Feuilleton

La presse et l’opinion publiquePresse und öffentliche Meinung[Notice]

  • Siegfried Kracauer

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  • Siegfried Kracauer

  • Traduction de l’allemand au français
    Jean Quétier

  • avec la collaboration de
    Katrin Heydenreich

Lors de l’allocution qu’il prononça, ces jours-ci, à l’occasion de l’ouverture du septième congrès de la sociologie allemande, le ministre de l’Éducation de l’État libre de Prusse, monsieur Grimme, fit cette remarque amusante : puisqu’ils se réunissaient, les sociologues avaient l’occasion de traiter leur propre congrès comme un objet sociologique. Une suggestion dite sur le ton de la plaisanterie, mais qu’il faut concrétiser tout à fait sérieusement. En effet, il est nécessaire d’examiner d’un point de vue sociologique, sinon l’intégralité des assises, du moins le déroulement de la séance plénière ouverte au public. Le thème était « La presse et l’opinion publique ». Je vais anticiper sur le tableau général en citant le jugement de l’un des deux principaux conférenciers, lequel a déclaré en conclusion que les discussions avaient révélé un incroyable manque de familiarité avec les problèmes traités. (Il existe pourtant suffisamment de sources auxquelles il est possible de puiser ; on rappellera surtout l’ouvrage de référence d’Otto Groth, Le Journal.) Au premier abord, déjà, on pouvait remarquer un certain manque d’intérêt. Il n’y avait pas beaucoup de monde à la séance, surtout lors de la discussion de l’après-midi. Certains spécialistes dont on attendait qu’ils prennent la parole ne sont pas venus, l’atmosphère stimulante qui accompagne d’ordinaire les discussions importantes n’était pas au rendez-vous. La platitude des informations répondait à la tiédeur de l’ambiance. On a avancé des opinions, qui n’étaient rien d’autre que des opinions comme en a n’importe quel profane un peu cultivé, et l’on s’est contenté d’effleurer les questions complexes et importantes sans aller au fond. Presque aucun des orateurs ne s’est aventuré jusqu’au coeur du problème. D’où provenait cette indigence ? Elle peut avoir un fondement méthodologique et un fondement… sociologique. Le premier consiste en ceci que nombre de sociologues idolâtrent toujours, semble-t-il, un idéal scientifique idéaliste qu’il est impossible de réaliser dans certaines strates du monde matériel, précisément là où le discours concret est, de fait, à sa place. Un problème comme celui de la presse et de l’opinion publique ne peut être construit que dans le matériau lui-même. C’est-à-dire que pour obtenir des résultats tangibles concernant la fonction de la presse, concernant son intrication avec l’économie et la politique, etc., il faut découvrir ces connaissances par l’analyse de faits exemplaires et de cas particuliers. Plus d’une fois, c’est le contraire que l’on a fait. Au lieu de se faire une idée de la structure du matériau en se confrontant étroitement à lui, on l’a fréquemment subordonné en bloc à telle ou telle formulation générale. Mais les faits empiriques demandent à être révélés de l’intérieur et non à être déduits d’en haut, ils ne donnent de réponse qu’à celui qui s’est vraiment frotté à eux. Comme cela n’est arrivé que trop rarement, comme, dans l’ensemble, on les a traités avec dédain, eux aussi sont restés distants, telles des personnes mal aimées. Et, si de nombreuses connaissances ont certes atteint un haut niveau de généralité, elles n’en sont pas moins restées vagues et vides. Le désintérêt dont a témoigné cette séance est manifestement en lien avec l’état de notre société. Prendre à coeur le problème de la presse, ce qui devrait être la condition fondamentale d’une élucidation sociologique fructueuse, présuppose une attitude bien déterminée. Tout comme il est certain que la presse constitue un facteur de pouvoir politique et économique, il est également certain que la recherche portant sur les caractéristiques inhérentes à la presse est liée à une position façonnée par la politique et par l’économie. Plus la matière est concrète, moins elle se livre à un observateur qui renie ce caractère …

Parties annexes