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Introduction

Des efforts importants sont déployés depuis quelques années par les organismes canadiens de financement de la recherche, particulièrement par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), afin de promouvoir l’intégration de mécanismes d’application des connaissances dans les projets de recherche en santé. Le but est simple : réduire le temps entre le moment où les résultats de la recherche sont connus et celui où ces résultats sont implantés de façon routinière dans la pratique professionnelle. Cette stratégie vise à retourner le plus rapidement possible à la société les investissements conssentis en recherche (Tetroe et al., 2008). Mentionnons d’entrée de jeu que les IRSC définissent l’application des connaissances comme « un processus dynamique et itératif qui englobe la synthèse, la dissémination, l’échange et l’application conforme à l’éthique des connaissances dans le but d’améliorer la santé des Canadiens, d’offrir de meilleurs produits et services de santé et de renforcer le système de santé » (voir http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/39033.html).

En dépit de la mise en place, par le principal bailleur de fonds de la recherche en santé au Canada, de plusieurs initiatives telles qu’un réseau d’experts, des programmes de formation pour nouveaux chercheurs, des ateliers pour chercheurs chevronnés, l’accès à des opportunités de financement, la conduite de projets de recherche ciblés, etc., peu de données permettent de conclure à l’efficacité des modèles actuels d’application des connaissances (Tugwell et al., 2007 ; Aita et al., 2007 ; Grimshaw et al., 2006). Les experts de ce domaine demeurent incertains quant à ce qui influence l’adoption (ou la non-adoption) des résultats de la recherche par les utilisateurs de ces données. Ce qui est connu cependant, c’est que les écrits scientifiques sur le processus d’application des connaissances renvoient à des théories traditionnelles positivistes et post-positivistes (McWilliam et al., 2009). Quelques voix commencent cependant à réclamer que des approches interprétatives viennent compléter ces paradigmes (Rycroft-Malone, 2007).

C’est dans cette optique que s’inscrit l’étude dont nous rapportons ici les résultats. Nous nous sommes attardées à une composante du cycle d’application des connaissances, soit la dissémination des résultats de recherche, un élément crucial dans le processus d’application des connaissances (Gagnon, 2009). Nous comparons donc deux méthodes de communication de données de recherche, une plus traditionnelle, le café scientifique, et une forme novatrice, les arts. Ces interventions ont été réalisées dans le cadre d’un projet de recherche que nous détaillerons dans la prochaine section.

Contexte

L’utilisation du café scientifique et des arts fait partie de la stratégie de dissémination des résultats de recherche de la première phase d’une étude visant à explorer la façon dont les sujets de recherche font l’expérience et donnent un sens à leur participation à des protocoles de recherche dans le domaine de la santé[1]. Ces perspectives seront ensuite comparées avec celles d’autres intervenants du monde de la recherche, notamment des chercheurs, des professionnels de la recherche et des membres de comités d’éthique de la recherche. L’objectif poursuivi est une meilleure compréhension de l’expérience des sujets de recherche participant à divers types d’études en santé (ex. : essais cliniques, études comportementales, biomédicales ou de santé publique). L’équipe de recherche souhaite ainsi contribuer à l’amélioration des protocoles de recherche, du processus de révision éthique des projets de recherche, ainsi que, plus globalement, de la gouvernance de l’éthique de la recherche au Canada (McDonald et al., 2008).

Le café scientifique comme mode de dissémination des connaissances

Le concept des cafés scientifiques a pris naissance à Leeds en Angleterre en 1998. Il fut inspiré par les cafés philosophiques français (Dallas, 1999). Le café scientifique est un lieu de rencontre, dans un bistro, un bar ou tout autre endroit « non académique », où le grand public peut, pour le coût d’une tasse de café, d’un verre de vin ou de bière, venir converser avec des experts sur un sujet ou des développements scientifiques susceptibles d’influencer sa vie. Cette activité permet de démocratiser la science car elle offre à tous l’opportunité d’exprimer leurs opinions et favorise le débat public (IRSC, 2007a). Le format est assez classique. Habituellement, un ou quelques spécialistes sont invités à parler d’un sujet durant environ 20 à 30 minutes. Aucune aide visuelle ou autre technique n’est généralement utilisée. Ces présentations sont suivies d’une courte pause, puis une période de questions et de discussion vient compléter la session d’une durée approximative de 90 minutes (Dallas, 2006).

Notre café scientifique, Participants à la recherche en santé : cobayes ou partenaires ?, fut tenu dans un pub de Vancouver le 11 mai 2009 et s’est déroulé de cette même façon, à l’exception que les membres de l’auditoire ont été invités à remplir un questionnaire en deux temps durant la soirée. Deux des présentateurs ainsi que le facilitateur étaient des chercheurs au sein de notre équipe de recherche. L’autre présentateur était un participant à la recherche, membre d’une association militant pour les droits de patients atteints d’une maladie chronique.

