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Introduction

Les troubles mentaux courants (TMC) tels que les troubles dépressifs et anxieux, ainsi que les troubles de l’adaptation et le stress aigu, représentent de 30 % à 50 % des raisons d’absence maladie des milieux de travail (Axén et coll., 2020 ; Nigatu et coll., 2016 ; Stratton et coll., 2017). En croissance constante dans les pays industrialisés, les TMC peuvent représenter des incapacités de travail à long terme comparativement à d’autres problématiques de santé (Eskilsson et coll., 2020 ; Gayed et coll., 2019). Les auteurs évoquent une problématique de santé publique difficile à endiguer, visant essentiellement la réduction des symptômes de la personne avec un TMC, sans miser pour autant sur une reprise professionnelle que l’on souhaite durable et favorisant le rétablissement (Joyce et coll., 2016 ; Volker et coll., 2017). Cibler les symptômes de l’individu sans une préoccupation du processus du retour au travail (RAT) et sans une implication du milieu de travail est reconnue comme une intervention peu optimale (Volker et coll., 2017). Permettre à l’individu un RAT dans les meilleures conditions pour se rétablir demeure un défi. Plus souvent que jamais, l’objectif des entreprises est de promouvoir une reprise professionnelle la plus rapide possible, de réduire les durées d’absence et les coûts inhérents aux pensions d’invalidité et à la perte de productivité, et ce, parfois même au détriment de l’individu concerné (Skivington et coll., 2016). Forts de cette réalité socioéconomique, les décideurs politiques et chefs d’entreprises se tournent sans relâche vers les chercheurs et professionnels de la santé pour recueillir les recommandations d’adoption des meilleures pratiques existantes, celles qui sont notamment reconnues comme efficientes (Joyce et coll., 2016).

Dans le cadre de leur étude économique, Dewa et coll. (2020) ont voulu répondre à la question suivante : « Quelles sont les preuves de coût-efficacité des interventions de RAT pour les absences maladie liées aux TMC ? » À partir des 10 études retenues, les auteurs concluent que les interventions de RAT destinées aux employés ayant eu des absences certifiées par un TMC peuvent être rentables, apportant un meilleur rapport coût-efficacité. Toutefois, les types d’intervention demeuraient hétéroclites, proposant aux employés parfois l’enseignement de stratégies d’adaptation ou de résolution de problèmes, l’élaboration d’un plan de RAT dans une relation dyadique superviseur-employé, ou encore la participation de l’employé à une intervention de nature collaborative reconnue comme adéquate pour l’accompagner. Les auteurs précisent dans leur analyse coût-efficacité que pour les cas dits plus complexes sur le plan de la santé mentale, l’intervention ressortait comme moins rentable (Dewa et coll., 2020). Néanmoins, pour les études de nature collaborative avec divers acteurs du RAT et un traitement mieux ciblé et plus adéquat, les résultats s’avéraient rentables pour les cas dits complexes. En bref, il semble que les actions de divers acteurs du RAT dans une démarche collaborative, bien orchestrée et ciblée, présentent une voie optimale notamment pour son rapport coût-efficacité.

Bien que les acteurs du RAT partagent l’objectif de soutenir l’employé dans une reprise durable et en santé, la communication et la collaboration de ces derniers restent toutefois difficiles à mettre en place (Young, 2013 ; Young et coll., 2005). Lorsque la concertation des acteurs est absente ou lacunaire, des recommandations contradictoires quant au RAT de l’employé avec un TMC peuvent avoir des effets délétères sur les durées d’absence maladie et d’éventuelles rechutes (Russell et Kosny, 2019 ; Skivington et coll., 2016). Dans un récent examen de la portée (scoping review), Corbière et coll. (2020) ont identifié près d’une douzaine d’acteurs pertinents au processus de RAT d’employés aux prises avec un TMC ; ils sont répartis dans les systèmes de la santé, de l’assurance et de l’entreprise et la plupart d’entre eux sont appelés à interagir à un moment précis dans le processus de RAT. Comme la responsabilité du processus du RAT est répartie entre plusieurs acteurs incluant la personne concernée par la maladie, on peut observer le risque de fragmentation des responsabilités et des lacunes dans l’orchestration des actions à poser, ce qui peut entraîner des problèmes d’efficacité et de qualité des interventions (Ståhl, 2012). Pour pallier cette difficulté, le coordonnateur de retour au travail (CORAT) a un rôle pivot dans la reprise de l’employé (MacEachen et coll., 2020). En ayant une compréhension fine des attentes de chacun, cet intervenant orchestre les actions entre les divers acteurs du RAT (Corbière et coll., 2020 ; Eskilsson et coll., 2020 ; Vogel et coll., 2017). Un des principes clés de son rôle durant tout le processus du RAT est de s’assurer que les acteurs impliqués dans la réintégration aient une bonne connaissance des procédures à suivre et des actions à entreprendre (Corbière et coll., 2020) ; ce qui implique d’établir explicitement une coordination des acteurs provenant de divers services ou secteurs d’activité.

