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Introduction

L’exclusion fait partie des concepts qui, dans la littérature en sciences humaines et sociales, est l’objet de nombreux questionnements et critiques. Désormais très populaire en Europe, plus particulièrement en France où une loi la concerne directement, l’exclusion fait couler de plus en plus d’encre au Québec (Comeau, 1997; D’Amours et al., 1999; Ellefsen et Hamel, 2000; Favreau et Fréchette, 1995; Laberge et Roy, 1994; Lamoureux, 2001; Martin et Baril, 1995; McAll, 1995; René et al., 1999; Roy, 1995; Roy et Soulet, 2001; Schecter et Paquet, 2000) et apparaît comme une notion incontournable. La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, adoptée unanimement par le parlement québécois en décembre 2002, en est un exemple.

Préférée par certains aux concepts de pauvreté et d’appauvrissement parce que dépassant la simple analyse économique, boudée ou rejetée par d’autres qui la voient comme un voile masquant les inégalités structurelles socioéconomiques, ou encore utilisée par certains de façon interchangeable avec les concepts de pauvreté et d’inégalité sociale, l’exclusion n’en demeure pas moins une notion qu’une majorité d’auteurs-es considère floue, imprécise et remplie de pièges à plusieurs égards (Castel, 1995; Roy et Soulet, 2001)[1]. Écrire un texte sur l’exclusion équivaut donc en quelque sorte à marcher en terrain miné.

Toutefois, à l’instar de Châtel et Soulet (2001), de Clavel (1998) et de Thomas (1997), nous croyons que le ralliement « obligé » sur le concept d’exclusion conduit à un renouvellement dans la façon d’aborder la question sociale, spécialement la pauvreté et l’inégalité sociale, dans un contexte socioéconomique en pleine mutation. C’est principalement pour cette raison que nous nous y sommes intéressée. Issu d’un examen de synthèse réalisé dans le cadre d’un doctorat en service social et basé sur une recension des écrits des 15 dernières années, cet article propose un survol de la notion d’exclusion. Nous reconnaissons par ailleurs que des spécifications et des différenciations mériteraient d’y être apportées, selon les contextes socio-politico-historiques dans lesquels celle-ci se produit et selon les populations touchées (personnes itinérantes, chômeurs, personnes immigrantes, etc.). Ce texte constitue d’une part une démarche de synthèse circonscrite dans les pays occidentaux, ce qui la rend partielle; d’autre part, celle-ci est orientée sur les liens qui existent entre l’exclusion et l’impuissance à agir (disempowerment) comme conséquence importante, ce qui la rend partiale.

Nous proposons en premier lieu de situer l’exclusion par rapport aux concepts de pauvreté et d’inégalité sociale. Dans un deuxième temps, nous présentons les différents angles d’analyse présents dans la littérature consultée, principalement au Québec et en France. Nous effectuons ensuite une synthèse des principaux modèles sociologiques de compréhension des processus d’exclusion qui ont été développés. Et finalement, nous mettons en relief quelques conséquences de l’exclusion sur le plan individuel et arguons en conclusion que l’action collective des personnes directement concernées peut constituer une voie privilégiée afin d’aborder certains des enjeux qu’elle soulève.

Exclusion, pauvreté et inégalités sociales : concepts indépendants aux liens étroits

De prime abord, il convient de souligner que les similitudes et dissemblances entre les concepts d’exclusion, de pauvreté et d’inégalité sociale dépendent en très grande partie du paradigme épistémologique dans lequel se situent les auteurs-es, de même que l’étendue des dimensions prises en compte ou mises en relief dans les analyses. Ainsi, quoique d’aucuns puissent concevoir l’analyse de la pauvreté et de l’inégalité sociale comme strictement objective — ces phénomènes étant plus aisément mesurables que celui d’exclusion — l’examen de la littérature récente révèle une toute autre réalité. En effet, le caractère dynamique et multidimensionnel du phénomène de la pauvreté est généralement abordé dans l’ensemble des écrits, tant sur les plans social, culturel que politique, ce qui la situe bien au-delà de la stricte sphère économique (revenu, nombre de personnes pauvres, seuil de pauvreté, etc.) (Fontan, 1997; Ninacs, 2002; Poulain, 1998; Rouffignat et al. 2001; Tremblay et Klein, 1997).

L’exclusion : un phénomène nouveau ou une nouvelle sémantique faisant état de mutations ?

Affirmer que de « nouvelles pauvretés » sont apparues ou que la pauvreté a changé de visages depuis les quinze dernières années est devenu un lieu commun. Sur ce point, les auteurs-es s’entendent pour dire que des mutations sociales et économiques ont eu lieu dans les sociétés contemporaines et que cela s’est traduit par de nouvelles formes de pauvreté et un élargissement des populations touchées; ce que d’autres ont nommé l’exclusion. Ainsi, pour certains, l’exclusion représente une mutation du phénomène de la pauvreté (Favreau et Fréchette, 1995), pour d’autres, un déplacement sémantique marquant le changement qui s’opère dans nos sociétés (Autès, 1995), et pour d’autres encore, un « nouveau » phénomène puisque enrichi de la dimension sociale (Comeau, 1997), mais qui demeure directement associé à la pauvreté (Castel, 1994; Clavel, 1998; Fontan, 1997; Thomas, 1997; Vidalenc, 2001). Notamment pour Thomas (1997), l’exclusion participe de la poursuite de phénomènes de pauvreté variés, mais décale le point de vue de l’observateur de l’économie à la sociologie; il s’agirait ainsi d’un déplacement d’axe de l’analyse, passant d’une logique des seuils à une logique des cumuls.

