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Introduction

Au Québec, depuis une vingtaine d’années, les adoptions réalisées par les services québécois de protection de l’enfance (Centres jeunesse) ont progressivement augmenté, passant de 186 en 1999 à 345 en 2012 (ACJQ, 2004, 2014). L’analyse des données compilées par l’Association des centres jeunesse du Québec (ACJQ) indique qu’en moyenne, 309 adoptions par année ont été réalisées par les centres jeunesse au cours des dix dernières années. Au cours de cette même période, les adoptions internationales ont quant à elles progressivement diminué (Secrétariat à l’adoption internationale, 2014)[1], de sorte que, depuis 2011, le nombre total d’adoptions réalisées par les Centres jeunesse surpasse celui des adoptions internationales[2]. Par conséquent, le portrait de l’adoption au Québec a passablement changé depuis vingt ans et les adoptions concernent de plus en plus des enfants dont la sécurité et le développement sont compromis. Il s’agit donc moins souvent d’enfants nés à l’étranger ou d’enfants québécois abandonnés à la naissance (comme c’était le cas au Québec entre 1920 et 1970), mais plutôt d’enfants placés dans des familles d’accueil à vocation adoptive qui peuvent éventuellement adopter l’enfant qu’elles hébergent si les conditions cliniques et juridiques sont réunies.

Basé sur une recension détaillée des écrits sur l’adoption en contexte de protection de l’enfance, le présent article dresse un portrait du modèle d’adoption développé par les services publics québécois et compare ce modèle à ceux mis en place aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ensuite, les auteures se penchent sur les enjeux cliniques que rencontrent les services de protection de l’enfance de ces différents pays lorsqu’un enfant est placé dans une famille d’accueil à vocation adoptive. Les constats qui se dégagent de la recension et des analyses comparatives seront finalement discutés et mis en parallèle avec les fondements et caractéristiques du modèle de la famille d’accueil à vocation adoptive. Le présent article vise principalement à situer le modèle québécois dans un cadre plus large et à discuter des enjeux qui se posent actuellement pour l’adoption des enfants pris en charge par la protection de l’enfance.

Adoption et protection de l’enfance

À ce jour, les études canadiennes et québécoises sur le sujet de l’adoption en contexte de protection de l’enfant sont peu nombreuses. Dans l’ensemble, les mesures, lois et pratiques d’adoption varient considérablement d’un pays à l’autre, voire d’une province à l’autre : « une des différences majeures entre les pays et les systèmes [de protection de l’enfance] est l’utilisation qui est faite de l’adoption comme solution possible pour les enfants dont le pronostic de réunification familiale est très négatif » [traduction libre] (Del Valle et Bravo, 2013, p. 255). Dans plusieurs pays européens, la loi n’encourage pas l’adoption pour les enfants suivis en protection de l’enfance ; par exemple, la Norvège, le Danemark, l’Allemagne, la France et la Belgique sont réticents à considérer l’adoption comme une solution viable de placement permanent. Certains pays (Suède, Pays-Bas) refusent même de procéder à toute adoption contre le gré des parents. En Nouvelle-Zélande et en Australie, les autorités travaillent davantage dans une optique de prévention que d’intervention et l’adoption n’est pas privilégiée (Sargent, 2003 ; Gilbert, 2012 ; Berrick et Skivenes, 2013 ; Del Valle et Bravo, 2013). Par conséquent, malgré quelques écrits sur les situations des autres provinces canadiennes (Expert Panel on Infertility and Adoption, 2009), de l’Australie (Parkinson, 2003 ; Tilbury et Osmond, 2006) et de la France (Dumaret et Rosset, 2005 ; Corpart, 2013), l’état des écrits sur les pratiques actuelles de ces pays ne nous permet pas d’en faire une analyse détaillée. Par contre, les situations des États-Unis et du Royaume-Uni demeurent quant à elles bien documentées, en partie parce que ces pays ont tous deux procédé à une révision de leur législation en matière d’adoption (en 1997 pour les États-Unis et en 2002 et 2014 pour le Royaume-Uni) et aussi parce qu’elles présentent des philosophies et des pratiques similaires en regard de l’utilisation de l’adoption comme projet de vie pour un enfant à haut risque d’abandon (Selwyn et Sturgess, 2002 ; Lewis, 2004 ; Schofield, Beek et Ward, 2012).