Dans une approche qui vise les soins de santé intégrés, Skarpaas et coll. (2019) se sont concentrés sur l’évaluation et l’amélioration des liens possibles entre les acteurs du RAT. Dans ce contexte, ils ont interviewé plus de 500 employés en absence maladie concernant le rôle du CORAT. Près de 70 % des employés ont déclaré avoir un CORAT favorisant une intégration des services de nature horizontale plutôt que verticale. Les auteurs définissent une intégration verticale lorsqu’il y a une coordination des actions entre les différents niveaux et institutions (p. ex. interagir à la fois avec les acteurs de l’entreprise et de la compagnie d’assurance), alors que la coordination de nature horizontale se résume essentiellement à la concertation des actions au sein d’un même service/niveau (p. ex. assurer les activités de soins entre les professionnels de la réadaptation). Bien que le débat se poursuive dans la mise en place d’une coordination verticale dans le processus de RAT (Vogel et coll., 2017), plusieurs auteurs remarquent que les interventions de nature collaborative se limitent dans les grandes organisations canadiennes à un lien du CORAT avec le supérieur immédiat, notamment dans la mise en place d’aménagements de travail (Durand et coll., 2017). On peut aussi observer, dans un contexte européen, l’implantation d’un dispositif de dialogue entre l’employé en RAT et son supérieur immédiat (Eskilsson et coll., 2020) ou de ce premier avec le médecin du travail (Volker et coll., 2017). Ces constats mettent en lumière que la concertation des actions des acteurs du RAT se résume à des relations dyadiques souvent exclusives alors que plus d’une dizaine d’acteurs du RAT ont été identifiés avec des rôles plus ou moins saillants selon la phase du processus de RAT, mais tous importants pour le succès du RAT (p. ex. collègues , Corbière et coll., 2020).

Une amélioration de la communication entre les acteurs des divers systèmes impliqués dans le RAT et d’une orchestration de leurs actions est restée lettre morte sur le plan de l’innovation dans les technologies de l’information, alors qu’elle peut s’avérer utile et efficace, notamment lorsque de nombreuses observations et évaluations dans le processus de RAT sont effectuées à partir de formulaires standardisés (Singh et O’Hagan, 2019). Il est intéressant de constater que récemment, une méta-analyse a été effectuée sur les interventions en ligne (p. ex. applications mobiles ou plateformes Web) dans le domaine de la santé mentale et du travail (Phillips et coll., 2019) et une meta-review (intégrant les méta-analyses) des applications mobiles déployées dans le domaine de la santé mentale (Lecomte et coll., 2020). C’est dire la popularité récente des applications pour cette clientèle et cette thématique. Toutefois, les applications recensées dans ces méta-analyses et meta-review ne permettent pas d’aborder la question de la concertation des actions de plusieurs acteurs ; elles sont en général centrées sur un seul et même utilisateur. De plus, il est essentiel de considérer les défis que peuvent rencontrer les personnes avec un trouble mental lors de l’utilisation d’applications mobiles, notamment sur le plan cognitif (Clark et coll., 2016 ; Semkovska et coll., 2019).

Depuis l’apparition du COVID-19 et d’ailleurs même juste avant le virage (13 mars 2020) vers le télétravail (incluant la téléconsultation), une grande majorité des Québécois en réponse à cette pandémie ont dû adapter leurs relations de travail et leur fonctionnement en général. Dans le cadre du congrès 9th annual E-Mental Health Conference, Strudwick et coll. (2020) indiquent que les technologies en santé mentale en ligne (e-mental health technologies) peuvent représenter une solution importante aux problèmes d’accès aux services et sans doute une meilleure orchestration des actions entre les divers acteurs. Dans le cadre de ce congrès, des groupes représentant plusieurs types d’acteurs (p. ex. personnes avec un trouble mental, chercheurs, décideurs) ont été consultés pour échanger sur la nécessité d’accélérer le rythme d’adoption des technologies numériques dans les contextes de prestation de services en santé mentale. Parmi les thèmes ayant émergé, il ressort qu’une prestation partagée des services de santé mentale en ligne devient la méthode de travail standard ; un thème qui fait encore écho à la thématique du RAT d’employés en absence maladie en raison d’un TMC. Étant donné que le contexte du processus de RAT implique plusieurs acteurs provenant de divers secteurs d’activité, la méthode requise est sans conteste une approche participative à partir de laquelle chacun pourra exprimer sa perspective dans l’objectif de coconstruire un outil numérique qui soit à la fois utile, efficace et efficient.

À l’instar de ces approches méthodologiques et collaboratives dans un contexte de développement des applications mobiles et plateformes Web en santé en vue d’améliorer la prise en charge des personnes aux prises avec un TMC et ainsi optimiser la communication entre les professionnels de divers secteurs d’activité, l’objectif de cet article est double : 1) décrire le développement de l’application PRATICAdr, Plateforme de Retour Au Travail axée sur les Interactions et la Communication entre les Acteurs : un programme Durable favorisant le Rétablissement ; 2) documenter les tests utilisateurs de l’application PRATICAdr notamment par une évaluation de satisfaction auprès des personnes en absence maladie en matière de TMC, toutes utilisatrices de PRATICAdr.

Méthodes

Le développement de PRATICAdr s’est opérationnalisé en plusieurs phases : 1) l’analyse des besoins ; 2) la conceptualisation des mécanismes internes à l’application et des techniques de programmation ; 3) le test de l’application en situation réelle (la mise en production et les tests utilisateurs). La méthode Agile a été utilisée pour développer PRATICAdr selon les besoins et objectifs. Cette méthode a pour principe la collaboration interdisciplinaire – incluant dans le cadre de cet article les différents acteurs de la problématique du retour au travail de personnes en absence maladie à la suite d’un TMC – afin de développer de manière itérative une solution technologique centrée sur les utilisateurs et leur communication. Elle est en effet basée sur la coconstruction dynamique par l’interaction entre les acteurs clés du développement de l’outil. Cette méthode collaborative est focalisée sur l’opérationnalisation des solutions technologiques (l’application Web) dans un environnement naturel (milieu organisationnel), tout en proposant un cycle de développement continu et adaptatif (Fowler et Highsmith, 2001).

1) L’analyse des besoins : données préliminaires requises au développement de PRATICAdr

Dans un premier temps, un examen de la portée recensant le rôle et les actions des 11 acteurs identifiés dans le processus de retour au travail (Corbière et coll., 2020) et une analyse des pratiques, des obstacles et éléments facilitant le retour au travail du point de vue des différents acteurs impliqués dans le retour au travail d’employés pour développer un nouveau programme durable de retour au travail (Corbière et coll., sous presse) ont permis de faire ressortir les différents besoins de communication, d’informations, de coordination et suivi du retour au travail des employés en absence liée à un trouble mental courant.

