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Créés il y a 40 ans, les collèges québécois d’enseignement général et professionnel, les cégeps, sont surtout connus pour leur contribution majeure à la scolarisation avancée des nouvelles générations. Au Québec, le taux d’accès à la formation collégiale régulière, formation préuniversitaire et technique, est passé de 40 % en 1975-1976 à 60 % en 2004-2005 (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006a).

Ainsi reconnu dans l’application de ce mandat de formation initiale, le réseau collégial fait néanmoins face à de multiples problèmes dans la réalisation de son autre mandat, celui de formation continue aux adultes[1]. Sa difficile institutionnalisation dans les cégeps, comme nous allons le voir, permet de mieux appréhender un phénomène plus général, celui de la transition ambiguë et encore hésitante des systèmes dits réguliers d’éducation dans une perspective d’éducation tout au long de la vie. Le cas des cégeps, en raison des contraintes particulières qu’on y observe, est révélateur des difficultés propres à cette transition et de la nécessaire mise en place d’un nouveau mode de régulation.

Une fois constaté le sous-développement de la formation continue collégiale, il nous faudra diagnostiquer tant les contraintes internes et externes que les dynamiques susceptibles de transformer les logiques actuelles d’action, afin de souligner le caractère itératif des modes actuels de régulation concernant cette action des cégeps. Le cas des cégeps offre un éclairage nouveau sur l’ambiguïté de sens des discours publics relatifs à l’éducation tout au long de la vie et des orientations contradictoires qu’ils peuvent générer quant à l’insertion de la formation continue dans les institutions d’enseignement.

La situation de la formation continue

Le réseau collégial public compte 48 établissements sur l’ensemble du territoire québécois. Chacun de ces collèges est appelé à répondre à la double demande de formation postsecondaire non universitaire, soit la formation initiale, en début de biographie éducative, et la formation continue, tout au long de la vie adulte.

Le contexte politique de la formation continue collégiale au Québec est particulier. La politique québécoise d’enseignement collégial et ses règlements, en effet, visent essentiellement à orienter et réguler la mission de formation initiale, l’enseignement régulier. Au cours des années, des modifications aux règlements ont toutefois été adoptées, pour permettre, par exemple, une décentralisation des décisions portant sur les programmes courts ou encore pour régir le financement de la formation à temps partiel. Ceci dit, chaque cégep a créé son Service de formation continue qui est devenu un espace institutionnel reconnu ; le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) alloue des budgets de fonctionnement à chacun de ces services. Les directeurs ou responsables (l’appellation et le statut varient selon les institutions) de ces services se sont organisés en réseau et reçoivent, à cette fin, l’appui de la Fédération des cégeps.

En 2002, l’Assemblée nationale du Québec adopte une Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue (interministérielle), mais celle-ci vise essentiellement deux champs : la formation générale de base dans le réseau d’ensei- gnement secondaire et la formation liée aux entreprises dans les réseaux des partenaires du marché du travail. La place faite aux institutions d’enseignement postsecondaire dans cette politique est marginale : quelques références rapides y sont faites, à propos de la formation des personnes immigrantes, de l’importance de reconnaître les acquis à tous les niveaux ou encore de la difficulté de financer les approches individuelles au secondaire comme au collégial.

Dans un tel contexte, les politiques et approches locales de formation continue relèvent surtout de mesures locales et de concertations volontaires horizontales entre responsables de services de formation continue, ce qui laisse place à une variété de modes d’institutionnalisation de cette formation, depuis son intégration complète jusqu’à des projets de fonctionnement autonome.

En 2003, les effectifs collégiaux en formation régulière totalisaient 142 000 étudiants (MELS, 2005) répartis pratiquement également entre filière d’enseignement préuniversitaire et filière d’enseignement technique. La presque totalité des étudiants dans la filière préuniversitaire et la grande majorité des étudiants (quelque 80 %) dans la filière technique sont en formation initiale, suivant un parcours linéaire ininterrompu.

La formation continue collégiale comprend essentiellement trois modes d’action des cégeps. Il y a d’abord la formation à temps complet des personnes sans emploi ou en transition professionnelle : outre certains programmes longs pour adultes conduisant à un diplôme d’enseignement collégial (DEC), il s’agit surtout de programmes d’attestation d’études collégiales (AEC) d’une durée variable selon les champs (entre 400 et 1 800 heures). La formation à temps partiel consiste pour le moment à l’organisation à temps partiel — jour, soir, fin de semaine — de programmes d’AEC ; la possibilité de suivre des cours sans s’inscrire au programme est en discussion. Il y a, troisièmement, les interventions des services aux entreprises (SAE) en soutien au développement des compétences en milieu de travail. La formation socioculturelle demeure marginale.

En 2005, comparativement aux 142 000 étudiants réguliers, 23 300 personnes seulement ont participé à la formation des adultes dans les 48 cégeps (MELS, 2006b). Au sein de ce public, les effectifs inscrits aux formations à temps partiel ont connu, au cours des dernières années, une baisse de 80 % (voir le graphique 1). En fait, tandis que la population étudiante en formation initiale dans les cégeps augmente de 12 %, entre 1992 et 2005, les effectifs de la formation continue dans ces institutions baissent de 66 %. La formation continue collégiale regroupe aussi annuellement quelque 4 000 adultes participant aux activités des services aux entreprises.

