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C’est avec une profonde émotion que nous avons appris le décès de notre collègue Jean Renaud, survenu le 19 mars 2021 à la suite d’une longue maladie qu’il a combattue avec courage, sur tous les fronts. Professeur émérite du Département de sociologie, Jean a reçu sa maîtrise en sciences politiques de l’Université de Montréal, ainsi qu’un Ph. D. en sociologie. C’est en 1980 au Département de sociologie que Jean Renaud a défendu sa thèse de doctorat intitulée Langues, Ethnies et Revenus. Elle sera le point de départ pour l’orientation de ses recherches tout au long de sa carrière. Avant même cette soutenance, il faut rappeler qu’en 1977, à 30 ans, il est engagé dans ce Département au premier niveau de la carrière professorale pour donner des cours de méthodologie quantitative, un domaine dans lequel ses compétences étaient déjà reconnues. Il était en effet en mesure de pousser l’enseignement au-delà des cours d’analyse de variance, de covariance et de régression multiple vers des méthodes plus sophistiquées des statistiques sociales. Il a en particulier mis en oeuvre le premier cours en sciences sociales au Canada portant sur l’utilisation de la régression de survie pour étudier l’analyse quantitative des biographies (event-history analysis).

Il a consacré la majeure partie de son activité scientifique à l’analyse de l’immigration, domaine qu’il a combiné de manière féconde à celui des statistiques sociales. Sa formation en méthodologie quantitative l’a conduit à occuper un créneau dont il était l’un des rares spécialistes, au Département et au sein de la sociologie québécoise francophone. Il a participé au développement de programmes statistiques et informatiques à l’échelle de l’Université et a cofondé, en 2000, l’École d’été canadienne en analyse longitudinale. Aussi, il était là pour nous, collègues et coéquipiers du Groupe de recherche ethnicité et société (GRES) notamment, toujours prêt à éclairer notre lanterne. Il fut également un précieux conseiller extra-muros, entre autres, au Centre de recherche et de formation du CLSC Côte-des-Neiges.

Son expertise lui a valu la reconnaissance, dont témoignent le prix « Mérites en francisation » (2001), décerné par le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, et de nombreuses invitations dans divers milieux. Sa contribution est d’autant plus marquante qu’il a appliqué son expertise à la recherche sur l’immigration. Pour la première fois au Québec, une étude longitudinale a examiné le cheminement d’une cohorte d’immigrants pendant les 10 années suivant leur établissement. Comme le soulignait un de ses proches collaborateurs, c’est en grande partie grâce à son travail qu’on peut aujourd’hui parler, données en main, de discrimination et de racisme systémique.

Sur le plan de l’enseignement, la liste des cours de méthodologie dont il a été responsable est impressionnante (14 sigles) et aussi, par ricochet, le nombre d’étudiants qu’il a ainsi formés aux différents cycles d’études. À l’avant-garde de l’utilisation de l’informatique en sciences sociales, il a joué un rôle important dans la formation et l’utilisation des gros ordinateurs en sciences sociales, et, par la suite, dans l’adoption de la micro-informatique tant par les professeurs que les étudiants.

Aux études supérieures, Jean Renaud a dirigé une quarantaine d’étudiants de maîtrise et de doctorat. La plupart étaient réputés pour leur maîtrise des méthodes quantitatives. On les recherchait pour participer à nos projets de recherche. Il a ainsi contribué à former un réseau de professionnels, de professeurs qui a essaimé tant dans les universités que dans les secteurs de recherche de nombreuses autres institutions.

Ceci n’aurait pas été possible sans ses capacités à transmettre ses compétences et à collaborer avec les collègues. Sur ce point, il est essentiel de souligner que Jean Renaud savait avec rigueur et perspicacité suggérer les méthodes statistiques et mathématiques permettant d’analyser les données recueillies pour mener à bien des recherches dans des domaines bien distincts des siens. Il avait les qualités favorisant le passage des frontières entre les différents champs de spécialisation pratiqués par les collègues faisant appel à ses compétences et à ses conseils. Il faut pour assumer pareil rôle de trait d’union de la disponibilité et de l’ouverture d’esprit aux questionnements, aux réflexions de l’autre. Jean était un expert de ces attitudes et de ces interactions.

Sa contribution au Centre d’études ethniques de l’Université de Montréal (CEETUM), fondé en 1992, fut substantielle. Nommé directeur (1996-2006) d’un CEETUM en plein envol, il a contribué à son essor, à son expansion et à sa consolidation. Il en a étendu les frontières pour inclure les autres universités montréalaises (Centre d’études ethniques des universités montréalaises), multipliant ainsi les réseaux et échanges interuniversitaires sur diverses facettes des relations ethniques dont les inégalités rattachées au racisme et au statut immigrant, et aux langues. Il a pris d’heureuses initiatives, dont le bulletin du CEETUM et un colloque étudiant, qui a connu un franc succès et servit de modèle. Ses collègues et membres du personnel ont apprécié son leadership et son respect du travail des autres.

Doté d’une grande curiosité, il aimait résoudre problèmes et énigmes. Il cherchait à comprendre le fonctionnement des choses, qu’il s’agisse d’un robot culinaire ou des processus sociaux, à en démonter la mécanique et à en saisir le pourquoi et le comment.

Quant à sa contribution au fonctionnement de l’institution, comme le veut l’expression consacrée, Jean fut un joueur d’équipe, toujours prêt à mettre la main à la pâte, au département et au sein de divers comités universitaires. Quand il fut directeur des Études supérieures et membre du comité exécutif du Département, nous avons pu apprécier ses nombreuses qualités, dont son esprit franc et sa présence solidaire, sa capacité d’évaluer les situations avec une justesse remarquable et de dédramatiser ainsi les moments parfois turbulents dans la vie d’un département.

C’est avec sa passion et sa rigueur scientifique que Jean Renaud s’est employé à cerner, interroger et comprendre le mésothéliome pleural, cette forme rare de cancer du poumon lié à l’amiante, qui le rongeait. Il a entrepris des démarches, auprès de notre syndicat et de la CNESST, qui a accepté sa réclamation à titre de maladie professionnelle, une décision d’abord contestée par l’Université de Montréal. À la demande de l’Association des victimes d’amiante du Québec (AVAQ), il a rédigé et présenté un mémoire au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur la situation des victimes de l’amiante, et, plus précisément, sur les cols blancs. Plusieurs regroupements et individus se sont joints aux siens pour continuer sa bataille, et voir enfin renversée la position de l’Université qu’il a généreusement servie.

Un grand merci, Jean, pour ce que tu as apporté à la sociologie québécoise et canadienne, notamment ton importante contribution à la solution des problèmes que pose le vivre-ensemble entre groupes ethniques. Merci pour tes contributions à la formation de jeunes femmes et hommes mieux armés pour servir leurs collectivités humaines. Merci aussi pour toute l’aide que tu as su aussi généreusement nous apporter.