2) La conceptualisation des mécanismes internes à l’application et des techniques de programmation

Dans un second temps, un flux de travail a été conçu pour associer les besoins identifiés au programme de retour au travail en vue de son implantation. Le flux de travail incorpore le programme codéveloppé avec deux organisations québécoises privée et publique, ainsi que les besoins identifiés pour l’implantation du programme dans les organisations. Ce flux a par ailleurs été développé par les auteurs et validé par les acteurs impliqués dans les projets de recherche de nature participative (Corbière et coll., sous presse). L’intégration du flux de travail dans l’application Web répond à différents objectifs présentés dans le tableau 1. Ces objectifs sont répartis en trois temps. Le premier temps inclut les éléments développés pour l’implantation de l’application dans les 2 organisations. Le deuxième temps comprend des analyses exploratoires de données recueillies sur l’application et la sélection des modèles prédictifs (tests d’algorithmes). Le troisième temps consiste à l’augmentation des capacités de la plateforme avec la personnalisation du flux de travail afin de faciliter les prises de décision des intervenants pour chaque employé à l’aide de l’apprentissage automatique (aussi appelé apprentissage machine). L’intégration des différentes composantes est donc progressive et correspond à la faisabilité séquentielle de mises en oeuvre de solutions pour les objectifs ciblés, soit un retour au travail durable favorisant le rétablissement.

Tableau 1

Récapitulatif des méthodes employées pour répondre aux objectifs de l’application Web PRATICAdr

Récapitulatif des méthodes employées pour répondre aux objectifs de l’application Web PRATICAdr

REST APIs : REpresentation State Transfer Application Programming Interface

SMTP : Simple Mail Transfer Protocol

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Le flux de travail est conçu de telle sorte qu’une action complétée d’un acteur déclenche sous condition la requête de l’action suivante d’un autre acteur par notifications (courriel, message texte ; figure 1) (principe de séries d’actions conditionnées). Lorsqu’un acteur complète son action, seules les informations lui permettant d’accomplir son action sont affichées (en respectant la confidentialité préétablie des informations personnelles) (principe d’information sélective).

Figure 1

Flux de travail PRATICAdr

Flux de travail PRATICAdr

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La modélisation de la base de données a été conceptualisée (méthode Merise) afin de configurer les autorisations en fonction de rôles des utilisateurs (intervenants et employés). Selon son rôle, l’acteur aura accès à certaines informations du RAT de l’employé (p. ex. un médecin de famille pourra voir les informations de l’environnement de travail de son patient en tout temps dans le cadre du suivi). Ces autorisations de rôle distinguent chaque intervenant en plusieurs catégories (professionnels de la santé, assureur, employeur/gestionnaire, CORAT) pour développer des scénarios d’interaction entre ces différents utilisateurs, de sorte que les données ajoutées se complémentent au fur et à mesure. Par conséquent, un acteur ou professionnel peut bénéficier de l’expertise d’un autre acteur pour ajuster son intervention. Ces scénarios assurent une traçabilité des validations des étapes et l’enregistrement chiffré des données textuelles et numériques dans la base de données relationnelle. Autrement dit, toutes les données des utilisateurs sont sauvegardées dans l’infonuagique. Cloud SQL, une base de données évolutive qui fait partie intégrante de l’environnement infonuagique de Google Cloud Platform, est la solution utilisée pour le support et le traitement de données. Cette solution technologique permet 1) la configuration de la base de données relationnelle (Postgres) ; 2) la localisation du stockage des données (Montréal, QC) ; 3) la gestion de la sécurité ; 4) la connexion à l’environnement de développement App Engine (Platform as a Service - PaaS) pour le déploiement de l’application.

3) Le test de l’application en situation réelle (tests utilisateurs)

Une fois déployée, disponible pour les utilisateurs, l’application Web est testée par la connexion des utilisateurs à PRATICAdr ayant différents parcours d’utilisation dans le flux de travail. L’évaluation de la satisfaction et de l’utilisabilité de l’application Web a été réalisée par des questions de satisfaction pour les personnes en absence maladie à la suite d’un TMC, et de courtes entrevues avec les CORATs. Pour l’évaluation de la satisfaction des participants, l’équipe de recherche a sondé par téléphone leurs perceptions sur trois volets : 1) la Plateforme (visuel et utilisation) ; 2) les acteurs du RAT impliqués dans leur processus et notamment le CORAT ; 3) les questions et questionnaires inclus dans PRATICAdr. Pour finir, on posait une question sur leur satisfaction générale concernant leur participation à PRATICAdr. L’étendue de l’échelle de mesure de satisfaction oscille de 1 = satisfaction nulle à 10 = satisfaction élevée, et ce, à 2 temps du processus de RAT, aux phases 2 et 3 du RAT (figure 2). Le choix de se concentrer sur les 2 dernières phases du RAT est justifié par le fait qu’elles sont plus longues et complexes que la première phase (assez succincte, de nature administrative). Outre leurs réponses à cette échelle, nous demandions aux participants de décrire les éléments qu’ils jugeaient positifs et ceux qui étaient à améliorer. Ces derniers éléments prélevés par le coordonnateur du projet de recherche lors de l’entrevue téléphonique ont été regroupées sous forme de notes en tenant compte des 3 volets évalués. Pour l’évaluation de l’utilisabilité, de courtes entrevues régulières avec les CORATs visaient à cibler l’utilisation des fonctions de l’application selon les objectifs et d’identifier les améliorations ergonomiques.

