PrésentationMichel Foucault : classique inclassableContentMichel Foucault: an Unclassifiable Classic[Notice]

  • Marcelo Otero

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  • Marcelo Otero
    Département de sociologie
    Université du Québec à Montréal
    Case postale 8888, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3P8, Canada
    otero.marcelo@uqam.ca

L’oeuvre de Michel Foucault traverse des champs dont les frontières sont jalousement gardées : philosophie, sociologie, histoire, anthropologie, linguistique, épistémologie, critique de l’art. Les cloisons disciplinaires des sciences sociales et humaines se brouillent et de nouveaux ponts transversaux sont construits, obligeant de nombreux spécialistes à reproblématiser leurs objets d’étude et d’intervention. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les notions d’homme et d’humanisme se trouvent au centre de la critique foucaldienne (Foucault, 1992, p. 355-398) ? Brouillage disciplinaire à la fois fécond et déstabilisant qui renouvelle les manières traditionnelles de philosopher et de problématiser les enjeux de société. La radicalité du questionnement philosophique, transposée sans complexes dans les domaines des disciplines les plus variées (de la psychiatrie au droit, de la criminologie à la sexologie, de la médecine à la biologie), force un double déplacement qui pose des problèmes théoriques et méthodologiques majeurs. Alors que la philosophie renoue avec les problèmes de la cité, les sciences empiriques sont confrontées quant à elles, à leurs conditions de possibilité (formelles, historiques, sociales, politiques, économiques, prescriptives, etc.). Qu’a-t-on fait historiquement des fous, des pauvres et des malades ? Pourquoi enferme-t-on certaines catégories de personnes ? Pourquoi faut-il constamment dire et se dire « qui » on est ? Comment gouverne-t-on ? À quel type de pouvoir avons-nous affaire ? Qu’est-ce que dire « vrai » ? Comment peut-on devenir sujet moral de son action ? Foucault n’est pas Durkheim. Sa méthode, parfois obscure, cryptée ou dévoilée par bribes ici et là (entrevues, cours, articles, etc.), est remise constamment au point et, parfois, radicalement en question (archéologie, méthode structuraliste, généalogie, problématisation, diagnostic, etc.). Ses notions clés se redéfinissent successivement au cours de ses travaux jusqu’à se rendre méconnaissables (épistémè, dispositif, discipline, savoir, discours, pouvoir, gouvernementalité, assujettissement, sujet, véridiction, etc.). Et, enfin, les problématiques traitées dans ses textes ne font pas l’unanimité des commentateurs qui multiplient les effets de brouillage et parfois de mésinterprétation. De quoi parle-t-on au juste dans tel ou tel ouvrage ? Quelle méthode est mise à l’oeuvre ? Peut-on justifier historiquement tel ou tel découpage chronologique ? Peut-on rassembler dans un même corpus d’analyse des matériaux fort hétérogènes (dispositions architecturales, règlements administratifs, taxinomies, peintures, récits obscurs de gens oubliés, décrets royaux, théories scientifiques, etc.) ? Malgré un certain malaise que bien des sociologues éprouvent envers ces difficultés, force est de constater que la pensée complexe de Michel Foucault ne peut être appréhendée dans un seul registre disciplinaire ou méthodologique qu’au prix de la stériliser, de miner son originalité et de lui ôter sa force. En sortant de son « long silence » de huit ans après la parution de la Volonté de savoir, il dira : « Quant à ceux pour qui se donner du mal, commencer et recommencer, essayer, se tromper, tout reprendre de fond en comble [...] vaut démission, eh bien nous ne sommes pas [...] de la même planète » (Foucault, 1984a, p. 14). La planète Foucault a-t-elle quelque chose à offrir aux sociologues ? Si oui, il faut se résoudre à vivre, heuristiquement parlant, avec un certain nombre de problèmes théoriques, méthodologiques, chronologiques et empiriques. De même que Marx n’est pas seulement un penseur du nécessaire (de la détermination sociale) mais également du possible (de conditions possibles d’émancipation de cette détermination) (Vadée, 1992), Foucault est autant un penseur de l’assujettissement que de la subjectivation, du pouvoir que de sa fragilité, de la volonté de normalisation que des pratiques de liberté. D’où la pertinence de cette phrase qui met en perspective l’interprétation sociologique la plus répandue des travaux de l’auteur : « Mon rôle est de montrer aux …

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