Corps de l’article

Introduction

Depuis plus de trente ans, plusieurs spécialistes en recherche sociale et en intervention clinique se sont intéressés à l’expérience des jeunes des minorités sexuelles, particulièrement en ce qui concerne le dévoilement de leur orientation sexuelle[1] et de ses répercussions sur le plan individuel (LaSala, 2013). Aujourd’hui, les gais et les lesbiennes divulguent leur réalité affective à leur entourage plus tôt dans leur vie, comparativement aux générations précédentes (Dube, 2000 ; Schope, 2002). Considérant l’acceptation croissante de la diversité sexuelle et la présence accrue de modèles positifs dans la société, certains jeunes prennent conscience de leur attirance envers les personnes de même sexe, cheminent vers l’acceptation de leur homosexualité et la dévoilent parfois à l’aube de leur adolescence.

Or, malgré les avancées légales survenues au Québec et au Canada mettant fin à toute discrimination juridique envers les personnes homosexuelles, l’égalité sociale n’est pas encore pleinement atteinte pour les membres des communautés gaies et lesbiennes. L’homophobie, la lesbophobie et l’hétérosexisme sont encore présents dans les établissements scolaires (Chamberland et al., 2011 ; Émond et Bastien Charlebois, 2007 ; Taylor et al., 2010), les milieux de travail (Chamberland, 2007 ; Dowling et Buxton, 2005) et le réseau de la santé et des services sociaux (Brotman et al., 2006 ; Robinson, 2009). Exacerbées par le stress lié au statut minoritaire (Meyer, 2003), les oppressions homophobes et hétérosexistes peuvent engendrer des effets négatifs sur la santé physique et mentale des personnes homosexuelles (Julien et Chartrand, 2005). Ces dernières sont plus susceptibles d’avoir une faible estime de soi, de ressentir de l’anxiété et d’adopter des comportements à risque lorsqu’elles se sentent isolées, incomprises et rejetées par leurs pairs (Rohner, 2004 ; Ryan, 2003). L’absentéisme et le décrochage scolaire sont aussi des répercussions négatives associées à la victimisation (Walton, 2004), de même que la dépression et la détresse suicidaire (Charbonnier et Graziani, 2013 ; Dorais et Lajeunesse, 2000).

Les craintes réelles ou appréhendées liées au dévoilement de leur orientation sexuelle accentuent considérablement la vulnérabilité des personnes gaies et lesbiennes, particulièrement à l’adolescence (D’Augelli, 2002 ; Savin-Williams, 2001). Craignant le rejet et l’ostracisme, ces jeunes sont susceptibles de vivre des moments d’angoisse à l’idée de se confier à leurs parents, surtout s’ils sont dépendants d’eux sur le plan financier ou émotionnel (D’Augelli et al., 1998 ; Paul et al., 2002). Ils attendront parfois de quitter le giron familial avant de révéler leur homosexualité, profitant de points tournants dans leur vie pour le faire, comme la poursuite d’études postsecondaires dans une autre ville. Malgré ces appréhensions, plusieurs souhaitent tout de même aller de l’avant dans leur processus de coming out auprès de leurs parents, afin de cesser de mentir par omission ou pour rendre leurs relations plus authentiques (Savin-Williams, 2001 ; Strommen, 1990).

Lorsqu’ils dévoilent leur orientation sexuelle, les jeunes sont susceptibles de se confier d’abord à leurs amis, ensuite à leur mère et, finalement, à leur père (Carnelley et al., 2011 ; Charbonnier et Graziani, 2011 ; Savin-Williams et Ream, 2003). Les recherches démontrent que l’acceptation et le soutien parental sont des facteurs de protection contre les effets négatifs de la victimisation sur le bien-être et la santé mentale des jeunes gais et lesbiennes (D’Augelli et al., 2005 ; Needham et Austin, 2010 ; Padilla et al., 2010). À cet égard, les parents ont un rôle important à jouer auprès de leur enfant (Goldfried et Goldfried, 2001). Leur réaction initiale est un facteur déterminant quant à la qualité de la relation qu’ils entretiendront avec leur enfant après le dévoilement de son orientation sexuelle (Ben-Ari, 1995).

À la lumière de ces différents constats, il apparaît pertinent de s’enquérir du point de vue des parents d’un enfant gai ou lesbienne. L’objectif principal de cet article est de faire une synthèse des connaissances sur l’expérience des parents en contexte de dévoilement de l’homosexualité de leur enfant, à travers une recension de la documentation sur le sujet. Les recherches ont été analysées de manière à répondre aux questions suivantes : comment réagissent-ils à cette annonce ? Comment s’adaptent-ils à cette nouvelle facette de leur vie familiale ? Quelles sont les interventions sociales à favoriser pour le soutenir ? Puisque la vaste majorité des études se sont penchées presque exclusivement sur le vécu de parents d’enfants d’orientation homosexuelle et que les expériences des personnes bisexuelles sont peu documentées (Watson, 2014), nous avons choisi de circonscrire notre démarche et de ne pas généraliser les résultats aux réalités associées à la bisexualité.