Figure 2

Programme de retour au travail durable favorisant le rétablissement (adapté de Corbière et coll., 2021)

Programme de retour au travail durable favorisant le rétablissement (adapté de Corbière et coll., 2021)

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Résultats

Comme indiqué dans la section Méthodes, le développement de PRATICAdr a été rendu possible grâce aux résultats d’un examen de la portée des rôles des acteurs du RAT (Corbière et coll., 2020) et d’une analyse des obstacles et éléments facilitant le RAT du point de vue des différents acteurs (Corbière et coll., sous presse). Les résultats de ces deux articles ont donc permis le développement de PRATICAdr de manière rigoureuse et systématique.

Développement de PRATICAdr

La forme et le processus d’utilisation

L’application Web PRATICAdr intègre les actions de chaque acteur du programme de RAT durable favorisant le rétablissement. Celles-ci sont réparties en 10 étapes, elles-mêmes nichées dans 3 phases (figure 2) : 1) Début de l’absence maladie et implication de l’équipe de gestion d’invalidité (étapes 1 à 3) ; 2) Implication des professionnels de la santé dans le traitement et le rétablissement de l’employé et préparation au retour au travail (étapes 4 à 7) ; 3) Retour au travail durable et suivi (étapes 8 à 10). Sa conception est centrée sur la concertation entre les acteurs (utilisateurs) pour favoriser le rétablissement de l’employé en absence maladie. PRATICAdr a été développée en utilisant des solutions en logiciel libre. Afin de faciliter le prototypage et le développement de l’application, Django a été utilisé avec le langage de programmation Python pour l’arrière-plan (back end). La librairie BootStrap a complété Django pour le développement de l’interface de l’application frontale (front end). L’utilisation de cette librairie a facilité la réactivité (responsiveness) de l’interface pour une adaptation dynamique au format de différents supports (p. ex. tablettes, téléphones intelligents) et une compatibilité avec les dernières versions des principaux navigateurs (figure 3). Cette solution a permis d’opter pour une architecture monolithique où les composants sont interconnectés et interdépendants ; le modèle de conception est ainsi unifié en une seule structure. Cette configuration présente des avantages pour la vélocité de développement, la facilité à conduire des tests et l’amélioration en continu de l’expérience utilisateur avec une logique de navigation simple et intuitive, notamment pour les utilisateurs.

Figure 3

Interface réactive(UI/UX)

Interface réactive(UI/UX)

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PRATICAdr opère sur l’augmentation d’un processus intellectuel (figure 4) – le programme de retour au travail – qui requiert des décisions collectives interdisciplinaires basées sur des expériences et des contextes multiples (p. ex. médical, psychosocial). En effet, via l’application, les différents acteurs partageront des données textuelles (p. ex. réponses aux questions et commentaires) et numériques (p. ex. scores des questionnaires) notamment sur le cheminement psychologique, symptomatique et social de l’employé, l’environnement de travail, et les ressources organisationnelles. Ainsi, la complémentarité des données va permettre à un acteur comme le professionnel de la santé ou de la réadaptation d’adapter le plan d’accompagnement de l’employé tout en ayant accès de manière asynchrone à l’expertise du médecin (p. ex. sur les limitations fonctionnelles de l’employé) ou d’autres professionnels impliqués dans le processus de RAT. L’optimisation du processus de RAT reste centrée sur les décisions humaines concertées, assistées par l’apprentissage automatique, ce qui comporte peu de risque avec un impact élevé. L’intégration d’un modèle de prédiction – via un REST API – pour la classification des employés qui retournent ou pas au travail à la suite de leur absence maladie adaptera le suivi de l’employé et un accompagnement en conséquence (temps 2). Une exploration de données, une sélection de modèles prédictifs et une analyse de segments catégoriseront ensuite les utilisateurs afin d’indiquer les segments de prédiction selon le retour au travail, la durée de l’absence maladie et les éventuelles rechutes. Ces prédictions alimenteront par la suite (temps 3) la personnalisation du contenu et du flux de travail. La classification binaire ou multiclasse va estimer la probabilité d’une réponse pour l’intervenant. Par exemple, le modèle peut donner une prédiction de non-retour au travail d’un employé en absence maladie de 71 %, le CORAT pourra alors s’appuyer sur des données complémentaires pour lui donner les variables les plus prédictives à l’aide de l’interprétabilité du modèle – à savoir quelles variables permettent de mieux comprendre les prédictions du modèle en question (Bhatt et coll., 2020 ; Lundberg et Lee, 2017). Le CORAT analysera les variables les plus importantes pour sa prise de décision. En addition à son expertise, il pourra alors rediriger le processus et les prochaines actions en conséquence, et ce, tout au long du processus d’accompagnement de RAT. Il est à noter que l’ensemble du système d’apprentissage automatique ne se limite pas à la création de modèles répondants aux objectifs définis. Le code de modélisation ne représente qu’une partie de l’ensemble du code nécessaire à l’implantation d’une solution d’apprentissage automatique. En effet, de nombreuses autres infrastructures seront nécessaires pour configurer l’ensemble du système, extraire les données, tester les performances des modèles, et gérer les ressources et le déploiement des modèles (Sculley et coll., 2014).

Figure 4

Augmentation du processus intellectuel

Augmentation du processus intellectuel

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Le contenu de PRATICAdr

L’application Web intègre les 3 phases (10 étapes) du programme de retour au travail durable favorisant le rétablissement. Ce programme incorporé dans PRATICAdr comprend l’inclusion de questions et questionnaires, parmi lesquels certains sont destinés à l’employé en absence maladie (répartis sur toutes les phases de RAT), à propos des perceptions des déclencheurs de l’absence maladie, des outils pour évaluer les symptômes dépressifs et anxieux, les obstacles perçus au retour au travail et le sentiment d’efficacité pour les surmonter, ainsi qu’une liste systématique d’aménagements de travail et la productivité au travail. D’autres questionnaires sont destinés aux autres acteurs notamment pour évaluer leur perception de l’environnement de travail et des risques psychosociaux (par le gestionnaire), les limitations fonctionnelles de l’employé en absence maladie (par le médecin de famille) ou pour évaluer l’évolution du plan de réadaptation (par le professionnel de la réadaptation).