Les arts comme mode de dissémination des connaissances

L’intérêt des chercheurs pour intégrer des formes artistiques à leurs processus de recherche vient de la capacité des arts (performatifs, littéraires et visuels) à susciter une profonde empathie et une compréhension différente de l’expérience du sujet de recherche (Eisner, 2008). De fait, les arts permettraient de comprendre les expériences, les problèmes et les pratiques en faisant appel à l’imagination et à l’émotion (Eisner, 2008a, 2008b ; Finley, 2008 ; Rossiter et al., 2008 ; Cahnmann, 2008), ce que n’offrent pas les méthodes plus traditionnelles de dissémination des résultats de recherche (Cahmann-Taylor, 2009 ; O’Donoghue, 2007). Les formes artistiques pourraient donc contribuer positivement au processus d’application des connaissances puisqu’elles rendent accessibles à un plus vaste public les résultats de la recherche et ont la capacité de stimuler le dialogue. Ainsi, les arts possèdent le potentiel d’engager les participants à explorer collectivement des problèmes et des enjeux, à chercher des solutions et à provoquer le changement (Belliveau, 2006 ; Denzin, 2000).

La recherche en santé faisant appel à des formes artistiques est particulièrement bien indiquée pour représenter des thèmes tels la détresse, la compassion, le deuil, pour cultiver l’empathie et le raisonnement critique (Cox et al., 2009), de même que pour explorer des questions complexes liées à la médecine, la maladie et la santé (Rossiter et al., 2008). Chaque forme artistique apporte une contribution qui lui est propre. À titre d’exemples, les méthodes visuelles possèdent la capacité de traverser la barrière des langues et de l’analphabétisme (Syson-Nibbs et al., 2009). Les méthodes performatives, comme le théâtre, offrent un forum pour engager le public dans un dialogue sur des questions morales, sociales ou politiques (Cox et al., 2009). Les méthodes littéraires, comme la poésie, permettent de synthétiser l’expérience vécue (Prendergast, 2009), d’en donner accès au lecteur afin de le mettre en contact avec la dimension émotive de cette expérience (Hurren, 2009) et avec d’autres mondes (Faulkner et al., 2009).

Au Canada, l’utilisation des arts comme méthode de dissémination remonte à la fin des années 1990 (Cox et al., 2010). Handle with Care fut produit en 1998 au Centre régional du cancer Sunnybrook à Toronto. Cette pièce de théâtre visait à communiquer les résultats d’une étude portant sur les besoins exprimés par des femmes aux prises avec un cancer du sein métastatique (Gray et al., 2003). Depuis cette première initiative, d’autres médias se sont ajoutés à la dramaturgie pour communiquer des résultats de recherche. Boydell a choisi de créer une danse, Hearing Voices, pour rendre compte des différents parcours empruntés pour obtenir des soins médicaux, par des jeunes (14-24 ans) souffrant d’un premier épisode psychotique (Boydell et al., 2010 ; Fraser, 2008). Snow et ses collègues (2008) ont quant à eux produit un « ethnodrame musical » avec 18 adultes atteints de troubles de comportement dans le but avoué de changer les perceptions des membres de l’auditoire à l’égard des gens vivant avec des problèmes de développement.

Nous avons choisi de communiquer certains de nos résultats de recherche à l’aide de quatre médias artistiques : le chant, la poésie, le théâtre et les arts visuels. Nous avons donc mis sur pied un projet-pilote comportant trois objectifs :

  1. Créer des chants, une pièce de théâtre, des textes poétiques et des oeuvres visuelles représentant quatre des thèmes émergeant de l’analyse de nos données de recherche ;

  2. Chanter, jouer, réciter, exposer les créations artistiques devant divers auditoires associés à l’éthique de la recherche (sujets de recherche, chercheurs et professionnels de la recherche, membres de comités d’éthique, d’organismes de financement, de groupes d’intérêts, responsables de politiques publiques et grand public) ;

  3. Évaluer les méthodes artistiques de dissémination de résultats de recherche sélectionnées (chant, poésie, théâtre et arts visuels) pour leur efficacité et leur capacité à créer une nouvelle compréhension du phénomène étudié, à générer des émotions, à susciter des questions et à encourager au changement les membres de l’auditoire.

Nous avons d’abord formé une équipe interdisciplinaire de collaborateurs[2]. Ces collègues se sont vu confier le mandat de voir à la création d’oeuvres artistiques chacun dans leur domaine : théâtre, arts visuels et chant. Nous avons pris en charge le volet poésie puisque Susan. M. Cox avait la compétence pour le faire. Nous avons décidé de restreindre le sujet des créations artistiques à quatre thèmes qui ont émergé du codage des entrevues avec 16 des participants à notre étude. C’est le nombre de personnes que nous avons réussi à recontacter et qui nous ont donné la permission d’utiliser le contenu anonymisé de leur entrevue pour produire les pièces artistiques.

Au total, plus de 50 individus ont travaillé à la création des oeuvres artistiques. Deux représentations ont eu lieu les 19 et 20 novembre 2009 sur le campus de l’Université de Colombie-Britannique pour rendre compte des travaux réalisés.

Méthodes

Nous avons reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche de l’Université de Colombie-Britannique pour sonder les participants aux activités de dissémination de nos résultats de recherche : le café scientifique et les deux évènements artistiques. Les deux évènements publics — une des deux soirées artistiques a été organisée exclusivement pour les participants à notre étude « Centring the human subject… » — ont été publicisés à l’aide d’un encart dans un journal local, de listes de distribution électroniques et d’affiches placardées à des endroits stratégiques de Vancouver. La deuxième prestation artistique fut présentée dans le cadre d’une activité publique relative à la tenue d’un atelier de trois jours sur l’utilisation des méthodes artistiques dans la recherche dans le domaine de la santé. La capacité maximale de la salle étant de 60 sièges, les intéressés ont dû réserver pour s’assurer d’une place. Nous avons malheureusement dû refuser l’accès à certains faute d’espace.