Du processus global d’appauvrissement résultent de « nouveaux visages de la pauvreté », c’est-à-dire des formes de pauvreté qui touchent des couches de population qui ont jusque-là été épargnées (Fontan, 1997). En ce sens, l’appauvrissement ferait tout autant figure de témoin des mutations sociales, économiques, politiques et culturelles que l’exclusion. Les deux concepts (pauvreté et exclusion) entraînent à penser en termes de privations et/ou de carences, selon le paradigme, mais surtout de mise à l’écart des processus normatifs de vie de société.

Convergence des analyses et différenciations

Au Québec, les auteurs-es se penchant sur les questions d’inégalité sociale le font plus généralement sous l’angle de la pauvreté et de ses multiples avatars (Martin et Baril, 1995). La pauvreté est à la fois abordée comme état, avec ses causes et conséquences, mais aussi en tant que processus; l’appauvrissement est la nomination alors employée (Fontan, 1997; Tremblay et Klein, 1997). Il en est de même pour l’exclusion, que l’on traite à la fois comme l’étape ultime d’un processus de mise à la marge (Roy, 1995) et comme le mécanisme menant à cette étape. On peut même se demander si nous ne verrons pas apparaître prochainement un seuil d’exclusion, remplaçant celui de pauvreté ou de faible revenu. Clavel (1998) a en effet établi qu’il est possible de mesurer le niveau d’exclusion à partir du cumul d’indicateurs à la fois d’ordre économique et matériel (seuil de revenu, précarité de l’emploi, précarité financière, habitat insalubre ou inadéquat, échec scolaire, mauvais état de santé, difficulté à faire valoir ses droits), social (isolement, désocialisation, perte de civisme) et symbolique (stigmatisation de l’extérieur et auto-exclusion de l’intérieur).

Il est intéressant de constater que si la notion de pauvreté provoque davantage une réflexion sur la société dans une optique verticale et stratifiée (classes sociales, hiérarchie sociale, pyramide sociale, etc.), le concept d’exclusion, quant à lui, se situe davantage sur le plan d’une analyse horizontale (in/out, inclu/exclu, possédant/non-possédant, etc.). Cela constitue probablement la différence la plus fondamentale entre les deux concepts : la pauvreté représenterait une « poussée » vers le bas, alors que l’exclusion constituerait une « poussée » vers l’extérieur, dans un mouvement centrifuge plutôt que descendant. C’est probablement Alain Touraine qui traduit le mieux ce changement de perspective, en évoquant l’avènement d’une société duale où ce n’est plus la place hiérarchique occupée par un individu ou un groupe social qui compte, mais bien davantage sa position, soit au centre ou à la périphérie (Vidalenc, 2001). Castel (1992) signale pour sa part que l’exclusion ne pose pas vraiment le problème des inégalités socio-économiques, en indiquant qu’être « tous inclus » ne signifie pas être « tous égaux ». Abordant le thème de la domination, il ajoute qu’être dominé ne signifie pas non plus nécessairement être exclu. L’exclusion se situe donc dans un autre registre d’analyse, risquant fort de masquer les inégalités sociales et économiques. Cette analyse duale n’est pas sans rappeler celle qui argue l’effacement de la classe moyenne par l’élargissement du fossé entre les riches et les pauvres : « riches contre pauvres » et « inclus contre exclus » relèveraient ainsi d’une seule et même analyse des transformations des sociétés occidentales. Pour faire état des mutations à l’oeuvre sur les plans social et économique, qu’il s’agisse de la crise de la société salariale et du modèle providentiel, ou de l’effritement du lien social, certains académiciens états-uniens soulignent quant à eux l’apparition d’une underclass (Schecter et Paquet, 2000). On peut en déduire qu’en plus des inégalités sociales persistantes et s’aggravant entre les classes sociales, se crée une « sous-classe » parmi la population.

S’il semble clair que le dénuement économique fait partie de la quasi-totalité des formes d’exclusion, sinon de toutes (Castel, 1994), la pauvreté apparaît seulement comme une des composantes de l’exclusion. Ainsi perçue, l’exclusion représenterait une catégorie plus large que celle de la pauvreté, et non une catégorie différente, se situant dans un rapport plus horizontal que vertical. Alors que la pauvreté ouvre plus facilement la voie au questionnement sur le modèle d’organisation économique (quoique non exclusivement), l’exclusion questionne davantage les modèles d’organisation sociale et politique et l’univers du symbolique, notamment les questions d’identité et de « valeur » des individus composant la société, d’où sa dimension généralement plus subjective que celle de la pauvreté. Quel que soit le concept adopté, des dangers guettent l’analyste qui voudrait mieux comprendre les processus et/ou l’état d’exclusion. Un de ces écueils serait de n’insister que sur les parcours individuels, et ainsi négliger les processus macro-économiques, sociaux, politiques et culturels, mais surtout le rapport dialectique dynamique liant les personnes et leur environnement, fondement à la base de la profession du service social.