Les données au sein de PRATICAdr sont principalement de type structuré, composées majoritairement de variables ordinales et nominales recodées pour la plupart en variables factices (dummy) dichotomiques. Les autres données de type non structurées sont composées de données textuelles et regroupent les réponses à des questionnaires et les commentaires de suivi des intervenants. Ces données textuelles sont ensuite analysées quantitativement afin d’extraire des informations à l’aide de différentes techniques de vectorisation, comme le sac de mots (BOW), la méthode de TF-IDF, ou la méthode des plongements des mots (word embeddings) (Mikolov et coll., 2013).

Toutes les données entrées dans l’application Web sont cryptées en tout temps, ce qui implique une protection de la confidentialité des informations personnelles. Par ailleurs, les informations personnelles des employés sont partagées, avec son accord, de manière contrôlée aux différents acteurs selon leur interaction avec l’employé. Par exemple, les résultats du questionnaire sur les obstacles au RAT sont transmis au CORAT pour analyse et préparation ou ajustement de l’accompagnement – et donc des prochaines actions à accomplir (p. ex. par les professionnels de réadaptation). Ces différentes méthodes assurent un suivi systématique de l’état de l’employé et ainsi une veille des professionnels de la santé par exemple sur les obstacles perçus au retour au travail. Cette structure donne accès à un partage essentiel de données entre les acteurs pour accompagner l’employé dans son rétablissement. Par exemple, le CORAT qui a besoin de l’évaluation des limitations fonctionnelles par le médecin de famille pourra – de manière asynchrone et à distance – accéder directement aux dernières informations ajoutées par le médecin et ajuster son intervention en conséquence.

L’implantation, la réactivité et l’adaptation de l’application

PRATICAdr a été implantée pour être testée dans les deux sites (organisations publique et privée) où les données préliminaires ont été recueillies et analysées. L’application a la capacité d’intégrer un grand volume de données (infonuagique) ; elle est optimisée pour être modulable et évolutive afin de suivre la progression du RAT des employés en absence maladie en matière de TMC de différentes compagnies (en plus des organisations pilotes). De plus, alors qu’un employé peut être affecté à un seul représentant de chaque groupe d’acteurs pour favoriser la continuité de l’accompagnement (p. ex. un seul CORAT, un psychologue, un professionnel de la réadaptation), ces acteurs peuvent chacun être affectés à plusieurs employés (p. ex. le même gestionnaire peut être assigné à plusieurs employés de son équipe). Il est toutefois possible qu’en cas de changement d’intervenants en cours d’accompagnement, un nouvel intervenant soit assigné et remplace le précédent. Dans le respect des règles relatives à la confidentialité, il aura alors accès à l’historique des interventions et des résultats lorsqu’une action sera à accomplir, afin de poursuivre l’accompagnement de l’employé en remplacement de l’ancien intervenant et ainsi éviter de rompre le processus de rétablissement et de RAT. L’application est adaptée au fur et à mesure de son utilisation par les différents acteurs des deux organisations. La méthodologie Agile permet une amélioration continue et une adaptation du flux de travail selon les rétroactions planifiées des utilisateurs.

Évaluation de PRATICAdr auprès des utilisateurs 

Nous rapportons dans cette section les résultats préliminaires de la satisfaction des personnes avec un TMC qui ont utilisé la plateforme. Il s’agit de 16 employés d’une grande organisation dans le domaine de la santé, dont 6 qui sont déjà retournés au travail alors que les 10 autres ont eu accès à la plateforme plus tardivement. Pour les personnes qui sont retournées au travail, la durée moyenne de participation à PRATICAdr, soit de la première journée sur la plateforme Web à la première journée de RAT dans l’organisation est de 68 jours (environ 2 mois). On compte 15 femmes et 1 homme dont la moyenne d’âge est de 42 ans (min = 30 et max = 59 ans). La plupart présentent un trouble de l’adaptation (n = 13), 2 sont aux prises avec une dépression majeure et une autre avec un trouble anxieux. Ces diagnostics ont été appuyés par le certificat d’un médecin de famille, celui des participants.

Les participants de PRATICAdr étaient invités à répondre à une évaluation de satisfaction à propos de l’utilisation de l’application, en précisant les points positifs et les améliorations possibles. Pour les 3 volets évalués – Plateforme, Acteurs du RAT et CORAT, Questionnaires – la moyenne aux 2 temps de mesure est supérieure à 9 sur 10 avec une progression non négligeable dans le temps (tableau 2). On note aussi que la moyenne est un peu plus élevée pour ce qui est des acteurs du RAT et du CORAT en particulier. Une hypothèse associée à cette augmentation de satisfaction dans le temps met probablement en relief la familiarité des participants à la plateforme, mais aussi la réalisation de sa pertinence dans le processus de RAT (p. ex. analyse fine et clinique des réponses aux outils utilisés dans le temps). D’ailleurs, voici comment plusieurs des 16 participants décrivent les éléments qu’ils ont le plus appréciés pour chacun des 3 volets : 1) « Clair, on le fait quand on veut, on peut le faire à notre rythme. Facile à comprendre, utilisation de chez soi. Exhaustive, je suis rassurée que les informations soient confidentielles » ; 2) « Elle permet de communiquer avec les autres acteurs. Beaucoup plus de personnes impliquées. CORAT à l’écoute. Se sentir écoutée, comprise, soutenue dans le processus par le CORAT » ; 3) « Ça m’aide avec la CORAT à trouver les points les plus sensibles sur lesquels travailler. Long, mais aidant, pertinent. L’ORTESES (questionnaire sur les obstacles au retour au travail et sentiment d’efficacité pour les surmonter) hyperpertinent, cet outil a permis de me questionner par rapport à des craintes ou non. Idéal de revoir cela avec CORAT. » En ce qui concerne les améliorations, pour chacun des volets, nous avons recueilli par exemple : 1) « Corriger fautes d’orthographe, petits bugs, faire des rappels automatiques pour se connecter. » ; 2) « S’assurer que le médecin soit plus impliqué. » ; 3) « Espacer davantage les questionnaires dans le temps. »

