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Chères lectrices et chers lecteurs,

Cet éditorial qui ouvre cette nouvelle livraison des Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique sort un peu du cadre habituel. En plus de présenter brièvement son contenu, il me permet de faire le point sur la situation dans laquelle se trouve l’équipe de direction des Cahiers et les membres du conseil d’administration de la SQRM. Situation très préoccupante, puisque la subvention du Fonds de recherche du Québec — Société et culture (FRQSC), qui a permis à la revue de se développer (et de simplement continuer à paraître, soyons francs) depuis quatre ans[1], cette subvention ne nous a pas été accordée à nouveau au printemps dernier. La compétition était très forte, le jury ayant recommandé que presque toutes les revues ayant présenté un dossier soient financées à nouveau. Mais les budgets alloués étant limités, seulement 12 revues ont dans les faits reçu un financement. Nous nous sommes classés en 14e position. Les bonnes notes obtenues nous permettent heureusement de poursuivre notre entente avec le consortium Érudit, qui assure la diffusion numérique de la revue, ce qui est appréciable. Mais les fonds vont rapidement venir à manquer ; dans le courant de la prochaine année académique, sans doute, si aucune solution n’est trouvée d’ici là.

Certes, la revue accuse toujours un retard de presque deux ans dans la production, ce qui a certainement entaché notre dossier. Malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas encore parvenus à grignoter de façon significative cet écart qui fait que le présent numéro, achevé au début de l’automne 2019, porte officiellement le millésime 2017. Je dois assumer la responsabilité de cet état de fait, quoique j’aie hérité moi-même d’un net retard lorsque j’ai accepté à l’automne 2013 de prendre la direction de la revue, une transition ayant inévitablement été nécessaire. Il faut bien préciser que les délais sont aussi dus à un réel souci de maintenir, voire d’accentuer, la qualité de ce que nous publions. Et je dois remercier ici chaleureusement tous les membres dévoués du comité scientifique de la revue, passé et présent, qui se partagent l’évaluation de chaque article reçu, les rédactrices ou rédacteurs invités, de même que spécialistes externes de la discipline concernée, choisis avec soin, dès lors qu’un article est jugé assez solide pour leur être soumis. Telles sont les normes de la publication scientifique, auxquelles la rédactrice qui me précédait, Claudine Caron, était particulièrement attachée. C’est dire que chaque article est soigneusement évalué et que, sauf très rares exceptions, les autrices et auteurs sont appelés à réviser, à compléter et/ou à bonifier leurs textes. Ce processus demande du temps et plusieurs aller-retours entre les chercheuses et chercheurs et la direction de la revue. L’occasion est toute indiquée de rendre ici hommage à la rigueur et au perfectionnisme de l’actuelle secrétaire de rédaction (depuis l’hiver 2015), Julie Mireault, mon réel bras droit (qui succédait à Louis Brouillette), sans laquelle les textes, mis en page ensuite avec patience et imagination par le graphiste Bruno Deschênes, n’atteindraient pas les normes élevées que nous nous sommes fixées. Avons-nous placé la barre trop haute ? C’est possible. Mais nous sommes extrêmement fiers du résultat. Et les auteurs/autrices — certains peu expérimentés, d’autres nettement plus aguerris — nous sont généralement reconnaissants pour le professionnalisme dont notre équipe fait preuve. Je signale à ce propos qu’une part substantielle du mandat des Cahiers de la SQRM consiste à encourager les étudiantes et étudiants en musique à publier et de les aider à progresser sur le plan de la rigueur scientifique et de la maîtrise rédactionnelle. Or, et ce point doit être souligné, tout ce travail s’appuie essentiellement sur le bénévolat (y compris lorsque de timides salaires sont versés) et s’accomplit en surcroît d’autres tâches, puisque la majorité des membres du comité scientifique et des évaluateurs externes enseignent à temps plein dans une institution réputée.

Vous aurez compris que ce préambule vise à vous informer que nous nous trouvons dans une cruelle incertitude en ce qui concerne l’avenir des Cahiers de la SQRM, une revue québécoise existant sous cette forme depuis 1997 (le premier numéro, le vol. 1, nos 1-2, a été publié en décembre de cette année-là) et qui prenait la relève des Cahiers de l’Association pour l’avancement de la recherche en musique du Québec (ARMuQ) (1983-1996). L’association éponyme a été fondée en 1980 (lire un historique de cette association, vue de l’intérieur, par Louise Bail dans le vol. 8, no 2 des Cahiers). De nombreux chercheurs maintenant bien établis ont fait paraître dans les livraisons successives des Cahiers le résultat de leurs recherches. La liste des abonnés actuels à la revue inclut la grande majorité des établissements d’enseignement supérieur et des bibliothèques du Québec et du Canada, et de nombreux autres à l’étranger, notamment en France, mais aussi en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. C’est dire que la disparition de cette revue créerait un vide important dans le milieu musical, et pas seulement dans l’historiographie québécoise. La diffusion sur la plateforme Érudit assure aux textes parus depuis décembre 2008 (vol. 10, no 1) une large diffusion et on nous lit dans plusieurs pays. L’occasion est donc bonne de remercier le FRQSC et le consortium Érudit pour leur soutien passé, qui a permis un tel développement des Cahiers de la SQRM et de notre lectorat.