Définitions et angles d’analyse du phénomène de l’exclusion

L’exclusion représenterait un cumul de ruptures ou de privations[2] (comme la pauvreté avant elle) non seulement sur les plans matériel et économique, mais également sur les plans des relations sociales (lien social, réseaux, sociabilité) et de la participation aux mécanismes politiques qui régissent le vivre-ensemble (les formes d’organisation sociale, politique, économique, culturelle, etc.).

L’exclusion peut être analysée sous divers angles et avec des accents variés, du psychologique au macrosocial. Roy et Soulet (2001) proposent un découpage de la littérature en quatre volets, que nous reprenons sommairement ici afin de mieux situer la perspective d’analyse des différents modèles, processus et trajectoires que nous présenterons plus loin.

L’exclusion comme rapport de pouvoir entre groupes

Les inclus, ou ceux qui sont intégrés socialement, seraient à la défense d’un territoire physique, symbolique, idéologique et culturel dit « normal », duquel les individus atypiques seraient rejetés. Ce serait par un processus d’étiquetage et de stigmatisation entraînant la dévalorisation de l’autre que se produirait l’exclusion (Roy et Soulet, 2001). McAll (1995) et Lacousmes (1994) situent bien ce point de vue en posant le problème de l’accès aux espaces normatifs de vie en société pour certains acteurs sociaux. Selon cette perspective, l’exclusion se traduirait par des relations négatives tant avec l’espace physique, social, économique, politique et culturel qu’avec les acteurs qui occupent ces espaces (Lacousmes, 1994). En posant la question « Qui exclut ? », McAll (1995) amène à examiner les territoires desquels les personnes sont exclues, mais surtout le rôle de ceux qui les en excluent.

L’exclusion comme manifestation du déclin ou de la transformation de la société salariale

Sous cet angle d’analyse, on souligne que la transformation de la société salariale entraîne dans son sillon une remise en cause de la cohésion sociale (puisque tous ne peuvent plus être inclus par le travail salarié) ainsi qu’une distanciation, un effritement, voire une rupture, du lien social (Helly, 1999). Dans les sociétés occidentales, le travail serait toujours le plus puissant mécanisme d’insertion et de reconnaissance sociale[3] (D’Amours et al., 1999; Ellefsen et Hamel, 2000; Helly, 1999). Le fait d’en être exclu provoquerait une distanciation du système de production et de consommation et un cheminement de désocialisation, soit une raréfaction des réseaux de sociabilité proximaux (famille, groupe professionnel, etc.) et secondaires (associations, partis politiques, etc.) (Helly, 1997). Benies (1998) évoque quant à lui le facteur incertitude pour témoigner des impacts de ces bouleversements. Cela résulte dans l’émergence des processus tels que la disqualification, la désinsertion ou la désaffiliation sociales (Roy et Soulet, 2001). Les deux premiers concepts sont davantage centrés sur la réaction des individus face aux événements qui surviennent dans leur vie, alors que le dernier s’articule surtout autour des mécanismes structurels (incluant le rôle de l’État) provoquant l’exclusion de couches de plus en plus importantes de la population. Autès (1995), Castel (1991, 1992 et 1994), De Gaujelac et Taboada Leonetti (1994), Fontan (1997), Mingione (1998) et Paugam (1991), se situent clairement dans ce courant d’analyse, courant par ailleurs le plus populaire parmi les écrits recensés.

L’exclusion comme effet de problèmes identitaires liés à l’individualisme contemporain

Dans cette perspective d’analyse, c’est la dimension symbolique de l’exclusion qui est mise en cause. Elle serait engendrée par l’impossibilité de s’identifier à un rôle social ou professionnel pour une partie des individus ne participant pas aux activités économiques (production et consommation), alors que ces activités constituent un des fondements de la reconnaissance sociale actuelle. Les personnes ne parvenant pas (ou plus) à s’inscrire dans les échanges symboliques normatifs seraient alors repoussées à la marge du monde social. L’individu se verrait ainsi stigmatisé de sa non-conformité aux attentes sociales (Roy et Soulet, 2001). Anderson et Snow (2001) de même que, dans une certaine mesure, D’Amours et al. (1999) et Lamoureux (2001), nous apparaissent comme des auteurs qui représentent bien ce courant d’analyse issu de l’interactionnisme symbolique.

