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Traduction : David Ouellette

Dans son livre « A Far Glory[1] » le célèbre sociologue des religions et penseur religieux protestant Peter Berger raconte une vieille blague américaine.

Deux amis se rencontrent dans la rue quelque part dans le sud de la Californie. L’un des deux a l’air très malheureux et l’autre lui demande pourquoi il a l’air si triste. « J’ai trouvé un boulot. Un boulot horrible ». « Qu’a-t-il donc de si horrible ? » « Écoute bien ce que j’ai à faire. Je travaille dans une orangeraie. J’y passe toute la journée assis au pied d’un arbre et les autres gars m’apportent des oranges. Je trie les grandes dans un premier panier, les petites dans un second et les moyennes dans un troisième panier. Et je fais ça toute la journée. » Son ami dit : « Je ne comprends pas. Ça sonne pourtant bien. En quoi te dérange donc cette activité plaisante ? » « Les nombreuses décisions que j’ai à prendre ! » lui répond-il.

Berger, p. 175f, traduction

Avec cette blague, nous sommes au coeur de la thématique de la religion, de la contingence et du pluralisme. Personne ne conteste que l’augmentation des possibilités d’action, telle qu’elle se produit dans le cadre des processus de modernisation, entraîne une croissance du nombre de décisions à prendre et que cette croissance puisse être vécue par beaucoup de gens non seulement comme la réalisation de leur liberté, mais aussi comme une contrainte à la liberté. La notion de contingence est passée dans l’usage pour décrire ces rapports. Personne ne conteste non plus que la possibilité de décider — lorsqu’elle renvoie à l’homme lui-même, c’est-à-dire lorsqu’une marge de manoeuvre, dans certaines limites du moins, se présente à l’autodétermination — entraîne un pluralisme des cultures, des sous-cultures et des individus, ou fortifie un pluralisme déjà existant. Cependant, les opinions divergent largement sur la manière dont sont précisément liés entre eux la contingence et le pluralisme et comment, en particulier dans le champ de la religion, ils se comportent l’un envers l’autre et quelles conséquences ils ont sur l’attachement aux valeurs, sur la foi, et sur la vitalité et la transmission de cette dernière.

Parce que les interprétations de Peter Berger, auquel je dois la blague citée en introduction, sont particulièrement influentes dans les cercles universitaires, mais aussi ecclésiastiques, et qu’en même temps, de nombreux résultats empiriques importants ne les confirment pas et que leurs hypothèses philosophiques d’arrière-plan sont très profondément problématiques, je voudrais les utiliser dans ce qui suit comme toile de fond, de manière à mieux contraster mes propres pistes d’interprétation.

Peter Berger ne met pas vraiment l’accent sur la contingence, mais plutôt sur le pluralisme en tant que tel. Sa définition du pluralisme, proche de l’usage quotidien du mot, est « la coexistence, le côtoiement largement paisible de divers groupes dans une et même société » (Berger, p. 37, traduction). Ainsi, le pluralisme religieux n’est « rien d’autre qu’une des nombreuses variantes de ce phénomène » ; la « coexistence » est déterminée encore plus précisément, en disant qu’elle implique « aujourd’hui non seulement l’absence de tuerie mutuelle », mais encore qu’elle se caractérise par « un certain degré d’interaction sociale ». C’est justement sur cette caractéristique que Berger insiste particulièrement, car pour lui, une coexistence sans interaction, vivre côte à côte en présence de barrières sociales insurmontables, ne correspond évidemment pas entièrement au concept du pluralisme.

Berger est cependant nettement conscient que le pluralisme moderne ne représente pas une véritable nouveauté dans l’histoire du monde, bien qu’il tende à le considérer comme l’exception plutôt que la règle. Le pluralisme d’aujourd’hui est, selon lui, assurément apparenté à celui de l’Antiquité (Berger, p. 127), et en particulier aux conditions de vie dans les grandes « cités-États de l’époque hellénistique et romaine tardive ». Il ne voit de spécificité propre au pluralisme moderne que dans son ampleur : les villes toujours plus grandes et plus hétérogènes de notre époque, dans lesquelles des gens de toutes les cultures du monde vivent ensemble dans un espace des plus restreints et se rencontrent fréquemment. La culture de ces villes et le pluralisme en général affectent de plus en plus aussi les espaces ruraux, pour autant que ceux-ci ne soient pas déjà en fait urbanisés.

Pour Berger, suivre à la trace la dynamique sociopsychologique du pluralisme est beaucoup plus important que déterminer précisément et même quantitativement dans quelle mesure cette hypothèse s’applique à des villes et à des régions concrètes. Il formule ici des hypothèses psychologiques très fortes. De la coexistence paisible des cultures et des religions sans barrières résulte, pour Berger, ce qu’il appelle la « contamination cognitive », un mélange de « styles de vie, de valeurs et de croyances religieuses différents ». Ainsi, son hypothèse psychologique d’arrière-plan veut que les hommes, dans leur rencontre avec d’autres valeurs et représentations du monde, concluent inévitablement que tout n’est peut-être pas aussi évident qu’ils ne le supposaient auparavant, que les autres ont « possiblement aussi telle ou telle autre bonne idée ».