Divisé en quatre parties, cet article marque une volonté d’acquérir une compréhension et une analyse critique de ce phénomène, en plus d’amorcer une réflexion sur les pratiques sociales auprès des familles. La première partie propose un survol des réactions des parents en réponse à la divulgation de l’orientation sexuelle de leur enfant, tandis que la deuxième présente les défis associés à leur nouvelle identité en tant que parents d’un enfant non hétérosexuel. La troisième section explore les pratiques psychosociales et communautaires développées à leur intention. Enfin, la dernière partie expose les limites des études recensées et les prospectives de recherches sur le sujet.

L’expérience des parents d’un enfant d’orientation homosexuelle

Phénomène émergent s’il en est, l’expérience des parents d’un enfant gai ou lesbienne demeure peu documentée à l’heure actuelle. La majorité des écrits sont d’origine étasunienne et reposent majoritairement sur des récits anecdotiques ou des témoignages rétrospectifs de parents (D’Amico et al., 2012). Bien que le Québec se démarque par ses mesures progressistes en matière de diversité sexuelle et de lutte contre l’homophobie (Audet, 2007 ; Gouvernement du Québec, 1997 ; Gouvernement du Québec, 2009), peu de recherches se sont attardées à l’expérience des parents d’un enfant non hétérosexuel (D’Amico, 2010). Longtemps consacrées aux aspects biologiques et médicaux associés à l’homosexualité, les études occidentales sur les minorités sexuelles appréhendent depuis une quinzaine d’années seulement l’expérience des personnes homosexuelles en tenant compte de leurs réalités sociales et familiales (LaSala, 2013 ; Tremblay et al., 2007).

La démarche documentaire

La méthode utilisée pour effectuer cette recension respecte les normes habituellement préconisées pour ce genre de démarche (Cooper, 2010 ; Curtis et Curtis, 2011). Elle a pour but d’identifier les thèmes centraux examinés jusqu’à maintenant par les chercheurs, d’intégrer les savoirs issus des recherches et d’en dégager les contradictions et les limites. Différentes bases de données couramment utilisées en sciences sociales ont été consultées pour effectuer la recension des écrits dont PsycARTICLES, Sage Journals Online, SocINDEX, Social Services Abstracts, Taylor & Francis, Cairn et Érudit. Les mêmes mots-clés ont été utilisés pour les bases de données anglophones soit « coming out », « youth », « homosexual* » et « parental reaction » alors que les mots-clés « homosexu* », « adolescen* » et « parent* » ont été employé pour les bases de données francophones. Le corpus a été complété par l’ajout d’articles pertinents référencés dans la bibliographie de ceux repérés dans les bases de données. Seuls les articles publiés depuis le début des années 1990 ont été considérés.

Pour être retenus, les articles et autres documents devaient traiter de la diversité des réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité d’un enfant, des enjeux et des considérations associés à l’émergence d’une nouvelle identité parentale et familiale ou, encore, aborder plus spécifiquement les pratiques d’intervention psychosociale ou communautaire visant à soutenir les parents. Une quinzaine de ces articles se basent sur le point de vue des parents eux-mêmes, 19 traitent plutôt de la perception des jeunes quant à la réaction de leurs parents lors du dévoilement et 15 offrent une perspective croisée. La recension des écrits a permis de rassembler 49 documents (n = 49) contributifs à l’articulation de cette problématique, dont 29 études empiriques, 3 recensions, 4 articles ou chapitres de livre de facture théorique, 12 articles ou monographies d’orientation clinique et une thèse de doctorat. Ce matériau provient majoritairement de recherches en psychologie, mais aussi d’autres disciplines comme le travail social et la thérapie conjugale. Enfin, les articles publiés dans d’autres langues que le français ou l’anglais n’ont pas été retenus.