Graphique 1

Effectifs en formation continue créditée dans le réseau collégial public selon le régime d’études

Effectifs en formation continue créditée dans le réseau collégial public selon le régime d’études

* Données préliminaires.

Source : MELS, BIC, juin 2006

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Ces statistiques doivent être mises en perspective pour en saisir toute la portée, d’abord en rapport à l’évolution de la participation à l’éducation et à la formation des adultes au Québec durant la même période. En effet, cette stagnation de la formation continue collégiale et la chute du nombre d’inscrits à temps partiel surviennent au moment même où le taux général de participation de la population adulte québécoise aux diverses activités structurées de formation s’accroît significativement. Alors que le nombre de participants à la formation, au sein de la population adulte, passe d’une personne sur cinq en 1997 à pratiquement une sur trois en 2002 (Statistique Canada, 1997, 2002), le nombre déjà limité de participants qui se forment au collégial diminue pratiquement de moitié.

Plus de 250 000 adultes sont inscrits dans les Centres d’éducation des adultes de niveau secondaire, plus de 100 000 inscrits à temps partiel dans les universités ou dans les services de formation continue de ces institutions ; 800 000 employés participent à des formations organisées dans les entreprises, quelque 450 000 adultes reçoivent une formation dans les organisations à but non lucratif ou dans les réseaux associatifs. En comparaison, la formation continue collégiale occupe une place marginale sur la scène québécoise de l’éducation et de la formation des adultes. En 2002, le public de la formation continue collégiale représente moins de 2 % des 1,6 million d’adultes et plus (Statistique Canada, 2002) qui participent à des activités structurées de formation. Et depuis, cet écart s’est accru en raison de la continuité des tendances observées.

Or, cette situation est encore plus singulière lorsqu’on la compare à celle observée dans d’autres sociétés industrielles avancées similaires, en rapport aux mêmes types d’institutions. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada hors Québec, la formation continue est en voie de connaître un développement majeur précisément au niveau postsecondaire non universitaire. Dans la seule ville de Toronto, trois des collèges communautaires reçoivent à eux seuls à chaque semestre plus de 50 000 « continuing education students », alors que les 48 cégeps québécois, ensemble, ne parviennent pas à rejoindre 25 000 adultes sur une période équivalente. Qui plus est, chacun de ces trois collèges ontariens, à vocation surtout professionnelle, accueillent trois fois plus d’étudiants adultes à temps partiel que ne le fait l’ensemble du réseau collégial québécois (Bélanger et al., 2007).

Aux États-Unis[2], près de 40 % des étudiants des collèges communautaires sont des « adultes » ; les individus de plus de 40 ans visant une reconversion professionnelle constituent pour leur part un public encore insoupçonné il y a à peine 10 ans. 4 % de la population américaine en âge de travailler participe à des formations à temps partiel dans les collèges communautaires (National Center for Public Policy and Higher Education, 2006 : 9) ; une telle participation au Québec multiplierait par 15 le nombre d’adultes inscrits au collégial !

En Grande-Bretagne, pour caractériser cette évolution récente et la place grandissante des « further colleges » ou autres institutions postsecondaires, on parle de l’« ère tertiaire » (Duke, 2005) de l’éducation tout au long de la vie. Dans un nombre croissant de ces collèges en pays anglophones, le public adulte dépasse en nombre la jeune population étudiante en formation initiale.

Ce qui est en jeu dans les cégeps du Québec, ce n’est pas la demande sociale de formation continue. Plusieurs autres données en confirment la croissance. La probabilité de participer à des activités de formation augmente selon le niveau de scolarité atteint au terme de la formation initiale, c’est un fait maintenant connu (Cross, 1982 ; Bélanger et Tuijnman, 1997 ; Tuijnman et Boudard, 2001 ; Peters, 2004 ; Bélanger, Doray, Labonté et Lévesque, 2004). Les adultes qui bénéficient d’une scolarisation prolongée lorsqu’ils sont jeunes tendent à poursuivre leur formation tout au long de la vie adulte. Or, selon l’Institut de la statistique du Québec, le pourcentage de la population québécoise de 25 ans et plus ayant une formation initiale supérieure au diplôme d’enseignement secondaire est passé de 20 % en 1981 à 34 % en 2001.

On assiste à une augmentation de la demande de formation continue. Une analyse factorielle par correspondance des données statistiques de 1997 sur la participation à la formation au Canada (Bélanger, Doray, Labonté, Lévesque, 2004 : 14-15, note 9), mettant en rapport l’intensité de la participation et le niveau de scolarisation associé au type de formation poursuivie, indique que ce sont les individus dont la formation initiale relève du collégial qui constituent vraisemblablement le moteur de la formation continue reliée au travail. Ce public de niveau postsecondaire non universitaire forme le noyau dur de la tendance dominante, marquée par une participation accrue à la formation continue visant un perfectionnement professionnel.

