VariaChronique

Pourquoi tant de FN en France ?Genèse d’un néo-radicalisme majoritaire[Notice]

  • Jean-Yves Heurtebise

Front National est le premier parti de France aux élections européennes de 2014 avec 24,85% des voix exprimées. Depuis trente ans exactement, soit depuis 1984 et le bond soudain du Front National à presque 11% des suffrages exprimés aux élections européennes (il totalisera 9,6% des suffrages aux législatives de 1984 et 14,3% aux présidentielles de 1988), c’est toujours finalement un peu la même question qui revient à chaque élection : Pourquoi tant de FN en France ? Quelques rappels historiques s'imposent pour décrire son implantation politique. Le Front National devient une force politique majeure lors du premier mandat d’un président de gauche, élu en 1981 : François Mitterrand. Plusieurs explications, qui ne s'excluent pas entre elles, peuvent être invoquées. On lit souvent que cette poussée du Front National faisait le jeu de la gauche au pouvoir qui l'aurait plus ou moins favorisée pour diviser la droite. Cette tentation s'expliquerait par la fin de l’Union de la gauche, cette alliance formelle du Parti communiste français avec le Parti socialiste et le Mouvement des radicaux de gauche entre 1972 et 1977, qui a permis au Parti socialiste de devenir la deuxième force politique en 1978, au détriment du PCF, mais sans majorité dans le pays. Dans le même registre, les commentateurs ont glosé sur la fonction d'épouvantail de la proposition d'accorder le droit de vote aux étrangers non-Européens aux élections municipales, proposition dont l'actuel ministre de l'intérieur constate encore aujourd'hui qu'elle reste hors de portée. Mais la percée du Front National pourrait renvoyer aussi à une radicalisation de la critique de droite. Dans le contexte économique mondial marqué par la rupture néolibérale avec les années d'inflation qui facilitait les investissements publics aux dépens des actionnaires privés (sous la double impulsion de Reagan de 1981 à 1989 et Thatcher de 1979 à 1990), la France fait figure d’anomalie avec son gouvernement de gauche entre 1981 et 1995 (sauf entre 1986 et 1988). Constatons enfin la concomitance, dès les législatives de 1997, de l'accession du Front National au rang de troisième force politique du pays avec l’effritement progressif du « centrisme » politique et la lente désagrégation de l’UDF au cours des années 1990. En résumé, la perte d’influence du PCF dans les années 1980 (où la Perestroika – « restructuration » – de Gorbachev en 1986 actait la défaite du modèle soviétique), a donné au PS une forte hégémonie au centre-gauche, avec pour effet une désagrégation du centrisme et la radicalisation du discours droitier qui a permis au Front National de développer une offre politique concurrente à celle de la droite, en la doublant sur son aile nationaliste. L’habileté politique du Front National, c’est qu’il a fait de la critique de la bipolarisation de la vie politique (l’infamous mot-valise UMPS) son cri de ralliement alors même qu’il est en réalité le premier produit de cette bipolarisation. De ce point de vue, le fait que le PS ait réussi à phagocyter le PC dans les années 1980 s’est transformé en victoire à la Pyrrhus. D’autant qu’avec les variantes successives de l’union des gauches (gauche plurielle), la gauche a tari sa réserve de voix alternatives. A l’inverse, la stratégie de l’UMP « ni PS ni FN » est, politiquement, la meilleure : ni l’UMP ni le FN n’ont d’intérêt à créer une union des droites. D’un côté, l’exemple du PC montre que le FN aurait tout à perdre d’une union avec la droite : de l’autre, l’exemple de la gauche plurielle montre à l’UMP qu’il vaut mieux conserver un adversaire fort à ses bords. D’où les critiques de gauche contre la notion de …

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