Les réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité de leur enfant « Maman, Papa… j’ai quelque chose d’important à vous dire »

Le dévoilement de l’homosexualité d’un enfant est vécu de différentes façons de la part des parents. Les réactions oscillent entre le positif et le négatif et peuvent même être contradictoires (D’Amico et al., 2012). Contrairement à la croyance populaire, ce moment n’est pas toujours le précurseur d’une crise familiale (Savin-Williams et Dube, 1998). Il est toutefois synonyme de bouleversements, lesquels varient selon divers facteurs, tels que les croyances religieuses, l’origine ethnique, l’accessibilité à des ressources de soutien et le niveau de connaissances par rapport aux réalités homosexuelles des parents (Bertone et Franchi, 2014 ; Goodrich, 2009 ; Savin-Williams, 1998). Selon Strommen (1989), la moitié des parents réagissent négativement lors du coming out de leur enfant. Les résultats des recherches plus récentes précisent que les réactions parentales vont au-delà de la dichotomie rejet/acceptation et qu’elles s’inscrivent plutôt dans un spectre d’émotions et de comportements, comprenant la honte, la culpabilité, le déni, la détresse, la tristesse et la colère (Armesto et Weisman, 2001 ; Saltzburg, 2004 ; Willoughby et al., 2006).

Dans le cadre d’une étude réalisée auprès de huit parents d’un enfant gai ou lesbienne, Susan Saltzburg (2004) s’est intéressée à la variabilité des réactions parentales, à travers une démarche rétrospective et phénoménologique. Ses résultats montrent que les réactions des parents sont plurielles et diversifiées. Certains d’entre eux se demandent si c’est de leur « faute » si leur enfant est comme « ça », accentuant leurs sentiments de culpabilité et de blâme à propos de leurs compétences parentales. D’autres exprimeront des craintes par rapport au bien-être de leur enfant et de ses perspectives d’avenir, tandis que d’autres refuseront d’accueillir la nouvelle, croyant qu’il ne s’agit que d’une phase passagère. Certains parents se sentiront trahis, interprétant le fait de ne pas avoir été mis au courant en premier comme le gage d’un manque de confiance envers eux. Finalement, quelques-uns réagiront plus violemment en reniant leur enfant ou en le sommant de quitter la maison familiale.

D’Amico et ses collègues (2012) abondent dans le même sens, mais soulignent également que le coming out d’un enfant peut aussi avoir des répercussions positives. En effet, certains parents estiment que cet événement leur a permis de faire preuve de soutien et de sollicitude, en plus d’être une occasion de conforter leur sentiment d’amour inconditionnel envers leur enfant. D’autres associent le coming out de leur fille ou de leur fils à une preuve d’audace ou de courage, ce qui leur procure un sentiment de fierté. La façon dont se déroulera le dévoilement peut également avoir un impact sur les réactions des parents. Selon Ben-Ari (1995), une façon positive d’annoncer son homosexualité telle que « je suis gai et heureux » est liée à une plus grande réceptivité chez les parents, comparativement à une formulation plus neutre (par exemple : « je suis gai ») ou négative (« mon problème est que je suis gai »).

Plusieurs facteurs peuvent influencer les réactions parentales. L’adhésion à des traditions et valeurs hétérosexistes et à une vision stéréotypée des rôles de genre semble attiser le rejet des personnes d’orientations non hétérosexuelles (D’Augelli, 2006 ; Heatherington et Lavner, 2008 ; Ryan et al., 2009). De même, l’adhésion à une religion qui condamne l’homosexualité peut exacerber le désespoir des parents ou les tensions entre les membres de la famille (Bertone et Franchi, 2014). Certaines caractéristiques du système familial sont également à considérer. Les résultats de la recherche conduite par Willoughby et ses collègues (2006) auprès de 72 jeunes hommes âgés de 18 à 26 ans montrent que les réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité de leur fils sont liées à la cohésion familiale et à l’exercice de l’autorité parentale. Les réactions semblent plus positives chez les familles présentant une plus forte cohésion et dont les parents sont perçus comme impliqués auprès de leurs enfants, contrairement à celles des parents présentant un style parental autoritaire et dont la cohésion familiale est moins affirmée. En outre, des éléments de l’environnement familial peuvent moduler le niveau de cohésion et le degré d’adaptabilité des familles, dont leur niveau de connaissances avérées sur les réalités gaies et lesbiennes et la fréquence des contacts qu’elles entretiennent ou non avec des membres de la diversité sexuelle (Darby-Mullins et Murdock, 2007 ; Reeves et al., 2010).