La recension des écrits réalisée dans le cadre du présent article porte spécifiquement sur la planification concurrente, c’est-à-dire sur le placement en famille d’accueil à vocation adoptive et, plus globalement, sur les situations du Québec, des États-Unis et du Royaume-Uni. Pour faire état de cette situation, les banques de données « PsycNet », « Social Service Abstracts », « Social Work Abstract » et « Francis » ont été consultées et la fenêtre de publication a été restreinte à la période entre 2000 et 2014. Les mots-clés utilisés pour cibler les articles pertinents sont : « adoption », « child welfare », « concurrent planning » « foster care » et « Banque mixte ». De plus, certains livres ou chapitres de livre, absents des banques de données mais liés à la problématique concernée, ont aussi été retenus. Sauf quelques exceptions, l’ensemble des écrits sur l’adoption ouverte et sur les ententes et services post-adoption n’a pas été considéré pour le présent article.

L’adoption québécoise en contexte de protection de l’enfance

L’adoption constitue un mécanisme social et juridique permettant d’établir une filiation entre un enfant et un adulte qui ne sont pas liés par la naissance. La filiation adoptive repose donc sur une présomption affective et résulte d’un jugement : c’est la loi qui crée, à la demande d’une personne ou d’un couple, un rapport de père et/ou de mère à l’enfant (Neirinck, 2000). Par ailleurs, l’adoption est aussi une institution sociale qui reflète les intérêts, les valeurs et les points de vue moraux d’une société entière (Pecora et al., 2009 ; Logan, 2013 ; Kirton, 2013).

Au Canada, chaque province a sa propre législation concernant l’adoption[3]. Au Québec, la première loi en matière d’adoption remonte à 1924. Cette dernière poursuivait deux objectifs principaux : donner une famille aux enfants recueillis dans les crèches et mettre en place une forme d’adoption (adoption plénière) qui aurait pour effet de faire disparaître toute trace d’illégitimité de l’enfant (Goubau, 2000 ; Groupe de travail interministériel sur le régime québécois de l’adoption, 2007). Les décisions en regard de la protection de l’enfance et, parallèlement, de l’adoption, sont alors fortement influencées et guidées par des valeurs religieuses (Goubau et O’Neill, 2000). Au cours des années 1970, l’adoption est graduellement entrevue comme un mécanisme de protection de l’enfance et le principe d’intérêt de l’enfant s’impose désormais comme l’un des principes fondateurs du droit de l’adoption contemporaine (Lavallée, 2005 ; Groupe de travail interministériel sur le régime québécois de l’adoption, 2007). Aujourd’hui, les adoptions d’enfants québécois sont coordonnées et supervisées par les Centres jeunesse du Québec et la grande majorité d’entre elles sont réalisées via le programme Banque mixte. L’expression Banque mixte renvoie au fait que les Centres jeunesse maintiennent une « banque » de noms d’adoptants potentiels qui acceptent d’être évalués à la fois comme famille d’accueil et comme candidats à l’adoption. Ce programme, mis sur pied en 1988 par le Centre jeunesse de Montréal et progressivement implanté dans les autres Centres jeunesse de la province au cours des années 1990, a pour objectif premier de « permettre à des enfants à haut risque d’abandon ou dont les parents sont incapables de répondre à leurs besoins, d’être placés le plus tôt possible dans une famille stable, prête à les garder en famille d’accueil dans une perspective d’adoption » (CJQ-IU, s.d.). Ainsi, au moment d’intégrer une famille d’accueil Banque mixte, l’enfant n’est pas encore admissible à l’adoption d’un point de vue juridique et les responsables du programme ne peuvent garantir aux parents d’accueil que l’enfant qui leur est confié sera adopté. Par contre, les différentes données recueillies à cet effet indiquent qu’environ 90 % des enfants placés en famille Banque mixte deviennent éventuellement admissibles à l’adoption (Noël et al. 2001 ; Goubau et Ouellette, 2006 ; Carignan, 2007)[4].