Une analyse particulière de l’évolution récente de la demande de formation continue de niveau collégial (Bélanger, Carignan et Robitaille, 2007) vient confirmer cette évolution. Les entrevues collectives réalisées auprès des différents acteurs du réseau collégial, les missions réalisées dans les autres provinces canadiennes, l’enquête quantitative auprès des services de formation continue des 48 cégeps et les données sur la formation continue postsecondaire infra-universitaire recueillies dans les autres pays industriels avancés convergent toutes vers un même constat : la demande de formation continue collégiale est en hausse, émanant principalement de quatre publics potentiels, non ou faiblement rejoints par les services de formation continue des cégeps du Québec.

Il y a, premièrement, l’augmentation connue (Peters, 2004) de la demande de formation au sein des catégories professionnelles les plus qualifiées. Ces adultes, déjà en emploi, cherchent à se perfectionner le soir et la fin de semaine au moyen de formations courtes ou hors programme. Les organisations qui les embauchent et les réseaux professionnels qui les regroupent sont pareillement en quête de ressources éducatives pour assurer un développement professionnel continu de leur personnel ou de leurs membres. Dans l’ensemble des pays industrialisés avancés, les adultes retournant en formation sont d’abord et avant tout des individus qui travaillent à temps complet et entendent poursuivre leur formation à temps partiel[3]. Or, à l’encontre de cette tendance généralisée, près de 40 % des services de formation continue des cégeps disent ne plus offrir de formation à temps partiel et deux tiers des services affirment avoir des difficultés à rejoindre la population en emploi à cause des contraintes d’horaires et de la difficile conciliation travail-famille-études pour les étudiants adultes[4]. Notons aussi que la participation aux formations hors programme dans les collèges publics au Québec est en chute libre, passant entre 1992 et 2005 de 34 000 à 3 300 participants (MELS, 2006b).

Un deuxième public est celui des populations immigrantes de plus en plus nombreuses et qualifiées. En 2004, le Québec a accueilli près de 44 000 immigrants, ce qui correspond à une augmentation de 45 % entre 1996 et 2004 (ISQ, 2006). Les deux tiers de ces nouveaux immigrants âgés de 15 ans et plus possèdent au moins 14 années de scolarité (ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2007). Ce public diplômé du pays d’origine fait appel à la formation continue collégiale pour actualiser ses compétences et les adapter aux pratiques professionnelles québécoises, ou encore pour pallier certains manques soulignés par l’ordre professionnel de leur profession. Ce complément de formation vise l’obtention d’une équivalence de diplôme et, conséquemment, l’obtention d’un permis d’exercice délivré par l’ordre professionnel. Quelques cégeps ont mis sur pied des formations à l’endroit de professionnels im-migrants, mais ces initiatives demeurent encore marginales dans l’ensemble du réseau.

Deux autres publics non rejoints sont moins connus des services de formation continue collégiale, sans être pour autant moins importants. Il y a d’abord les diplômés de l’enseignement technique collégial. Chaque année, quelque 15 000 étudiants sortant des cégeps munis d’un diplôme d’enseignement technique (DEC) amorcent un parcours professionnel dont on sait qu’il sera marqué par une alternance croissante entre travail et perfectionnement continu dans le champ professionnel. Qu’il s’agisse des infirmières (Murphy, Cross et McGuire, 2006), des techniciens de laboratoire médical, des éducateurs de la petite enfance, des techniciens en administration, comptabilité ou finances, des techniciens en génie civil, mécanique ou industriel, tous ces professionnels verront leur parcours professionnel profondément modifié au cours des prochaines années (Browell, 2000 ; Conseil interprofessionnel du Québec, 2000 ; Daley et Mott, 2000 ; Garavan, Hogan et Cahir-O’Donnell, 2003 ; Roscoe, 2002). Un nouveau modèle de carrière est en train de se dessiner, sur lequel le nombre d’heures en perfectionnement continu tout au long de la carrière tend à devenir aussi important que le nombre d’heures requises en formation initiale (Cervero, 2001). Si les ordres professionnels sont formellement responsables de la formation (Code des professions, article 86, paragraphe J[5]), les agents de cette formation continue sont multiples. Les institutions universitaires offrent de plus en plus un tel service de développement professionnel continu, dans le but de permettre à leurs diplômés de se perfectionner, mais aussi d’avoir une communication soutenue avec le terrain professionnel de façon à pouvoir renouveler sans cesse le contenu de la formation initiale (Cervero, 2001). Or, les cégeps du Québec n’ont pas vraiment investi ce nouveau champ de la formation continue reliée à leur expertise.

Un des phénomènes nouveaux en formation continue est l’accroissement de la participation des populations plus âgées, en particulier entre 45 et 64 ans (Statistique Canada, 2002). Le tiers des 45-54 ans et le quart des 55-64 ans participent chaque année à des formations organisées au Québec. En raison des changements démographiques, la demande de formation de cette population active de plus en plus qualifiée devient un enjeu à la fois pour le marché du travail en quête de main-d’oeuvre qualifiée, à la fois pour les individus cherchant à protéger leur droit au travail jusqu’à une retraite de plus en plus tardive. Cette demande de la population active plus âgée est appelée à s’accroître au cours des prochaines années. Or, moins de 15 % des adultes inscrits en formation continue collégiale sont âgés de 45 ans et plus.