La fissure dans notre vision du monde peut être minuscule au départ, mais elle tend à grossir et à se transformer en véritable brèche. Au terme de ce développement apparaît le relativisme à l’état pur, pour lequel toutes les convictions et les valeurs sont également bonnes, ou, du moins, toutes également sans fondement. Berger voit un symptôme de ce relativisme rampant dans l’application du concept économique de la « préférence » à la religion, laquelle est courante dans une partie de la sociologie des religions et, du moins aussi, dans le quotidien américain. L’origine linguistique de cette formule, estime Berger à juste titre, réside dans « la sphère du comportement de consommation et non pas dans celle du martyre » (Berger, p. 83, traduction). La foi comme telle et toute foi en particulier prennent dès lors l’allure d’une simple option, changeante et purement subjective. Cependant, Berger ne rejette pas cette formule, car elle lui paraît frapper « dans le mil » (Berger, p. 67f, traduction) l’état de fait :

L’appartenance religieuse de l’individu, aujourd’hui, n’est [plus] une réalité irrévocable et fixe, réalité qu’il ne peut pas plus changer que son héritage génétique ; elle devient plutôt l’objet de son choix, un produit de ce processus par lequel il construit et constitue son monde et non soi (traduction).

Véhiculé par de tels mécanismes psychologiques, le pluralisme contribuerait à la sécularisation. Peter Berger ne considère pas le pluralisme comme l’unique cause, mais plutôt comme un important facteur contribuant au déclenchement de la sécularisation. Le pluralisme renforcerait les autres facteurs (comme la technologie et la science, lesquelles, croit également Berger, ont un effet sécularisateur) avec pour résultat la mise en oeuvre d’une évolution en quelque sorte hélicoïdale : « C’est-à-dire, on peut avancer que la modernité provoque une fertilisation réciproque entre pluralisme et sécularité » (Berger, p. 40, traduction).

Il manque encore un élément à cette reconstruction du noyau du diagnostic de la religion de Berger qui servira de toile de fond à mes propres interprétations ultérieures. Le relativisme subjectif n’est notamment pas pour lui l’unique résultat possible de la « contamination cognitive » dont il parle. Il différencie, du moins en vue des communautés chrétiennes, quatre formes de réactions possibles : négociation, capitulation, « retranchement » défensif ou offensif. Dans le premier cas, des concessions cognitives sont faites selon le mode de la théologie libérale afin de sauver le noyau de la foi ; dans le deuxième, on ne voit plus rien de ce noyau ; le troisième consiste dans le repli à l’intérieur du ghetto des fidèles ; et le quatrième dans une croisade pour les représentations, les normes et les valeurs d’une tradition religieuse dans le but de reconquérir la société. Ce sont justement ces deux dernières formes qui importent à Berger, car il considère le relativisme, en fin de compte, comme étant psychologiquement insupportable et, par conséquent, il craint en permanence qu’il ne se transforme en une sorte de fondamentalisme, tant chez les individus qu’au sein des communautés. Fréquemment, le public perçoit justement cette idée-là de Berger comme étant très plausible. Sa propre voie, en dépit de son conservatisme politique, est d’un point de vue théologique plutôt libérale, il dit souvent qu’une voie du milieu entre les extrêmes est celle qui lui est naturelle.

Il y a d’autres éléments dans les analyses de la religion de Berger que je n’ai pas soulevés ; en particulier, la thèse de la privatisation progressive de la religion. La raison est simple. Cette thèse est désormais considérée comme étant réfutée, surtout par les travaux de José Casanova dans les Public Religions in the Modern World[2], et Berger lui-même l’a rétractée (partiellement : Berger, p. 179 ff), dans la mesure où la privatisation entraînerait aussi le déclin de la religion. Je rappellerais cependant en quels termes se traduisait le pronostic sur le religieux de Berger en 1968 (dans le New York Times du 25 février de la même année) : « Au vingt-et-unième siècle, on ne retrouvera vraisemblablement de fidèles que dans de petites sectes, blotties les unes contre les autres, pour résister à une culture séculière mondiale ». Berger lui-même qualifie aujourd’hui[3] ce pronostic de plus grande erreur (big mistake[4]) de sa carrière, laquelle, cependant, serait compensée par une idée centrale, à savoir la thèse décrite plus haut que le pluralisme minerait l’évidence des contenus et des valeurs de la foi et qu’il nous incomberait d’analyser la situation de la foi à cette lumière.

Je considère également cette grande idée comme étant une big mistake. À mon avis, Berger n’a pas reconnu le lien entre la thèse qu’il a abandonnée et celle à laquelle il tient encore, voire qu’il a même renforcée. Alors que le champion des pronostics grossiers sur la sécularisation qu’il fut pendant des décennies s’est transformé en avocat d’une « théorie de la désécularisation[5] », il ne voit toujours pas combien sa théorie de la dynamique du pluralisme est peu soutenable.

