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Faire la fête aux mots - Il y aurait donc des mots corrects, des mots incorrects, des mots propres, des mots sales, des mots sacrilèges, des mots bénis, des mots validés, des mots invalidés, des mots à la mode, des mots désuets, des mots convenables, des mots inconvenants, des mots interdits, des mots modernes, des mots anciens, des mots inventés, des mots déformés, des mots valises, des mots : mais, au fond, ça suffit.

A l’école, les enfants jouent et demandent : « quel est ton mot préféré ? ». Le jeu se restreint souvent à choisir une couleur, moi le rouge, toi le bleu, lui le jaune. Ils savent, bien entendu, les reconnaître, mais n’en connaissent pas les différentes dimensions symboliques qui évoluent selon les cultures et les latitudes. Cela n’a guère d’importance d’ailleurs, puisque la question posée est éphémère dans le temps et l’espace, elle ne dit qu’une émotion, une sensation, voire un goût, non pas celui du mot en soi, mais de ce qu’il procure dans l’esprit d’un enfant. Lorsque, à l’âge adulte, cette question vous est posée, vous êtes bien embêté pour répondre, car vous vous fichez comme d’une guigne d’avoir un avis quelconque, et cependant la question devient intéressante : elle n’a pas de réponse spontanée. Qu’il n’y ait pas de réponse, passe encore, mais il n’y a pas de spontanéité non plus - la culture s’est installée, avec son lot de signes et de symboles, de signifiants et de signifiés, de définitions et de sens qui entretiennent, certes, des relations, mais parfois jusqu’au paradoxe.

Alors, les mots ? Vous les aimez, vous ? Aimer les mots, quelle drôle d’idée. Aimer des choses entre immatière et matière - et qui plus est, qui ne vous aimeront jamais ! -, entre apparition et disparition, entre abstraction et concrétion. Aimer les mots, bref, cela n’a pas d’importance. Ces mots envahissants, calamité depuis Homère (y compris, comme l’écrivait - on n’en sort pas - Lichtenberg, si la version du vieil aède est une traduction du vieil irlandais), et les nouvelles technologies n’y changent rien, car ils sont toujours là, royaux, intangibles, inscrits.

Alors un mot de plus, un mot de moins... Des mots qui s’effacent, d’autres qui surgissent, des mots qui se traduisent, d’autres pas (traduire pinochle ou scoppa par belote serait tarte - je voulais dire : inapproprié), qui passent d’une langue à l’autre, et seule la prononciation change (computer, par exemple - j’aime bien cette vieille chanson de France Gall, Der Computer Nummer drei, enregistrée uniquement en Allemagne et pour les Allemands, et le mot Computer dont on ne savait pas grand-chose à l’époque et qui ne devint pas même à la mode). Il y a effectivement des mots qui ont leur heure (pas plus) de gloire, et qui passent de vie à trépas, on parle d’eux dans les journaux, les journaux finissent par les employer, la population panurgesque suit le mouvement, du haut en bas de l’échelle sociale, on n‘entend plus qu’eux, à tort et à travers, on ne sait s’ils sont beaux, s’ils sont moches, s’ils ont jamais eu un sens, plusieurs, ou s’ils viennent de nulle part, ou d’à côté, pertinents, impertinents, peu importe, la jacasserie prend le pas sur la réflexion : il faut les avoir prononcés au moins une fois, afin de savoir quel goût prend la salive qu’on a dans la bouche. Par exemple, le verbe positiver, que chacun a eu à cœur de dénigrer, parce qu’un premier ministre, qui n’est pas de notre bord, comme on dit (et nous ne nous cachons pas de nous en flatter), l’a prononcé. Auparavant, le mot n’était considéré que comme stupide quand le vice-roi de la distribution alimentaire lui accordait un P majuscule d’un mètre et que ce P d’un mètre suivi du reste trônait sur tous les panneaux d’affichage de ce beau pays, néologisme assez idiot qui ne grandissait pas la langue française, mais qui, au fond, Molière et Amélie Nothomb réunis, ne la rapetissait pas non plus. Après tout, cette foutaise n’était lancée que par un épicier, certes énorme, mais qui n’était pas qualifié pour faire avaliser, ou faire avaler, ce genre de borborygme franco-anglo-saxonisé (donc in-ter-na-ti-o-nal), du moins pas plus de temps qu’il n’en fallait pour coller et recouvrir des affiches. Un premier ministre, quand bien même celui-ci a joué Monsieur Prud’homme mieux que personne, c’est un premier ministre, point barre. Ça sait se tenir, un premier ministre, ça parle un bon français, et ça en remontre langagièrement, lin-guis-ti-que-ment à la France entière d’en bas. Patatras ! Voilà-t-il pas que le môssieur cause comme une poissonnière high-tech. Et le mot devient un sujet de causerie. La France, les Français doivent positiver, autrement dit, en français obsolète, être optimistes quant au présent et à l’avenir. On introduit un décalage entre ce qu’il convient de dire, de faire (les codes, les usages en vigueur, peu importe ce qu’ils sont) et ce qu’on dit, comment on le dit et on l’écrit - on décrit là des girations idéologiques. Et le mot finit par (presque) disparaître en même temps que son locataire d’un temps. Triste destinée !