Les thèmes abordés par les panélistes lors du café scientifique, et par les artistes lors des performances artistiques, furent similaires, ceci dans le but de faciliter la comparaison entre les deux types de médias. Ces quatre thèmes sont : 1) les raisons motivant la participation à des études médicales ; 2) les coûts/fardeaux et avantages de participer à des études médicales ; 3) le lien de confiance en jeu dans le processus de recherche ; et 4) les relations avec l’équipe de recherche. C’est donc dire que les auteurs-compositeurs, dramaturges, poètes et l’artiste visuel ont reçu les mêmes sections d’entrevues codées, selon ces quatre thèmes, par les chercheurs de notre équipe de recherche. Ils ont tous travaillé à partir de ce matériel.

Environ 45 personnes ont assisté au café scientifique et 70 aux deux évènements artistiques. Trente-sept membres de l’auditoire ont rempli un questionnaire lors du café scientifique. Quarante et un ont fait de même lors de l’un ou l’autre des deux évènements artistiques. La première partie du questionnaire, constituée uniquement de questions ouvertes, a été complétée après la présentation des trois panélistes lors du café scientifique et des performances artistiques lors des deux évènements axés sur les arts. La deuxième section, regroupant seulement des questions ouvertes, et la troisième section du questionnaire renfermant tant des questions ouvertes que fermées portant majoritairement sur des informations démographiques, ont été remplies à la fin de la période de questions et de discussion, juste avant la clôture des activités de dissémination. Quelques brèves entrevues ont été réalisées à la suite du café scientifique et des événements artistiques afin de nous assurer que les répondants avaient bien saisi le sens des questions et pour approfondir leurs réponses au besoin.

Le tableau 1 présente le profil des répondants pour chaque type d’activité de dissémination.

Tableau 1

Profil des répondants

Profil des répondants

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La littérature sur l’utilisation des méthodes artistiques dans les sciences sociales et la recherche éducationnelle indique que les arts sont particulièrement efficaces pour a) mener à une compréhension différente d’une expérience, une problématique ou une pratique (Barone et Eisner, 1997 ; Bochner et Ellis, 2003 ; Ellis, 2000 ; Knowles et Cole, 2008 ) ; b) générer des sentiments ou des émotions (Barone et Eisner, 1997 ; Piirto, 2009 ; Willis, 2002) ; c) susciter des questions (Barone et Eisner, 1997 ; Barone, 2003 ; Siegesmund et Cahnmann-Taylor, 2008) ; et d) favoriser des changements dans les opinions, les croyances, les pratiques (Barone et Eisner, 1997 ; Richardson, 2000 ; 2005). Cependant, très peu d’études empiriques viennent appuyer ces affirmations (Eisner, 2008 ; Kelli-Moran, 2008). Nous avons donc vérifié si ces quatre critères d’efficacité s’appliquaient bien aux formes artistiques, des méthodes novatrices de dissémination de résultats de recherche, et au café scientifique, un moyen plus traditionnel de communication. Nous rapportons dans la prochaine section les données de notre évaluation collectées principalement à l’aide de quatre des questions du questionnaire.

Résultats

Compréhension

Les répondants au questionnaire ont été invités à répondre à cette première question : Est-ce que les présentations des panélistes (café scientifique) ou les performances artistiques (évènements artistiques) vous ont aidés à comprendre l’expérience des participants engagés dans des études liées à la santé ? Expliquez brièvement.

Café scientifique : Un peu plus de la moitié des répondants ont affirmé que les présentations lors du café scientifique avaient contribué à leur compréhension de l’expérience des participants à la recherche. Cependant, seulement quelques répondants, comme l’a fait cette participante, ont pu fournir des exemples précis d’éléments qu’ils ont mieux compris à la suite des présentations.

Ça m’a fait réaliser que les participants veulent contribuer. Je croyais qu’ils désiraient seulement des récompenses matérielles[3]. (traduction) (Femme, grand public, professionnelle de la santé, 20-29 ans)

Environ le tiers des répondants ont estimé que les présentations les avaient plus ou moins aidés à comprendre ou encore ne les avaient pas aidés du tout :

Légèrement. Aucune information ou étude de cas ne m’ont surpris[4]. (traduction) (Homme, grand public, professeur, 60-69 ans)

Fait à souligner, la moitié des répondants ont spécifié que c’est la présentation du représentant de l’association de patients qui fut particulièrement éclairante.

Le deuxième panéliste spécialement m’a transmis ce que sont l’expérience et les motivations d’un sujet de recherche[5]. (traduction) (Femme, participante à la recherche, 20-29 ans)

Ce type de remarques est particulièrement intéressant puisque les deux autres panélistes, chercheurs de notre équipe de recherche, présentaient aussi un résumé de l’expérience et des motivations des sujets de recherche tel que rapportées par les participants à notre étude. Cependant, certains membres de l’auditoire n’ont pas semblé comprendre que ces panélistes se faisaient la voix de sujets bien réels participants à la recherche.

Ça aurait été plus utile d’avoir le point de vue de davantage de non-experts[6]. (traduction) (Femme, chercheure, 20-29 ans)

Performances artistiques : En réponse à la même question que pour le café scientifique, la plupart des répondants (37 sur 41) ont indiqué que les performances artistiques les ont aidés à comprendre l’expérience vécue par les sujets participant à une étude dans le domaine de la santé. Personne n’a mentionné que les performances n’avaient pas amélioré sa compréhension.