L’exclusion comme résultante de la mondialisation de l’économie capitaliste

Dans cette compréhension de l’exclusion, c’est la dimension macrostructurelle qui est principalement mise en relief. L’exclusion représenterait une réaction des individus et des communautés à la libéralisation des marchés, à l’ouverture des frontières et à la rationalisation des surplus. Ces phénomènes entraîneraient en effet de multiples formes de concurrence qui ébranleraient notamment le fonctionnement du monde du travail et, en bout de piste, les individus y participant ou non. En ajout de la recherche du profit maximal, la question de la robotisation et du déplacement d’axe des emplois vers le secteur tertiaire est aussi invoquée pour expliquer la situation difficile de l’emploi dans les sociétés industrielles (moins d’emplois proprement dits, conditions moins bonnes, salaires à la baisse ou irréguliers, etc.). Cette explication du phénomène tient aussi compte de la crise des modèles étatiques providentiels, qui sont généralement perçus comme des entraves au libre marché, puisque créant des rigidités. De plus, la mondialisation capitaliste de l’économie accélérerait le processus d’exclusion, non seulement en termes économiques, mais également sur le plan de la participation à la vie collective et démocratique (Roy et Soulet, 2001). Elle amènerait, comme la majorité des approches précédemment présentées, un questionnement de fond sur la citoyenneté.

Synthèse des perspectives présentées

Après analyse, il nous semble que les processus différenciés menant à l’exclusion se situent dans une dynamique dialectique alliant macrodéterminants (structures sociales, politiques et économiques, modèle étatique, etc.) et microdéterminants (réactions individuelles face aux stigmatisations et aux cadres normatifs imposés, perte d’identité, etc.). En effet, les auteurs-es divergent principalement en ce qui a trait à la cause première ou centrale des processus observés, que l’on situe tantôt du point de vue des structures économiques, sociales, culturelles et politiques, tantôt de celui de la difficulté ou de l’incapacité d’adaptation des individus. Il est possible de croire, à l’instar de Clavel (1998), que plusieurs niveaux, champs et possibilités de trajectoires soient en jeu pour mieux comprendre l’exclusion, sans identifier de lien causal ou de trajectoire unique. Il nous semble en effet que c’est la dynamique entre les macro et les microprocessus qui permet la compréhension la plus exhaustive des diverses formes d’exclusion, quoique chaque pôle d’analyse mérite une attention particulière. Une analyse minutieuse des contextes d’application et des types de populations touchées est également de rigueur bien que certaines constantes puissent être mises au jour.

Le processus d’exclusion : modèles, parcours et trajectoires

Plusieurs figures de l’exclusion ont été présentées par les auteurs-es s’intéressant à cette question. Nous avons retenu ici les cinq modèles qui nous semblaient des références à cet égard, étant à notre avis les plus complets en termes explicatifs.

La désaffiliation selon Castel

Pour Castel (1991, 1992 et 1994), l’exclusion relève d’un double processus de décrochage : sur l’axe du rapport au travail, d’une part, et sur l’axe relationnel, d’autre part (rupture du lien social). Son approche transversale et qualitative met notamment l’accent sur la dynamique de précarisation généralisée qui caractérise les sociétés occidentales, en raison des mutations profondes qui se sont opérées sur les deux axes précédemment nommés. Les travaux de Castel suggèrent une vision nuancée du phénomène de l’exclusion, où n’existent pas uniquement des inclus ou des exclus, bien qu’un clivage de plus en plus net s’opère entre ces deux groupes. Le schéma explicatif qu’il propose selon l’axe du travail et l’axe de l’insertion relationnelle fait apparaître trois zones principales. À un pôle, une stabilité et une autonomie relatives impliquant un emploi satisfaisant ainsi que des relations sociales enrichissantes (famille, amis, réseau social, etc.) représentent la zone d’intégration. Au pôle opposé, une turbulence maximale et une dépendance où il n’y a plus de lien, ni dans l’axe du travail, ni dans l’axe relationnel (ce qui peut se traduire notamment par l’isolement social) définissent la zone de désaffiliation. La troisième, la zone de vulnérabilité (ou de précarité), se situe à la jonction des deux autres (Figure 1) et constitue la plus importante du point de vue de l’intervention à définir selon Castel (1994).

Figure 1

Le modèle de désaffiliation de Castel

Le modèle de désaffiliation de Castel
Source : Castel, 1994.

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C’est sur cette zone grise, qui prend progressivement de l’expansion, qu’il convient de s’interroger pour comprendre les mécanismes économiques et sociaux qui poussent graduellement vers la désaffiliation. Cela permet de remettre en question les modèles d’organisation de la société actuelle, qui entraînent des vulnérabilités grandissantes, que l’on pense à la montée du chômage de longue durée, à la crise du salariat, à la précarité de l’emploi (temps partiel, contractuel; travail autonome, saisonnier; etc.) ou à la transformation des modes relationnels (structures familiales changeantes; monoparentalité; individualisme social; perte des réseaux traditionnels de voisinage). Ces transformations provoquent des difficultés concrètes d’intégration sociale et professionnelle. Pour Castel (1992), l’intérêt doit donc se porter sur les processus qui sont en amont de l’exclusion, spécialement sur la zone de vulnérabilité comme espace stratégique d’intervention, plutôt que sur celle de désaffiliation, où le mal est déjà fait.