Le mot performance est bien autre dans son « histoire ». Lui dont on croit savoir qu’il nous vient directement de l’anglais et qu’on l’« introduisit », origine oblige, dans les haras dans la première partie du XIXe siècle. Ce mot vient pourtant de l’ancien français parfournir qui donnera plus tard parformer, influencé par form/forme - autrement dit, faire la forme, car to perform, en anglais, est au fond très proche de to do. Aujourd’hui, depuis que le happening (salaud de Cage) et l’event ont pratiquement disparu, excepté des manuels d’histoire des beaux-arts, la performance, le mot, est à la mode. On parle même de lecture performée tant la voix, le corps, la gestuelle alliés à la musique, la danse et le multimédia a pris le pas sur la lecture atone de vers bien construits et bien pensés que d’aucuns savent fuir puisqu’il n’est rien de mieux que de les lire dans son lit (quand bien même, au fond, sans ou avec rythme, sans ou avec voix microïsée omnidirectionnellement, sans ou avec corps, sans ou avec gestuelle, et musique et danse et multimédia, la plupart de tout cela, comme le disait Charles Bernstein, et je le dis comme lui, avec respect et distance, est « illiquide », voire même une suite de sornettes implacablement irresponsables, dépourvues de méthode et surtout de sens.)

Plaisanterie mise à part, le mot (et c’est toujours de performance dont il s’agit) apparaît, et demeure, tant que son objet est réellement mouvant, voire mouvementé, et disparaît quand l’objet se nécrose, réapparaît quand un changement brusque ou lent surgit, redemeure, inchangé dans sa prononciation, bien entendu, mais ne recouvrant plus les mêmes domaines, si tant est que l’on sache de quels domaines il serait le porte-drapeau adéquat, gagnant cependant et imperturbablement en significations de tous ordres. Bref : s’intéresser au mot, ne pas s’y intéresser, s’intéresser à ce qu’il désigne ou non n’a guère d’importance tant que la langue en parle et que le langage ne l’emploie pas. Sinon ? On s’engouffre dans un processus de réification ? Cela arrive, et si cela n’arrive pas, là, tout dépend de l’agencement.

Le mot (ah !) est lâché : agencement. Parce qu’un mot, si véritablement on peut le mâchouiller en bouche, on peut le décrire, lui donner diverses significations, des origines étymologiques plus ou moins douteuses, un mot n’est rien tant qu’il n’est pas accolé à d’autres, mis en situation de paroles et/ou d’écritures dans leurs rythmes, leurs intensités et leurs vitesses. D’où le fait, certain, qu’un cliché peut être savamment orchestré - le cliché demeure cliché tout en se traversant, passant dans un espace-temps différent ; le mot âme, que d’aucuns ont du mal à écrire, demeure stupide (ou suranné, ou son bec a été clos par le radicalisme-socialiste athée et la séparation de l’église et de l’état) mais vivifié par du pseudo Alphonse Allais dans « âme bâté » (qu’on me pardonne !). Et, au fond, c’est à peu près tout. Aucun mot ne m’est étranger, pour peu qu’il y vibre quelque chose (y compris un toc-toc bêbête), aucun, surtout, ne m’est interdit, dans le poème ou ailleurs. Tartempion, nazi, kakemphaton - un mot tarte, un mot salaud, un mot pédant, mais tellement amusant. Il ne viendrait par ailleurs à l’esprit de personne aujourd’hui d’abouter nuit avec brouillard. Et pourtant : Christian Morgenstern, le grand poète allemand du début du XXe siècle, n’a-t-il pas écrit (de mémoire) : « So schön ist Berlin zwischen Nebel und Nacht ». C’était avant, mais cela ne change rien à la beauté de ce vers. Ce ne sont pas les mots qui sont barbares, ce sont les hommes. 

liminaire (ne fais pas dans l’illustration - si luminaire il y

avait (ou AVAIT : demande refusée, inconsidérée, voilà)

la face lumineuse de mot-chambre serait changée, déjà)

bien : on nous repousse vers le nord le sud est déserté ce n’est pas beau à voir

un désert quand (la fin lui manque, la fin le manque - pétard mouillé -

pourtant l’Histoire n’avait pas besoin de ÇA pour s’effondrer encore mais :

lunatic asylum pour son directeur : devient révélateur et obscuranteur de

scabieuses très endormies

JE N’AI AUCUN INTÉRÊT À MENTIR

(moi)

une partie manque, elle manque, je la cherche et je finis par m’entretenir de cette

recherche : seul, de chercher sans chercher et de n’avoir pour but que cette

recherche, cette recherche, je le répète, cette recherche et de m’en entretenir tant

et si bien que :

je ne prononce plus que le mot recherche et rien de sérieux sur la recherche,

j’allais dire en soi, grand dadais, va, grand dadais

GRAND

dadais

(vous me faites mal aux côtes avec - vos quoi, répétez-les !)

je finis, dis-je, je finis (histoire n’a fait qu’un - petit

- tour non sur elle-même mais au milieu d’un ronde de nains déchaînés

(bonspourlematérialismehistoriqueetdialectique : encore en

traitement alors :

nous (mot désuet) allons allons allons bayer aux corneilles et nous (mot désuet)

nous en servirons pour nettoyer nos (mot désuet) verres de lunettes

passablementtrop  l     ong (oh !) dégueulasses

et on aura leur peau