Certains commentaires s’inscrivent dans le même registre que pour le café scientifique où les répondants ont identifié certains éléments très factuels qu’ils ont mieux compris après les performances artistiques. Fait à souligner, en général, les réponses furent beaucoup plus complètes et élaborées dans le cas des performances artistiques.

J’ai compris que le processus de consentement porte à confusion et au silence. Cela suscite des questions en regard du consentement éclairé. J’ai aussi mieux compris ce qui est imposé aux participants à la recherche (temps pris sur le temps de travail, uriner dans un contenant gradué). Les participants ne sont pas traités avec le respect qu’ils méritent ([absence de] notes de remerciement — même pour ceux qui quittent l’étude)[7]. (traduction) (Femme, chercheure, professeure, participante à la recherche, 30-39 ans)

Certains individus ont affirmé que le média utilisé avait eu un impact sur leur compréhension. Le caractère artistique de la représentation de l’information leur a permis de comprendre différemment l’expérience des sujets de recherche.

Un des exemples qui ressort pour moi (à titre de personne qui obtient le consentement éclairé de participants vulnérables) fut la danse, le tango qui m’a fait réfléchir sur le fait que les chercheurs doivent user de séduction pour convaincre les participants. Très évocateur, et si je n’avais pas assisté à la performance, je n’y aurais pas pensé de cette façon-là[8]. (traduction) (Femme, chercheure, 40-49 ans)

Il semble également que la personnification de participants à une recherche sous une forme artistique ait joué un rôle pour faire comprendre différemment leur expérience.

Récitation de poèmes — comme si entendre parler les participants à la recherche permet de sentir qu’ils sont de vraies personnes et pas seulement des “numéros de dossier” que le “système” utilise[9]. (traduction) (Femme, professeure, 30-39 ans)

Pour certains, les performances artistiques ont permis de comprendre la complexité des sentiments qui habitent les participants à la recherche.

Oui (les performances m’ont aidé à comprendre), l’écart entre le doute interne et la résistance d’un côté et la conformité à l’autorité de l’autre[10]. (traduction) (Homme, professeur, 60-69 ans)

Des répondants ont soulevé cette capacité des arts à créer un type de compréhension unique.

Habituellement, ce genre de compréhension est atteint seulement en parlant aux participants personnellement, quand le langage corporel et le discours traduisent réellement comment quelqu’un se sent. Cette explication d’une expérience par un tiers est plus efficace qu’un document textuel pour vraiment communiquer l’émotion d’un patient[11]. (traduction) (Femme, participante à la recherche, 20-29 ans)

Émotions

Une deuxième question du questionnaire sur laquelle nous nous attarderons se présente comme suit : Est-ce que les présentations (café scientifique) ou performances artistiques (évènements artistiques) ont généré des émotions/sentiments en vous ? Expliquez brièvement. Donnez un exemple.

Café scientifique : Cinq différentes émotions ont été identifiées par neuf participants au café scientifique. Ce sont l’empathie, la frustration, la colère, l’empowerment et la fierté.

Un des membres de l’auditoire montre son empathie à l’égard du panéliste représentant une association de patients. D’ailleurs, la plupart des émotions rapportées l’ont été en regard de la présentation de ce locuteur, ce qui laisse croire que l’information de première main communiquée par l’acteur lui-même est davantage efficace que lorsqu’elle est rapportée par un tiers.

Participer comme sujet de recherche peut être émotionnellement gratifiant comme l’a décrit un individu participant à la recherche sur l’arthrite. Je peux maintenant voir le besoin de quelqu’un de vouloir donner en retour après avoir bénéficié de la science pour le traitement de son arthrite chronique[12]. (traduction) (Homme, grand public, 50-59 ans)

Sans être spécifiquement de l’empathie ou une émotion particulière, un certain nombre de répondants ont mentionné que les présentations avaient une résonance familière.

L’idée d’une relation très profonde, bien que temporaire, entre le professionnel de la recherche et le participant à la recherche a trouvé écho chez moi[13]. (traduction) (Femme, chercheure, professionnelle de la recherche, 30-39 ans)

Pour une autre répondante, les présentations ont ravivé certains souvenirs, émotionnellement chargés, d’une expérience où elle fut elle-même sujet de recherche.

Ça a généré des sentiments de colère de ne pas connaître les résultats d’une étude après avoir été cobaye. Le suivi est important[14]. (traduction) (Femme, grand public, 60-69 ans)

Performances artistiques : Trois fois plus d’émotions, soit 15 différentes, ont été générées par les performances artistiques chez 38 des 41 répondants au questionnaire. L’empathie fut l’émotion la plus souvent ressentie. Ce fut le cas chez plus du tiers des personnes sondées. Cependant, souvent plusieurs émotions sont exprimées à la fois.

J’étais fâchée contre moi-même pour toutes les études que j’ai conduites où je n’ai pas disséminé les résultats aux participants à la recherche et où je ne les ai pas remerciés adéquatement. Je voulais protéger la participante qui a reçu des médicaments et un collecteur d’urine. Je voulais m’exprimer pour elle[15]. (traduction) (Femme, chercheure, professeure, participante à la recherche, 30-39 ans)

On sent bien dans cette dernière citation que les participants étaient plus engagés et que l’intensité des émotions était beaucoup plus palpable dans le cas des performances artistiques que du café scientifique.