Je vais à présent en énoncer les raisons. Je vois des objections historiques, sociologiques et philosophiques à la construction effectuée par Berger.

1. Commençons d’abord par les objections historiques. Contrairement à Berger, je suis d’avis que le pluralisme religieux a toujours été inhérent à l’histoire européenne des religions. L’Europe n’a jamais été seulement chrétienne ; le judaïsme et l’islam sont également enracinés en Europe, les religions prémonothéistes n’ont jamais complètement disparu et ont contribué à imprégner les religions subséquentes. Et même les religions antiques ont continué d’exercer une influence postérieure et subreptice. « L’existence d’un grand nombre de communautés religieuses dans le même temps et le même espace a été la norme dans l’histoire européenne[6] ». En somme, l’image du pluralisme moderne de Berger est déterminée par un contraste historique excessivement prononcé, comme s’il eût été commun jusqu’au seuil du temps présent de n’être entouré que de personnes de même foi et d’ignorer le doute religieux. Ceci constitue, cependant, une distorsion complète de l’histoire et ressemble plutôt à une mise en contraste dichotomique entre « homme primitif et culture tardive » à la Arnold Gehlen[7], laquelle, en effet, a aussi beaucoup influencé la pensée de Berger. On trouve, à la racine de cette dichotomie, la présupposition selon laquelle plus les institutions se passeraient de réflexion, plus elles seraient fortes. Si, par contre, elles font siennes une marge de manoeuvre propice à la réflexion et à leur propre remise en question, elles perdraient en puissance. L’intériorisation de normes et de valeurs serait plus superficielle et moins stable au sein de ces institutions.

Ce sont là, toutefois, les vieilles hypothèses d’une théorie ultraconservatrice des institutions qui ne sont guère plus défendues depuis des décennies. Helmut Schelsky, l’alter ego intellectuel de Gehlen, avait déjà compris, comme le sait sûrement Berger (ironiquement dans le contexte d’une analyse sociologique du nouveau type institutionnel de l’Académie protestante), que les marges de manoeuvre de la réflexion elles-mêmes peuvent avoir un effet de stabilisation et que la réflexion permanente peut être institutionnalisée[8]. Mais Berger, comme autrefois Schelsky, demeure en fin de compte sceptique et ne voit ni l’énorme potentiel de stabilisation qui réside justement dans l’ouverture contrôlée d’une institution à la réflexion et à l’apprentissage, ni comment de cette manière le passage périodique de l’ultrastabilité à l’effondrement de régime peut justement être évité. Il ne voit pas davantage qu’une intériorisation flexible de normes et de valeurs ne constitue pas une intériorisation superficielle, mais qu’elle peut, plutôt, sur le plan personnel, en tant qu’attention accrue envers l’autre en soi et à l’extérieur de soi et comme dépassement de la compulsivité, conduire à une stabilité dynamique plutôt que statique, comme l’effectue le discours sur le plan institutionnel.

Les idées de Berger sur les effets corruptifs du pluralisme sont donc influencées par cette théorie des institutions. L’autre grande faiblesse de son concept du pluralisme est que celui-ci n’est compris qu’en tant que fait empirique et pas du tout en tant que valeur ! Or, lorsque le pluralisme n’est pas compris principalement comme une menace pour la stabilité institutionnelle et personnelle, il peut être saisi comme une chance. Cependant, s’il y a des chances liées au pluralisme, alors ce dernier peut lui-même devenir une valeur et dès lors un dépassement du pluralisme ou un retour à un état qui le précède ne paraît aucunement souhaitable. Considérez une valeur comme la tolérance ou la liberté de culte comme la liberté non seulement pour ma confession, mais aussi pour les confessions des autres, car je veux que leur foi soit authentique et sans contraintes. Une telle valeur ne représente pas une conviction plus faible que les orientations religieuses intolérantes, comme si la tolérance n’était que l’acceptation des autres, faute de meilleures alternatives réalisables, telles que la conversion forcée, l’élimination et l’expulsion. Il peut donc s’agir d’un ethos défendu avec ardeur, ce qui s’exprimera aussi dans l’intolérance envers les ennemis de la tolérance. La philosophie du pluralisme des valeurs, comme l’a surtout développée la pensée d’Isaiah Berlin[9], va encore plus loin qu’une telle estime de pluralisme. Celle-ci juge non seulement que la coexistence de systèmes de valeurs rivaux peut être positive et que, dans l’intérêt de notre liberté de croire, nous devons souhaiter la même liberté pour tous, mais, qu’en outre, les valeurs humaines, même à l’intérieur d’un système de valeurs, sont irréductiblement différentes et que par conséquent, elles entrent inévitablement en conflit les unes avec les autres et sont souvent incompatibles. Selon ce point de vue, chaque rêve d’un seul et unique système de valeurs sans contradictions et de sa réalisation comprend le danger de dégénérer en projet totalitaire. Aussi ne peut-on pas s’imaginer un progrès qui n’entraînerait pas la perte d’éléments méritant d’être conservés. C’est pourquoi que l’on dit qu’un pluralisme des valeurs, en ce sens, conduit à une conception tragique de l’histoire, et cela est sans doute exact, dans la mesure où aucune pensée progressive linéaire n’est compatible avec ce pluralisme. Lorsque des systèmes de valeurs sont, ou peuvent en ce sens être, pluralistes en soi, nos idées sur le rapport qu’entretiennent entre eux des systèmes de valeurs rivaux s’en trouvent sérieusement modifiées. Alors nous ne faisons pas face à des choix hermétiquement et réciproquement scellées, entre lesquelles seule une décision insondable est possible, et nous pouvons plutôt commencer à renvoyer d’autres systèmes de valeurs à des expériences dont ils sont issus et auxquelles ils continuent de donner un sens. Ces expériences ne nous sont pas nécessairement étrangères ou leur traduction dans notre propre « langue » est alors, certes au prix d’efforts, en principe possible. L’orientation de Berger vers un type prétendument prémoderne et répandu d’institutions et de systèmes de valeurs hermétiques et dont la validité est indubitable s’avère donc inadéquate pour définir historiquement la spécificité du présent.

