Attachements et solitudesEntretien avec Cécile Van de VeldeAttachment and lonelinessInterviews with Cécile Van de Velde[Notice]

  • Serge Paugam

Sociologue et directeur d’études à l’ehess à paris, Serge Paugam est l’auteur de nombreux ouvrages sur les questions de pauvreté, d’inégalités et de ruptures sociales. Dans le cadre de ce numéro, nous nous sommes entretenue avec lui afin de mieux saisir la nature des relations complexes qui se nouent actuellement entre « attachements » et « solitudes » : Serge Paugam a développé récemment une théorie de l’« attachement social » qui éclaire la façon dont nos liens sociaux s’imbriquent entre eux, et leur rôle dans la construction des inégalités. Cet entretien est l’occasion de revenir sur les processus qui peuvent mener à l’isolement et à la solitude, en fonction des différents « régimes d’attachement » qui relient l’individu aux autres et à la société. Le concept d’attachement est en effet surtout connu dans le domaine de la psychiatrie. Il renvoie à une théorie élaborée par le psychiatre John Bowlby dans la deuxième moitié du xxe siècle pour qualifier l’empreinte durable du lien originel de l’enfant à l’adulte en charge de lui procurer la sécurité dès les premiers mois de sa vie. Cette théorie continue de nourrir de nombreux travaux de recherche dans ce domaine. Pourtant, la notion d’attachement avait été définie par Durkheim dans une perspective analytique différente. Le fondateur de la sociologie française voyait en effet dans l’attachement aux groupes une des sources de la morale, et partant, une des conditions de l’intégration sociale. Ce concept présente donc l’intérêt d’avoir connu un développement aussi bien dans la psychologie que dans la sociologie, et renvoie tout à la fois à la constitution de la personnalité individuelle, à la formation des groupes sociaux et au fonctionnement normatif de la société globale. Il porte sur une question constitutive de la vie humaine et contribue à énoncer aussi bien des principes généraux que des explications aux variations observables au sein de chaque société et entre les sociétés. Il me semble aujourd’hui que l’on peut relier des développements qui ont été réalisés dans des disciplines peu habituées au dialogue et selon des problématiques différentes et d’envisager l’attachement, non seulement comme un fait psychologique, mais surtout comme un fait social total. En réalité, sous cet angle, il est possible de faire de l’attachement le fondement d’une théorie en sciences sociales. Les sociologues savent que la vie en société place tout être humain dès sa naissance dans une relation d’interdépendance avec les autres et que la solidarité constitue à tous les stades de la socialisation le socle de ce que l’on pourrait appeler l’homo sociologicus, l’homme lié aux autres et à la société non seulement pour assurer sa protection face aux aléas de la vie, mais aussi pour satisfaire son besoin vital de reconnaissance, source de son identité et de son existence en tant qu’homme. Il existe pourtant dans les sociétés modernes une proportion importante de personnes dont les liens qui les rattachent aux autres et à la société sont faibles, voire dans certains cas inexistants. L’isolement et le délitement des liens sociaux constituent aujourd’hui un facteur essentiel d’inégalité. Certains en sont protégés, tandis que d’autres y sont particulièrement exposés. À la suite de Durkheim, nous pouvons en distinguer quatre : le lien de filiation (au sens des relations de parenté), le lien de participation élective (au sens des relations entre proches choisis), le lien de participation organique (au sens de la solidarité organique et de l’intégration professionnelle) et le lien de citoyenneté (au sens des relations d’égalité entre les membres d’une même communauté politique). Chacun peut être défini à partir des deux dimensions de protection et de reconnaissance. La protection renvoie à l’ensemble …

Parties annexes