Je me suis sentie fâchée, impuissante et frustrée. Lorsqu’un des sujets se demande toutes les questions qu’il a… mais est incapable de les adresser au clinicien. Ça m’a semblé saisir les frustrations propres à la structure « institutionnelle » des essais cliniques[16]. (traduction) (Femme, chercheure, professeure, 30-39 ans)

Les performances artistiques ont eu la propriété, pour plus du tiers des répondants, de les ramener à leurs propres expériences souvent pénibles et empreintes d’émotions.

Comme je suis une participante à la recherche dans des essais cliniques pour un cancer métastatique, les sentiments à l’égard du manque de choix et de l’impuissance ont été très forts pour moi durant la performance. J’ai pris des médicaments qui, possiblement, m’ont fait du tort, mais c’était la meilleure de deux options — l’autre étant la mort. Cela fait en sorte que, comme participante à la recherche, je me sens oppressée et vulnérable. Ce fut très bien transmis par les artistes[17]. (traduction) (Femme, grand public, patiente, participante à la recherche, 30-39 ans)

Questions

Une troisième question à laquelle devaient répondre les répondants au questionnaire était formulée comme suit : Est-ce que les présentations (café scientifique) ou performances artistiques (évènements artistiques) ont suscité des questions qui vous intriguent ou que vous jugez importantes et que vous aimeriez discuter davantage ? Donnez des exemples.

Café scientifique : La plupart des questions soumises par les répondants du café scientifique étaient très générales ou relevaient davantage du commentaire. Un peu moins d’une dizaine de questions très ciblées furent posées. Voici un exemple.

Est-ce que les comités d’éthique de la recherche dans les universités comprennent aussi des professionnels de la recherche, des militants pour la recherche et des participants à la recherche ? Sinon, pourquoi n’est-ce pas une pratique courante[18] ? (traduction) (Femme, chercheure, 30-39 ans)

Certaines questions posées par les répondants dans le questionnaire n’avaient aucun rapport direct avec les présentations des panélistes. Elles avaient trait par exemple aux conflits d’intérêts en recherche, aux priorités de financement de la recherche, au pouvoir des comités d’éthique de la recherche, à la différenciation des divers types de recherche.

Performances artistiques : Les performances artistiques ont suscité cinq fois plus de questions que le café scientifique. Les questions se rapportaient au contenu des pièces artistiques, comme dans le cas suivant où une répondante fait référence à deux poèmes.

Oui, spécialement « Confiance » et « Statistiques vitales ». Sans confiance, le système de recherche en santé ne pourrait exister. C’est difficile pour les patients de comprendre les statistiques utilisées par les médecins. Comment peut-on les rendre compréhensibles aux participants à la recherche[19] ? (traduction) (Femme, professionnelle de la recherche, 30-39 ans)

D’autres répondants s’interrogent aux sujets des médias utilisés :

Qu’est-ce que ça implique d’interpréter une expérience subjective ? Quel est le niveau d’empathie nécessaire pour vraiment comprendre l’expérience de quelqu’un d’autre… quel média est le plus efficace pour exprimer chaque sujet[20] ? (traduction) (Femme, chercheure, 30-39 ans)

D’autres encore se préoccupent des effets qu’aura l’étude dans la communauté médicale et le grand public.

Oui, la question la plus importante est de savoir comment cette étude affectera/changera les attitudes de la profession médicale et touchera possiblement un plus large auditoire de façon à ce que le public et les participants à la recherche se sentent autorisés à poser des questions et capables de le faire[21]. (traduction) (Femme, grand public, 60-69 ans)

Plusieurs ! Comment fait-on pour incorporer l’expérience et les besoins des sujets humains dans notre système ? Comment s’assure-t-on que notre système s’intéresse aux préoccupations réelles de ceux impliqués comme participants à une recherche et y répondent[22] ? (traduction) (Femme, chercheure, 30-39 ans)

Changement

Finalement, une quatrième question à laquelle ont répondu les participants à notre questionnaire concernait les changements provoqués par la dissémination des résultats de recherche. Est-ce que les présentations (café scientifique) ou les performances artistiques (évènements artistiques) et les discussions qui ont suivi entre les panélistes (café scientifique) ou les artistes et chercheurs (évènements artistiques) vous ont amenés à changer d’une quelconque façon votre opinion ou ont modifié votre compréhension initiale de la manière dont les participants à une recherche dans le domaine de la santé vivent leur expérience ? Expliquez brièvement.

Café scientifique : Seulement quelques répondants ont indiqué explicitement que leur perspective sur la participation de sujets humains à la recherche médicale avait changé après avoir assisté au café scientifique.

Oui, j’ai été impressionné par la profondeur du souci que se font les chercheurs médicaux à l’égard des participants à une recherche. Ce n’était pas mon impression avant d’assister aux présentations[23]. (traduction) (Homme, grand public, 40-49 ans)

Quelques autres répondants ont souligné que le café scientifique leur avait donné matière à réfléchir ou une meilleure compréhension de l’expérience des sujets de recherche mais sans aller au point d’affirmer que leur opinion initiale avait changé ou que leur pratique future serait modifiée grâce à l’information fournie durant l’activité de dissémination.

Performances artistiques : Une dizaine de répondants ont rapporté dans le questionnaire que les performances artistiques allaient modifier leur pratique professionnelle.

Toutes les performances artistiques ont généré des sentiments — comme chercheure scientifique, je crois fermement que je serai différente dans mon approche comme professionnelle de la recherche pour obtenir le consentement et expliquer la recherche[24]. (traduction) (Femme, chercheure, membre d’un comité d’éthique de la recherche, 50-59 ans)

Une répondante estime pour sa part que sa perception de l’expérience vécue par ses proches a changé en assistant aux prestations artistiques.

