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« Je n’aurais pas dû avoir d’enfants… » : une analyse sociopolitique du regret maternel[Notice]

  • Camille Froidevaux-Metterie

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À mesure que les normes en matière de procréation évoluent, nous voyons apparaître de nouveaux questionnements sociologiques révélant la profondeur des transformations à l’oeuvre dans nos sociétés occidentales. Ce n’est que depuis peu, par exemple, que le non-désir d’enfant est appréhendé comme un objet d’étude à part entière, donnant lieu à des enquêtes et à des publications (Debest, 2014 ; Gotman, 2017 ; Travail, genre et sociétés, 2017). Au-delà du poids statistique du phénomène, très faible, ce qui motive ces approches, c’est une visée heuristique de compréhension des mutations qui affectent l’engendrement. Aujourd’hui, les enfants ne naissent plus de leur mère mais du désir de leurs futurs parents, lesquels peuvent être des hommes et/ou des femmes, célibataires ou en couple, hétérosexuels ou homosexuels. L’advenue de cette conception inédite placée sous le signe de la parentalité vient mettre un terme à des millénaires d’exclusive féminine : désormais, les femmes ne supportent plus seules le poids du renouvellement des générations. Cela dit, et de manière paradoxale, alors même qu’elles disposent du pouvoir de décider de leur devenir procréateur et qu’elles peuvent même refuser d’engendrer, elles doivent faire face à une idéalisation sociale de la maternité sans précédent. Dans ce contexte, ne pas souhaiter d’enfant ou regretter d’en avoir eu, c’est adopter une position intenable, presque impensable. L’exploration par Orna Donath de ce qu’elle appelle le « regret maternel » se présente ainsi comme une tentative inédite pour penser l’expérience de la maternité jusque dans ses dimensions négatives, mettant au jour l’une des grandes nouveautés du moment où nous sommes : la pluralité des options procréatives. La conquête des droits à la contraception et à l’avortement a inauguré une ère anthropologique nouvelle où les femmes, après avoir été définies pendant des siècles au regard de leur capacité gestative, ont accédé à une condition qui fait d’elles des êtres potentiellement et non plus irréductiblement maternels. Libérées du joug de la nature et autorisées à investir la sphère sociale, elles ont pu enfin prétendre à devenir des hommes comme les autres. Au tournant des années 2000, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la révolution de l’engendrement, celle qui offre aux individus des deux sexes la possibilité d’avoir un enfant, quels que soient leur mode de conjugalité, leur sexualité et, de plus en plus, leur âge. Les avancées phénoménales de l’aide médicale à la procréation et les évolutions juridiques qui les accompagnent ont fait advenir les enfants du désir en transformant le devenir-parent en un choix individuel que rien ne doit pouvoir empêcher. Cette évolution a porté des revendications nouvelles en matière de parentalité, du côté des couples homosexuels, mais pas seulement. Les femmes aspirent désormais à une maternité choisie de part en part : elles veulent pouvoir programmer l’arrivée d’un bébé indépendamment de leur statut conjugal, fixer l’intervalle de temps entre deux naissances et même, pour certaines privilégiées, choisir le sexe de leur progéniture. Les progrès de la science renforcent ainsi l’idée que la maîtrise de la capacité d’engendrement ne rencontre quasiment plus aucune limite et nourrissent l’illusion d’une toute-puissance procréatrice qui fait de la difficulté à engendrer un échec à la fois social et personnel. Sur l’autre versant, et ce n’est un paradoxe qu’en apparence, les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant se trouvent d’emblée confrontées à l’opprobre social. Elles sont pourtant tout autant que les autres héritières de la révolution féministe qui leur a donné la possibilité de faire ce choix inouï, celui de ne pas avoir d’enfant du tout. Or, et nous commençons à en prendre la mesure sociologique, le refus de maternité n’est pas encore considéré …

Parties annexes