La disqualification selon Paugam

Partant lui aussi du postulat du rapport à l’emploi comme principal élément de l’insertion normative des individus dans la société, Paugam (1991) se concentre sur les bénéficiaires de l’assistance sociale pour montrer les étapes du microprocessus menant vers la disqualification sociale. Il faut donc comprendre que ce modèle s’applique plus particulièrement à cette population. Le processus s’amorcerait par une première étape de fragilisation (conditions de vie précaires), où les individus retarderaient leur recours aux services sociaux de peur de basculer vers un sentiment d’infériorité sociale provoqué par l’assistance. Ils seraient, à cette étape, « en apprentissage de la disqualification sociale ». Ensuite, les personnes entreraient dans une étape d’assistanat, où elles accepteraient peu à peu leur nouveau statut de dépendance face aux professionnels et aux institutions, passant progressivement par le refus de s’installer dans une telle position à une acceptation, se muant parfois même en revendication. Paugam (ibid.) signale qu’à ce stade, les personnes arrivent à ressembler de plus en plus fortement aux stigmates qui leur sont accolés. La dernière étape, celle de la marginalité ou de la rupture du lien social, serait justement une réponse aux stigmates perçus et vécus par les individus qui tenteraient alors d’organiser leur vie en dehors de la société, de ses institutions et de ses réseaux de sociabilité, afin d’échapper à la stigmatisation de l’assistance. Ainsi, c’est autour de la construction (ou de la déconstruction) de l’identité des individus, surtout face aux institutions, que se canalise le modèle de Paugam.

La désinsertion selon De Gaujelac et Taboada Leonetti

Le modèle de désinsertion proposé par De Gaujelac et Taboada Leonetti (1994) s’inscrit dans le même courant général que le modèle précédent et cible le cheminement des populations les plus exclues (personnes itinérantes). Une incidence particulière est ici également mise sur l’importance de l’identité comme facteur d’insertion, et donc sur la perception de soi en tant qu’individu social. Pour eux, toutefois, la rupture du lien avec le monde de l’emploi n’est pas nécessairement identifiée comme source de la dynamique de désinsertion. Quatre phases y mèneraient progressivement : 1) événement fondateur créant une première rupture du lien social (perte d’emploi, décès d’un être cher, séparation conjugale, maladie, etc.); 2) rupture fondatrice entraînant d’autres ruptures (par exemple : maladie  perte d’emploi  rupture des réseaux sociaux); 3) décrochage social (retrait progressif de tous les réseaux de sociabilité) et 4) déchéance de l’individu (associée à l’errance notamment, où tous les liens sociaux semblent détruits).

Pour ces auteurs-es, le rythme que prendra le processus dépend de la réaction (résistance, adaptation et installation) des individus face aux événements qui surviennent dans leur vie (notamment de la réaction à l’événement fondateur). Ainsi, il s’agirait d’une dynamique relationnelle entre une dimension événementielle constituée d’une série de ruptures et une dimension psychologique de réaction face à celles-ci.

L’exclusion comme étape finale d’un processus de désinsertion sociale selon Roy

Roy (1995) propose quant à elle de réserver le terme « exclusion » à l’étape finale du processus de désinsertion sociale. Le terme « insertion »[4], associé à « professionnelle », représenterait l’accès à un emploi stable, alors que l’insertion assortie du qualificatif « sociale » signifierait l’adaptation à un milieu, un environnement et des normes généralement acceptées. L’insertion se mesurerait ainsi par l’autonomie, l’indépendance, la maîtrise de son existence, la responsabilité et la citoyenneté.

Pour cette auteure, le terme « exclusion » ne devrait être utilisé que pour référer à un état et non pas à un processus. S’inspirant fortement du modèle précédent, et référant au même type de population, Roy (ibid.) visualise le processus de désinsertion sur deux grands axes : 1) l’axe des ruptures évoquant les multiples espaces où elles se produisent (économique, relationnel ou symbolique) et 2) l’axe des réactions individuelles constituant des processus psychologiques et passant à travers trois étapes : résistance (phase active de lutte pour contrer les effets des ruptures — réorganisation possible), acceptation (phase pessimiste où se structure une nouvelle identité) et installation (phase de résignation totale où l’individu perd confiance en ses capacités, ne croit plus en aucune solution institutionnelle et où il y a parfois un changement d’habitudes personnelles ainsi que la création d’un discours de justification de sa situation).

Roy (ibid.) ajoute à ce modèle deux facteurs qui influenceraient son incidence : la durée de la rupture ou du cumul de ruptures, et les efforts personnels et institutionnels pour y résister. Pour elle, les phases proposées ne peuvent constituer un passage inéluctable menant nécessairement vers l’exclusion en bout de piste; l’idée que les individus se laissent doucement glisser sur la pente de l’exclusion ne saurait en aucun cas faire figure de modèle majoritaire.

L’exclusion comme processus d’enfermement selon Clavel

Pour Clavel (1998), l’exclusion est un processus évolutif, multidimensionnel, polymorphe et englobant des populations hétérogènes; il serait ainsi plus aisé de repérer des situations d’exclusion que d’identifier les exclus proprement dits. Celui-ci précise que même si la pauvreté est probante dans plusieurs situations d’exclusion, toutes les personnes appauvries économiquement ne sont pas exclues, et tous les exclus ne sont pas nécessairement en situation de grande pauvreté.