Je me suis rendu compte comment mon expérience du système de la santé s’apparente à celle d’autres. Je peux mieux comprendre ma famille et mes amis qui expriment leur frustration lorsque traités comme des sujets insensibles[25]. (traduction) (Femme, professeure, 30-39 ans)

Discussion

Lavis et ses collègues (2003) ont développé un cadre conceptuel où s’articulent cinq éléments pour planifier ou évaluer une activité de transfert de connaissances (ou de dissémination des résultats de recherche). Ils suggèrent que les intervenants impliqués dans ces activités se posent les questions suivantes : quel est le message à communiquer ? qui est le public ? qui est le messager ? quelle est la méthode ? et quels sont les résultats escomptés ? Nous utiliserons cette approche pour structurer notre discussion.

Message

Pour Marshall McLuhan (1964), le médium est le message. Ainsi, une photographie classée dans un album photos n’aura pas le même effet et ne livrera pas le même message à la personne qui la regarde que la même photo accrochée au mur d’un musée. Les résultats de notre étude semblent aller dans ce sens. La structure des réponses et la terminologie employée pour répondre aux questions du questionnaire furent très différentes dans le cas du café scientifique et des performances artistiques. Pourtant, les thèmes abordés par les deux types de médias étaient les mêmes et les questions du questionnaire étaient identiques.

Le message semble apparemment agir en synergie avec le format choisi pour présenter l’information. Le contenu présenté sous une forme plus analytique (café scientifique) a généré des réponses davantage factuelles et dans un style concis. Le message exprimé artistiquement (performances artistiques) a suscité des réactions écrites plus longues et empreintes de plus d’émotions. Little (2009) expliquerait sans doute ce phénomène par l’étroite relation qui existe entre l’esthétique et l’éthique. Ainsi, le média artistique serait conçu pour provoquer tout à la fois notre jugement esthétique et notre jugement moral. Nous ne devrions donc pas nous étonner de lire des extraits des réponses des répondants à notre questionnaire qui, stimulés émotivement par le média, se sont engagés dans une sorte de réflexion éthique indiquant, par exemple s’ils sont chercheurs, se sentir coupable de ne pas avoir fourni aux participants à leurs recherches les résultats des études qu’ils ont menées, ou de ne pas avoir pris le temps suffisant pour expliquer les protocoles. Certains ont reproché aux chercheurs de traiter les participants comme des objets, de leur manquer de respect, etc. Ces jugements moraux étaient peu présents dans les réponses aux questionnaires remplis lors du café scientifique, ce qui donne foi à l’argument selon lequel le média contribue effectivement au message et à l’effet du message.

Public

Il n’y a aucun consensus dans ces écrits scientifiques à savoir qui constitue le public ou qui devrait constituer le public qui participe à des discussions, consultations ou processus décisionnels dans la sphère publique (Gauvin et al., 2010). Le café scientifique, nous l’avons expliqué au début de cet article, s’adressait au « membres du public » (IRSC, 2007b), une expression pour le moins abstraite qui, de façon générale dans les écrits scientifiques sur la participation publique, exclut les experts, décideurs, administrateurs, groupes d’intérêts ou politiciens (Contandriopoulos, 2004). Après l’expérience que nous avons vécue, nous tendons à remettre en question cette description du public associée au café scientifique. La vaste majorité des participants (31 sur 37 répondants) qui se sont présentés à notre activité étaient des gens que nous qualifions d’« intéressés ». Par intéressés, nous entendons des personnes « concernées » par le sujet discuté : chercheurs, professionnels de la recherche, sujets de recherche, membres de comités d’éthique de la recherche, membres d’organismes de financement, etc. Seulement quelques participants se sont identifiés comme faisant partie uniquement de la catégorie « grand public », sans rôle précis dans le domaine de la recherche.

À la lumière de nos résultats empiriques, il nous apparaît qu’il faudrait ignorer, lorsqu’on parle du café scientifique, la définition de « grand public » au sens utilisé dans les écrits scientifiques sur la participation publique et considérer plus justement le grand public comme « des citoyens individuels parlant seulement en leur nom » (Mitton et al., 2009).

Considérant que presque tous les participants provenaient de la même communauté de pratique, on pouvait s’attendre à ce que le message communiqué satisfasse l’ensemble des membres de l’auditoire. Ce ne fut toutefois pas le cas. Certains répondants auraient aimé davantage de détails et d’explications sur les thèmes couverts. D’autres, au contraire, ont évalué que l’information présentée était trop élémentaire pour leur niveau de connaissances. Il devient donc compliqué dans cette situation de concevoir le contenu d’un café puisque « les publics » sont nombreux. Développer le message en ciblant les besoins du « grand public » n’est pas nécessairement gage de succès, les membres de l’auditoire ayant des niveaux de connaissances, des attentes et des motifs différents pour assister à l’activité.