Contrairement aux idées reçues, les réactions parentales lors du dévoilement ne diffèrent pas en fonction du sexe de l’enfant ou celui du parent (Charbonnier et Graziani, 2011 ; D’Amico et Julien, 2012 ; Saltzburg, 2004). Toutefois, elles entraînent des répercussions différentes quant à l’adaptation du jeune à la suite du dévoilement de son orientation sexuelle. L’étude réalisée au Québec par D’Amico (2010) auprès de 53 dyades parents/enfant démontre que les réactions de la mère et celles du père influent différemment sur le processus d’adaptation des jeunes. Utilisant un devis de recherche mixte, cette recherche a permis d’identifier trois facteurs de classification des réactions parentales, issus de l’analyse factorielle, soit le soutien apporté à l’enfant, la détresse exprimée par le parent et les doutes entretenus quant à la stabilité de l’orientation sexuelle de l’enfant. Les réactions négatives de la mère et un manque de soutien de sa part sont liés à des difficultés d’affirmation identitaire et de détresse psychologique chez le jeune, tandis que les réactions négatives du père et les doutes qu’il exprime quant à la stabilité de l’orientation sexuelle de son enfant sont liés à des épisodes de détresse suicidaire et à des problèmes de consommation de drogues vécus par ce dernier au cours de la dernière année.

Ces résultats sont concordants avec ceux de l’étude menée en France par Charbonnier et Graziani (2011) auprès de 33 jeunes lesbiennes et de 49 jeunes gais. Si les réactions parentales en réponse au dévoilement de l’orientation sexuelle de leur enfant ne diffèrent pas significativement entre les pères et les mères, il reste néanmoins que les jeunes interrogés considèrent que l’attitude maternelle évolue plus rapidement vers une plus grande acceptation. Contrairement à l’étude québécoise de D’Amico (2010), les résultats montrent que, si les réactions paternelles négatives sont liées aux idéations et à l’agir suicidaires, les attitudes négatives des mères ne semblent pas avoir d’impacts particuliers.

Vers une nouvelle identité parentale et familiale « Je suis le parent d’un enfant pas comme les autres »

Apprendre que son enfant est gai ou lesbienne provoque une redéfinition de l’identité parentale (Goodrich, 2009 ; Grafsky, 2014). La négociation d’un passage vers cette nouvelle identité s’inscrit dans un processus d’adaptation (D’Augelli, 2005). Certaines études ont comparé ce processus à celui d’un deuil, évoquant le cadre d’analyse en cinq étapes développé à l’origine par Kübler-Ross (1969) où le choc, le déni, la colère et la négociation se succèdent pour mener finalement à l’acceptation. Des études ultérieures ont toutefois précisé que ce processus n’est pas linéaire, et que son apport conceptuel et clinique est reconnu pour une variété de situations potentiellement stressantes. En ce sens, l’usage du terme « deuil » pour référer à des événements autres que la mort, tel le coming out d’une personne, est jugé inadéquat.

Savin-Williams et Dube (1998) estiment qu’une adhésion trop rigide à ce modèle mène à une vision réductrice de l’expérience des parents et ne rend pas compte de la diversité de leurs réactions potentielles, ce qui peut avoir pour effet d’accentuer leur détresse et de les déposséder de leur pouvoir d’agir. Les perceptions qu’entretiennent les parents par rapport à l’homosexualité en général influenceront grandement ce processus ; par exemple, un parent craignant que son enfant soit victime d’ostracisme ressentira de la tristesse plutôt que du déni, tandis qu’un autre éprouvera peut-être de la colère s’il considère que l’homosexualité est un choix et que son enfant fait fausse route en adoptant un tel « style de vie ». La capacité de résilience des parents, reflétée entre autres par leurs habiletés de communication et leur ouverture d’esprit, est considérée comme un atout qui les prédispose à vivre sainement ce processus (Lee et Lee, 2006). À travers une recension des recherches empiriques, Heatherington et Lavner (2008) proposent un modèle conceptuel novateur intégrant trois dimensions qui influencent le processus d’adaptation des parents, soit les réactions initiales de la mère, du père et de la fratrie lors du coming out, les interactions entre les membres de la famille et le bien-être familial. Les variables individuelles (culture, ethnie, religion, etc.) et relationnelles (cohésion entre les membres, adaptabilité de la famille, etc.) sont également prises en considération dans ce cadre d’analyse. Les éléments associés aux nouvelles constellations familiales, par exemple la présence des beaux-parents dans le cas des familles recomposées ou celle des membres de la famille choisie, ne sont toutefois pas compris dans ce modèle.

