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Johanne Charbonneau est professeure à l’INRS Urbanisation, Culture et Société, chercheure et spécialiste de la sociologie urbaine et de la famille, intéressée par les réseaux sociaux, l’immigration, le quartier. Elle est également auteure de plusieurs publications dont les plus récents portent sur la maternité adolescente.

Dans ce livre, Johanne Charbonneau vient renforcer l’idée que la maternité précoce constitue un problème social qui appelle une action publique dans la société actuelle. Grâce aux résultats et analyses de ses recherches, l’auteure parvient à expliquer de manière pertinente les astuces des trajectoires et bifurcations de vie, démontrant que, si l’adolescence peut s’étirer, elle peut également commencer plus tôt.

L’auteure, dans une approche dynamique pour explorer le phénomène de la maternité précoce, s’est appuyée sur deux perspectives théoriques : l’étude des cycles de vie et celle des réseaux sociaux.

D’entrée de jeu, le livre situe l’ampleur du phénomène, montre la difficulté dans le choix des termes mères « précoces » ou mères « adolescentes » pour désigner les jeunes femmes concernées et nous rappelle, surtout, qu’il existe encore des maternités en dehors des normes. Selon une logique très concordante, l’auteure a structuré son livre en huit chapitres appuyés d’une bibliographie très étoffée et des annexes, très intéressantes, qui ont servi à sa recherche.

Le premier chapitre ouvre le débat sur la définition de la maternité adolescente comme problème social. S’ajoutant aux contradictions et aux arguments des uns et des autres sur le phénomène de maternité précoce, d’autres positions idéologiques et scientifiques différentes partagent trois postulats qui limitent la compréhension du sujet : l’individualisme, la rationalité et l’autonomie. Alors que la perspective rationnelle nie l’influence du processus essai-erreur dans le parcours de vie des mères adolescentes, les deux autres positions tendent à ignorer l’ensemble de l’environnement relationnel des mères précoces.

Le second chapitre prend en compte deux aspects : 1) les repères théoriques de la maternité (contexte de l’adolescence, maternité adolescente comme trajectoire de vie, maternité adolescente dans le contexte des réseaux sociaux); 2) la démarche méthodologique (qualitative et rétrospective), qui s’appuie sur des données tirées d’une enquête menée en 1996 et 1997 auprès de trente-deux jeunes femmes et qui vise à améliorer la connaissance du problème sur une longue durée par une approche dynamique.

Dans le troisième chapitre, l’auteure se penche sur l’événement de base des trajectoires de vie à partir du moment où les jeunes femmes ont choisi de garder leur enfant (au détriment de l’avortement et de l’adoption), de même que sur les principaux facteurs explicatifs de cette prise de décision.

Le chapitre quatre propose : d’un côté, une analyse fine et croisée de la vie de ces jeunes mères à l’aide de trois histoires fictives d’où il est possible de dégager l’enchaînement des événements dans leur parcours; de l’autre, l’analyse systématique de la succession de ces événements avant la grossesse, au moment de la grossesse et de la naissance et plusieurs années après la naissance.

Au chapitre cinq, l’auteure dresse un portrait général du réseau et du soutien de ces jeunes mères avant de centrer ses analyses sur la fonction de soutien du réseau social de celles-ci.

Au sixième chapitre, elle amorce l’analyse du rôle des membres du réseau social de la mère adolescente en se penchant davantage sur la relation avec la mère et sur celle avec le conjoint. Elle y examine également le sens donné à l’aide reçue ou attendue de la part du réseau.

Le chapitre sept s’intéresse aussi bien au rôle des ressources publiques et des organismes communautaires qu’à la perception de l’aide publique et communautaire.

Le dernier chapitre présente une comparaison des milieux de vie urbain et rural des mères adolescentes. Cependant, avant de dégager leurs représentations de ces milieux, la recherche, à partir de quelques statistiques régionales sur le phénomène, examine les conditions de vie des jeunes mères ainsi que les caractéristiques de leur réseau social et les ressources disponibles à leur égard.

La conclusion du livre nous sensibilise à plusieurs réalités. Ainsi : la maternité chez les adolescentes comme problème social au Québec s’inscrit dans le temps (bouleversement des valeurs, crise de la famille et remise en question de l’entrée dans la vie adulte chez les jeunes); chacune des mères adolescentes a une histoire familiale particulière, s’est forgé une personnalité bien à elle et a des aspirations spécifiques; peu importe les causes qui mènent à la maternité précoce, la conciliation du rôle de mère avec les réalités exigeantes de l’heure produisent des conséquences pouvant être lourdes et sérieuses pour la mère et l’enfant.

Loin de nous inciter au pessimisme, la lecture du livre de Johanne Charbonneau est stimulante à plus d’un titre. D’une part, elle permet aux travailleurs sociaux que nous sommes d’avoir une vision moins misérabiliste de ces jeunes mères malgré toutes les embûches qui les guettent; d’autre part, le livre lève un pan de voile sur les multiples problèmes associés aux destinées de ces jeunes mères, et cela peut aider dans l’orientation des objectifs des pratiques. Mais, dans tout cela (et c’est là que l’auteure ouvre la voie à d’autres débats), peut-on dire que la maternité adolescente est vraiment un problème actuel, devant un certain paradoxe : d’un côté une baisse de la démographie due à une population vieillissante et, de l’autre, trop d’enfants ?

Un autre aspect qui retient l’attention, c’est l’analyse du problème par l’intégration de la vision féministe (en ce qui a trait à la prise de décision personnelle dans les domaines de la sexualité et de la procréation) dans une approche dynamique que l’auteure a très bien su harmoniser. C’est donc une preuve que Johanne Charbonneau a une excellente connaissance de tout ce qui entoure la complexité de la maternité adolescente.

En définitive, si l’on s’intéresse de près à la problématique de l’entrée dans la parentalité à l’adolescence, c’est parce qu’elle suscite de nombreuses interrogations auxquelles on ne peut malheureusement pas apporter de réponses claires et définitives. Plusieurs facteurs favorisant le phénomène, ainsi que les conséquences qui en résultent, sont tout de même largement présentés dans le livre. Ajoutons néanmoins que, même si le sujet est plus centré sur les jeunes mères, il aurait été important et souhaitable d’avoir les points de vue des pères pour éviter de confirmer et permettre de dissiper certains préjugés maintes fois soulignés sur eux.

Par la pertinence de son contenu, ce livre nous donne la conviction que le rôle de la collectivité tout entière est très important et doit en principe se situer en amont de la première grossesse afin de prévenir de nombreuses difficultés. Car ce n’est pas l’âge auquel s’exerce la maternité qui pose problème, mais plutôt les conditions d’un développement équilibré pendant l’enfance et l’adolescence. C’est donc le principal défi que doivent relever les intervenants sociaux auprès de cette catégorie de la population.