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Hacking et politique : extension du domaine de la lutte ou tension structurelle ?[Notice]

  • Michel Lallement

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Le 19 janvier 2012, la police fédérale américaine met fin à l’aventure Megaupload, plateforme de téléchargement dont les responsables sont accusés de racket, d’infraction aux droits d’auteurs et de blanchiment d’argent. L’instigateur principal, Kim Schmitz, est arrêté chez lui et sera jugé quatre ans plus tard. L’homme est un hacker à la réputation sulfureuse. Il a fréquenté puis a été exclu du Chaos Computer Club, le célèbre hackerspace de Berlin. Habitué aux frasques de toutes natures, il a fait fortune grâce à ses activités sur Internet. En 2014, il fondera l’Internet Party avec pour ambition la défense des libertés numériques. En Nouvelle-Zélande, où le hacker est établi, la nouvelle formation politique n’obtiendra qu’un score marginal aux élections parlementaires. En dépit du caractère singulier et controversé du personnage, en 2012, la fermeture de Megaupload suscite la réaction. Anonymous lance une attaque par déni de service afin de paralyser les sites du ministère de la Justice américaine, du FBI, de la Recording Industry Association of America, d’Universal Music… Le mouvement n’est pas restreint à l’Amérique du Nord. En France, pour marquer leur désaccord et protester plus généralement contre toutes les lois qu’ils jugent liberticides, les hacktivistes d’Anonymous invitent le plus grand nombre à descendre dans la rue. « Nous appelons toutes les personnes qui souhaitent défendre Internet en tant que zone libre et indépendante, préserver l’anonymat, protéger la liberté de s’exprimer, de partager et de publier, à répondre à notre invitation. Rappelons aux pouvoirs qui croient nous représenter ou décider à notre place que nous, le peuple, sommes souverains, libres et responsables. » Comme Gabriela Coleman l’observe dans « From Internet Farming to Weapons of the Geek » (2017), le début des années 2010 signe un tournant dans l’histoire des hackers. L’affaire Megaupload n’est qu’une manifestation parmi d’autres du nouvel épisode qui continue, aujourd’hui encore, à s’écrire sous nos yeux. Qu’elles soient collectives ou assimilées à des coups d’éclat personnels, les opérations qui intéressent G. Coleman ont pour point commun d’interférer avec le monde politique institué. À lui seul, ce constat justifie bien un minimum d’attention. Les enjeux des actions sont non seulement multiples mais surtout, comme le laisse encore entendre G. Coleman, les options des hackers mobilisés sont variées, qui vont de l’engagement libertarien à la revendication anarcho-libertaire, en passant par l’identification au mouvement socialiste. La thèse d’ensemble me paraît juste. Afin de prendre l’exacte mesure des relations entre hacking et politique, il me semble cependant nécessaire d’aller au-delà encore du constat de la diversité des orientations partisanes et de prêter une plus ample attention que ne le fait G. Coleman à la pluralité des profils et des pratiques hackers. L’opposition idéaltypique entre les spécialistes du soft et du hard hacking est à ce sujet particulièrement signifiante (Lallement, 2015). G. Coleman donne la préférence aux premiers d’entre eux, les informaticiens, les codeurs, les virtuoses du clavier… Or, dans les hackerspaces où ils travaillent les matériaux les plus divers (l’électronique, le végétal, le bois, le textile…), nombreux sont ceux qui, de chaque côté de l’Atlantique, revendiquent une activité et une identité hacker/maker (Berrebi-Hoffmann, Bureau et Lallement, 2018). Dans ces lieux, même si elle est moins spectaculaire que celle des étoiles du hack comme Julian Assange, Chelsea Manning ou encore Edward Snowden, l’implication politique n’en est pas moins réelle. Cet argument n’a de sens en réalité qu’à la condition de se défaire d’une vision du politique restreinte à des jeux de pouvoir institutionnel et à des processus de désignation des dirigeants. Lorsque, dans une tradition libertaire qui s’harmonise assez bien avec les principes fondateurs de l’éthique hacker (Lévy, 1984), on associe …

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