Certains parents amorcent leur processus d’adaptation avant même la sortie du placard de leur enfant (Aveline, 2006 ; D’Augelli et al., 2008). Les comportements qui dérogent aux stéréotypes de genre sont alors perçus comme des indices trahissant une orientation homosexuelle. Les parents qui, par exemple, observent leur enfant jouer avec des jouets typiques de l’autre sexe (un garçon joue avec des poupées, une fillette s’amuse avec des camions) sont susceptibles d’entretenir certains doutes quant à son orientation sexuelle. À ce propos, D’Augelli et ses collègues (2005) ont interrogé 293 jeunes d’orientation homosexuelle ou bisexuelle au sujet de leur coming out à leur entourage. La majorité d’entre eux (n = 194) appartenait à un groupe dont les parents présumaient de leur orientation non hétérosexuelle, tandis qu’un deuxième groupe (n = 99) était constitué de jeunes dont les parents ne le savaient pas. Les résultats indiquent que les jeunes du premier groupe affirment avoir ressenti moins de craintes avant de révéler leur homosexualité ou leur bisexualité à leurs parents, et ont bénéficié d’un plus grand soutien de leur part après le dévoilement. De plus, ils dénotaient une moins grande homophobie intériorisée, contrairement aux répondants du deuxième groupe. Les chercheurs émettent l’hypothèse selon laquelle les réactions des parents se sont avérées plus positives lors du coming out des jeunes du premier groupe, puisqu’ils avaient déjà entamé, parfois inconsciemment, leur processus d’acceptation.

Outre les réactions initiales présentées dans la section précédente, l’expérience des parents d’un enfant gai ou lesbienne est façonnée par d’autres éléments, dont celui de leur propre coming out. En effet, ces parents ont désormais le choix de dévoiler ou non leur statut minoritaire en tant que mère ou père d’un enfant d’orientation homosexuelle. Dès lors, ils doivent faire face à des craintes similaires à celles vécues par les personnes gaies et lesbiennes (Crosbie-Burnett et al., 1996 ; Goodrich, 2009). La peur du rejet et du jugement d’autrui s’immisce alors dans leur vie (Strommen, 1990). À la question « est-ce que votre fille à un amoureux ? » ou « comment se prénomme la copine de votre fils ? », les parents sont soudainement confrontés à la présomption d’hétérosexualité qui marginalise quotidiennement les membres de la diversité sexuelle. Les moments propices aux échanges et aux discussions, telles les réunions de famille et les activités de loisirs, sont autant d’occasions qui viennent exacerber le stress ressenti par les parents, particulièrement lorsque ces derniers ne sont pas à l’aise avec leur nouvelle identité (LaSala, 2000 ; Phillips et Ancis, 2008). Malgré tout, les chercheurs estiment que la grande majorité des parents finissent par accepter l’orientation sexuelle de leur enfant, sans toutefois en tirer un sentiment de fierté (Goodrich et Gilbride, 2010 ; Hunter, 2007).

Perspectives d’intervention

Les réponses sociales aux besoins spécifiques des parents d’un enfant d’orientation homosexuelle ont été documentées à partir de récits de pratique de thérapeutes et de psychologues cliniciens. Bien que les interventions décrites dans les articles et les livres publiés à ce sujet aient rarement fait l’objet d’une évaluation empirique, les savoirs d’expérience des spécialistes de la relation d’aide auprès des minorités sexuelles convergent vers deux objectifs principaux (Woodward et Willoughby, 2013). D’abord, l’intervention auprès des parents doit viser à améliorer la cohésion familiale et non pas à changer l’orientation sexuelle du jeune. L’apprentissage de techniques de communication efficaces et adaptées à leurs réalités et l’acquisition de nouvelles traditions familiales sont considérés comme les moyens à privilégier (Hunter, 2007). Ensuite, l’intervention doit favoriser l’acquisition de connaissances générales sur l’homosexualité. Cela permet de diminuer les peurs liées à l’inconnu, tout en offrant une vision positive et saine de cette orientation sexuelle (Saltzburg, 2004). Ces pratiques d’intervention sont décrites dans cette section en tenant compte des structures communautaires existantes au Québec, de l’accueil de la demande d’aide à l’évaluation des besoins, en passant par l’accompagnement et le soutien social entre pairs.

Accueil de la demande d’aide

Les personnes gaies et lesbiennes ont cheminé parfois pendant de nombreuses années avant d’être en mesure de dévoiler leur orientation sexuelle. LaSala (2000) rappelle que les parents ont eux aussi besoin de temps pour accepter le fait que leur enfant soit attiré par des personnes du même sexe. Lors du premier contact avec un parent en demande d’aide, plusieurs intervenants estiment qu’il est judicieux de le laisser « ventiler » ses émotions, sans recadrer immédiatement l’homophobie ou les préjugés décelés possiblement dans certaines paroles (Hunter, 2007).

L’expression libre des craintes et des malaises ressentis par le parent est une étape importante, et ce, pour trois raisons. D’abord, elle favorise l’émergence d’un lien de confiance entre l’intervenant et le parent en permettant à ce dernier d’aborder, peut-être pour la première fois, une situation qui le bouleverse. Les techniques d’écoute active, de reformulation et de validation sont alors privilégiées.