Tableau 2

Moyenne de satisfaction (1 à 10) de l’application Web PRATICAdr dans le processus de RAT et sur plusieurs volets (n = 16)

Moyenne de satisfaction (1 à 10) de l’application Web PRATICAdr dans le processus de RAT et sur plusieurs volets (n = 16)

RAT = Retour au travail ; Phase 2 du RAT = Accompagnement dans le rétablissement de l’employé et préparation au retour au travail ; Phase 3 du RAT = Retour au travail durable favorisant le rétablissement

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Discussion

Le développement de l’application Web PRATICAdr est un exemple de collaboration entre la recherche et les milieux organisationnels des secteurs public et privé sur des volets sensibles comme santé mentale et travail, notamment dans le cadre de la gestion des absences maladies et de la reprise professionnelle. PRATICAdr a été conçue dans un contexte économique et social en mouvement, dans lequel les absences maladie liées à un TMC représentent du tiers à la moitié des absences du travail toutes confondues (Axén et coll., 2020 ; Nigatu et coll., 2016 ; Stratton et coll., 2017). Ce contexte amène les acteurs des organisations à mettre en place des initiatives visant des solutions rapides et optimales pour répondre adéquatement aux enjeux de santé, de sécurité et d’éthique. Bien que le virage vers les nouvelles technologies dans le domaine de la santé ait pris son essor il y a plus d’une décennie (Strudwick et coll., 2020) avec 90 % de la population occidentale comme utilisateurs (Lecomte et coll., 2020), on observe dans le contexte de la pandémie du COVID-19 une intensité marquée de leur utilisation pour tenter de répondre rapidement aux besoins criants des acteurs des organisations et du système de la santé, notamment. La plateforme Web PRATICAdr, d’abord vue comme un outil novateur en 2019 par les membres des 2 projets de nature participative, est aujourd’hui perçue comme un outil pertinent, essentiel.

L’application Web, PRATICAdr, intègre les 10 étapes du processus de RAT imbriquées dans 3 grandes phases (figure 2) et des outils de mesure validés (p. ex. ORTESES, Corbière et coll., 2017) ; elle systématise la concertation et la prise de décision partagée des acteurs, ainsi que le suivi et les actions posées en vue de favoriser un RAT durable, le tout orchestré par un CORAT. Ceci comble d’ailleurs une lacune de la littérature spécialisée, dans laquelle les auteurs stipulent, à outrance, que la communication entre les acteurs du RAT demeure la pierre d’achoppement de la réintégration au travail à la suite d’une absence maladie. Afin de combler cette lacune, PRATICAdr a donc été conçue pour devenir un outil de communication, favorisant un dialogue entre les acteurs du RAT provenant des systèmes de l’organisation, de la santé et de l’assurance. En ce sens, PRATICAdr opérationnalise les 4 composantes reconnues comme essentielles dans l’utilisation des applications Web par des acteurs de divers secteurs et disciplines (Doumbouya et coll., 2014) : 1) la téléconsultation, car elle permet de prendre connaissance des caractéristiques d’un patient à distance ; en l’occurrence le CORAT s’informe des obstacles que l’employé perçoit dans son processus de RAT, les analyse pour partager ensuite les résultats avec l’employé lors la prochaine consultation en personne ; 2) la téléexpertise, car elle permet au CORAT de jauger des limitations fonctionnelles de l’employé, posées au préalable par le médecin de famille ou l’équipe de réadaptation au travail, pour au final proposer des solutions dans le milieu organisationnel. À un moment ultérieur, le médecin de famille prendra connaissance du plan de retour au travail proposé par le CORAT, qu’il pourra entériner ou auquel il pourra suggérer les ajustements nécessaires ; 3) grâce à la télésurveillance (télémonitoring), une évaluation rigoureuse et systématique des symptômes pourra être menée au moment opportun et ainsi le CORAT pourra surveiller et réguler l’évolution symptomatique en intervenant rapidement, notamment lorsqu’il y a détérioration chez la personne ; 4) la téléassistance permet par exemple au CORAT de faire une évaluation précise des accommodements de travail requis en termes de priorité des besoins et de faisabilité dans l’organisation, en ayant au préalable reçu les réponses au questionnaire Work Accommodation and Nature Support Scale (WANSS) (Corbière et coll., 2014) de la part de l’employé et de son gestionnaire, séparément. En bref, comme on peut le constater, il s’agit de créer « du lien » entre les acteurs tout en assurant une complémentarité de leurs interventions, de leur expertise ; une orchestration des actions précises de chaque acteur, et ce, de façon asynchrone, permettant à chacun d’agir et réagir en temps opportun. L’ensemble de ces éléments – téléconsultation, télexpertise, télémonitoring, téléassitance – contextualisés plus haut ont été mis en relief lors de l’évaluation de la satisfaction de l’utilisation de PRATICAdr par les employés en absence maladie avec une note supérieure à 9 sur 10.