Les difficultés présentes surviennent paradoxalement à un moment où nous avons plusieurs projets à l’agenda, et que le retard dans la production aurait pu vraisemblablement se résorber en un an ou deux. Voilà pourquoi j’en appelle à votre soutien : seuls des dons (adressés à la SQRM, avec une mention qu’ils sont expressément destinés aux Cahiers) permettront à la revue de survivre et à la présente équipe d’assurer une souple transition vers la suite des choses. Car voilà déjà six ans pleins que j’assume les fonctions de rédacteur en chef, et aussi plusieurs années que Julie Mireault est ma fidèle et dévouée acolyte. Nous devrons tous deux bientôt laisser la place à la relève, que nous souhaitons aussi enthousiaste que nous l’avons été. Nous comptons sur vous. N’hésitez pas à communiquer avec la Société québécoise de recherche en musique pour exprimer concrètement votre soutien (info@sqrm.qc.ca).

Mais pour l’heure, place à la joie de publier dans ce volume 18 no 2 des Cahiers de la SQRM six nouveaux articles, dont la moitié sont signés par de jeunes chercheurs, ainsi que deux recensions d’ouvrages mettant en valeur le dynamisme du milieu universitaire québécois, également proposées par des chercheurs de la relève. Les recherches qui ont nourri ces textes se situent à l’intersection de la musique et de sphères voisines : urbanisme, art public, histoire religieuse, théâtre, littérature, philosophie orientale et histoire sociale. D’où le titre donné à cette livraison : « À la croisée des chemins ». Claudia Schweitzer nous propose d’abord une incursion dans la tragédie lyrique du 17e siècle, et plus particulièrement du rôle qu’y tiennent les scènes de songe chez Lully (Atys, Armide) et Desmarets (Circé). Cette recherche met en valeur la démarche des librettistes tout comme les compositeurs, de même que des traditions bien établies sur les plans littéraire, dramatique et musical. Le musicologue québécois Paul Cadrin nous fait ensuite partager son intérêt pour un événement musical insolite : un concert de musique religieuse présenté à l’occasion du départ de Montréal, en 1868, du premier régiment des zouaves pontificaux, ces volontaires appelés à prêter main-forte au pape Pie ix et à l’État pontifical, qu’on disait menacé par les partisans de l’unité italienne. L’examen de la préparation et de la réception de ce concert solennel, comparable à ce que l’on pouvait présenter dans les grandes églises de France à la même époque, donne lieu à une incursion dans un territoire peu familier de l’histoire de la musique de la seconde moitié du 19e siècle, histoire à laquelle on s’intéresse trop peu. Le compositeur et musicologue Frank Pecquet, en s’appuyant sur un projet d’oeuvre sonore interactive de l’artiste James Murphy dans le métro de New York, s’attarde pour sa part aux notions relativement nouvelles que sont le design sonore et l’écologie sonore urbaine, tout en réfléchissant aux implications philosophiques que soulève l’intégration de technologies avancées à ce type de projet où l’utilisateur prend une part active à la création d’un écosystème sonore.

Les lecteurs et lectrices découvriront ensuite un genre méconnu de la chanson polyphonique du xvie siècle franco-flamand, la fricassée, savoureux mélange de mélodies et de textes poétiques empruntés à d’autres chansons et visant à faire rire, notamment par le caractère coquin, voire érotique, du nouveau mets qui résulte de cette combinaison d’ingrédients. Et Vita Kim de proposer un lien entre cette forme développée et burlesque du quolibet avec la longue tradition du carnaval, toujours bien présente à la Renaissance. Sarah-Ann Larouche s’interroge quant à elle sur les critères ayant prévalu lorsque différents spécialistes ont divisé en périodes l’oeuvre de Joseph Haydn. À quel moment la « jeunesse » d’un compositeur prend-elle fin ? Et que l’« apprentissage » cède le pas à la « maturité » ? Un questionnement fort pertinent que l’on pourrait appliquer à bien d’autres corpus. Enfin, Jonathan Voyer partage avec nous sa passion pour la musique classique de l’Inde. Son expérience concrète de musicien auprès d’un maître le conduit, après un exposé de quelques notions théoriques, à un examen des processus menant à la représentation interne d’une mélodie au cours de l’apprentissage, en lien avec la philosophie du shivaïsme du Cachemire, nous introduisant à l’intrigante notion de « mélodie intérieure ».

Deux comptes rendus complètent ce numéro. Ruben Vernazza a lu avec attention l’étude érudite de Steven Huebner consacrée à l’oeuvre lyrique de Giuseppe Verdi (Les opéras de Verdi : Éléments d’un langage musico-dramatique). Enfin, Olga Garbuz dresse un compte rendu éclairant de l’intéressante correspondance échangée par notre compatriote Maxime McKinley et le réputé compositeur français Pascal Dusapin (Imaginer la composition musicale : Correspondance et entretiens, 2010-2016). Ces deux textes donnent certainement l’envie de plonger plus avant dans ces deux ouvrages récents. Ce numéro, que nous souhaitons aussi éclairant que passionnant, est le fruit de patients efforts, autant de la part de ceux qui les signent que de ceux qui les ont édités.

Bonne lecture et surtout, longue vie aux Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique !