Résumés
Résumé
Par le biais de la transcription de modèles vocaux, les luthistes du xvie siècle ont acquis des techniques d’écriture savante, et ont pu dès lors enrichir le répertoire de leurs propres fantaisies contrapuntiques. Cet article propose d’analyser ce phénomène à travers l’oeuvre du luthiste Albert de Rippe. Des recherches antérieures se sont limitées à identifier des motifs empruntés par de Rippe à des modèles vocaux, puis utilisés dans ses fantaisies. Toutefois, le langage de la Renaissance étant constitué de nombreuses formules stéréotypées, il est souvent difficile de déterminer si un motif a véritablement été emprunté ou si la ressemblance est plutôt le résultat de l’utilisation d’une « grammaire » commune.
Plutôt que de chercher des emprunts mélodiques explicites, je propose donc d’examiner une technique d’écriture qui s’est transférée de la musique vocale à la musique instrumentale : le stretto fuga. Ce type de canon fréquemment utilisé dans le répertoire vocal de la Renaissance occupe une place centrale dans les fantaisies d’Albert de Rippe. Pour illustrer cette technique, je présente d’abord le duo Per illud ave de Josquin, entièrement construit sur des entrées successives en stretto fuga. Puis, je propose une analyse de la mise en tablature de ce duo par de Rippe pour démontrer la manière dont il adapte le modèle et en souligne la forme, grâce notamment à l’ornementation et à la densification de la texture aux cadences. Finalement, je montre que de Rippe adopte les mêmes procédés dans ses propres créations, notamment les fantaisies xvi et xxi. Ainsi, plus qu’une simple transcription, la mise en tablature de Per illud ave agit en véritable intermédiaire entre l’original vocal et les fantaisies. De plus, puisque la technique du stretto fuga peut facilement être improvisée, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour comprendre l’art de ce grand luthiste de la Renaissance.
Abstract
By means of transcription of vocal patterns, lutenists of the 16th century acquired advanced writing techniques and were able to enrich the repertoire of their own contrapuntal Fantasies. This article intends to analyze this phenomenon through the work of lutenist Albert de Rippe. Previous research has been limited to identifying the motifs borrowed from vocal models by de Rippe, then used in his Fantasies. However, the musical language of the Renaissance was made up of many stereotypical formulas, so it is often difficult to determine if a particular motif was genuinely borrowed, or if the resemblance is rather the result of the use of a common “grammar.”
Rather than looking for explicit melodic borrowing, the author proposes to examine a writing technique transferred from vocal to instrumental music: the stretto fuga. This type of canon that was frequently used in Renaissance vocal music has a prominent role in the fantasies of Albert de Rippe. To illustrate the point, Josquin’s Per illud ave is presented, which is entirely constructed by successive uses of stretto fuga. Then an analysis of the de Rippe’s tablature of this duo is presented to show how he adapts the model and follows the form, especially by the ornamentation and the desification of the texture at the cadences. Finally, it will be shown how de Rippe uses these same processes in his own compositions, especially in Fantasies XVI and XXI. Thus, more than just a transcription, the setting into tablature of Per illud ave acts as a veritable intermediary between the original vocal setting and the Fantasies. Moreover, since the stretto fuga technique can be easily improvised, new perspectives are discovered to understand the artistry of this important Renaissance lutenist.
Parties annexes
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