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Les MOOC (Massive Open Online Courses), aussi désignés par les acronymes CLOM (Cours en Ligne Ouverts et Massifs) et FLOT (Formation en Ligne Ouverte à Tous) sont, à l’heure actuelle, perçus tout à la fois comme un format renouvelant l’enseignement à distance et comme un objet de polémique. En effet, leurs thuriféraires les considèrent comme une véritable révolution institutionnelle et pédagogique, alors que leurs détracteurs voient dans leur essor un énième symptôme du triomphe (plus ou moins en trompe-l’œil) d’une vision néolibérale de l’enseignement universitaire. Dans Les MOOC, Jean-Charles Pomerol, Yves Epelboin et Claire Thoury proposent un état de la recherche sur ce sujet[1]. Ils abordent ainsi des questions concrètes liées à leur mode de production (valorisation institutionnelle, budgets nécessaires, etc.) et à leur usage, notamment à travers celui des publics visés (étudiants en formation initiale, formation tout au long de la vie, etc.). L’ouvrage, issu d’un rapport rédigé à la demande du Conseil Scientifique de la ville de Paris, est basé sur dix-huit entretiens avec des acteurs clefs du secteur[2]. Il offre ainsi une étude synthétique principalement centrée sur l’espace francophone européen (France, Belgique et Suisse[3]).

Loin de tout enthousiasme technophilique, les auteurs inscrivent l’émergence des MOOC à la suite d’une évolution sur le long terme de l’enseignement à distance, de l’enregistrement sonore envoyé par voie postale au cours filmé mis en ligne, en passant par l’usage du VHS et du DVD. Cela les conduit à présenter clairement la distinction entre cours en ligne classique (xMOOC) et cours interactionnistes (cMOOC), ainsi qu’à insister sur la question de la pédagogie inversée ( MC, p. 13-15 et p. 100)[4]. En effet, selon eux, le principal changement introduit par les MOOC se situe moins au niveau de l’audience (devenue massive[5]), qu’à celui du rôle assumé par les apprenants. Les MOOC ne correspondent, en effet, pas à la « diffusion massive de l’enseignement traditionnel » (MC, p. 3), sous-entendu basé sur la transmission de connaissances du maître à l’élève, mais à une forme permettant des relations entre enseignants et enseignés adaptées aux potentialités du web 2.0. Ainsi, c’est l’existence de forums et de réseaux sociaux, sur lesquels les personnes inscrites au MOOC échangent sans l’intermédiaire du professeur, qui constitue, selon eux, le principal changement.

Loin de toute vision utopique ou dystopique, ils ne déduisent pas de ce constat l’émergence d’un phénomène conduisant à la suppression des universités. Ils rappellent ainsi que bien des étudiants s’inscrivent dans celles-ci autant pour acquérir des connaissances que dans le but d’une socialisation, pour ne pas dire d’une distinction (au sens de Bourdieu), ce que les MOOC n’offrent pas (MC, p. 108). Ils ajoutent que les MOOC, plus adaptés à des cours de premier cycle, n’entrent pas non plus en concurrence directe avec la fonction de recherche assumée par les universités. En fait, c’est à l’identification d’un modèle hybride que les auteurs s’attellent. Ils argumentent ainsi en faveur de l’avènement de ce qu’ils nomment des « MOOC environnés » ou des « MOOC tutorés » (MC, p. VI-VII). Le principe est de ne pas partir du présupposé qu’un cours en ligne correspond à une formation suivie uniquement à domicile et de manière isolée. Cela conduit à repenser l’articulation entre formation à distance et au sein de l’université. Dans ce cadre, le MOOC se substituerait au cours magistral en amphithéâtre et serait accompagné d’une formation personnalisée dispensée en présentiel. Cela permettrait notamment « d’augmenter l’interaction du professeur avec l’apprenant et l’implication de ce dernier » (MC, p. 100). En somme, comme le prônent les tenants de la pédagogie inversée (flipped pedagogy), la leçon est apprise en ligne en amont d’un moment d’échange en présentiel, qui est pensé comme l’espace le plus adapté à une co-construction des connaissances[6]. Le modèle ainsi présenté, parfois de manière très prescriptive par Pomerol, Epelboin et Thoury[7], est plus proche de celui du SPOC (Small, Private, Online Course)[8], destiné à des étudiants dûment inscrits au sein d’une université, que du MOOC, qui ne nécessite pas d’affiliation ni, la plupart du temps, de prérequis académique.