Pour que les applications mobiles et plateformes Web opèrent dans les meilleures conditions, plusieurs auteurs suggèrent que l’on considère les éléments de nature cognitive lorsque l’utilisateur de la technologie est une personne avec un TMC. Des auteurs stipulent que certaines facettes cognitives de l’individu aux prises avec un TMC comme la dépression peuvent être affectées et avoir des répercussions sur les activités de travail. On compte parmi elles, les fonctions exécutives illustrées par des difficultés de planification, de prise de décision, de concentration et d’attention (Clark et coll., 2016 ; Semkovska et coll., 2019). Pour éviter toute surcharge d’information lors de la connexion à PRATICAdr, notre équipe a conçu cette plateforme pour un accès exclusif à l’information liée à l’étape en cours de l’acteur, en particulier pour l’employé en absence maladie, pour ainsi lui permettre de se concentrer sur son rétablissement. Good et Sambhanthan (2014) ont entrepris une évaluation auprès de personnes avec un TMC pour documenter les éléments qu’elles considèrent les plus anxiogènes lors de l’utilisation d’applications mobiles ou plateformes Web. Les éléments qui font le plus souvent obstacle sont : la localisation de l’information peu intuitive, la navigation peu optimale sur le site et le mauvais fonctionnement des barres de recherche. Dans le cas de PRATICAdr, la collaboration de l’équipe de recherche avec le développeur de la plateforme Web a permis comme suggérée par Good et Sambhanthan (2014) une meilleure sensibilisation aux besoins et éventuelles difficultés de la population cible, en coconstruisant un outil technologique le plus épuré, intuitif et attrayant possible.

Une limite souvent évoquée dans la littérature est l’absence de collaboration des intervenants du domaine de la santé mentale (Strudwick et coll., 2020). Bien que les futurs professionnels de la santé mentale comme les psychiatres, les médecins, les psychologues, les travailleurs sociaux, les professionnels de la réadaptation aient développé des compétences en matière de santé numérique dans leurs programmes de formation, une proportion significative d’entre eux ne possède toujours pas l’aisance ou les compétences requises pour en faire un outil de travail quotidien. Comme observé dans les résultats de satisfaction et d’amélioration de la plateforme, certaines personnes mentionnaient la présence et le soutien constant du CORAT dans la démarche de processus de RAT. Toutefois, une personne évoquait que le médecin généraliste n’était pas toujours impliqué dans le processus. Le contexte de la pandémie du COVID-19 a pourtant changé la donne. Il est maintenant fortement recommandé de déployer les moyens pour soutenir le développement des compétences numériques chez ces professionnels, en considérant le temps limité dont ils disposent pour s’y engager. Outre l’intégration des compétences numériques dans le cursus de formation médicale, il est fortement recommandé d’impliquer toutes les parties prenantes (personnes ayant une expérience de TMC, chercheurs, prestataires de soins de santé, développeurs, etc.) et toutes les communautés concernées dans la coproduction et la mise en oeuvre de ces technologies de santé mentale en ligne afin d’en assurer le succès. East et coll. (2015) renforcent ces recommandations en précisant que les développeurs et professionnels de la santé mentale doivent travailler ensemble dans le développement d’une application mobile ou plateforme Web. Ils ajoutent d’une part que cette collaboration permet de suivre les protocoles de recherche et ainsi respecte la rigueur du produit numérique (p. ex. éthique, confidentialité des informations) sans compter les fondements théoriques et empiriques du domaine de la réadaptation au travail, en l’occurrence. D’autre part, les développeurs peuvent suggérer à leur tour les meilleures stratégies du domaine numérique pour renforcer la collaboration des divers acteurs lors de l’utilisation de l’application. À titre d’illustration, l’architecture de PRATICAdr assure, comme nous avons pu le constater, la continuité des interactions entre les acteurs et encourage les interactions en face à face ou par contact téléphonique. Dans cette veine, Olff et coll. (2015) ajoutent que de conserver un lien humain est une stratégie gagnante pour poursuivre et renforcer l’intérêt d’utiliser l’application mobile ou plateforme Web.

Pour rendre optimaux l’utilisation et le fonctionnement de PRATICAdr, la communication entre les acteurs est soutenue par un acteur pivot, le CORAT. Graves et Doucet (2016) soulignent dans le cadre d’initiatives numériques qui impliquent plusieurs acteurs du domaine de la santé, la nécessité de se prévaloir d’un champion, d’un coordonnateur pour soutenir la synergie des échanges ; PRATICAdr adhère donc à cette recommandation judicieuse, notamment auprès des personnes en absence maladie.

Limites et pistes futures

Pour favoriser l’engagement des utilisateurs de l’application Web, il est suggéré d’évaluer leur satisfaction, en l’occurrence les acteurs saillants qui interviennent à plusieurs reprises dans le processus de RAT (p. ex. médecin de famille, professionnel de la réadaptation, gestionnaire) (Olff, 2015 ; Short et coll., 2018). Il est aussi recommandé de réfléchir à voix haute pour envisager des améliorations possibles de la plateforme Web (Short et coll., 2018). Ces évaluations de satisfaction et démarches d’amélioration continue sont effectuées régulièrement auprès des utilisateurs clés, le CORAT et les employés avec un TMC, toujours avec le souci d’échanger régulièrement à propos de l’appropriation, de l’utilisation et du déploiement de PRATICAdr. Toutefois, ces évaluations n’ont pas encore été conduites auprès des autres acteurs clés qui gravitent autour de PRATICAdr, comme le médecin ou le gestionnaire de l’employé en absence maladie. Nous souhaitons donc orienter notre équipe dans cette direction dans les prochains mois. En plus de ces évaluations, Olff et coll. (2015) suggèrent d’avoir des résultats concrets bien ciblés. Dans le cadre de PRATICAdr, il s’agit plus particulièrement d’évaluer les durées d’absences maladie, les retours au travail et la pérennité du maintien en emploi ainsi que la santé. Comme l’évaluation de faisabilité de PRATICAdr est en cours, nous avons seulement des résultats préliminaires (16 personnes). Il faudra poursuivre ces efforts d’évaluation pour la totalité des participants. L’évaluation coût-efficacité sera aussi pertinente dans une phase ultérieure. Les auteurs de cet article se sont fixés ces objectifs sachant que seulement 3 à 5 % des nouvelles technologies en santé mentale sont validées scientifiquement (Lecomte et coll., 2020). Enfin, bien que PRATICAdr s’inscrive dans une approche multiacteurs, elle ne permet pas d’inclure les proches de l’employé si le cas se présentait, notamment pour exprimer leurs ressentis face au RAT. En effet, dans l’examen de la portée sur le rôle des acteurs du RAT (Corbière et coll., 2020), les proches de l’employé en absence maladie n’ont pas été repérés dans la littérature, alors que l’on sait que ce groupe d’acteurs a aussi une influence sur le RAT de l’employé. Lorsqu’une évaluation du rôle de cet acteur sera entreprise, il sera alors possible d’envisager son éventuelle inclusion à la plateforme Web et ainsi, combler du même coup la lacune soulevée dans l’examen de la portée (Corbière et coll., 2020). Au final, il n’y aurait donc pas seulement 11 acteurs répertoriés, mais bien une douzaine d’acteurs du RAT.