Il y a enfin la demande de formation des adultes à la retraite. La population de 65 ans et plus constituait déjà en 2001 13 % de la population québécoise et en formera 24 % en 2026 (ISQ, 2003). Une demande de formation socioculturelle émerge, non seulement au sein de ce groupe d’âge (Organisation de coopération et de développement économiques, 2000a ; Organisation internationale du travail, 2001 ; Carlton et Soulsby, 1999), mais aussi au sein de la population en général, tout au long de la vie, en raison d’une transformation de la participation sociale et socioculturelle et d’un plus fort désir d’apprentissage, sans lien avec le travail. Les institutions collégiales manifestent à ce jour peu d’intérêt pour cette dimension de la demande de formation continue (Bélanger et al., 2007).

Certes, les cégeps du Québec, grâce à un appui financier accordé dans le cadre de politiques actives du marché du travail, ont réussi à mettre sur pied une série de programmes courts de formation continue à temps complet, les AEC, permettant à des adultes de se repositionner dans un contexte d’emploi de plus en plus fluide. Les collèges sont aussi parvenus à offrir aux entreprises des services de formation et de consultation reliés au développement des ressources humaines, sans compter les quelque 12 000 adultes inscrits à temps partiel à des formations créditées. Toutefois, en resituant cette contribution de la formation continue collégiale dans l’ensemble du tableau de l’éducation et de la formation des adultes et en comparant cette situation à ce qui se fait ailleurs, la formation continue collégiale apparaît comme un chaînon manquant de la formation des adultes, au Québec.

Pourquoi la formation continue du réseau collégial, malgré ses ressources éducatives stratégiques pour répondre aux exigences d’une population active de plus en plus qualifiée, connaît-elle un développement aussi limité ? Quels sont les obstacles ? Comment expliquer cette place marginale de la formation continue collégiale dans l’économie générale de l’éducation et de la formation des adultes au Québec ? Comment rendre compte de la difficile institutionnalisation du mandat de formation continue dans les cégeps ?

Les obstacles au développement de la formation continue collégiale

L’expression de la demande éducative des publics adultes

Les obstacles au développement de la formation continue dans les collèges québécois tiennent aux politiques et aux pratiques d’expression de la demande éducative des publics adultes, à la logique prépondérante de réponses éducatives, au mode actuel d’organisation et de financement de cette formation.

Le problème n’est donc pas la demande de formation continue, elle-même en pleine expansion, mais d’abord son expression, en raison de sa diversité d’origine (elle émane de différents milieux), de sa formulation exigée dans des codes inhabituels pour les publics adultes et de la complexité de son transfert en réponses éducatives significatives pour ces adultes dans leur contexte spécifique d’action (Bélanger et Federeghi, 2000, chapitres 6 et 7).

Indubitablement, l’image publique des cégeps est associée presque exclusivement à la formation initiale des jeunes, formation à temps complet, menant au diplôme d’études collégiales (DEC). À cette image externe biaisée s’ajoutait jusque récemment une dévalorisation de la formation continue, véhiculée à l’interne au sein de certains départements disciplinaires qui doutaient de la qualité d’une formation continue et voyaient « l’éducation des adultes comme un peu servile et étant là pour répondre aux besoins des entreprises[6] ».

Les pratiques concrètes des cégeps face à la demande adulte sont aussi déficientes. Seulement 59 % d’entre eux ont un service d’accueil et de référence adapté aux besoins spécifiques des adultes et moins de la moitié des services de formation continue sont en mesure d’informer les adultes sur le remboursement par les employeurs et sur d’autres sources de financement[7]. Aussi, les conseillers pédagogiques[8] et les responsables des services de formation continue[9] constataient encore en 2007 un sous- développement des services de reconnaissance des acquis.

Lorsqu’on regroupe, sur la base d’indicateurs de performance[10], les cinq cégeps les plus actifs et les sept cégeps les moins actifs, la caractéristique principale qui permet de distinguer les deux groupes est précisément l’importance donnée à la mobilisation de ressources en amont de la formation pour accueillir les adultes, leur fournir un service d’orientation, leur faciliter la formulation d’un projet de formation, pour recevoir les demandes des acteurs socio-économiques et élaborer des réponses pertinentes à la fois pour eux et pour les participants, ou encore pour mener des actions de communication publique et de présence active dans les réseaux économiques, professionnels et sociaux de la région ou au sein des secteurs d’activité.

Des réponses éducatives limitées

La demande sociale de formation continue appelle une économie générale de réponses éducatives appropriées et diversifiées pour prendre en compte les conditions et obstacles les plus fréquemment mentionnés, tant dans notre enquête auprès des responsables de formation continue que dans les enquêtes plus générales sur la formation des adultes (Bélanger et al., 2004 ; Statistique Canada, 1997, 2002). Il s’agit du manque de temps, du peu de flexibilité des grilles horaires, du peu de diversité des lieux de formation, de la difficile conciliation famille-travail-études et de la trop longue durée des programmes dispensés pour obtenir la formation recherchée.