2. C’est justement dans le débat américain que l’on a fait remarquer que Berger fonde ses jugements historiques sur une situation de monopole territorial religieux, qui, aux États-Unis, du moins, n’a jamais existé et, comme nous l’avons vu, est exagérée dans le cas de l’Europe aussi. Tant et si bien que le choc d’adaptation supposément vécu par les communautés religieuses eu égard au pluralisme est, lui aussi, exagéré. Stephen Warner écrit : « Parmi les centaines d’organisations religieuses qui prospèrent aux États-Unis très peu d’entre elles — on pourrait dire seule l’Église épiscopale — ont eu à s’ajuster à une situation pluraliste. La plupart d’entre elles y sont nées[10] » (traduction). Du fait de la longue tradition du pluralisme religieux aux États-Unis, une école de pensée entière, « un nouveau paradigme pour l’étude sociologique de la religion », s’est désormais développée et renverse carrément l’hypothèse de Berger. Le pluralisme religieux, selon cette thèse, non seulement ne serait pas une cause de l’affaiblissement des convictions religieuses, mais expliquerait carrément la vitalité religieuse continue des États-Unis.

Considérons ces arguments sociologiques plus précisément. Ils ont surtout été développés, comme nous l’avons dit, aux États-Unis et à partir de l’exemple de ce pays. Le constat historique à l’effet que la vitalité religieuse des États-Unis n’est pas, comme on peut souvent l’entendre, un résultat de l’héritage puritain, mais que plutôt cette vitalité a augmenté tout au long du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle, est absolument essentiel pour ces arguments. Il ne peut pas plus être question d’une sécularisation accompagnant inévitablement la modernisation que d’un développement simplement différé par rapport à l’Europe. On situe, par conséquent, la cause de la vitalité religieuse continue du pays dans la stricte séparation entre l’État et les églises, constitutionnellement en vigueur depuis la fin du dix-huitième siècle, et donc dans le pluralisme naturel des communautés religieuses qui concurrencent dans une sorte de marché pour les fidèles et leur demande religieuse. Dans ce contexte, les communautés religieuses seraient économiquement contraintes de compter sur leurs « clients » (et non pas sur l’État) pour se financer. Ceci accroît la probabilité d’une activité de type entrepreneurial de la part des églises et des communautés religieuses, offre des chances réalistes aux entrepreneurs religieux émergents et force les églises à adopter une flexibilité organisationnelle interne et à entretenir un lien actif avec les intéressés, comme les nouveaux groupes ethniques immigrés, par exemple. Lorsque s’opère pour d’autres raisons une individualisation accrue, les formes américaines s’avèrent particulièrement appropriées pour tenir plus fortement compte des besoins qui s’y rattachent. Bien que tous ces énoncés concernent surtout le domaine des communautés protestantes, dont les différends théologiques se sont amenuisées au cours de l’histoire, et auxquelles, du reste, se sont aussi superposées des différends politiques, le domaine protestant, ne serait-ce que par sa dimension, fait pression sur toutes les autres communautés religieuses pour qu’elles se développent de façon semblable. Chesterson, comme on le sait, avait déjà constaté qu’« en Amérique, même les catholiques sont protestants ».

Ces arguments ont surtout été présentés — certes pas exclusivement — par des sociologues qui s’orientent sur un modèle d’action emprunté à l’économie[11]. Le débat sur ces travaux est intense et vaste ; ici n’est pas le lieu pour aborder les discussions entremêlées sur la façon adéquate de mesurer le pluralisme et la vitalité religieuse. Malgré quelques voix contraires, qui affirment que toutes les preuves d’un pareil rapport avancées jusqu’à présent reposent sur des carences mathématiques[12], il est largement accepté qu’aux États-Unis, du moins, il existe un rapport positif entre pluralisme et vitalité religieuse[13].

