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La revue Santé mentale au Québec est née en 1976 grâce à une génération de pionniers complètement investis dans le mouvement communautaire. Il y avait des psychologues, des psychiatres, des politiciens, des sociologues, etc. Il y avait du charisme, de la générosité, des hommes célèbres et des subversifs. Pierre Migneault, le « Beauceron » faisait partie de ceux-là. Il s’est éteint à l’âge de 83 ans, en février dernier. On va s’ennuyer de lui ! On lui a déjà demandé d’écrire un épilogue pour notre Revue. Sa contribution fût pertinente du fait de sa franchise, sa subversion, sa filiation, son besoin de laisser quelque chose, sa position du Wolinsky de la relation humaine, du Singe de Gibraltar, de l’empêcheur de tourner en rond, de l’anarchiste de la Beauce, du catholique devant les vierges, de l’ému des amitiés, du comédien devant l’Arte, du danseur (parfois nu) dans la mauvaise taverne, du Michel Onfray du DSM, de l’hédoniste des corridors de sécurité, de l’ex-Frère Gaucher et archiviste Jolifou à l’aube du crépuscule. Un épilogue c’est, selon Larousse, ce qui termine, conclut une action longue et embrouillée. Il décrit là sa route chaotique ou exotique de psychiatre.

Après des études médicales à Québec et une résidence en psychiatrie à l’Université de Montréal, puis à Hawaï, il a travaillé à Limoilou, à Baie-Saint-Paul, en Abitibi, au Douglas pour la clinique de Pointe-Saint-Charles, à Cowansville et puis pour le Tribunal administratif du Québec. Il était très assidu aux Congrès de l’AMPQ et l’on ne savait jamais d’où viendrait le coup, le bon coup, bien sûr. Toujours à la frange de la pensée critique, toujours au coeur d’un sentiment profond pour les patients, surtout les psychotiques : « Finalement, un peu à ma propre surprise, il faut bien m’avouer que ce sont les patients psychotiques qui m’ont, au fond, le plus influencé, le plus marqué et le plus intéressé. Ils ont d’ailleurs fait naître, en moi, progressivement, une sorte de syndrome de Stockholm dont je ne peux ni ne veux vraiment me sortir », disait-il. Il n’y avait que peu de répit pour sa pensée et personne n’était à l’abri de ses remarques et aussi de son affection. L’establishment n’était pas épargné. Il jouait un peu le rôle du « fou du roi » dans notre association de psychiatres du Québec. C’est un rôle qui était risqué au Moyen Âge, mais qui avait une fonction importante et dont notre époque aurait bien besoin. Il aimait les artistes (Arthur Villeneuve, Bruno Cormier, Marcel Saucier, les Impatients, etc.), les marginaux, les autochtones et les thérapeutes. Il avait aussi une passion pour l’Art Brut et les peintres naïfs s’impliquant dans le Musée international d’art naïf de Magog. Il aimait l’intérieur des thérapeutes, oserions-nous dire avec lui : « C’est peut-être cela que le patient psychotique halluciné nous rappelle et renvoie en pleine face… et qui nous déstabilise tant. La remontée en surface de ce matériel brut humain, comme de la lave, explique largement, à mon avis, le désarroi des thérapeutes et la danse autour du fou de nos théories explicatives et de nos approches. » Il était aussi une sorte d’éditeur comme pour Sacré Bigras, un album-vie autour de ce psychanalyste, ou Récits de Cire ou Être psychiatre en région. Nous l’avons entendu dire souvent : « Le malade qui m’inquiète le plus, c’est moi-même. » Et comme il le disait à chacun de ses amis, à la fin d’un entretien : « Je t’aime et c’est pas de tes affaires. » Et s’il fallait éditer son épitaphe, nous lui laisserions la parole : « Un de mes patients préférés, c’est-à-dire un sosie au fond, un grandiose inconsolable, contrôlant ou s’accommodant généralement assez bien… de son hypersensibilité aussi précieuse que parfois sidérante, traitait les psys, moi inclus, de “psychotiques de la réalité”. » Je suis sûr que là-haut au Paradis, il continue son rôle du Fou du Roi, et Dieu, souriant, le trouve bien utile. On est en 2020 !