Ensuite, elle procure des informations quant aux perceptions entretenues par le parent à l’égard des personnes homosexuelles et, de façon plus subtile, son degré d’adhésion aux stéréotypes de genre. Sous le couvert de commentaires tels que « ça ne me dérange pas que ma fille soit lesbienne, mais elle est trop butch » ou « mon fils m’a dit qu’il est gai, mais pourquoi ne peut-il pas se comporter comme un vrai homme ? », le parent évoque son inconfort par rapport aux comportements et aux attitudes qui transgressent les modèles féminins et masculins traditionnels (Grossman et al., 2005 ; Kane, 2006).

Finalement, elle laisse entendre au parent que ses réactions sont tout à fait normales et qu’elles sont le gage de son attachement avec son enfant, et non pas un désaveu à l’égard de ses capacités parentales. À l’aide d’une simple remarque telle « ce que j’entends à travers ce que vous me racontez, c’est que vous aimez énormément votre enfant et que vous souhaitez son bien-être », la culpabilité ressentie jusqu’alors peut se transformer en sentiment de compétence. De fait, l’expression de la demande d’aide des parents est une occasion de normaliser leur situation, en plus de stimuler l’appropriation de leur pouvoir d’agir.

Évaluation des besoins et accompagnement

Par ailleurs, LaSala (2000) suggère aux praticiens sociaux de favoriser le maintien des contacts réguliers entre l’enfant et ses parents, sans nécessairement aborder de près ou de loin le sujet de l’orientation sexuelle. Par exemple, lors de conversations téléphoniques, les membres de la famille sont invités à discuter de sujets neutres susceptibles de ne pas aviver les tensions et dépourvus de jugements de valeur. L’objectif est de préserver le lien familial, aussi infime soit-il, tout en laissant le temps aux parents de cheminer à leur rythme et à l’enfant de conserver un lien avec sa famille d’origine. Une rupture complète des liens risque de compromettre la possibilité de les rétablir plus tard. Pour sa part, Green (2000) souligne l’apport important, et souvent négligé par les thérapeutes, de la « famille choisie », c’est-à-dire des individus que la personne homosexuelle identifiera comme importants dans sa vie, étant donné l’absence ou le rejet de sa famille d’origine. Bien qu’il n’y ait pas de lien de parenté entre eux, la personne gaie ou lesbienne entretient des liens significatifs avec les membres de sa famille choisie. Ces liens ne se substituent pas toujours à ceux qui ont été rompus avec la famille d’origine, mais peuvent s’additionner à ceux qui existent déjà. Selon Green (2000), la présence et le soutien des membres de la famille choisie doivent être reconnus, voire encouragés, de la part des intervenants sociaux. Lors de l’évaluation du fonctionnement social, les relations basées sur les affinités choisies plutôt que sur le lien de sang doivent être alors considérées afin d’identifier la richesse du réseau social de la personne et les sources potentielles de soutien.

Tout au long de l’accompagnement des parents, l’intervenant peut leur suggérer diverses lectures afin de leur procurer des sources d’informations adéquates et vulgarisées. L’acquisition de connaissances exemptes de préjugés est jugée propice à la déconstruction de conceptions stéréotypées ou dépréciatives associées à l’homosexualité (Hunter, 2007). Bien que les ouvrages disponibles sur le sujet proviennent majoritairement des pays anglo-saxons et relèvent du domaine de la psychologie populaire (Martin et al., 2010), certains sont tout de même disponibles en français, dépeignent le contexte québécois et sont rédigés à l’intention des jeunes (Dorais et Verdier, 2005) ou de leurs parents (Giasson, 2007). En outre, Saltzburg (2007) souligne les mérites d’une intervention thérapeutique basée sur l’approche narrative, au cours de laquelle les parents sont invités à réfléchir et à réécrire leur histoire familiale en posant un regard non hétérosexiste. Le but est de se détacher de la situation pour être en mesure d’en cerner les ramifications et, éventuellement, de recadrer les attentes des parents (Long et al., 2006). Cette démarche s’accompagne de préoccupations éducatives visant à les sensibiliser aux réalités gaies et lesbiennes à l’aune des enjeux liés à l’homophobie.