Le modèle systémique qu’il propose comprend quatre zones non étanches (Figure 2) — intégration, précarité, pauvreté et exclusion — dans lesquelles se jouent les trajectoires individuelles et collectives. Individuellement, les trajectoires sont influencées par les histoires personnelles, qui régissent, dans une certaine mesure, les réactions face aux événements vécus; tandis que, collectivement, les parcours sont influencés par des processus structurels dont la lame de fond est le désordre économique et social, qui provoque déstabilisation et disqualification sociales, et conduit les individus dans des circuits d’enfermement (enlisement dans des circuits d’assistance). Ironiquement, comme le souligne Clavel (1998), ces circuits sont partie prenante des processus d’exclusion et ils sont en même temps les réponses que les politiques publiques tentent d’apporter au phénomène de l’exclusion.

Figure 2

Le modèle d’exclusion de Clavel[5]

Le modèle d’exclusion de Clavel5
Source : Clavel, 1998.

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La zone d’intégration désigne une situation économiquement et socialement acceptable à l’égard des standards de revenu, de consommation et de mode de vie. La zone de précarité représente le caractère incertain, aléatoire ou irrégulier des ressources, qui provoquerait une fragilité se répercutant dans la vie quotidienne, à la fois familiale et sociale. La zone de pauvreté signifie la modestie, la faiblesse ou l’insuffisance des ressources, d’où résulte une impossibilité de participer à l’ensemble des modes d’existence socialement reconnus (dont la consommation), et renvoie ainsi à une analyse des inégalités sociales. Quant à la zone d’exclusion, elle constitue le cumul des effets extrêmes des deux zones précédentes, représentant la conjugaison et la simultanéité de trois situations : 1) cumul de plusieurs situations de privation (emploi, revenu, droits) et d’enfermement dans des espaces sociaux et économiques « marqués » (c’est-à-dire réservés aux pauvres et non socialement reconnus comme valables); 2) rapport social symbolique négatif à la fois objectif (stigmatisation de l’extérieur) et subjectif (auto-exclusion par la mutation de l’identité personnelle); 3) rupture des liens sociaux traditionnels (rupture avec le travail salarié, les liens familiaux, etc.) qui « désinsère » les personnes et entraîne un déclassement social. Ces trois dimensions seraient nécessaires pour définir la zone d’exclusion, mais les modalités de combinaisons seraient multiples. Puisqu’il s’agit d’un modèle dynamique, Clavel (ibid.) suggère que la prééminence de l’une peut avoir un effet d’entraînement sur les autres. En définitive, les exclus ne seraient pas hors ou à l’extérieur de la société, mais bien situés dans un rapport social historique, dont la maîtrise leur échappe et où ils occupent une position spécifique, ce qui pose la question de la cohésion sociale. L’exclusion constituerait donc un « processus centrifuge de différenciations sociales » (ibid.).

Propositions convergentes et principales différences

À l’instar de Autès (1995), nous reconnaissons qu’en dépit de leurs particularités, ces modèles se rejoignent à plus d’un plan. Ceux-ci abordent des processus constitués de phases successives débutant généralement par une précarisation, une fragilisation, une « vulnérabilisation » et aboutissant à une exclusion, comprise comme une forme de sortie des cadres « normaux » de la vie en société. Toutefois, alors que Paugam (1991) insiste davantage sur le processus de labellisation et des statuts octroyés par les institutions, et que De Gaujelac et Taboada Leonetti (1994) ainsi que Roy (1995) appuient sur les stratégies de réponse aux événements provenant de l’extérieur et sur les destins individuels, Castel (1991, 1992 et 1994) et Clavel (1998) mettent plutôt l’accent sur les processus historiques qui produisent ou non la cohésion sociale, notamment la question de la crise de l’emploi et de l’effritement des réseaux de sociabilité traditionnels. C’est donc principalement dans l’emphase sur les micro ou les macroprocessus que diffèrent les diverses propositions.

Que l’exclusion soit perçue comme une poussée vers la marge ou comme un enfermement dans des circuits d’assistance (que l’on pourrait qualifier de voie secondaire ou de voie de garage), il n’en demeure pas moins qu’elle représente un phénomène complexe et difficile à circonscrire, qui ne peut être appréhendé de la même façon selon les individus, les lieux, les espaces, les moments et les types de sociétés dans lesquels il se produit. Il s’agit plutôt d’un phénomène socialement construit, qui varie en fonction d’un certain nombre de déterminants. Ces derniers vont des modes de régulation sociale qui définissent la façon de concevoir et de produire le lien social (Ion, 1995), au rôle des individus face à leur insertion dans ce rapport social situé. Les perspectives les plus intéressantes se situent, à notre avis, dans la conjugaison de ces deux angles d’analyse principaux que sont : les déterminants macrosociologiques, politiques, économiques et culturels; et les déterminants microsociologiques et individuels. En ce sens, c’est le modèle de Clavel (ibid.) qui nous apparaît le plus complet, puisqu’il associe clairement les dimensions individuelles et collectives et qu’il reconnaît la multiplicité de combinaisons possibles quant aux processus.