À cet égard, le contraste est révélateur entre les pratiques des collèges hors Québec et celles des cégeps. D’un côté, on observe un aménagement des réponses éducatives qui tient compte des conditions variées d’étude et de travail des publics adultes et, de l’autre, un manque de diversité des activités offertes. Certes, la création dans les cégeps des programmes d’AEC a permis à des publics adultes de s’inscrire à temps complet à des formations créditées et ainsi de se repositionner sur un marché du travail de plus en plus fluide. Mais la prédominance croissante de ce mode d’action pose plusieurs problèmes. Les programmes d’AEC constituent, depuis 1993, la principale réponse éducative créditée offerte spécifiquement aux adultes. Le volume des formations à temps partiel ou dispensées le soir et la fin de semaine a fortement diminué et les inscriptions aux cours hors programme, à la suite des changements réglementaires adoptés en 1998, sont dix fois moins nombreuses, bien que ces modes de formation répondent précisément aux difficultés posées à la participation des quatre publics potentiels non rejoints notés plus haut. Des facteurs financiers et administratifs sont en cause.

Les obstacles financiers et réglementaires

Le financement de la formation continue, dans l’ensemble des réseaux — institutions d’enseignement ; entreprises ; réseaux associatifs — demeurera toujours une réalité complexe et plurielle (ministère de l’Éducation, 2004 ; Balatti, 2002 ; OCDE, 2002, 2000b ; Bélanger et Bochinek, 2000 ; Carr-Hill, 1999 ; Heidemann, 1996). La formation continue collégiale n’y fait pas exception en raison d’une part de la diversité des sources non gouvernementales, d’autre part de la multiplicité des sources gouvernementales, qu’il s’agisse du ministère de l’Éducation, bien sûr, mais aussi du ministère de l’Emploi, de l’Immigration, de l’Agriculture, de l’Industrie, de la Justice, etc.

Dans le contexte actuel, ces fonds gouvernementaux sont alloués en presque totalité à la réalisation de politiques actives du marché du travail de type classique, privilégiant la formation à temps complet d’individus sans travail ou à la recherche d’un nouvel emploi. La formation à temps partiel de niveau collégial n’est pas soumise aux mêmes règles financières que la formation universitaire qui, grâce à la formule de l’équivalent à temps complet, bénéficie d’un financement partiel automatique de la formation créditée à temps partiel. Le Conseil supérieur de l’éducation, qui dénonçait cette anomalie dans le financement de la formation postsecondaire dès 1994, a en 2006 émis une recommandation officielle à ce sujet (CSE, 2006, recommandation 6), toutefois sans effet à ce jour.

D’autres contraintes financières pèsent sur le développement de la formation continue collégiale. La politique actuelle de financement ne dédie pas de fonds aux pratiques en amont des prestations éducatives, dans une prise en compte du mode particulier d’expression de la demande éducative en formation des adultes. Il est aussi impossible, dans le cadre réglementaire actuel, d’utiliser les fonds publics pour financer des formations créditées hors programme, comme cela se fait ailleurs au Canada. De plus, la non-flexibilité des règles ne permet pas de regrouper des publics adultes inscrits au même cours mais financés de sources publiques différentes. Notons, enfin, l’exigence posée dans la grande majorité des cégeps de générer, à même les revenus de la formation continue, un surplus qui sera versé dans les fonds consolidés de l’institution, soit quelque 10 millions de dollars annuellement pour l’ensemble du réseau.

Bref, si la politique actuelle et son financement permettent aux cégeps de contribuer à la formation de publics adultes sans emploi, l’orientation présente du financement et du cadre réglementaire tend à freiner un développement diversifié et approprié de la formation continue. Le fonctionnement administratif et financier, favorisant la formation créditée à temps complet, traduit en fait une propension des institutions collégiales à privilégier, en formation continue, des interventions s’apparentant au mode institutionnalisé de gestion de la formation initiale.

Les logiques d’action de la formation continue collégiale et l’ambiguïté de ses modes de régulation

Un deuxième niveau de lecture de la situation relative à la formation continue collégiale et des divers facteurs freinant son développement nous conduit à dégager trois grandes logiques d’action sous-jacentes qui s’affrontent et permettent de mieux saisir l’ambiguïté des modes actuels de régulation de ce champ d’activité : la logique de formation initiale, la logique de la demande de formation et la logique des politiques actives du marché du travail.

Trois logiques d’action

La logique de formation initiale

La première et la plus prégnante des trois logiques d’action à l’oeuvre est celle de la formation initiale et de son poids déterminant sur les politiques et pratiques en formation continue. Dans le contexte actuel des cégeps au Québec, des institutions historiquement centrées sur leur fonction de formation initiale, la logique d’action de cette formation tend à dominer les politiques et pratiques de formation continue. On le constate tant par la demande sociale pour ces deux types de formation que par les dispositifs de formation mis en place.