Le placement en famille d’accueil Banque mixte consiste donc à s’orienter vers un projet d’adoption en même temps que de travailler dans le but d’un retour à la maison, de façon à ce que, si le retour dans la famille est impossible, un projet permanent ait tout de même été envisagé et amorcé avec une autre famille (Carignan, 2007 ; Noël, 2008). La stratégie d’une telle planification est de réduire les placements temporaires et de permettre à l’enfant de créer le plus tôt possible, au cours de son enfance, une relation significative avec des adultes qui, possiblement, deviendront ses parents. Le recours au programme Banque mixte comporte tout de même son lot de défis pour les membres de la famille d’accueil. Ces derniers ont à composer avec le risque, aussi minime soit-il, que l’enfant retourne dans sa famille biologique (Noël et al., 2001 ; Carignan, 2007). Ils doivent aussi accepter le maintien des contacts avec les parents biologiques et apprendre à vivre avec leur présence dans la vie de l’enfant pour un temps indéterminé (Gauvin, 2008). Les parents d’accueil sont également amenés à développer un sentiment de filiation envers l’enfant qu’ils accueillent, sans pour autant que ne leur soit reconnu un rôle officiel ou juridique de parent (Pagé, 2012). À plusieurs égards, le fait de définir l’adoption comme un projet de vie stable pour un enfant à haut risque d’abandon et d’imposer un continuum d’interventions entre placement et adoption représente, selon Ouellette, Méthot et Paquette (2003) un changement majeur dans la façon de concevoir l’adoption au Québec.

Le modèle de la planification concurrente : regards croisés sur les États-Unis, le Royaume-Uni et le Québec

Aux États-Unis, les procédures d’adoption en contexte de protection de l’enfance sont régies depuis 1997 par l’Adoption and Safe Families Act (ASFA). Préoccupées par le fait que certains enfants, même en bas âge, vivent de nombreux déplacements et que l’adoption demeure une option sous-utilisée, les autorités américaines ont convenu de mettre l’accent sur la planification de la permanence dès l’entrée du jeune dans les services de protection de l’enfance (Sargent, 2003 ; D’Andrade et Berrick, 2006 ; Phillips et Mann, 2013). L’ASFA stipule que tous les enfants doivent être placés dans un foyer permanent à l’intérieur d’un délai maximal (chaque État détermine le délai précis accordé pour trouver un foyer permanent) (McGowan, 2013). Parallèlement à l’ASFA, les services de protection de l’enfance aux États-Unis pratiquent également le concurrent permanency planning (planification concurrente de la permanence) depuis la fin des années 1980 (Katz, Robinson et Spoonemore, 1994 ; Katz, 1999). Similaire au programme québécois Banque mixte, le concurrent planning consiste à placer de jeunes enfants dans des familles préadoptives avant que la résiliation des droits des parents n’ait été prononcée, de façon à ce que, si les efforts de réunification se soldent par un échec, l’enfant soit déjà placé dans une famille d’accueil prête à l’adopter (Edelstein et al., 2002; D’Andrade et al., 2006). Comme la planification concurrente atteint les objectifs de permanence prescrits par l’ASFA et propose une stratégie considérée efficace pour le respect des délais de placement maximaux, le programme a reçu l’approbation des autorités fédérales (Edelstein, Burge et Waterman, 2002 ; D’Andradre et Berrick, 2006), mais n’est pas implanté de façon uniforme dans la totalité des États américains (Simmons, Allphin et Barth, 2000 ; D’Andrade, Frame et Derrick, 2006 ; Gerstenzang et Freundlich, 2005).