Par ailleurs, il convient de souligner que si les macrodéterminants doivent absolument être pris en compte dans l’analyse des processus d’exclusion, de même que le rôle de celui qui subit l’exclusion, ne doit pas être négligé le rôle de « celui qui la fait subir à d’autres, celui qui exclut » (McAll, 1995, p. 81). Si les institutions apparaissent dans certains modèles comme les porte-étendards de ceux qui excluent (Clavel, 1998; McAll, 1995; Paugam, 1991), d’autres acteurs sociaux (les « inclus ») semblent également partie prenante des processus qui condamnent des personnes à vivre « en dehors des murs de la cité », et sont généralement oubliés dans l’analyse (McAll, 1995, p. 81). Il importe alors de considérer l’exclusion comme une série de « rapports » qui existent entre groupes sociaux, rapports basés sur le genre, l’âge, l’ethnicité, la race, etc. et qui se traduisent par des discriminations variées (McAll, ibid.). Cela fait de l’exclusion un processus qui nous concerne toutes et tous, puisque nous sommes nécessairement situés dans ce rapport, que ce soit comme « exclu » ou comme « inclus ».

Quelques conséquences de l’exclusion sur le plan individuel

L’exclusion a de nombreuses conséquences, tant pour les personnes qui la subissent que pour les collectivités où elle sévit. Nous avons choisi de ne présenter ici que trois d’entre elles, interreliées sur le plan individuel (citoyenneté, identité et impuissance à agir) et qui sont en lien direct avec l’objet de notre thèse de doctorat.

L’exclusion peut être appréhendée en termes de souffrance sociale. Ces « processus de refoulement aux marges, d’affaiblissement des relations sociales et personnelles structurantes, ou encore d’assignation identitaire excluante ou déviante remettent en cause fondamentalement la citoyenneté » (Lamoureux, 2004, p. 29). Ils constituent des entraves sérieuses à l’agir citoyen à plusieurs égards, laissant des marques sur les identités des personnes et sur leur rapport avec le monde, un rapport qui devient souvent empreint de méfiance et de résignation (ibid.).

Les personnes vivant l’exclusion rapportent un lien très particulier avec l’espace qu’elles définissent comme clos, étouffant et restreint (Lamoureux, 200; Clavel, 1998; McAll, 1995), alors que selon leur perception, être citoyenne ou citoyen, c’est avoir une place, sa place, et être reconnu comme personne à part entière dans le territoire du vivre-ensemble, c’est aussi se sentir partie prenante du fonctionnement, et surtout du devenir social (Lamoureux, 2001). Ainsi perçue, l’exclusion serait un affront direct à la citoyenneté par la mise à l’écart des personnes qui ne correspondent pas aux normes ou aux cadres reconnus.

L’exclusion vécue par les individus qui en font quotidiennement l’expérience semble conduire progressivement à une impuissance face à son existence, son identité personnelle et sa participation sociale. On peut l’exprimer en termes de pouvoir :

En définitive, l’exclusion n’est pas seulement le défaut d’avoir, mais aussi et surtout le défaut de pouvoir : pouvoir comprendre, pouvoir se soigner… pouvoir agir sur sa propre situation. C’est aussi le défaut de savoir, non seulement scolaire, mais surtout la faible capacité à se représenter de manière cohérente le monde pour le faire évoluer à son avantage.

Vidalenc, 2001, p. 55

Sans endosser totalement l’analyse de Vidalenc, qui met une emphase exagérée sur les « manques » des individus, négligeant ainsi leur potentiel de résistance et de créativité, l’idée que l’exclusion conduit à l’impuissance à agir (disempowerment) sur sa situation selon ses propres choix apparaît rejoindre nombre d’auteurs-es, qui en parlent toutefois en termes différents : enfermement, cloisonnement, passivité, acceptation, aliénation, etc. L’impuissance à agir peut être perçue comme une forme de dévitalisation individuelle et collective (Tremblay et Klein, 1997) et comme une perte progressive du lien institutionnel, en tant que rapport au politique dans son sens large (Carreteiro, 1994). Les phénomènes d’appauvrissement et d’exclusion renvoient à des évolutions dynamiques entrelacées plutôt qu’à des états statiques isolés (Ninacs, 2002). Sur le plan des ressources requises pour assurer son bien-être, ils résultent tous deux en une « perte progressive d’emprise sur les moyens requis pour les produire ou se les procurer » (ibid., p. 30). L’exclusion et la pauvreté peuvent donc constituer des sources importantes d’impuissance à agir sur ce qui est significatif pour soi et pour sa communauté (Breton, 2002; Ninacs, 2002).