Soutien social et pratiques communautaires

Les besoins exprimés par des parents en demande d’aide ont fait émerger différentes initiatives communautaires et associatives à travers la francophonie. À titre d’exemple, des outils de sensibilisation à l’intention des parents ont été développés en France (Association Contact, 2007) et en Belgique (Ex aequo et Tels Quels, 2009), principalement sous forme de brochures. Plus près de nous, au Québec, l’organisme RÉZO a mis en ligne en 2013 un site Internet[2] à l’intention des parents et des proches de jeunes gais. Cette plateforme comprend une panoplie de vignettes d’informations vulgarisées permettant de répondre directement aux questions que se posent les parents, ainsi que des capsules vidéos présentant des témoignages de personnes interpellées de près ou de loin par l’expérience familiale associée au coming out d’un fils. Une liste exhaustive de ressources est également offerte.

Plusieurs organismes québécois à but non lucratif proposent des services spécialisés pour les parents d’enfants de minorités sexuelles, dont le programme Jeunesse Idem[3] situé à Gatineau et le groupe montréalais de l’association pancanadienne Parents, Families and Friends of Lesbians and Gays (PFLAG)[4]. Ce type d’entraide fournit un espace permettant aux parents de ventiler leurs émotions, de normaliser leurs réactions et d’atténuer leur sentiment de honte, en plus de leur offrir l’occasion de briser leur isolement (Broad, 2011 ; Saltzburg, 2009). Le Groupe régional d’intervention sociale de Québec[5] offre depuis 2008 un service de soutien entre pairs. Après un premier contact téléphonique ou en personne avec un intervenant professionnel, le parent est invité à rencontrer un autre parent pour pouvoir échanger et discuter en toute confidentialité. Il pourra alors évoquer les questions qui le préoccupent (par exemple : « qu’est-ce que j’ai fait pour que mon enfant soit comme ça ? » ou « qu’est-ce que j’aurais dû faire ? ») sans craindre les jugements d’autrui. Le contact avec des parents ayant intégré leur nouvelle identité parentale et pouvant raconter leur cheminement avec sérénité procure des modèles positifs à ceux qui entament leur processus d’adaptation (Hunter, 2007 ; Lee et Lee, 2006).

Limites des recherches et prospectives

Cette synthèse des écrits a permis de mieux comprendre les réactions des parents et leurs processus d’adaptation suite au dévoilement de l’orientation homosexuelle de leur enfant. Néanmoins, il importe de souligner certaines limites des études recensées, tant sur le plan méthodologique que sur l’étendue des connaissances actuelles. D’abord, la majorité des études sont de nature qualitative et reposent sur des échantillons de petite taille. Leur homogénéité est déplorée, puisque la plupart des parents interrogés sont des mères d’origine caucasienne issues de la classe moyenne (Goodrich et Gilbride, 2010; Saltzburg, 2004). Le point de vue des pères comme celui des parents issus de communautés ethnoculturelles sont peu représentés dans le cadre des recherches, limitant considérablement la pluralité et la diversité des expériences parentales. Également, peu d’études ont documenté le point de vue des membres de la fratrie, c’est-à-dire des frères et soeurs de la personne qui s’identifie comme gai ou lesbienne (Toomey et Richardson, 2009). Pourtant, la fratrie a une influence évidente sur les interactions familiales (D’Augelli et al., 2010 ; Heatherington et Lavner, 2008 ; Hilton et Szymanski, 2011). Par exemple, un conflit de loyauté peut survenir lorsqu’un frère ou une soeur d’orientation homosexuelle sollicite le soutien des membres de sa fratrie. Cette dernière peut faciliter le processus d’adaptation de parents bouleversés, en leur proposant une nouvelle perception de la situation.

Par ailleurs, les collectes de données ont souvent été effectuées par l’entremise d’associations ou de groupes d’entraide réunissant des parents qui souhaitent mieux comprendre et accepter leurs enfants. L’étude québécoise de D’Amico (2010) présente également ce biais puisque les dyades parents-enfants ont été recrutées principalement au sein d’organismes communautaires voués à la diversité sexuelle. Les chercheurs reconnaissent que les parents recrutés dans le cadre de leurs projets de recherche témoignent d’une plus grande aisance à parler de leur vécu et acceptent mieux l’orientation sexuelle de leur enfant que les parents plus isolés, ou ceux aux prises avec certains problèmes d’adaptation (Broad, 2011). Finalement, la vaste majorité des recherches ont documenté les réactions initiales des parents peu de temps après l’annonce de l’homosexualité de leur enfant. Peu d’entre elles ont exploré les répercussions à long terme et le processus d’adaptation parentale et familiale (Goodrich et Gilbride, 2010 ; Heatherington et Lavner, 2008).