En formation initiale, le processus d’expression de la demande est peu visible ; il est implicite. Le cheminement en formation initiale est normalisé, et les institutions d’enseignement mettent à disposition de l’étudiant régulier, déjà intégré socialement et culturellement dans les réseaux éducatifs formels, l’information nécessaire à son inscription.

Pour l’adulte, en besoin d’accroître sa capacité d’action à différentes étapes du parcours de vie, professionnelle ou personnelle, il en est tout autrement. La bifurcation entreprise par cet individu dans son parcours fait figure d’exception par rapport aux proches et aux pairs dans le milieu de vie et de travail. Les facteurs et ressorts sociaux qui conduisent les adultes à décider de participer, et effectivement à le faire, renvoient tant aux schèmes de représentation et aux contextes de vie qu’à l’accès aux informations pertinentes. La logique d’action de l’adulte est connue. Selon le sociologue Rubenson (1977, 2001), par exemple, l’adulte ne décide de s’engager que dans la mesure où il saisit l’intérêt de participer à une formation (valence) et évalue positivement sa chance de réussir (expectancy). Or, son contexte de vie et de travail influence l’un et l’autre élément. Ces prémisses de la décision sont, bien sûr, conditionnées par des facteurs reliés au capital culturel, social et économique de l’adulte, mais également par les politiques et pratiques des institutions (Dubar, 1995 ; Doray, 1999), notamment ici celles qui touchent à l’expression et à la prise en compte de la demande éducative.

À cet égard, ce qui fait surtout problème au sein des publics adultes, comparativement aux jeunes étudiants, c’est non seulement la faible visibilité des cégeps comme lieu familier de formation pour les adultes, mais aussi la difficulté appréhendée de pouvoir se former dans des conditions appropriées à leur situation exigeant constamment de concilier les horaires de travail, de la vie familiale et des formations offertes (Tremblay, 2004). L’image publique des cégeps, qui renvoie presque exclusivement à leur mandat de formation initiale, produit aussi un effet d’exclusion, auquel s’ajoute, comme nous l’avons noté plus haut, une défaillance des services d’accueil et de référence à répondre aux besoins d’information, de reconnaissance des acquis et d’orientation des adultes qui parviennent à franchir le seuil de ces institutions.

On constate une même dominance de la logique d’action de la formation initiale dans les dispositifs de formation. En début de parcours de vie professionnelle et citoyenne, la logique de formation initiale prend tout son sens : formation longue et polyvalente dans des programmes standards à temps complet conduisant à des professions reconnues. Dans les cégeps, cette logique vaut aussi pour la population adulte (voir la description ci-dessus des quatre publics adultes non ou faiblement desservis) en majorité. Ceux-ci expriment une demande de formation continue différente, quant à l’aménagement des horaires et autres conditions de participation, quant à la programmation même de la formation et aux approches d’apprentissage. Un tel contexte explique vraisemblablement pourquoi le seul type d’activité de formation continue qui se maintient (voir le graphique 1) est celui d’une formation formelle à temps complet donnée le jour pour des publics adultes en recherche d’emploi.

L’architecture du financement de la formation continue collégiale, sauf dans le cas de certains projets spéciaux et temporaires, reflète et renforce cette logique, tant en amont que dans l’organisation pratique des formations. Elle est axée presque exclusivement sur l’organisation concrète de la prestation éducative. Contrairement au financement des universités, qui reçoivent à cette fin une enveloppe ouverte, cet arrangement financier a pour effet de privilégier les programmes formels (comme les AEC) offerts à temps complet.

Bref, présentement, les cégeps tendent à organiser la formation des adultes à la manière de la formation initiale. En conséquence, le mandat de formation continue est dans ses fonctions plutôt similaire à celui de la formation initiale, visant surtout le rattrapage ou le recyclage à temps complet de la population active en difficulté.

La logique de la demande

Une deuxième logique d’action en éducation et formation des adultes, prédominante dans les pays postindustriels, relève de la demande de formation. Contrairement à la formation initiale qui fonctionne selon une logique administrative assurant une offre ou un dispositif standard sur l’ensemble du territoire, la formation continue se déploie généralement selon un modèle où les individus et les organisations sélectionnent des formations parmi une offre éclatée. Des mesures peuvent alors corriger les effets d’inégalité et de dysfonctionnement d’une telle économie générale de la formation : obligation faite par le législateur aux entreprises d’investir un pourcentage minimum de la masse salariale en formation, instauration de mécanismes sectoriels subventionnés pour mettre en place des interventions concertées, etc.

Or, singulièrement, dans le contexte actuel des cégeps, cette logique de demande demeure marginale, comme en témoignent l’absence de politiques ou de pratiques facilitant l’expression de la demande et la rigidité du dispositif de formation, organisé selon la logique de formation initiale. Le décalage entre l’offre de formation continue collégiale et la demande sociale des publics adultes en emploi tend à exclure les cégeps publics de la partie la plus active de l’économie actuelle de la formation des adultes. Cela évite à l’État de devoir instaurer des politiques gouvernementales pour corriger les inégalités qui découleraient d’une offre collégiale enrichie. Cette situation des collèges publics a pour effet de renvoyer au marché privé la plus grande partie de la demande sociale de formation continue postsecondaire non universitaire.

