Au Québec, comme ailleurs dans le monde, les questions éthiques et politiques préoccupent un nombre de plus en plus important de chercheur·es des sciences sociales, tant au sein des différentes disciplines universitaires allant du droit à la sociologie, en passant par l’anthropologie et les sciences politiques, que dans les espaces plus « pratiques », notamment au sein des appareils gouvernementaux (par exemple au sein du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, de Statistique Canada ou des milieux de soins où se pratique de la recherche). Ils et elles sont plusieurs à sonner l’alarme, dénonçant l’intrusion des pouvoirs politique et économique dans la gestion de la recherche (Duclos et Fjeld, 2018). Rien de surprenant dans un contexte néolibéral où l’égalité est censée émerger du libre marché et où le rôle des institutions publiques est relégué au second plan (Harvey, 2005). La financiarisation des activités sociales, et des activités de recherche en particulier, se matérialise par les atteintes à l’autonomie et à la liberté, de plus en plus nombreuses et formelles, qu’exercent les différents cadres qui les régissent (Gingras, 2002 ; Bougeault, 2003 ; Baillargeon, 2011). Il convient ainsi d’inscrire « la montée des régulations éthiques » (Genard et Roca i Escoda, 2019 : 145) dans un vaste mouvement de rationalisation économique de la recherche universitaire (Letocha et Parent [dir.], 2012) et d’accroissement, en conséquence, de la concurrence entre les personnes, les groupes et les instituts (Payet, 2016) pour l’obtention de financement et l’émergence, à terme, d’intérêts en conflit (Gingras, Malissard et Auger, 2000). La logique concurrentielle de l’excellence promue par les universités et les instances du financement public, et reproduite par les universitaires, exacerbe les enjeux éthiques comme le montrent de manière percutante Genard et Roca i Escoda : En sciences sociales, les conflits éthiques ne mettent pas tant en évidence les relations perverses avec le monde industriel et commercial que celles avec le pouvoir politique. Les pressions accrues pour l’externalisation et la privatisation du financement minent l’autonomie des chercheur·es qui doivent, tant bien que mal, faire avec ces contraintes et ces exigences, notamment celle des « retombées » et, plus généralement, de l’« utilité publique » de leurs travaux. Au-delà des cadres politiques et éthiques avec lesquels il faut composer, c’est bien la question centrale des attentes à l’égard des sciences sociales, et donc le rôle des chercheur·es, qui est au coeur de la réflexion. La question est complexe puisqu’elle soulève celle de la pertinence des sciences en général et des sciences sociales en particulier, laquelle s’établit dans le cadre d’une configuration de relations sociales (politiques, économiques, etc.) qui établit un ordre de valeurs définissant ce que serait l’« utilité publique ». Or, les cadres politiques de la recherche délimitent de plus en plus le champ de la pertinence scientifique, court-circuitant la discussion interne aux différentes sciences dont la définition des orientations s’impose de l’extérieur, notamment par le biais des modes de financement. Les cadres éthiques institutionnalisés régulent, quant à eux, les modalités du déroulement de la recherche par la standardisation des processus de certification qui produisent des effets concrets sur les dispositifs de recherche. Ce numéro spécial ne propose pas une critique ou une refonte du mode de financement universitaire, qui serait par exemple fondé sur des logiques de redistribution et de coopération plutôt que sur des logiques d’accumulation et de concurrence — bien que cet aspect fasse évidemment partie des enjeux éthiques et politiques de la recherche contemporaine. Les différentes contributions de ce numéro questionnent plutôt les rapports multiples, complexes et variés entre la connaissance, l’éthique et le politique dans …
Parties annexes
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