Le concept de culture juridique au singulier et au pluriel

Les cultures juridiques professionnelles et profanesProfessional and lay legal cultures[Notice]

  • Guy Rocher

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Origine du texte : Rocher, G. (2007), « Les cultures juridiques professionnelles et profanes », Revue de prévention et de règlement des différends, vol. 5, no 1, p. 1-13. Republié avec l’aimable autorisation de Thompson Reuters Canada Limitée.

La maison d’édition des Presses universitaires de France a publié récemment un considérable Dictionnaire de la culture juridique de 1649 pages, sous la direction de Denis Alland et Stéphane Rials (2003). Il s’agit assurément d’un ouvrage de référence d’une grande et certaine utilité. On peut y lire 409 articles, répartis depuis « absence » et « abus de droit » jusqu’à « voirie », « volonté » et « volonté générale », rédigés par 218 auteurs, presque tous professeurs dans diverses universités françaises. Le titre du Dictionnaire est assez particulier et attire l’attention, suscite la curiosité : « culture juridique ». Et ces deux termes apparaissent en gros caractères sur la couverture. Un lecteur curieux commence par aller chercher l’article intitulé « culture juridique ». Il ne trouve rien ni sous le terme « culture », ni sous « culture juridique ». Intrigué, il se demande pourquoi ce Dictionnaire affiche-t-il ce titre avec un tel éclat. En s’aidant de l’Index des matières et en fouillant l’ouvrage, on finit par identifier cinq articles portant le sous-titre « culture juridique ». Il s’agit des articles intitulés : « Angleterre », « Chine », « États-Unis », « Inde », « Japon ». Et si l’on parcourt ces cinq articles, on se rend compte qu’ils sont consacrés à un résumé historique et une brève description du système juridique de chacun de ces pays. Les responsables du projet de ce Dictionnaire avaient de toute évidence demandé aux auteurs de ces cinq articles de faire connaître le droit de ces pays « étrangers » à un lectorat français. Ce qui en témoigne, c’est qu’il y a bien un article intitulé « Droit français », mais sans mention de culture juridique dans son cas. L’article « Islam », conçu dans la même veine que les cinq autres, aurait pu porter le sous-titre culture juridique, mais il n’en est rien. Dans ce Dictionnaire de la culture juridique, la notion de « culture juridique » demeure implicite. Elle correspond grosso modo à la notion du droit ou système juridique d’un pays donné, ses origines, son histoire, sa structuration, ses traits distinctifs. Le seul article qui vient un peu près d’expliciter le sens de culture juridique est celui sur l’Angleterre. Il débute ainsi : « La culture juridique retrace la manière dont le travail de la raison a produit, dans un ensemble politiquement et historiquement cohérent, des formes aptes à réaliser et à donner substance à l’idée de justice. Cette culture est le recueil des formes juridiques créées pour l’accomplissement ou le rétablissement du bien dans les situations concrètes, et c’est en l’étudiant que l’on peut espérer comprendre, dans une large part, ce qui signifiait la justice dans les entités politiques concernées » (Baranger, 2003 : 52). On avouera que cette définition — si l’on peut dire — est très générale, trop générale. De surcroît, elle relève d’une conception exclusivement rationaliste, et par conséquent très réductrice, du « travail » qui engendre, maintient et reproduit le droit d’un pays : la culture juridique y est perçue comme le fruit du seul « travail de la raison ». Partant de cette critique d’un Dictionnaire par ailleurs fort utile, je voudrais engager une réflexion sur la culture juridique (conçue autrement) et sur les cultures juridiques. Et c’est dans la perspective et à la lumière de la sociologie du droit que je me propose de progresser dans cette démarche. Abordons notre thème par la notion générale de culture. Elle a été amplement définie et est couramment utilisée dans l’épistémologie, la théorie et la recherche en sociologie et en anthropologie. On la …

Parties annexes