En revanche, on peut difficilement en dire autant pour l’Europe. En Europe, ce sont justement quelques pays dans lesquels une communauté religieuse unique est dominante, à savoir le catholicisme dans les cas présents, qui ont maintenu un niveau élevé de religiosité, comme par exemple la Pologne et l’Irlande, tandis que la suppression de régulations légales dans d’autres pays, comme par exemple dans les pays scandinaves, a renforcé la sécularisation encore davantage. Même aux États-Unis, un phénomène analogue s’est manifesté dans le cas des mormons au Utah. Le rapport ne peut donc pas être aussi simple que l’affirment les économistes radicaux de la religion. Lorsqu’un groupe extrêmement concentré géographiquement se conçoit néanmoins comme une minorité dans un environnement plus large et hostile, il peut alors, en dépit de son monopole territorial, manifestement demeurer religieusement vital. Le passage d’une communauté religieuse à une autre n’est pas aussi discrétionnaire que ne le prétend le modèle religio-économique. Les protestants aux États-Unis, à l’occasion d’un déménagement, par exemple, changent effectivement de dénomination fréquemment lorsque l’offre locale de services (comme les garderies), de sociabilité ou de spiritualité d’une dénomination donnée est plus attrayante ; mais ce changement n’a lieu qu’à l’intérieur du secteur protestant. D’autres mouvements de conversion sont clairement des phénomènes collectifs, comme l’islamisation des Noirs pauvres ou l’attrait du mouvement pentecôtiste chez les immigrants latino-américains catholiques. Il résulte de ces observations et des études correspondantes plusieurs avertissements contre la généralisation trop rapide du modèle « le pluralisme conduit à la vitalité religieuse » et confie la recommandation aux Européens du disestablishment[14] complet des églises comme mesure de vitalisation religieuse. D’ailleurs, le cas de l’Allemagne de l’Est, lui aussi, offre l’occasion de rectifier légèrement le modèle[15]. La disparition soudaine de la répression religieuse par l’État aurait dû, selon ces hypothèses, avoir pour effet que la demande se dirige désormais de manière accrue vers les communautés religieuses établies ou vers de nouveaux mouvements religieux en émergence. Cette attente se trouve certes confirmée dans une série de sociétés postcommunistes, mais pas en Allemagne de l’Est. En guise d’explication, on a cité une authentique baisse de la demande religieuse. Ce qu’on veut dire par là, c’est que des athées convaincus, même lorsqu’ils jouissent d’une liberté de culte complète, ne s’activent pas religieusement ; toutefois, on objecte à cette explication qu’un dialogue sur la religion serait plus facile avec des athées convaincus qu’avec des gens complètement indifférents. Quoi qu’il en soit, ceci signifie pour le modèle interprétatif que la demande de religion est tout aussi variable que l’offre. Le relâchement religieux, tel qu’on le constate en Allemagne de l’Est, est aussi le résultat de l’effet combiné du faible attrait des offrants, lequel remonte à une époque bien plus éloignée que le communisme, et d’une véritable baisse de la demande dont la forme est historiquement nouvelle et inattendue. Même les plus radicaux des théoriciens de la sécularisation qui avaient certes déjà accepté la disparition de la religion, sans toutefois accepter la disparition sans remplacement, avaient investi la nation ou la démocratie, à l’instar d’Émile Durkheim et de John Dewey respectivement, de vastes espoirs de réservoirs de sens.

Avec ces remarques, il ne m’importe pas seulement de renforcer plus empiriquement l’affirmation du rapport entre pluralisme et vitalité religieuse par des relativisations et des raffinements historiques ; je veux, en outre, démontrer que la simple existence d’un marché des religions dérégularisé ne suffit pas à expliquer la vitalité de la religion aux États-Unis. À cet égard, les « économistes de la religion » ont autant tort que tous les économistes qui attribuent en bloc toutes sortes d’effets salutaires aux marchés dérégularisés. Les marchés dérégularisés eux-mêmes sont soumis, on le sait, — et Randall Collins y a fait référence dans notre contexte[16] — à de nouvelles tendances de monopolisation. Ce qui est décisif, c’est que ces tendances n’ont pas pu prévaloir aux États-Unis. Cela ne tient pas simplement à l’existence du pluralisme, mais à l’institutionnalisation de la valeur du pluralisme. Le pluralisme religieux est, aux États-Unis, tout comme la religiosité en général, une valeur soutenue de diverses manières sur les plans culturel et institutionnel. Les économistes de la religion méconnaissent ceci en raison des prémisses de leur pensée.