Dans le cas de notre café scientifique, les motivations déclarées relevaient soit de la vie professionnelle (les thèmes couverts étaient en relation avec le travail ou les études), soit de la vie personnelle (les participants étaient des anciens sujets de recherche, actuellement sujets de recherche ou songeant à le devenir). Certaines personnes sont arrivées au café avec des idées bien précises en tête qu’elles ont tenté de promouvoir durant la période de discussion. D’autres encore étaient visiblement sur place pour faire entendre les préoccupations de leur communauté, par exemple à l’effet que les populations vulnérables ne sont pas comprises et qu’elles ne font pas partie des priorités de financement. Enfin, d’autres étaient présentes pour en apprendre davantage sur une problématique précise (ex. : rémunération des participants à une recherche, les articles à inclure dans un formulaire de consentement).

Lors des deux événements axés sur les arts, personne n’a remis en cause la pertinence des thèmes abordés à l’intérieur des créations artistiques. Par contre, certains répondants ont senti le besoin de « défendre » les professionnels de la santé et les chercheurs, estimant que ces derniers étaient un peu pris à partie dans les créations artistiques. Ces personnes auraient aimé entendre aussi leur son de cloche. Nous retenons donc qu’il est essentiel d’insister deux fois plutôt qu’une sur le contexte des performances artistiques et l’objectif poursuivi. Dans notre cas, le projet visait spéciquement à donner la parole aux sujets de recherche. Quelques membres de l’auditoire ne l’avaient visiblement pas clairement compris. La mise en contexte du contenu est donc très importante.

Toujours sur cette question du public, il nous apparaît important de revenir sur le fait que près du tiers des répondants qui ont rempli le questionnaire après les évènements artistiques étaient également des participants à un atelier international sur l’utilisation des arts comme méthode de recherche dans le domaine de la santé. Le fait que les performances artistiques aient été vues très largement comme des méthodes efficaces de dissémination des résultats de recherche n’est certainement pas étranger à la composition de l’auditoire. Les individus qui ont accepté, sur invitation, de participer à cet atelier avaient indubitablement un intérêt pour le sujet et étaient favorables à ces méthodes innovatrices. Par contre, ces mêmes personnes étaient conscientes que le champ de recherche est nouveau et qu’il nécessite d’être étudié rigoureusement pour être reconnu comme crédible. Les participants devaient donc fournir des réponses honnêtes, et « non partisanes », aux questions posées dans le questionnaire.

Messager

Il fut particulièrement intéressant de constater le niveau de crédibilité accordée au représentant de l’organisation de lutte pour les droits des patients participant au panel du café scientifique. Au-delà de sa personnalité engageante et de ses talents évidents de communicateur, la crédibilité de ce panéliste a semblé être rehaussée du seul fait qu’il pouvait revendiquer une expérience comme participant à des protocoles de recherche. Ce n’est pas que les propos des autres membres du panel aient été contestés ou que leur compétence ait été mise en doute. Aucunement. Toutefois, les réponses au sondage mettaient clairement en avant-scène les interventions du représentant des droits des patients comme si ses remarques avaient eu davantage de poids aux yeux de l’auditoire. Nous retenons donc que la dimension expérientielle dans une présentation capte davantage l’attention que les descriptions plus analytiques. Certains pourraient aussi y voir la trace de l’effritement de la confiance dans les experts et l’autorité (Abma et al., 2010).

La problématique en ce qui concerne le messager se présente tout autrement dans le cas des performances artistiques que dans celui du café scientifique. L’artiste comme messager n’a été remis en question par personne. Toutefois, certains commentaires ont fait état des différentes interprétations qu’on trouve dans l’approche artistique. Ainsi, rappelons que les entrevues avec les participants à la recherche sont codées par les chercheurs. Une fois codées selon des thèmes émergents, des portions anonymisées des entretiens en rapport avec les thèmes sélectionnés sont remises aux artistes. À partir de ce matériel, les artistes créent leurs pièces artistiques. Nous avons donc ici un deuxième niveau d’interprétation. Puis, après les performances, vient un troisième palier d’interprétation alors que les membres de l’auditoire donnent un sens à l’information qu’ils reçoivent.

Compte tenu de ces multiples couches d’interprétation, il n’y aurait qu’un pas à franchir, semble-t-il, pour remettre en cause la validité des données disséminées (Eisner, 1981). C’est d’autant plus plausible qu’un certain nombre de répondants ont soutenu que l’aspect plus négatif des expériences des sujets de recherche a reçu plus d’attention de la part des créateurs que son côté positif. Toutefois, la résonance parmi les membres de l’auditoire des situations présentées par les artistes fut telle qu’elle permit de conclure à la validité des données présentées. Plus du tiers des répondants, sans même avoir été invités à le faire, ont spontanément décrit comment les situations exprimées dans les performances artistiques s’apparentaient à ce qu’ils avaient eux-mêmes vécu, à ce qu’ils vivaient présentement, ou à ce que vivaient leurs proches. Cette constatation est particulièrement significative puisque la pertinence des résultats communiqués, telle que perçue par les membres de l’auditoire, s’avère un facteur déterminant dans l’adoption des nouvelles connaissances et le changement des pratiques (Kontos et Naglie, 2007).

