IV. Dossier spécial : les actualités de SimmelComptes rendusIV. Special Report: Simmel' News

Marian Mičko : Walter Benjamin, lecteur de Georg SimmelMarian Mičko: Walter Benjamin, G. Simmel's ReaderRevue critique de Marian Mičko, Walter Benjamin und Georg Simmel, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2010, 409 p.[Notice]

  • Léa Barbisan

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  • Léa Barbisan
    Université Paris-Sorbonne et Centre Marc Bloch Berlin, Friedrichstrasse 191, 10117 Berlin, Deutschland
    lea.barbisan@cmb.hu-berlin.de

Tout lecteur de Walter Benjamin connaît l’influence qu’exercèrent sur lui les écrits de Georg Simmel. D’Origine du drame baroque allemand (1985 [1928]), où Benjamin reprend le concept goethéen de phénomène originaire tel que Simmel l’explique dans son Goethe (2003 [1913]), à « Sur quelques thèmes baudelairiens » (2000b [1939]), où ce sont les analyses de Simmel sur l’expérience de la foule qui retiennent l’attention de Benjamin, en passant par le chapitre sur la « Mode » de Paris, Capitale du xixe siècle (2006 [1982]), dans lequel les citations de l’essai de Simmel abondent : la référence à Simmel parcourt l’oeuvre de Benjamin. Pourtant, les ouvrages universitaires sur cette filiation intellectuelle sont peu nombreux. Le livre de Marian Mičko, Walter Benjamin und Georg Simmel, cherche à combler ce manque, en commençant par l’expliquer. Si la parenté entre les analyses de Simmel et de Benjamin a peu été mise en lumière, c’est que Simmel a fait figure de « souffre-douleur » de nombreux penseurs du xxe siècle — et pas seulement des universitaires antisémites qui freinèrent sa carrière académique. Dans le cercle auquel appartenait Benjamin, celui des philosophes marxistes rattachés à ce qui allait devenir l’École de Francfort, Simmel était certes beaucoup lu, mais il ne pouvait être question de faire du « philosophe bourgeois » une référence officielle. Les critiques les plus virulentes que Benjamin eut à entendre sur Simmel vinrent d’Adorno, dans le cadre d’un débat épistolaire autour de l’essai de Benjamin « Sur quelques thèmes baudelairiens », qui devait être publié dans le journal de l’Institut für Sozialforschung. Dans son essai, Benjamin citait Simmel, au grand déplaisir d’Adorno, qui lui demanda de supprimer la citation. Benjamin insista pour la conserver, malgré les reproches d’Adorno. Cette anecdote témoigne de la place à part qu’occupe Benjamin parmi ceux qui puisèrent dans les écrits de Simmel : il est l’un des rares penseurs de sa génération à avoir cité ses sources — à ne pas avoir cherché à masquer l’importance de cette référence dans le développement de ses propres analyses. Et en effet, les textes de Simmel accompagnent l’itinéraire intellectuel de Benjamin depuis le début — il suivit même un séminaire de Simmel au cours de ses études à Berlin. Si Benjamin porte un regard très critique sur Le problème du temps historique (2003 [1916]), il exprime clairement son admiration pour La Philosophie de l’argent (1987 [1900]) et pour Goethe (2003 [1913]). En s’appuyant sur ces témoignages de l’intérêt de Benjamin pour Simmel, Marian Mičko met au jour la parenté de leurs réflexions — parenté que l’on retrouve à la fois dans leur méthode, dans leurs objets d’études et dans leurs constats. De cet ouvrage foisonnant, il faudra retenir surtout les deux chapitres centraux intitulés « Le concept phénoménologique de culture dans les écrits plus tardifs de Benjamin » (III) et « La phénoménologie de la modernité » (IV). J’en propose ici une synthèse, tout en en modifiant sensiblement la structure pour plus de lisibilité. Dans une lettre adressée à Benjamin le 10 novembre 1938, Adorno commente l’essai que Benjamin lui a envoyé environ un mois plus tôt, « Sur quelques thèmes baudelairiens » : le philosophe émigré aux États-Unis reproche à son ami de tendre à faire une « exposition étonnée de la pure facticité » (Adorno et Benjamin, 2006 : 324). Il écrit : « Très liée à de telles diversions matérialistes, […] il y a la référence aux modes concrets de comportement, ici celui du flâneur ou, plus loin, le passage sur le rapport dans la ville, entre voir et entendre, qui appelle, …

Parties annexes