3. Dans la même mesure que les points de vue de Berger et des « économistes de la religion » s’opposent à l’égard des liens causaux entre pluralisme religieux et vitalité religieuse, ces adversaires se conforment à l’idée que la foi soit le résultat de choix électifs. Pourtant, de sérieux doutes philosophico-psychologiques s’y objectent. En tant que psychologie de la motivation, l’hypothèse du calcul utilitaire permanent est certainement inexploitable. Autant il est vrai que la décision de se joindre à telle communauté en raison de tels avantages ou affinités est informée par des calculs de la sorte, aussi peu est-il vrai que l’expérience réellement constitutive de la foi puisse être convenablement caractérisée en termes de phénoménologie du « choix ». Formulée dans mon langage théorique, la foi remonte soit à une orientation de valeur et de sens transmise et acquise dans le processus de la formation de soi, soit à ce que je caractérise comme des expériences de la transcendance de soi[17]. Or justement, une sorte de passivité, de saisissement, de don de soi est caractéristique de cette transcendance. Bien entendu, cette expérience nécessite une interprétation. Après une telle expérience, nous savons seulement que nous avons vécu quelque chose ; notre certitude ne porte pas sur l’interprétation précise de cette expérience, comme si celle-ci surgissait simplement de l’expérience ou comme si elle était toujours complètement préinterprétée par nos réservoirs d’interprétation religieuse et culturelle. L’expérience nous pousse plutôt à sélectionner certaines parties des traditions et à les investir d’un sens nouveau, à tisser de nouveaux liens à partir de traditions ou même à oser notre propre tentative d’articulation créatrice, capable de s’imposer comme une innovation religieuse[18]. La recherche sur la conversion est riche en exemples témoignant tant de l’individualité que de la typologie de ces processus. Naturellement, dans chaque cas de conversion ou de renouveau religieux, il y a un moment de décision, un point tournant, à partir duquel l’ancien système de référence n’est plus accepté, mais est réinterprété en fonction des concepts du nouveau système de référence ; aussi ne peut-on pas nier qu’arrivé à ce point tournant, une volonté, un saut, un acte soient nécessaires pour suivre sa propre disposition religieuse[19]. Mais cette volonté équivaut à un don de soi et c’est justement pourquoi elle doit être clairement et conceptuellement différenciée d’un choix électif entre des préférences. Les valeurs ne sont pas des préférences à long terme ou des préférences d’un ordre plus élevé, mais des étalons réflexifs servant à l’évaluation de nos préférences, des conceptions chargées émotionnellement de ce qui est souhaitable et non pas des souhaits en soi. À ce titre, elles s’appuient en nous sur des sentiments d’évidence et de certitude ; ce sont ces sentiments qui nous guident dans la recherche d’une articulation convenable et qui perdurent dans leur intensité, même lorsque nous prenons conscience de la contingence de notre contexte biographique et de nos expériences. Dans la même mesure que la simple connaissance d’une valeur ou d’une personne ne produit aucun lien, la connaissance rationnelle d’une diversité de possibilités n’ébranle pas un lien déjà existant.

Ainsi, j’affirme que la thèse de Berger selon laquelle le pluralisme a un effet réducteur d’intensité provient de sa fausse proximité avec la conception économique de la préférence. Du coup, la situation devient ironique, dans la mesure où Berger a justement tiré la mauvaise conclusion des attaques empiriques sur le concept de la sécularisation. Il défend l’ancienne hypothèse d’un effet débilitant du pluralisme sur la religiosité, mais se rapproche des idées économiques sur le choix de préférences religieuses, alors qu’il aurait dû, au contraire, se soumettre au constat en vertu duquel le pluralisme peut faire croître la vitalité religieuse, mais aussi montrer que ce constat empiriquement correct des économistes de la religion ne peut justement pas s’exprimer avec cohérence dans leur propre cadre conceptuel.

Berger en vient même à se contredire, puisqu’il sait décrire avec beaucoup de sensibilité les expériences transcendantes comme étant les bases de la foi. Or, immédiatement à la suite de pareilles descriptions, il affirme une fois encore qu’aujourd’hui les convictions religieuses seraient généralement plus superficielles qu’autrefois et que les « gens qui ont des idées religieuses inébranlables [auraient] tendance [à recourir] à de tels moyens de persuasion sévères » comme l’épée, la chambre de torture et le bûcher (Berger, p. 183, traduction). La conclusion concernant la morale que tire Berger de ses analyses me paraît également peu plausible. Il affirme que « quoique le pluralisme [ait] plongé et la religion et la morale dans une crise de relativisation, il est plus aisé pour la plupart des gens d’acquérir une certaine certitude morale qu’une certitude religieuse » (Berger, p. 204, traduction). Toutefois, il me semble qu’il y a là une confusion entre certitude subjective et plausibilité intersubjective. Nous pouvons aussi nous entendre, en ce qui a trait à la morale, avec des gens d’autres persuasions religieuses, mais cela ne signifie pas que nous soyons plus sûrs en matière de morale qu’en matière religieuse. Le croyant va respecter, en vertu de sa foi, des commandements moraux dont le sens particulier doit lui paraître injustifiable à l’extérieur de sa foi. J’interromps ici l’argumentation philosophique sur le thème de la « certitude contingente », de la certitude dans la conscience des sources contingentes de ma certitude ; elle n’aura servi ici qu’à démontrer l’insuffisance de la thèse du pluralisme de Berger à l’aune de son concept de la foi ; ici n’est pas le lieu d’expliquer ce que nous entendons par convictions religieuses.

