RecensionBook Review

Denault, Alain, Delphine Abadie et William Sacher (2008). Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Écosociété, 348 p.[Notice]

  • Kavin Hébert

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  • Kavin Hébert
    Centre d’études allemandes et européennes, Université de Montréal, 3744, rue Jean-Brillant, Montréal (Québec) H3T 1P1
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La récente « controverse étouffée » entourant la publication du livre Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique et les poursuites intentées contre ses auteurs et son éditeur par Barrick Gold et Banro pour diffamation donnent l’impression que l’ouvrage ne serait qu’un pamphlet sensationnaliste et dénonciateur ayant pour seul but de traîner dans la boue les entreprises minières canadiennes opérant en Afrique dans un contexte de guerre civile. Cette impression doit être nuancée. En effet, s’il est vrai qu’Alain Denault, Delphine Abadie et William Sacher, du collectif Ressources d’Afrique, n’hésitent pas à pointer du doigt les principaux acteurs économiques qui seraient selon eux responsables de nombreuses malversations (ou externalités) sur le plan humain et environnemental en sol africain, ils le font avec l’idée que ces pratiques n’ont jamais été considérées comme « répréhensibles » sur le plan juridique et politique. Les auteurs avancent que les entreprises minières bénéficient d’une protection juridique leur permettant d’agir en toute impunité avec l’appui idéologique des institutions politiques et économiques canadiennes (ACDI, Bourse de Toronto) et internationales (FMI, OMC, Banque mondiale). Les actes qu’accomplissent certaines entreprises canadiennes et que les auteurs considèrent comme « criminels » (homicide, corruption, pillage) ne sont jamais considérés comme tels par un système juridique jugé ici trop permissif et par un gouvernement trop soucieux de préserver son image « d’ami de l’Afrique ». À ce titre, l’objectif de l’ouvrage est précisément de synthétiser les nombreuses allégations visant les entreprises et les institutions politiques canadiennes, afin de mieux comprendre leur rôle et leur idéologie dans le développement économique des pays africains. Loin de se baser sur des suppositions sans fondement, cet ouvrage repose sur une recherche documentaire très fouillée et puisant à de multiples sources, comme en témoignent les quelques centaines de notes de bas de page. On remarque aussi qu’une grande partie de l’information recueillie par les auteurs n’est pas inédite. Tout ce que nous révèle ce livre repose sur des faits relativement connus qui se sont déroulés au cours des quinze à vingt dernières années et décrits dans des rapports d’enquête de plusieurs organismes internationaux et ONG, comme l’ONU et Human Rights Watch. L’ouvrage est divisé en six parties. Les trois premières font état de l’extrême complexité qui caractérise la réalité économique et politique et l’exploitation des mines africaines par les entreprises privées, que le sens commun journalistique et les (fausses) apparences diplomatiques ont souvent tendance à éluder avec complaisance. Il s’agit précisément pour Denault, Abadie et Sacher de prendre du recul face au traitement souvent partiel de cette réalité et de la restituer dans sa « cohérence » propre. En d’autres termes, ils analysent sur un même plan l’activité économique des entreprises minières, l’activité guerrière des diverses factions politiques, les catastrophes humaines et environnementales, ainsi que les tractations diplomatiques qualifiées de « mafieuses » entre le Canada et les pays africains diamantaires ou pétrolifères, notamment dans la région des Grands Lacs (l’Ituri). Si ces nombreuses malversations sont pernicieuses, c’est parce que les populations (et leur milieu de vie) en subissent les conséquences, dans certains pays où l’absence de véritable démocratie rend quasiment impossible tout recours juridique contre les entreprises frauduleuses. Les auteurs prennent soin de rapporter les cas d’entreprises canadiennes ayant déjà fait l’objet de poursuites judiciaires, particulièrement au Lesotho. Les trois dernières parties de l’ouvrage présentent au lecteur une observation sociologique du phénomène, en attirant l’attention sur le rôle des institutions politiques canadiennes et internationales. Dans cette optique, ils tentent de démystifier un certain nombre de principes qui justifieraient la neutralité bienveillante de l’État canadien face à l’irresponsabilité des entreprises canadiennes en sol …