PrésentationPour une sociologie de la mode et du vêtementContentFor a Sociology of Fashion and Clothing[Notice]

  • Alain Quemin et
  • Clara Lévy

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  • Alain Quemin
    Institut universitaire de France, Université Paris-Est, Bois de l’Étang, 5, boulevard Descartes, 74458 Marne-la-Vallée Cedex 2, France
    quemin@univ-mlv.fr

  • Clara Lévy
    Département de sociologie Université de Nancy 2, 23, boulevard Albert 1er, BP 3397, 54015 Nancy Cedex, France
    clara.levy@univ-nancy2.fr

La mode constitue un objet tellement paradoxal pour la sociologie qu’il convient de se demander s’il s’agit là d’un objet comme un autre pour cette discipline, quelles spécificités peuvent rendre compte de la situation actuelle, ou encore quelles circonstances historiques peuvent expliquer celle-ci. En effet, alors même que, pratiquement dès les origines de la sociologie, cette discipline a donné lieu à des écrits importants sur la mode, il n’existe nullement, à ce jour, de sociologie de la mode, c’est-à-dire de grand domaine constitué autour de cet objet spécifique, comme il existe, par exemple, une sociologie du travail, du droit, de la famille, de l’éducation ou de l’art, parmi de nombreux autres domaines clairement identifiés comme champs d’investigation privilégiés par l’approche sociologique dans ce qu’elle a de plus classique. Dès la toute fin du xixe siècle, la sociologie s’est penchée sur l’objet que constitue la mode. Il est, en effet, possible de faire remonter la première contribution significative — et magistrale — sur la mode à la célèbre Théorie de la classe de loisirs de Thorstein Veblen (1970), qui, dans son édition originale et sous le titre TheTheory of the Leisure Class (Veblen, 1899) est parue aux États-Unis en 1899. Sans être centrale dans l’ouvrage de Veblen, qui traite beaucoup plus des aspects ostentatoires de la consommation et qui rend bien davantage compte du vêtement de luxe (Quemin, 2005) que du vêtement ordinaire, la théorie de la mode proposée par cet auteur est néanmoins tellement aboutie, qu’un demi-siècle plus tard, en 1947, Quentin Bell, dans son ouvrage On Human Finery (Bell, 1947), traduit en 1992 en français sous le titre Mode et société. Essai sur la sociologie du vêtement (Bell, 1992), développait sa propre approche en soulignant qu’elle ne faisait en réalité que reprendre les grandes lignes de l’analyse véblénienne en la complétant à la marge. Actualisant son ouvrage sur la mode un quart de siècle plus tard, en 1976, Quentin Bell ne pensait pas nécessaire de modifier son analyse du phénomène et renouvelait toute sa confiance aux travaux précurseurs et fondamentaux de Veblen. Outre l’héritage véblénien, la seconde grande influence classique sur la sociologie de la mode, qui remonte à la fin du xixe et au début du xxe siècle, est due à Georg Simmel et à son texte — tout aussi fondamental que celui de Veblen — intitulé « La mode » paru en 1904. Malgré le titre du recueil de textes en français, Philosophie de la modernité, le texte consacré par Simmel à la mode relève incontestablement de la sociologie. Sans doute s’agit-il là d’un des écrits les plus importants et les plus fameux de Simmel, d’une intelligence pénétrante qui, déjà, plaçait au centre de l’analyse la tension entre imitation et distinction. Au vu de la qualité des analyses proposées tant par Simmel que par Veblen, on aurait pu s’attendre à ce qu’émerge, à leur suite, un domaine d’études spécifique en sociologie consacré à la mode. Pourtant, il existe clairement un décalage frappant entre la qualité sociologique des deux écrits fondamentaux en sociologie de la mode, dus à Veblen d’une part et à Simmel d’autre part, et le développement aussi embryonnaire que chaotique qu’a longtemps connu le domaine en sociologie. Comment expliquer cela ? Plutôt que des raisons spécifiques à l’objet, il nous semble plus justifié d’invoquer des motifs liés au contexte d’institutionnalisation de la sociologie. À la différence des grands pères fondateurs de la sociologie que sont Karl Marx, Émile Durkheim et Max Weber, Thorstein Veblen et Georg Simmel n’ont pas animé d’écoles de pensée, ni créé de traditions qui auraient …

Parties annexes