Toutefois, toutes les composantes nécessaires à une alternative à Berger devraient désormais être réunies. Le pluralisme n’affaiblit pas la foi, telle est notre conclusion, mais peut plutôt même la renforcer sous réserve de certaines conditions. C’est pourquoi je plaide en faveur d’une réorientation, qui se détournerait de l’attention centrale portée sur les problèmes du pluralisme et de l’intégration sociale, vers ceux d’une contingence accrue[20]. Nous caractérisons de « contingent » ce qui n’est ni nécessaire, ni impossible — ce qui donc existe, mais dont l’existence n’est pas inévitable.

« Contingent » est antonymique à nécessaire et cela signifie que son sens précis est dépendant de celui du concept de la nécessité. Nous caractérisons de contingents les incidents que nous rencontrons dans notre vie, qu’ils soient terribles ou plaisants, mais aussi l’expérience de notre propre liberté de décision et d’action, ainsi que de ses conséquences. Nous parlons de contingence accrue parce que la marge de manoeuvre allouée à nos actions a grandi et que la part des incidents qui ne sont pas indépendants de l’action et sont le produit de l’action d’autrui a augmenté. Si cette affirmation est exacte, alors la question décisive dans notre contexte est de savoir ce que signifie la contingence accrue pour la foi et la morale aujourd’hui. Nous savons ce qu’en disent les thèses pessimistes de Berger. Une des raisons de leur plausibilité apparente, surtout dans les cercles protestants, réside sûrement dans la relation étrangement divisée de la tradition protestante par rapport au rôle constitutif des institutions et de la vie sociale en général dans le développement de l’individualité. Le vacillement de Berger entre des institutions surpuissantes et une individualité libérée témoigne justement de cette ambivalence. Cette ambivalence peut devenir productive lorsqu’elle exhorte à la recherche d’institutions et de formes sociales qui facilitent et encouragent l’individualisation. Elle peut s’avérer stérile lorsqu’elle conduit à un scepticisme rigide envers le coeur ardent des institutions, la pratique du rituel et le langage de la sacralité. Robert Bellah, un autre important sociologue protestant des religions aux États-Unis, qui à cet égard fait figure d’antipode de Berger, parle dans ce contexte de « failles dans le code protestant » — par exemple dans la compréhension de l’eucharistie — et en a tiré la conséquence personnelle de se joindre à la variante américaine de l’anglicanisme[21]. Considérée depuis une telle synthèse individualiste-communautaire, même l’histoire de la Réforme et de la Contre-Réforme apparaît sous un nouveau jour. Nous discernons alors mieux les possibilités constructives offertes par une contingence accrue. Comme on peut le démontrer sur le plan des relations personnelles, de nouvelles formes adaptées à une contingence accrue se laissent bel et bien développer. « De l’institution au compagnonnage », telle était déjà dans les années 1920 la formule de la sociologie américaine de la famille, formule qui, évidemment, s’opposait à la notion voulant que seules une perte d’orientation et une insécurité dans le comportement puissent prendre la place d’institutions rigides. Cependant, les efforts de définition et de coordination en matière de relations conjugales, tout comme la nécessité fonctionnelle d’une perception sensible de l’autre et des spécificités de chaque situation — mais c’est justement là qu’il y a un gain à faire ou, du moins, la chance de trouver une forme de stabilité.

La situation est analogue pour la foi et la morale. J’ai différencié dans d’autres travaux trois directions par lesquelles l’attachement aux valeurs doit s’adapter pour se conformer aux conditions d’une contingence croissante. Il s’agit de 1) la procéduralisation, de 2) la généralisation des valeurs et de 3) l’empathie. Nous avons déjà rencontré la « procéduralisation » dans le présent exposé, dans la mesure où elle signifie la reconnaissance véritable de profondes différences dans la perception du monde et des positions d’intérêt et le confinement au règlement pacifique des conflits selon des règles respectées de tous. Mes exemples d’éthique de la tolérance et de garantie juridique de la liberté de culte expriment justement ces articulations de valeurs adaptées à la contingence. Par leurs biais, la différence en soi n’est plus source de conflit ; les règles de conduites elles-mêmes s’en trouvent investies d’une signification morale très élevée. La tendance de la procéduralisation est centrale pour le droit et pour la morale, mais pas pour la foi au sens strict. Car la procéduralisation ne concerne pas l’attachement aux valeurs en tant que tel, dans la mesure où les attachements aux valeurs ne sont pas prêts à accepter des procédures communes que dans un rapport réciproque.

