et la toxicomanie), d’adopter une philosophie d’intervention motivationnelle, et non pas moralisatrice, d’assurer une présence intensive dans la communauté, et d’intégrer des éléments de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC ; gestion du stress, gestion des cravings, découverte de plaisirs alternatifs, etc.) et/ou la gestion des contingences (contigency management), qui vise à renforcer des comportements souhaités (la diminution de la consommation) par des récompenses (Drake et al., 2007).

Une méta-analyse récente a évalué l’efficacité des interventions s’inspirant de ces principes (à divers degrés) chez des personnes ayant un trouble mental grave (surtout la schizophrénie) (32 essais randomisés contrôlés, n = 3165) (Hunt et al., 2013). En raison de l’hétérogénéité des interventions mises à l’épreuve, les études ont été regroupées en fonction des modalités suivantes : l’entrevue motivationnelle, la TCC, l’entrevue motivationnelle jumelée à la TCC, le traitement intégré à long terme (une même équipe assure un suivi intensif dans la communauté), la gestion de cas (case management) intensive et la gestion des contingences. Étonnamment, la méta-analyse a montré une absence de différences entre les interventions dites intégrées et les soins habituels, tant sur le plan des symptômes psychiatriques que de la consommation. Seule l’entrevue motivationnelle s’est avérée supérieure aux soins habituels, en ce qui a trait à l’observance et à l’abstinence de l’alcool. Il s’agit toutefois de conclusions tirées d’une seule étude dans les deux cas, et donc, d’un nombre restreint de patients (93 et 28, respectivement). Qui plus est, les auteurs ont noté que les études publiées dans le domaine sont généralement de faible qualité, en raison de la petite taille des échantillons, de l’hétérogénéité des mesures et des populations, de l’attrition élevée et de l’évaluation de l’évolution des patients, qui n’est généralement pas faite de façon aveugle.

Le traitement pharmacologique

L’arrêt tabagique constitue un défi de taille chez la population schizophrène. Dans une méta-analyse de sept études randomisées contrôlées (n = 340), Tsoi et collaborateurs (2013) ont montré que le bupropion, un antidépresseur atypique, a une efficacité supérieure au placebo, qui se traduit par une augmentation des taux de cessation à court terme (risque relatif, RR = 3,03) et à six mois (RR = 2,78), mais pas d’augmentation du nombre de décompensations psychotiques. Sur la base de deux études de courte durée (< six mois) (n = 137), la varénicline, un agoniste des récepteurs nicotiniques, a montré une efficacité supérieure au placebo (RR = 4,74), se traduisant par une augmentation des taux de cessation.

Table 1

Caractéristiques et résultats des méta-analyses sur l’association entre psychose et consommation

Caractéristiques et résultats des méta-analyses sur l’association entre psychose et consommation

EM = entrevue motivationnelle ; PEP = premier épisode psychotique ; RC = ratio de cote ; SANS = Scale for the Assessment of Negative Symptoms ; SCZ = schizophrénie ; SEP = symptômes extrapyramidaux ; TCC = thérapie cognitivo-comportementale

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Discussion

La prévalence de la toxicomanie dans la schizophrénie

Les méta-analyses publiées à ce jour montrent que la prévalence de la consommation et de la consommation incontrôlée de tabac, d’alcool et de cannabis est élevée dans la schizophrénie, plus particulièrement durant le PÉP, avec un léger déclin de la consommation de l’alcool au cours des 20 dernières années. Il est toutefois possible que cette documentation scientifique surestime la prévalence de la consommation dans la schizophrénie, puisqu’elle repose essentiellement sur des études menées en milieu clinique, et non pas dans la population générale. Cela dit, des études classiques menées dans la population générale ont montré que la prévalence à vie d’une toxicomanie est près de 50 % dans la schizophrénie (Regier et al., 1990). On notera qu’aucune méta-analyse ne s’est intéressée aux psychostimulants, alors qu’il semble y avoir une augmentation, du moins dans certains milieux cliniques, de la consommation d’amphétamines chez les personnes schizophrènes (Salvat et al., 2010). De plus, la consommation de psycho-stimulants semble associée, dans la schizophrénie, à davantage de rechutes psychotiques, de non-observance, d’itinérance et de comportements agressifs, de même qu’à une exacerbation des symptômes psychotiques et dépressifs (Zhornitsky et al., 2012).