Dans les années suivant l’implantation et le développement aux États-Unis du concurrent planning, le Royaume-Uni, confronté à des problématiques similaires en termes d’instabilité des enfants suivis en protection de l’enfance, décidait lui aussi de revoir sa loi entourant le placement des enfants et adoptait en 2002 l’Adoption and Children Act (ACA). Cette nouvelle loi a pour objectif d’encadrer et de faciliter l’adoption ; elle reconnaît l’accès à l’adoption pour les couples homosexuels et les couples non mariés ; stipule que les contacts post-adoption doivent être encouragés lorsqu’ils sont dans l’intérêt de l’enfant ; et propose de restructurer les services d’adoption de façon à déléguer aux autorités locales l’évaluation et la dispensation des services (Eekelaar, 2002 ; Selwyn et Sturgess, 2002 ; Clifford et al, 2003 ; Sargent, 2003 ; Lewis, 2004 ; Ball, 2005 ; Neil, 2013a). Plus récemment, le Children and Families Act (adopté au Royaume-Uni en 2014) est venu réaffirmer l’intention des autorités de voir diminuer les délais d’adoption et de favoriser le placement en familles d’accueil à vocation adoptive lorsque les conditions le permettent. Cette nouvelle loi accorde aux parents adoptifs un rôle plus explicite dans le processus de « pairage » et souligne la responsabilité des agences locales d’informer les familles adoptives des services existants et de les soutenir dans leur mandat. Par ailleurs, le Children and Families Act prévoit accorder à la Cour le pouvoir d’ordonner ou d’interdire le maintien de contacts post-adoption avec une personne nommée, selon l’intérêt de l’enfant (Local Government Association, 2014). Parallèlement à ces nouvelles règles, le Royaume-Uni décidait, lui aussi, d’avoir recours au concurrent planning pour les jeunes enfants dont le retour dans le milieu familial est peu probable. Le modèle britannique de planification concurrente s’appuie sur les mêmes fondements et principes que le modèle américain, mise à part quelques variantes en ce qui concerne les délais de mobilisation et les services de support à l’adoption (Selwyn et Sturgess, 2002 ; Sargent 2003 ; Luckock et Hart, 2005). En effet, même si les deux pays reconnaissent la possibilité de se tourner vers un projet d’adoption malgré le refus de consentement des parents, Selwyn et Sturgess (2002) notent que la législation américaine insiste davantage sur le respect des délais, alors que la législation britannique est moins prescriptive à cet égard et laisse davantage de latitude au jugement professionnel des intervenants.

Tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni, les réformes des lois sur l’adoption avaient pour objectif, entre autres, d’augmenter significativement le nombre d’adoptions réalisées par les États ou agences locales (Marsh et Thoburn, 2002 ; Clifford et al. 2003 ; Sargent, 2003 ; Lewis, 2004 ; Coakley et Berrick, 2008 ; Phillips et Mann, 2013). Pour atteindre cet objectif, les États-Unis vont même jusqu’à proposer des incitations financières aux États pour qu’ils augmentent leur nombre d’adoptions réalisées (Sargent, 2003; Scott et al., 2013). Dans les années suivant l’adoption de l’ASFA (1997) et de l’ACA (2002), les taux d’adoption ont considérablement augmenté, tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni (Selwyn et Sturgess, 2002 ; Selwyn, Frazer et Quinton, 2005 ; Coakley et Berrick, 2008 ; Zatmostny et al., 2003). Par exemple, les rapports du Département de la Santé et des Services sociaux américains (United States Department of Health and Human Services) indiquent que le nombre d’adoptions en protection de l’enfance est passé de 28 000 en 1996 à 51 000 en 2002 (Sargent, 2003 ; Coakley et Berrick, 2008). Entre 2003 et 2013, ce nombre est demeuré relativement stable et oscillait, selon les années, entre 50 000 et 57 000 (U.S. Department of Health and Human Services). Au Royaume-Uni, le nombre d’enfants adoptés est passé de 2 200 en 1998-1999 à 3 500 en 2002-2003 (Selwyn, Frazer et Quinton, 2005). Au cours de l’année 2012-2013, 3 980 enfants recevant des services en protection de l’enfance ont été adoptés (Department for Education, 2013).

Au Québec, les modifications apportées à la Loi de la Protection de la jeunesse en 2007 introduisent également des durées maximales de placement temporaire, établies en fonction de l’âge de l’enfant et au terme desquelles un plan de vie permanent doit être mis en place pour l’enfant dont le développement et la sécurité sont compromis (Drapeau et al., 2012 ; Goubau, 2012). L’idée centrale de ces nouvelles dispositions est de permettre aux enfants abandonnés, ou en voie de l’être, de bénéficier le plus rapidement possible d’un projet de vie permanent qui leur assurera une plus grande stabilité. Concernant plus spécifiquement l’adoption, la première évaluation des modifications de la loi (Turcotte et al., 2011) ne rapporte pas une augmentation significative du nombre d’adoptions réalisées suite aux changements législatifs.