Certaines réalités liées au dévoilement d’une orientation non hétérosexuelle restent méconnues. C’est le cas de l’expérience des personnes bisexuelles, a fortiori celle de leurs parents. D’une part, il existe une certaine représentation de la bisexualité voulant qu’elle soit une phase transitoire entre les catégories dichotomiques et binaires de l’homosexualité et de l’hétérosexualité (Brewster et Moradi, 2010 ; Russel et Seif, 2010 ; Sheets et Mohr, 2009). D’autre part, une auto-identification bisexuelle est moins courante compte tenu des préjugés tenaces qui y sont associés (par exemple, la sexualité débridée des personnes bisexuelles ou leur incapacité à entretenir des relations conjugales saines et satisfaisantes) et l’invisibilité ou l’absence d’une communauté bisexuelle (Brewster et Moradi, 2010 ; Sheets et Mohr, 2009). Conséquemment, les personnes bisexuelles sont plus nombreuses à utiliser d’autres termes que ceux liés directement à l’orientation sexuelle pour se définir (Diamond, 2008 ; Fortin, 2010). La plupart des études portant sur les jeunes des minorités sexuelles ne comprennent pas d’échantillons assez grands pour cerner des différences significatives entre les jeunes gais et lesbiennes et ceux s’identifiant comme bisexuels. Les chercheurs sont alors enclins à généraliser les résultats obtenus auprès des gais et des lesbiennes à la population bisexuelle (Russel et Seif, 2010). Ces considérations expliquent en partie la tendance à englober les personnes bisexuelles dans l’acronyme « LGB » ou l’expression « minorités sexuelles » sans qu’il y ait reconnaissance de leurs particularités ou expériences spécifiques, notamment en ce qui a trait à la biphobie sociale et intériorisée.

Ces limites mettent en lumière le potentiel que recèle cet objet d’étude peu documenté, particulièrement au Québec. Ce constat invite donc à explorer d’autres pistes de recherche et à approfondir les travaux précédents. À cet effet, il serait intéressant de constituer des échantillons composés de jeunes gais et lesbiennes et de leurs parents, afin de trianguler les différents points de vue concernant leur situation familiale et de comparer leurs expériences respectives. En ce sens, des efforts supplémentaires seraient nécessaires pour inclure le regard des pères et celui des membres de la fratrie. Il en va de même pour les parents issus de communautés ethnoculturelles, puisque leur expérience est façonnée par une double discrimination, soit celle basée sur l’orientation sexuelle de leur enfant et celle liée à leur appartenance culturelle d’origine (LaSala et Frierson, 2012). Les difficultés pour rejoindre ce groupe de la population dans le cadre d’études scientifiques font en sorte que les recherches à ce sujet sont peu nombreuses et s’attardent principalement à l’expérience des jeunes (D’Amico et al., 2008 ; Potoczniak et al., 2009).

Conclusion

L’expérience des parents d’un enfant gai ou lesbienne n’est pas homogène ni unidimensionnelle. Les recherches montrent qu’elle se conjugue plutôt au pluriel et se vit de différentes façons, selon une panoplie de facteurs individuels, conjugaux et sociaux. Les réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité de leur enfant revêtent des expressions diversifiées et parfois même contradictoires, au prisme de bouleversements familiaux. Outre les sentiments de culpabilité, de honte ou de crainte, ces parents expérimentent une variété d’émotions qui vont au-delà de la dichotomie du rejet et de l’acceptation. Le dévoilement de l’homosexualité d’un enfant peut même entraîner des répercussions positives. Cet événement s’inscrit dans un processus d’adaptation au cours duquel les parents endossent une nouvelle identité en tant que mère et père d’un enfant d’une autre orientation sexuelle que celle de la majorité. L’émergence de cette nouvelle identité met en lumière certaines difficultés auxquelles sont parfois confrontés les parents, dont la remise en question de leurs compétences parentales, la présomption de l’hétérosexualité de leur enfant et, conséquemment, leur propre coming out en tant que parent d’un fils gai ou d’une fille lesbienne.

Un long chemin reste néanmoins à parcourir avant de bien cerner l’ensemble des éléments entourant le coming out d’un jeune et les réactions de ses parents, ainsi que les stratégies d’adaptation mises en place par chaque membre de la famille pour en surmonter les difficultés. Les interactions sociales et les dynamiques familiales sont aussi à prendre en considération. Certaines questions de recherche demeurent en suspens, notamment en ce qui concerne les familles issues de communautés culturelles et les réalités des personnes bisexuelles et de leurs parents. Dans un contexte où les questions liées à la diversité sexuelle ont obtenu récemment une reconnaissance sociale et étatique (Gouvernement du Québec, 2009), mieux comprendre l’expérience des parents d’enfants de minorités sexuelles permet de développer des réponses sociales adaptées à leurs besoins spécifiques, tout en favorisant le bien-être des jeunes.