Le cannabis comme facteur de risque

Même en tenant compte d’une diversité de facteurs potentiellement confondants, la documentation scientifique suggère que la consommation de cannabis augmenterait le risque de développer des symptômes psychotiques ou un trouble du spectre de la schizophrénie. Il importe toutefois de noter que cette relation est plutôt faible, et qu’il est présentement difficile d’en inférer un message clair de santé publique. Il a été estimé, en effet, qu’il faudrait prévenir de 10 000 à 20 000 cas de consommation de cannabis ou de 3000 à 5000 cas de consommation fréquente (heavy use) afin de prévenir un seul cas de schizophrénie (Gage et al., 2013). La documentation scientifique suggère, par ailleurs, que la consommation de cannabis serait associée à une apparition plus précoce du PÉP, ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne le tabac et l’alcool. Bien qu’on ne puisse inférer de liens de causalité à partir de ces études transversales, cette relation entre le cannabis et l’âge d’apparition du PÉP est cohérente avec la documentation scientifique suggérant que le cannabis accroîtrait le risque de développer des symptômes psychotiques. Certains auteurs ont toutefois mis en doute cette relation, car elle pourrait être expliquée par des variables sociodémographiques confondantes (Sevy et al., 2010).

La toxicomanie nuit au pronostic de la schizophrénie

Étonnamment, l’affirmation selon laquelle la toxicomanie nuirait au pronostic de la schizophrénie n’est pas très bien étayée par les évidences empiriques. Certes, les données probantes suggèrent que la toxicomanie serait associée à davantage de symptômes dépressifs dans la schizophrénie. Cette conclusion est toutefois tirée d’études transversales, qui sont davantage influencées par des variables confondantes que ne le sont les études longitudinales. Dans le cas de la cognition, les résultats produits à ce jour sont contradictoires, et ne suggèrent aucunement un simple effet additif de la consommation et de la psychose, surtout dans le cas du cannabis. Ici encore, le manque d’études longitudinales constitue un problème réel. Des données préliminaires suggèrent que la consommation de cocaïne pourrait aggraver les SEP induits par les antipsychotiques, mais cette relation est basée sur un nombre limité d’études. De façon paradoxale, certaines données probantes suggèrent que la consommation de cannabis et de psychostimulants serait associée à moins de symptômes négatifs dans la schizophrénie. Il s’agit toutefois d’une relation qui n’est pas décrite dans toutes les méta-analyses s’étant intéressées aux symptômes négatifs.

En revanche, une relation forte a été décrite entre la toxicomanie et la violence dans la psychose, basée sur l’inclusion de 18 423 patients psychotiques (note : une relation similaire a également été décrite en ce qui concerne la violence contre soi-même). Il demeure toutefois possible que la méta-analyse de Fazel et collaborateurs (2009) ait surestimé la relation entre violence et toxicomanie dans la psychose, puisque leur calcul du risque relatif a été réalisé en utilisant des statistiques non ajustées, ne tenant pas compte d’une panoplie de facteurs confondants. En outre, cette méta-analyse ne permet pas de déterminer l’influence de l’impulsivité et des traits antisociaux ou limites sur la relation entre la toxicomanie et la violence dans la psychose.

Les traitements intégrés

En dépit des nombreuses recommandations consensuelles à cet égard, les données probantes disponibles ne suggèrent pas que les traitements intégrés seraient supérieurs aux soins habituels offerts aux patients comorbides (schizophrénie et toxicomanie). Il est toutefois primordial de souligner ici que cette absence de preuve ne constitue pas une preuve d’absence d’efficacité. En effet, les études randomisées réalisées dans le domaine ont offert des modalités d’intervention variées, en plus de prendre des mesures d’efficacité peu comparables, de sorte que le nombre de comparaisons disponibles s’avère limité. Aussi, l’absence d’efficacité rapportée par les données probantes pourrait très bien traduire un manque de puissance statistique, plutôt qu’un manque réel d’efficacité.

En revanche, il existe des évidences montrant que le bupropion et la varénicline pourraient faciliter de façon significative la cessation tabagique dans la schizophrénie, bien que cette conclusion soit basée sur un nombre limité d’études. Pour l’instant, les résultats des études évaluant l’efficacité de la thérapie de remplacement à la nicotine demeurent trop hétérogènes pour être utiles. Des études de plus grande envergure sont requises afin de comparer l’efficacité relative du bupropion, de la varénicline et de la thérapie de remplacement à la nicotine, tout en portant attention, bien sûr, aux effets secondaires potentiels de chacune de ces options thérapeutiques.