L’impuissance a des dimensions tant objectives (manque effectif de pouvoir social, privations diverses, etc.) que subjectives (sentiment de se sentir contrôlé par d’autres ou de l’extérieur, de ne pas avoir la maîtrise de sa destinée) (Wallerstein, 1993). Breton (2002) ainsi que Le Bossé et al. (2002) confirment cet aspect à la fois objectif et subjectif de l’impuissance, constituant un obstacle existentiel fondamental, puisque les personnes peuvent perdre progressivement foi en leur capacité à « agir sur le monde », ce qui entraîne des stratégies cohérentes de retrait social (Castel, 1994) et d’enfermement sur soi (Clavel, 1998). Les individus ressentent alors que leurs actions seront de toute façon inefficaces à influencer le cours de leur vie; elles deviennent ainsi caduques (Lord et Hutchison, 1993). Il en résulte parfois une certaine forme d’acceptation ou d’apathie, un isolement social, une faible estime de soi ainsi qu’une incapacité à rêver (désespoir) (ibid.).

Bien que l’impuissance à agir soit une résultante possible de la pauvreté et de l’exclusion, on constate bien souvent chez les personnes qui les vivent, des capacités à réagir face aux stigmates sociaux et culturels, par le déploiement de stratégies pour continuer à vivre en dehors des cadres normaux de vie en société (Anderson et Snow, 200; Dufour, 1998). L’individu exclu peut résister face aux effets dévastateurs des étiquettes négatives, si envahissantes soient-elles. Le regard d’autrui peut certes être accepté et intériorisé, mais il peut aussi être rejeté ou recadré de sorte à maintenir ou à préserver une image de soi positive (Anderson et Snow, 2001; Châtel et Soulet, 2001). Les acteurs sociaux qui font face à la subordination et à la stigmatisation ont tendance à réagir de façon à préserver leur dignité et leur autonomie, comme l’ont montré les premières étapes de certains modèles que nous avons présentés (De Gaujelac et Taboada Leonetti, 1994; Paugam, 1991; Roy, 1995). En somme, bien que l’impuissance à agir puisse être vécue par plusieurs, à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif, elle ne semble ni automatique, ni irréversible.

En guise de conclusion : la place de l’action collective face à l’exclusion

Anderson et Snow (2001) affirment que l’une des stratégies de résistance ayant le meilleur potentiel face à la stigmatisation vécue par les personnes exclues est l’action collective. Celle-ci permettrait le développement d’un sentiment de pouvoir et d’efficacité accru, la construction d’une identité individuelle et de groupe positive, de même qu’une « désaliénation » face au modèle dominant d’attentes sociales et de culpabilisation. Ainsi, plus qu’une simple réponse à l’exclusion et à la stigmatisation, l’action collective représenterait un processus de construction d’identités positives et un moyen de développer de nouvelles façons de vivre ensemble (ibid.). Elle aurait de l’impact autant sur les personnes qui s’y engagent que sur l’ensemble des acteurs sociaux (ibid.) et pourrait donc se situer comme une réponse intéressante, puisque située à la jonction des micro et des macrodéterminants des processus d’exclusion.

Selon Lamoureux (2001), l’agir collectif permet de subjectiver l’expérience d’exclusion vécue et de [re]devenir acteur, tant du point de vue individuel que collectif; il permet de renouveler positivement le rapport au politique afin de construire ou de reconstruire des identités plurielles et positives pour les personnes. Plus particulièrement au Québec, Lamoureux (2001 et 2004) ainsi que Dufour (1998) et McAll (1995), identifient les groupes du mouvement communautaire autonome comme espaces privilégiés de développement de l’action collective et d’une nouvelle citoyenneté inclusive, plurielle et critique, qui s’exprime « à part entière plutôt qu’entièrement à part » (Lamoureux, 2001, p. 45). Ces groupes constitueraient un territoire ouvert et accueillant, permettant aux personnes de prendre une part active dans l’ensemble des processus sociaux et politiques qui les concernent, pas comme exclues et exclus, mais bien comme citoyennes et citoyens actifs. Ils contribueraient ainsi à la reconstruction du lien social, tant pour les individus que pour les communautés.

Clavel (1998) identifie quant à lui quatre conditions de lutte à l’exclusion : 1) Il doit y avoir une évolution sur un double registre : économique et politique, mais aussi sur les plans culturel et social (modèle du vivre-ensemble, représentations du monde, pratiques, etc.); 2) Les exclus doivent se situer au centre de toute cette évolution; 3) Les exclus doivent être reconnus comme acteurs et sujets et non pas comme objets à déplacer dans une zone d’inclusion; 4) Les politiques publiques doivent n’avoir de cesse que de réintégrer les exclus dans les politiques du droit commun (pas de politiques à part — pas de politiques à double vitesse). Bien que la démonstration mériterait un traitement plus approfondi, il nous semble que l’agir collectif peut constituer une voie privilégiée pour répondre à ces conditions, puisque travaillant à la fois sur des processus internes (questions d’identité et d’impuissance individuelle à agir) et externes (demande de politiques plus justes, création de citoyennetés plurielles, pouvoir d’agir collectif, etc.).

En somme, si l’exclusion constitue désormais un problème social dont il faut se préoccuper dans les sociétés occidentales, il convient aussi de reconnaître que les processus qui l’engendrent nous concernent toutes et tous et que la réflexion et l’action sont à poursuivre sur ce plan. Nous espérons y avoir apporté une contribution.