Outre certaines variantes dans les modalités d’application, les modèles de planification concurrente des États-Unis et du Royaume-Uni et le programme québécois Banque mixte s’appuient sur les mêmes principes. Ces programmes sont étroitement associés à la planification permanente et visent à réduire le temps passé dans les services et le nombre de déplacements vécus par les enfants (Tilbury et Osmond, 2006 ; Wigfall, Monck et Reynolds, 2006 ; Schofield, Beck et Ward, 2012). Pour atteindre cet objectif le plus tôt possible dans la vie de l’enfant et diminuer le risque de déplacement, la planification concurrente propose de fonctionner de manière simultanée plutôt que séquentielle et de travailler un projet permanent dès le début du placement de l’enfant (Monck, Reynolds et Wigfall, 2004 ; Gerstenzang et Freundlich, 2005 ; Kelly et al., 2007 ; D’Andrade, 2009 ; Kenrick, 2009). Ainsi, le terme de concurrent planning décrit un « schème dans lequel la réhabilitation des parents biologiques et l’adoption doivent se faire en simultané, grâce au déploiement des ressources pour chaque alternative » [traduction libre] (Kenrick, 2009, p. 5).

Les enjeux de la planification concurrente

De nombreuses études ont démontré que l’adoption en contexte de protection de l’enfance favorise la stabilité de placement de l’enfant et présente un très bas taux de rupture une fois le jugement d’adoption prononcé (McDonald, Propp et Murphy, 2001 ; Festinger, 2002 ; Triseliotis 2002 ; Harden, 2004 ; Cushing et Greenblatt, 2009 ; Vinnerljung et Hjern, 2011), cela étant d’autant plus vrai lorsque le placement a lieu en bas âge (Rushton 2004 ; Selwyn et Quinton, 2004 ; Coakley et Berrick, 2008 ; Quinton et Selwyn, 2009)[5]. De plus, les bénéfices développementaux et cognitifs associés à l’adoption, comparativement au placement en famille d’accueil ou au retour dans le milieu familial, ont aussi été documentés (Lloyd et Barth, 2011 ; Christoffersen, 2012). Pour ces raisons, et aussi parce qu’elle offre les privilèges et les droits légaux qu’on retrouve dans une famille conventionnelle (Cushing et Greenblatt, 2009), l’adoption, pour les enfants suivis en protection de l’enfance, est généralement entrevue par les services sociaux comme le projet de vie qui offre à l’enfant les meilleures garanties possible de continuité et de stabilité (ACJQ, 2009 ; MSSS, 2010). Dans une étude où il compare le placement à long terme et l’adoption, Triseliotis (2002) conclut que l’adoption, en raison de la stabilité qu’elle apporte et de l’engagement qu’elle exige des parents d’accueil, demeure pour les enfants une option plus sécurisante que le placement à long terme.

Par ailleurs, quelques études portant plus spécifiquement sur les adoptions réalisées en contexte de planification concurrente démontrent également une grande stabilité de placement pour les enfants concernés (Monck, Reynolds et Wigfall, 2004 ; D’Andrade, 2009 ; Kenrick, 2009 ; Chateauneuf et Trudelle, 2014) ainsi qu’un temps passé dans les services plus court que lors d’adoptions régulières (Martin et al., 2002 ; Kelly et al., 2007). Par contre, plusieurs études ont mis en évidence les défis sous-jacents à ce type de placement pour les parties impliquées. La prochaine section discute de ces différents enjeux.

Le difficile équilibre entre rapidité de placement et accès aux services

Dans ses fondements, la planification concurrente implique la mise en place d’efforts raisonnables visant la réunification familiale et simultanément, la recherche d’un milieu de vie permanent pour l’enfant (D’Andrade et Berrick, 2006). Cette double mission peut toutefois engendrer une certaine confusion quant aux approches à privilégier par les services sociaux (Parkinson, 2003 ; D’Andrade, Frame et Berrick, 2006 ; Ouellette et Goubau, 2009). Par exemple, Goubau et Ouellette (2006), à propos du programme Banque mixte, soulignent que le souci de rapidité peut entrer en contradiction avec celui de transparence et que la volonté de mener rapidement à terme le processus d’adoption pose aussi le risque de compromettre les chances de préserver les liens familiaux. De plus, le fait qu’un enfant puisse être déclaré admissible à l’adoption contre le gré de ses parents (ce qui est le cas au Québec, au Royaume-Uni et aux États-Unis) peut contribuer, selon Ouellette et Goubau (2009) à réduire les efforts mis en place pour favoriser la réunification familiale.