Méthode

Notre but en comparant deux modes de dissémination des résultats de recherche n’était pas d’établir la supériorité d’une approche sur l’autre. Nous sommes tout à fait conscientes que les critères d’efficacité que nous avons retenus à des fins de comparaison provenaient de la littérature sur les arts comme méthodes de recherche. Avoir choisi des critères d’efficacité plus généralement associés aux présentations verbales sous forme de panels, tels que nous les connaissons dans les contextes du café scientifique, des conférences ou des colloques, aurait sans doute mieux fait paraître le café scientifique. À titre d’exemple, ce média est vanté pour sa capacité à démocratiser les débats. Les membres de l’auditoire assistent à ces soirées pour pouvoir parler de ce qui les préoccupe dans les développements scientifiques. Les organisateurs seraient donc mal venus de vouloir trop orienter les discussions puisque ce sont plutôt les participants qui dirigent ou re-dirigent la conversation sur ce qui les intéresse. À cet égard, les performances artistiques sont un peu plus directives car les chercheurs, dans ces projets, souhaitent que les discussions se concentrent sur les thèmes abordés et ne débordent pas trop au-delà de ces sujets. Si la flexibilité quant aux discussions post-présentations/performances avait été identifiée comme l’un des critères d’efficacité, le café scientifique aurait sans doute obtenu un meilleur résultat que les productions artistiques.

Résultats escomptés

Lors du choix de la stratégie de dissémination des résultats de recherche, il faut donc avoir une idée claire des objectifs poursuivis (Gray et al., 2003). Les performances artistiques ne sont certes pas indiquées dans toutes les situations. Il ne faut pas oublier que le développement des pièces artistiques et leur performance devant un auditoire requièrent un nombre important de ressources tant en argent, qu’en temps ou en ressources humaines. Ils nécessitent également une expertise qui ne se retrouve généralement pas chez les chercheurs en sciences sociales. Le sujet couvert doit aussi être considéré. Représenter de façon artistique l’expérience de sujets de recherche se prête particulièrement bien aux médias artistiques. Il serait cependant probablement moins pertinent de communiquer des résultats d’essais cliniques ou d’études très techniques avec cette méthode. Loin de nous donc l’idée de promouvoir une approche unique, pour tout et pour tous.

Notre position est plutôt qu’une approche artistique de la recherche, qui se veut davantage expressive et narrative, représente un complément de choix à une approche dite analytique ou explicative de la recherche (Willis, 2002). À travers l’utilisation de formes artistiques, les chercheurs peuvent rendre compte de la richesse et de l’ampleur du phénomène étudié (Furman et al., 2006). Nous estimons donc que les arts constituent des méthodes de recherche utiles à inclure dans la boîte à outils du chercheur.

Conclusion

Dans cet article, nous avons relevé que les principaux organismes de financement de la recherche au Canada tentent par plusieurs moyens de promouvoir l’utilisation d’un modèle d’application des connaissances afin d’accélérer l’emploi des données de recherche par les milieux pratiques. Nous avons noté que malgré maints efforts, les résultats ne se sont pas avérés très concluants jusqu’à maintenant. Nous avons proposé l’introduction d’approches conceptuelles et méthodologiques interprétatives dans le cycle d’application des connaissances pour en améliorer l’efficacité puis, pour faire suite à cette idée, avons suggéré l’utilisation de méthodes artistiques comme mode de dissémination des résultats de recherche.

Nous avons ensuite comparé deux types différents d’activités de dissémination : un plus traditionnel, le café scientifique, et un plus novateur, les performances artistiques. Pour ce faire, nous avons eu recours à quatre critères d’efficacité pouvant être formulés en quatre questions : est-ce que le média utilisé, café scientifique ou productions artistiques, aide à la compréhension d’une expérience, d’une problématique d’une pratique ? génère des émotions ou des sentiments ? suscite des questions ? favorise le changement dans les opinions, croyances, attitudes, pratiques ?

Nous avons conclu que les méthodes artistiques sont efficaces selon les quatre critères que nous avons employés. Le café scientifique, quant à lui, aide à la compréhension mais son efficacité est moindre pour les trois autres critères.

Dans un dernier temps, nous avons discuté des deux approches, les performances artistiques et le café scientifique, en utilisant comme toile de fond le modèle de transfert des connaissances de Lavis et ses collègues. Nous avons endossé la thèse de McLuhan qui affirmait que le médium est le message. Nous avons remarqué que le message présenté sous forme analytique lors du café scientifique a généré des réponses plus factuelles et plus concises dans le questionnaire rempli par les participants alors que les méthodes artistiques ont produit des réactions plus émotives qui ont été décrites de façon plus élaborée.

Nous avons remis en question le discours qui veut que le café scientifique s’adresse au grand public. La plupart des membres de notre auditoire étaient plutôt des gens intéressés avec des besoins en information différents. Nous avons donc relevé le fait qu’il est difficile d’adapter le contenu du café scientifique à l’auditoire puisqu’il y a, dans les faits, plusieurs publics qui s’y côtoient. Nous avons mentionné que l’assistance préfère l’aspect expérientiel dans une présentation plutôt que des descriptions plus analytiques. Nous avons aussi soulevé le fait que les performances artistiques impliquent plusieurs niveaux d’interprétation, ce qui pourrait, pour certains, remettre en question la validité des résultats. Nous avons fait contrepoids à cet argument en montrant que, dans notre étude, la résonance des expériences des participants à la recherche chez l’auditoire était telle qu’on ne pouvait que considérer vos résultats comme valides.

Finalement, nous avons informé le lectorat que les méthodes artistiques ne pouvaient s’appliquer dans tous les contextes. Le chercheur doit tenir compte de l’objectif poursuivi, du sujet de la recherche, de l’expertise disponible, de ses ressources financières et humaines, ainsi que du temps à sa disposition.

L’approche axée sur les arts pour disséminer des résultats de recherche doit être comprise comme étant une méthode de la boîte à outils du chercheur à être employée seulement si les conditions de l’étude s’y prêtent bien.