La logique des politiques actives du marché du travail

Cela dit, les services de formation continue des cégeps contribuent à corriger la logique de marché dans un domaine particulier en organisant des programmes de formation à temps complet pour les publics temporairement hors du marché du travail. Le ministère de l’Éducation et le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale financent complètement ces programmes. L’organisation actuelle de la formation continue collégiale correspond bien à cette modalité classique des politiques actives du marché du travail. Le problème est qu’elle ne vise qu’une partie minoritaire de la demande sociale de formation continue et laisse sans réponse les quatre publics adultes notés plus haut, en particulier les personnes en emploi, la grande majorité de la population adulte.

Les modes de régulation de la formation continue collégiale : sources et conditions de son développement ambigu

Les rapports ambigus entre ces trois logiques d’action créent une situation instable, ouvrant la voie à une transition des institutions collégiales vers une interprétation élargie de leur mission, à une reconnaissance de leurs deux mandats spécifiques — tant le mandat traditionnel de formation initiale que le mandat encore marginal de formation continue. Les pratiques observées, la diminution des publics desservis, les obstacles institutionnels et les logiques d’action opposées s’expliquent, du moins en partie, par les différents modes de régulation du mandat de formation continue et leurs rapports souvent conflictuels. De ce fait, un espace d’ambiguïté est créé pour une transformation possible des institutions.

La régulation du marché de la formation et sa correction

La première donne de cette dynamique possible est l’accroissement significatif des investissements privés et publics en formation des adultes, une tendance que reflète bien la nouvelle législation québécoise sur « le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’oeuvre » (projet de loi n° 5, juin 2007). Or, cette montée rapide de la demande de formation continue postsecondaire remet en question les infrastructures publiques et surtout les règles du jeu qui y prévalent. La nécessité est double : il s’agit non seulement de modifier les politiques et pratiques pour s’insérer dans l’économie générale de la formation des adultes, mais aussi d’acquérir les ressources et la capacité d’action pour en corriger les effets.

À cet égard, la régulation hybride de la formation continue collégiale constitue à la fois un frein et un moteur de changement. Dans ce contexte, deux orientations tendent ou plutôt tendaient à s’opposer. D’un côté, les acteurs internes des cégeps, les enseignants en formation initiale — en particulier les enseignants de formation générale — craignaient jusqu’à maintenant que cette régulation marchande de la formation continue devienne le cheval de Troie du néolibéralisme dans l’institution, où la logique d’action de la formation continue viendrait déstructurer le modèle de formation longue et polyvalente de la formation initiale ; crainte renforcée par une tentative récente de déstructuration du réseau public collégial présentée comme une mesure soutenant la formation tout au long de la vie[11]. De l’autre côté, les directions et les services de formation continue des institutions cégépiennes constatent le potentiel de dévelop- pement que ce marché nouveau de la formation continue représente déjà dans les institutions similaires hors Québec, et cherchent à mieux répondre aux aspirations de perfectionnement de la population en emploi. Les uns freinent le déploiement du deuxième mandat en cherchant à protéger le premier, les autres craignent que le réseau collégial ne manque le train du changement, peut-être aussi important que celui de la Révolution tranquille des années 1960.

Tout se joue autour d’une ambiguïté, souvent institutionnellement entretenue, entre les deux mandats de formation initiale et de formation continue des collèges publics. Cette ambiguïté transparaît dans les discours officiels de ces institutions et dans les politiques gouvernementales qui les régulent. L’analyse des Plans stratégiques des 48 cégeps montre que seule une minorité d’entre eux ont clairement identifié le deuxième mandat, en ont reconnu la spécificité et la complémentarité. La politique réglementaire du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport tend, jusqu’à présent, à être marquée par les canons de la formation initiale, refusant par exemple de prendre en charge les formations créditées hors programme. La place marginale faite aux cégeps, comme nous l’avons noté, dans la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue adoptée en 2002 et dans la version 2002-2007 de son Plan d’action soulignent cette ambiguïté du contexte politique de la formation continue collégiale.

Le contexte d’une correction possible de la régulation administrée typique de la formation initiale

Des changements importants, comme l’attrition prévue des publics en formation initiale et la demande croissante de formation continue, amènent précisément à se questionner sur l’ambiguïté relative à la régulation actuelle de l’allocation/utilisation des ressources et aux modalités de la formation continue. On le voit à plusieurs indices que notre enquête a permis de déceler. Il y a d’abord en 2007 la demande officielle de la Fédération des cégeps pour une révision substantielle, dans le plan 2008-2013, de la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue. On recommande d’y inclure une reconnaissance du rôle des cégeps en ce domaine et d’effectuer en conséquence un ajustement « sur les plans budgétaire, administratif et organisationnel », déjà prévu mais non réalisé dans le plan précédent. Les entrevues collectives avec les enseignants et leurs représentants indiquent une mutation de la position des syndicats d’enseignants quant à la perspective d’avenir des cégeps, soit une reconnaissance du deuxième mandat, complémentaire au mandat de formation initiale qui, jusqu’ici, définissait à leurs yeux l’essentiel de la mission de l’institution. On assiste aussi à un changement important à la Commission des études chargée des affaires académiques dans chacun des collèges : l’inscription de la formation continue au mandat de ce mécanisme local d’approbation des programmes crée un espace commun institutionnalisé où se négocient et se construisent une légitimité des interventions de formation continue et une reconnaissance de leur spécificité.