Conclusions générales

Hormis l’observation d’une haute prévalence de la toxicomanie dans la psychose, deux des postulats fondamentaux du domaine de la comorbidité ne sont pas étayés par des évidences de haute qualité, soit l’affirmation selon laquelle la consommation affecte le pronostic des patients et celle selon laquelle les traitements intégrés seraient supérieurs aux soins habituels. Les données probantes suggèrent certes que la consommation de cannabis augmenterait le risque de développer la psychose, mais cette relation est plutôt faible, de sorte que la recherche dans le domaine s’oriente présentement vers la découverte des caractéristiques des personnes vulnérables aux effets psychoto-mimétiques du cannabis.

Indirectement, le présent article montre qu’il n’existe pas de méta-analyse à propos de plusieurs thèmes d’intérêt dans le domaine de la comorbidité, soit par manque d’études ou par manque de motivation. Sur le plan étiologique, il n’y a pas de méta-analyse sur la consommation de meth-/amphétamines comme facteur de risque de la psychose, bien que ces substances puissent provoquer des psychoses toxiques. D’ailleurs, il n’y a pas, non plus, de méta-analyse sur la prévalence des psychoses toxiques en toxicomanie. Sur le plan clinique, les raisons subjectives qui incitent les patients psychotiques à consommer n’ont pas fait l’objet d’une synthèse systématique et quantitative. La médecine fondée sur les évidences n’a pas estimé la prévalence des comorbidités médicales chez les patients comorbides, en dépit des effets néfastes pour la santé de la consommation de substances psychoactives. Sur le plan du traitement, on ne dispose pas de données probantes sur l’utilité potentielle des antipsychotiques injectables et de la clozapine chez les patients comorbides. L’efficacité de la thérapie de remplacement à la nicotine pour la cessation tabagique demeure également à démontrer auprès de cette population. Les effets bénéfiques de la nicotine sur le fonctionnement cognitif des patients schizophrènes n’ont pas fait l’objet d’une synthèse quantitative. On en sait fort peu, par ailleurs, sur les liens biologiques entre la psychose et la toxicomanie. Il y a, enfin, une absence de données probantes quant aux problèmes d’observance chez les patients comorbides, ce qui est en soi ironique, puisque les problèmes d’observance rendent difficile la réalisation d’études longitudinales, ce qui nuit, à rebours, à la collecte de données probantes dans le domaine de la comorbidité…

Outre le manque d’études longitudinales, l’hétérogénéité des résultats est l’un des problèmes qui portent le plus entrave au développement de données probantes dans le domaine de la comorbidité (voir Tableau 1). Plusieurs sources pourraient être à l’origine de cette hétérogénéité, incluant l’hétérogénéité diagnostique des populations, les définitions hétérogènes de la consommation (usage, misuse, abus, dépendance), ou encore la diversité des milieux de recrutement des populations à l’étude (interne, externe, communauté, milieu urbain, etc.). Les différences hommes-femmes constituent un autre facteur à considérer, puisque la consommation est fréquemment liée au sexe masculin dans la schizophrénie (voir Tableau 1) et que d’importantes différences hommes-femmes existent dans ce trouble psychiatrique (Mendrek et Stip, 2011).

Au total, l’établissement de données probantes dans le domaine de la comorbidité demeure certes prioritaire, et la poursuite de ce noble objectif dépend, ultimement, de notre capacité de réaliser davantage d’études longitudinales impliquant de plus grands échantillons. La levée de certaines contraintes organisationnelles, l’adoption de devis expérimentaux peu contraignants, de type naturaliste, et l’adoption de modèles statistiques tenant compte des pertes au suivi pourraient, en théorie, faciliter la réalisation de telles études. Dans le cas des études contrôlées, l’adoption de mesures homogènes de l’évolution des patients est simple à réaliser afin de faciliter les comparaisons d’une étude à l’autre. Cela dit, en raison de sa complexité inhérente, la comorbidité constitue possiblement un domaine illustrant bien les limites de la médecine fondée sur les évidences.