PrésentationPour une sociologie du racismePresentationIn defence of a sociology of racism[Notice]

  • Stéphanie Garneau et
  • Grégory Giraudo-Baujeu

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  • Stéphanie Garneau
    Professeure agrégée, Université Ottawa, École de service social

  • Grégory Giraudo-Baujeu
    Postdoctorant, Triangle-ENS Lyon

Alors que l’appel à contributions de ce numéro spécial de Sociologie et sociétés sur la race et le racisme circulait, deux controverses publiques relatives au racisme ont éclaté quasi simultanément au Québec et en France — d’où sont respectivement issus les auteurs de ces lignes. Le 17 octobre 2017, le ministre québécois de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, David Heurtel, annonce la fin de la « Consultation québécoise sur la discrimination systémique et le racisme » et sa conversion en « Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination ». Le virage n’est pas anodin : la nouvelle instance balaye ainsi sous le tapis l’enjeu du racisme et des discriminations à l’endroit des personnes racisées — y compris les citoyens « natifs » — pour le réduire à un problème passager d’arrimage entre les qualifications des nouveaux arrivants et les besoins du marché du travail. Quelques mois auront donc suffi pour que l’initiative lancée en mars 2017 avorte sous la pression des partis de l’opposition qui voyaient en cette consultation publique une intention de faire le « procès des Québécois ». À peine un mois plus tard, en France, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer dépose une plainte contre le syndicat enseignant SUD Éducation 93 à propos d’une rencontre non mixte que ce dernier souhaitait organiser afin de discuter du « racisme d’État dans la société et en particulier dans l’Éducation nationale ». L’objet de la plainte : diffamation contre l’État français pour l’avoir accusé d’être raciste. Ces sorties déclenchent une véritable polémique. Tandis que les uns estiment comme « un abus de pouvoir extrêmement dangereux » le fait d’interdire l’usage d’une notion qui a le mérite de forcer le débat public autour des réalités du racisme et de la discrimination raciale dans la société française, les autres considèrent l’action du ministre comme raisonnée et fondée puisque « la République donne tous les signes d’une forte mobilisation contre le racisme ». Ces deux exemples, loin d’être isolés, rappellent combien la question du racisme a une charge politique éminemment sensible. Le racisme est un de ces sujets qui fâchent. Or, il ne fâche pas que l’opinion publique ou les autorités politiques : il divise également les chercheurs en sciences humaines et sociales, notamment de tradition francophone. De fait, si dans les milieux universitaires anglophones règne un certain « consensus » (Blum, 2010) à propos du concept de race et que l’on ne compte plus les revues scientifiques — Ethnic and Racial Studies ; Race & Class ; Race and Society ; Sociology of Race and Ethnicity — et les programmes d’études universitaires dédiés à la question de la race et du racisme, la sociologie de langue française est loin d’avoir son pareil. On peut certes identifier les travaux pionniers de la sociologue française Colette Guillaumin (2002[1972], 1977) dès les années 1960-1970, restés marginaux pendant plusieurs années. Il faut attendre le début des années 1990 pour voir émerger une sociologie du racisme dans les espaces français (Wieviorka, 1991, 1992 ; Bataille, 1997 ; De Rudder, Poiret et Vourc’h, 2000), belge francophone (Rea, 1998) et canadien francophone (Sociologie et sociétés, 1992 ; McAndrew et Potvin, 1996 ; Renaud, Germain et Leloup, 2004 ; Labelle, 2001 ; Potvin, 2008, 2017), pour ne nommer que ceux-là. On constate donc une frilosité, si ce n’est une hostilité, chez les sociologues formés en français à placer au coeur de l’analyse la question de la race et du racisme (Poutignat et Streiff-Fénart, 1995 ; Simon, 2008 ; Safi, 2013). Pour s’en convaincre, rappelons encore l’annulation à Lyon, en …

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