Plus encore, il est prévu, grâce à l’apprentissage automatique, que PRATICAdr pourra personnaliser le flux de travail de chaque personne en fonction des données collectées. Des suggestions seront aussi proposées aux intervenants et employés afin de mieux les guider lors des prises de décision. Il est essentiel de préciser que ces outils de prédiction et de personnalisation ne se substitueront pas aux choix faits par les utilisateurs, mais vont informer et aider les intervenants à capter une vue d’ensemble et avoir plus d’informations tout au long du processus de RAT. L’utilisation de l’apprentissage automatique requiert impérativement une action humaine. Par ailleurs, lorsqu’il sera question de choisir les algorithmes de prédiction, on pourra se référer à 2 grandes approches, l’une avec supervision et l’autre sans supervision. Selon Lacourse et collaborateurs (2020), « l’apprentissage supervisé » fait référence à des modèles déjà bien établis à partir desquels les variables sont identifiées, alors que dans une approche de type « apprentissage non supervisé », les « caractéristiques » ou « entrées » (variables) de nature latente font partie de l’apprentissage automatique. Quelle que soit l’approche préconisée, « l’objectif principal en apprentissage automatique est de définir une fonction qui lie un ensemble de variables entre elles dans le but de maximiser la justesse de la classification ou la prédiction et par la suite les mettre en production pour faire des machines/robots qui prennent des décisions et posent des actions basées sur ces prédictions » (Lacourse et coll., 2020). Comme mentionné plus haut, les prises de décision et actions pour formuler ces prédictions demeureront sous le contrôle de l’humain, ne serait-ce que par le choix entrepris sur le type et le nombre d’entrées à retenir dans la prédiction. Enfin, comme l’indique l’Organisation mondiale de la Santé dans son plan 2020-2025 sur l’utilisation des technologies : « Pour réaliser leur plein potentiel, les initiatives de santé numérique doivent s’inscrire dans un cadre plus large des besoins de santé et de l’écosystème numérique et être guidées par une stratégie robuste qui intègre à la fois, leadership, ressources financières, organisationnelles, humaines et technologiques servant de socle à un plan d’action précis, permettant la coordination entre les multiples parties prenantes. Ces initiatives doivent être menées par des structures de gouvernance solides. La stratégie devrait porter sur une approche technologique commune qui fonctionnera pour de multiples priorités en matière de santé, étayée par des normes et une architecture permettant cette intégration » (World Health Organization, 2019). Pour soutenir l’approche valorisée par l’OMS, PRATICAdr a l’ambition de devenir un des outils numériques concrets et pertinents dans le cadre de la réadaptation au travail de personnes aux prises avec un TMC, et ce, dans le réseau de la santé et des organisations publiques et privées. Toutefois, comme le souligne l’OMS (2019), PRATICAdr comme d’autres outils numériques devra, pour se déployer, s’appuyer sur une stratégie robuste de gouvernance implantée au sein même des organisations et du réseau de la santé.

En guise de conclusion, dans le cadre de 2 projets de nature participative, nous avons développé et implanté un programme de RAT durable favorisant le rétablissement – pour les employés en absence maladie en raison d’un TMC – basé sur les données probantes et les guides de bonnes pratiques dans une application Web. PRATICAdr a été conçu à partir de résultats d’un examen de la portée sur le rôle des acteurs du RAT et d’une approche participative qui visait l’évaluation des éléments facilitant et gênant le RAT d’employés en absence maladie en raison d’un TMC. La conception de cette plateforme Web est donc étayée à partir de la triangulation des résultats de ces diverses méthodes. PRATICAdr est une application Web adaptée aux grandes organisations publiques et privées. Elle centralise les composantes du programme de RAT pour permettre l’accompagnement et le suivi des employés en absence maladie vers un rétablissement durable via la coordination et la concertation des acteurs impliqués dans le processus. L’architecture de l’application a été développée pour être évolutive et prédire la durée de l’absence maladie des employés, le RAT et les risques de rechutes. La structure de l’application vise à utiliser différents modèles d’apprentissage automatique pour la personnalisation du flux de travail. Une première évaluation de la satisfaction des participants de PRATICAdr, notamment les employés en absence maladie à la suite d’un TMC, montre que la moyenne de satisfaction sur 3 volets (p. ex. plateforme, outils) est supérieure à 9 sur 10, montrant à la fois sa structure Web claire, facile d’utilisation et pertinente. Certaines propositions d’amélioration ont été évoquées comme l’implication plus soutenue du médecin généraliste sur la plateforme Web et le rappel automatique pour se connecter. Les prochaines étapes de PRATICAdr seront de collecter des données d’un bassin conséquent d’individus pour envisager l’utilisation de l’apprentissage automatique et ainsi soutenir les intervenants en santé mentale et travail dans leurs prises de décisions tout au long du processus de RAT.