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J’ai presque perdu mes écailles de poisson porte-bonheur en rendant la monnaie aujourd’hui. Mais elles sont là, Dieu merci. Les serveuses sont aussi parfois superstitieuses. Pourquoi ? Parce qu’une serveuse doit avoir beaucoup de chance. Ce n’est pas ce que vous pensez peut-être, pour l’amour ou pour trouver un homme riche. On n’est pas si bêtes, on le sait, la vie n’est pas comme au cinéma. Mais une serveuse doit avoir de la chance si elle veut gagner 5 ou 6 marks par jour, et on en a absolument besoin pour vivre. Surtout qu’il faut fournir soi-même l’uniforme, et en plus le blanchissage coûte cher.
Les gens s’imaginent sûrement que les serveuses gagnent beaucoup, un pourcentage et du pourboire en extra. Ce n’est pas vrai. Souvent, je suis étonnée en faisant les comptes. Tu as juste gagné ça aujourd’hui. Et quand on a la poisse et que les clients oublient de payer… et à quel point ça arrive souvent ! Parfois, ce sont peut-être aussi des gens qui sont eux-mêmes dans le pétrin et qui n’ont pas le choix. Dans ces cas-là, je ne m’énerve pas trop. Mais la plupart du temps, il s’agit de personnes qui n’en auraient certainement pas besoin. Là, je peux me mettre en rage. Je ne me permets pas de gâteaux, pas de crème fouettée et maintenant c’est déduit de mon salaire. C’est pour ça que j’aime les clients réguliers : on n’a pas à être vigilant.
Je n’écoute pas du tout ce que les gens se disent entre eux. Ça ne m’intéresse pas du tout. Et une serveuse, ça doit faire attention, ça doit seulement penser à ce que les gens ont commandé. Quand je suis perdue dans mes pensées, ce n’est pas bon non plus. Je confonds alors les commandes et les gens s’énervent tout de suite.
Quand une serveuse a la poisse, il peut lui arriver qu’elle renverse quelque chose. Une fois, j’ai renversé quelques gouttes de limonade sur une dame. Elle a tout de suite demandé à parler au gérant. Elle voulait que je lui achète une nouvelle robe. Mais quelque chose comme ça n’arrive qu’à une débutante. Maintenant, je peux balancer autant de plats que je le veux. Mon petit ami est aussi serveur. Il m’a montré la technique.
Si quelqu’un croit peut-être qu’une serveuse a plus d’aventures qu’une fille d’un autre métier, il se trompe. Je veux dire les serveuses dans les pâtisseries. Il est rare qu’un jeune homme veuille nous inviter. Avec les hommes âgés, c’est autre chose. Ils viennent la plupart du temps à une heure particulière et commandent presque toujours la même chose. Ils aiment quand on leur demande comment ils vont ou pourquoi ils n’étaient pas là la veille ou ce genre de choses. Ils nous invitent au cinéma. Mais ce n’est jamais très drôle.
Quand je ne travaille pas, je n’aime pas aller à la pâtisserie. Si quelqu’un dit « Mademoiselle », je dois me rappeler que je n’ai pas à me lever.
Parties annexes
Note
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[1]
Leitner, Maria (2013). « Eine Kellnerin erzählt », Mädchen mit drei Namen. Reportage aus Deutschland und ein Berliner Roman 1928-1933. Berlin, AvivA, p. 50-51 [d’abord paru dans Tempo. Berliner Abend-Zeitung le 15 juin 1929].