À l’intérieur de l’appareil gouvernemental, la tension habituelle entre les deux ministères clés (Éducation et Emploi) responsables de la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue devient productive dans la dynamique qui nous intéresse ici, et ce, dans une double mesure. Premièrement, le principal porteur de la demande sociale de formation reliée au travail tend dans les faits à faire pression sur les responsables de l’éducation, mis au défi de modifier les modes d’intervention auprès des adultes en emploi par le développement, avec la Commission des partenaires du marché du travail et les structures sectorielles de concertation, d’alternatives non créditées visant une qualification continue des publics cibles de la formation continue collégiale. Deuxièmement, la fréquence de changement d’emploi au long des parcours professionnels conduit les individus non seulement à poursuivre leur formation, mais aussi à la vouloir reconnue formellement par les institutions concernées, afin précisément d’assurer ces multiples transitions et de pouvoir construire progressivement leur identité professionnelle.

Conclusion

L’adoption et le développement du mandat de formation continue par les institutions collégiales québécoises demeurent incertains. Les règles du jeu et les logiques d’action des différents acteurs, tout comme les processus qui les définissent, restent ambiguës, sinon contradictoires. Ces orientations souvent opposées et les mécanismes institutionnels exercent des contrôles divergents et posent des exigences contradictoires.

Toutefois, cette régulation hybride de la formation continue collégiale tient de moins en moins, face à l’attrition reconnue des publics adultes qu’elle produit. L’emprise de la régulation hiérarchique de la formation initiale se desserre avec la montée d’une demande sociale de formation continue de niveau collégial et la prévision d’une baisse de la population étudiante jeune.

Ce qui est en question, c’est en fait le repositionnement et le déploiement des collèges publics sur une scène éducative en pleine transformation. Ce repositionnement comporte trois volets : l’institutionnalisation difficile du mandat de formation continue dans la mission éducative ; les politiques et les pratiques des cégeps ; la reconnaissance du cégep, dans l’opinion publique, comme une institution pertinente de formation initiale et de formation continue. Les négociations formelles et informelles en cours entre les différents acteurs, à l’échelle locale ou nationale, permettent à ce sujet de croire à un certain déblocage. Un indice intéressant sera la décision ou non d’insérer, dans le plan d’action 2008-2013 de la Politique gouvernementale, la formation continue collégiale aux côtés des deux autres champs déjà reconnus que sont la formation de base et la formation reliée aux entreprises.

Cette insertion des cégeps dans l’économie générale de la formation des adultes, un système d’action régulé à l’image du marché, pose une autre question. Les cégeps, une fois en mesure d’intervenir activement en formation continue, instaureront-ils aussi une régulation correctrice remédiant aux effets inégalitaires de ce marché, et cela non seulement pour les chercheurs d’emploi, mais aussi pour l’ensemble de la population active ? Correction dans les modes d’action pour tenir compte des conditions diverses des adultes et faciliter l’accessibilité, correction également pour répondre à l’ensemble de la demande sociale de formation continue qui inclut non seulement le développement professionnel continu, mais aussi les autres aspirations et nécessités des individus tout au long de leur vie. Entrent en jeu trop d’acteurs, éducatifs et socio-économiques tout autant que publics et sociaux, pour répondre à cette question et dégager des tendances. Paradoxalement, c’est dans la mesure où la formation continue collégiale deviendra, par son ampleur et sa pertinence, un enjeu socio-économique que pourront s’imposer des mécanismes de correction des effets de marché.

Enfin, cette mutation possible des cégeps éclaire d’un nouvel angle le sens et la portée des discours sur l’éducation tout au long de la vie et des catégories d’action qu’ils génèrent. On connaît l’utilisation économiciste de ce discours ou encore sa récupération intégratrice par certaines institutions postsecondaires pour ainsi moderniser leur image tout en maintenant le statu quo institutionnel (Field, 2006). Mais ce discours traduit aussi (Bélanger et Gelpi, 1995) un projet qui, à la fois, défend une formation initiale prolongée et polyvalente, garantie de la poursuite des biographies éducatives tout au long de la vie (Bélanger et al., 2004), et promeut des dispositifs de formation ultérieure répondant aux nécessités, aspirations et conditions des publics adultes. La convergence de ces deux éléments constitutifs d’un projet collégial en émergence était jusque récemment invisible en raison d’une remise en question, sous le couvert du même discours de l’éducation permanente, d’une formation initiale collégiale comportant un tronc de formation générale. Mais sa reconnaissance croissante par les différents acteurs collégiaux, tel que nous avons pu le constater (Bélanger, Carignan et Robitaille, 2007), est peut-être l’indice le plus révélateur de la dynamique de transformation institutionnelle en cours dans les cégeps québécois.