L’un des principaux intérêts de cet ouvrage est que, dans une optique très pragmatique, les auteurs étudient la faisabilité de leur modèle en termes non seulement institutionnels, mais aussi économiques. S’ils identifient des freins possibles au sein des universités[9], leur analyse se porte ainsi, surtout, sur le « seuil de rentabilité » à atteindre (MC, p. 54). Le modèle choisi est alors celui d’un cours classique (xMooc) basé sur des vidéos de moins de quinze minutes. Il est entendu que l’enseignant qui apparaît à l’écran s’appuie sur des études de cas et renvoie l’étudiant à une bibliographie[10]. Le cours devra donc être conceptualisé, filmé, monté, intégré à une plateforme, puis testé, avant d’être diffusé. L’ensemble de ces opérations nécessite au minimum quatre mois de travail. « La construction d’un MOOC est un travail beaucoup plus complexe que la préparation d’un cours classique et cela nécessite une organisation inhabituelle dans l’enseignement, qui se rapproche des projets industriels » (MC, p. 34). Ils insistent alors sur l’importance de réunir des professionnels issus de différents services de l’université : chef de projet, enseignants, informaticiens, opérateurs, monteurs, gestionnaire de communauté (community manager). Ils indiquent également que les questions de gestion des droits afférents à la reproduction de documents (MC, p. 23), de statut des données personnelles collectées (MC, p. 52 et p. 85), ainsi que d’évaluation de la formation et des étudiants (MC, p. 71sq), sont à étudier au cas par cas. Détaillant les coûts des investissements en matériel à la charge des enseignants, ils arrivent à la conclusion qu’un MOOC correspondant à 64 h de cours en présentiel, soit une unité d’enseignement en France, nécessite un budget de 30 000 à 50 000 euros. Pour être amorti, il est donc, selon eux, nécessaire de le répéter trois années de suite[11].

Pomerol, Epelboin et Thoury indiquent cependant que ce budget n’est peut-être pas si conséquent, car les MOOC ont d’autres fonctions. Ils servent notamment au rayonnement de l’établissement (MC, p. 61) et à recruter les étudiants les plus doués (MC, p. 65). « Au fond, c’est de la publicité ciblée et durable, pas très chère si on se place de ce point vue » (MC, p. 64). Ce rapprochement vis-à-vis d’une politique d’image de la part de l’université ne correspond pas, selon eux, automatiquement, à une simplification du contenu du cours. Au contraire, les auteurs insistent sur la qualité de certains MOOC. Ils distinguent ainsi vocation publicitaire liée au mode de financement et innovation pédagogique possible de la part des enseignants[12]. L’ouvrage vaut ainsi autant à titre de bilan historiographique, qu’à titre de manuel à destination des enseignants s’interrogeant sur l’intérêt de se lancer dans la conception d’un MOOC. Malgré l’absence regrettable d’une conclusion générale[13], cet ouvrage synthétique constitue ainsi une introduction réussie aux problématiques liées à l’émergence des MOOC. Les auteurs apportent notamment de premiers éléments de réponse concernant la manière de « conjuguer masse et personnalisation » (MC, p. 116), ce qui constitue l’un des principaux défis actuels dans ce domaine. Ils indiquent également quelques pistes pertinentes à suivre concernant les modalités les plus adaptées pour penser ensemble formation présentielle et en ligne.