La deuxième forme nommée ci-dessus, la généralisation des valeurs, est toute autre[22]. Dans ce cas, diverses traditions de valeurs particulières développent en interaction les unes avec les autres une compréhension générale et souvent plus abstraite de leurs notions communes. Ainsi, toutes les religions du monde peuvent développer par le dialogue interreligieux leur propre potentiel de justification des droits de l’homme et de l’idée de la dignité humaine universelle. Ceci n’est évidemment possible qu’à condition qu’aucune tradition religieuse n’exige des autres qu’elles renoncent à elles-mêmes et qu’il ne soit attendu d’aucune tradition religieuse qu’elle s’efface en faveur de justifications rationalistes. Plutôt, dans le cas de la généralisation des valeurs, le soutien affectif d’une tradition religieuse et sa force particulière d’attachement sont conservés.

Troisièmement, une contingence accrue fait appel au développement de capacités empathiques. Ces conditions font en sorte que les individus sont constamment confrontés à des situations dans lesquelles ils doivent eux-mêmes découvrir ce qu’ils veulent, doivent et peuvent faire. Et ceci ne leur est possible qu’en intériorisant les réalités uniques de leurs partenaires d’action et des situations d’action respectifs. Un moment de liberté accrue fait son entrée dans l’attachement aux gens, aux valeurs et aux communautés de foi ; plus que par le passé, l’attachement demeure fortement lié à un consentement libre toujours renouvelé.

Des trois formes d’orientation conformes à la contingence que j’ai nommées, j’estime que la généralisation des valeurs est la plus importante. La raison en est que la procéduralisation et l’empathie demeurent vides si elles ne procèdent pas de la généralisation des valeurs. Certes, la capacité d’empathie généralisée connaît différents degrés, mais nous savons aussi que la mesure dans laquelle les gens sont véritablement disposés à entretenir des sentiments moraux envers autrui, c’est-à-dire à laisser leurs capacités se matérialiser, est aussi dépendante d’une motivation nourrie de valeurs substantielles, comme, par exemple, l’amour du prochain. Et l’apprentissage de procédures légales ou participatives est constamment menacé de retomber dans le simple calcul d’intérêt si aucune valeur ne motive à éprouver ces procédures comme étant précieuses. En ce sens, j’estime que la transmission de valeurs doit aussi dominer une éducation à l’empathie et un apprentissage à des procédures.

Quels desiderata produisent ces réflexions pour les responsables de la transmission des valeurs et de la foi ? Il est purement primordial de sortir de l’auto-intimidation fondée sur la théorie de la sécularisation. Cette intimidation s’est transformée, en Europe, en prophétie formelle qui s’exauce d’elle-même ; qui y croit va lui-même se fourvoyer dans une sorte d’entêtement antimoderne, comme s’il s’agrippait à sa foi pour résister aux tendances de la modernisation, tout en étant plus ou moins conscient de défendre une cause perdue. Ainsi, les possibilités de processus d’individualisation dans le domaine de la foi sont systématiquement évaluées avec trop de pessimisme. Un premier niveau de réflexion touche donc la perception de l’histoire et de la société qui s’est introduite dans la représentation de soi des églises. Le second niveau apparaît, si on rappelle mon idée fondamentale que les valeurs sont issues d’expériences et que la foi représente une interprétation d’expériences d’autotranscendance. Si cela est vrai, le système d’éducation ne peut alors transmettre des valeurs que s’il permet et encourage des expériences susceptibles d’engendrer un attachement aux valeurs ou encore, s’il contribue maïeutiquement à l’articulation et à l’interprétation de telles expériences. Troisièmement, chacun de ces processus dispose nécessairement d’une dimension personnelle. Sans témoignage, l’enseignement des valeurs communique l’indifférence ; la représentation des valeurs par des personnes, toutefois, réclame de leur part une disposition à l’empathie, à la procéduralisation et à la généralisation des valeurs. Quatrièmement, il faut prendre en considération le fait que les processus d’éducation ne sont intentionnellement contrôlables que dans une faible mesure, mais que, d’autre part, ils se produisent continuellement. Cela signifie que le caractère lui-même des établissements éducatifs, leur état architectural, leurs structures internes, leur compréhension de soi aussi en tant que forme de vie ou l’absence d’une pareille compréhension de soi se répercutent souvent davantage sur les processus de formation que les intentions des responsables en matière d’éducation. Dans les établissements d’enseignement ecclésiastiques en Allemagne, cette conscience est heureusement toujours restée plus éveillée que dans les établissements étatiques. Cinquièmement, les valeurs ne peuvent finalement pas être transmises si leur articulation au temps actuel ne réussit pas. Une petite part de doute sur la question de savoir si nous-mêmes incarnons vraiment de manière crédible les valeurs que nous proclamons doit ainsi accompagner chaque tentative de transmission de valeurs et chaque réflexion sur notre propre responsabilité en matière d’éducation.