L’augmentation, aux États-Unis et au Royaume-Uni, des adoptions par les services publics et, parallèlement, la diminution des délais de placement, suscitent aussi la crainte de voir augmenter les taux de rupture et d’échec des adoptions (Festinger, 2002 ; Coakley et Berrick, 2008). De plus, le processus d’adoption en planification concurrente demeure exigeant en termes d’interventions, de suivi et de dispensation de services : par conséquent, certains s’inquiètent que d’autres options de permanence, comme le placement à long terme ou la tutelle, s’en trouvent par le fait même négligées alors qu’elles peuvent répondre adéquatement aux besoins de certains enfants (Triseliotis, 2002 ; Parkinson, 2003 ; Sargent, 2003 ; Lewis, 2004 ; Macomber, 2009 ; Kirton, 2013). C’est le cas par exemple des enfants qui ont vécu quelques années avec leurs parents d’origine ou encore des enfants qui ont établi des liens significatifs avec leurs parents, sans pour autant que ces derniers ne soient en mesure d’assumer leurs responsabilités parentales. Les restrictions entourant les délais de mobilisation constituent également un enjeu de taille, tant pour les parents qui doivent composer avec la pression liée au temps accordé pour prouver leur capacité à reprendre leur enfant, que pour les intervenants qui doivent s’assurer de la disponibilité et de la dispensation des services dans les délais déterminés par la loi (Selwyn et Sturgess, 2002 ; Monck, Reynolds et Wigfall, 2004 ; Pellman et Patton, 2005 ; Frame, Berrick et Coakley, 2006 ; Wigfall, Monck et Reynolds, 2006 ; Cossar et Neil, 2010 ; Drapeau et al., 2012).

Les défis liés à l’intervention en contexte de planification concurrente

Pour les intervenants, la planification concurrente exige des interventions constantes et intenses auprès de la famille d’accueil, des parents biologiques et de l’enfant (D’Andrade, 2009). Selon D’Andrade, Frame et Berrick (2006), la nature dualistique de la planification concurrente et le fait de devoir travailler en même temps à la réunification et au projet d’adoption sont parfois difficiles à négocier pour les intervenants. Une utilisation adéquate et efficace de la planification concurrente repose d’abord sur l’implantation de mesures de soutien pour les intervenants et d’un travail de collaboration entre les services d’adoption et les services visant un retour de l’enfant avec ses parents (Martin et al. 2002 ; Frame, Berrick et Coakley, 2006 ; Gerstenzang et Freundlich, 2005 ; Wigfall, Monck et Reynolds, 2006 ; D’Andrade, 2009).

La décision de recourir à une famille d’accueil à vocation adoptive repose sur un pronostic, c’est-à-dire sur l’évaluation des chances que l’enfant puisse retourner dans son milieu familial. À cet effet, différents auteurs (Sargent, 2003 ; D’Andrade et Berrick, 2006 ; Ben-David, 2011) s’inquiètent non seulement du manque de balises claires pour statuer sur le pronostic de retour dans le milieu familial, mais aussi de l’absence d’outil validé pour bien évaluer les possibilités d’un tel retour. Par exemple, Frame, Berrick et Coakley (2006) soulignent l’importance de définir clairement la population ciblée, de mettre à la disposition des intervenants un outil pour évaluer les chances de réunification, de former les intervenants en regard des principes et de l’application du concurrent planning et d’adopter une approche collaborative avec les collègues pour le traitement des dossiers et pour la prise de décision. Parallèlement, les intervenants sociaux qui travaillent en contexte d’adoption doivent aussi composer avec différentes instances juridiques et maîtriser la législation qui encadre l’adoption, ce qui constitue une tâche supplémentaire et exige une formation spécifique (Simmons, Allphin et Barth, 2000 ; Wigfall. Monck et Reynolds, 2006).

Dans le processus décisionnel entourant le placement d’un enfant dans une famille d’accueil à vocation adoptive, les intervenants ont aussi la tâche d’évaluer les familles d’accueil et de procéder au pairage entre celles-ci et l’enfant. Le pairage consiste à évaluer de manière détaillée les familles adoptives et les enfants afin de favoriser le meilleur agencement possible (Coakley et Berrick, 2008). Il consiste aussi à faire le lien entre les besoins de l’enfant et la disponibilité d’adoptants pouvant répondre à ces besoins (Tilbury et Osmond, 2006). Ainsi, les responsables du processus d’évaluation et de pairage doivent bien identifier les caractéristiques de l’enfant et de la famille d’accueil puisque celles-ci peuvent favoriser ou nuire à la réussite de l’adoption (McDonald, Propp et Murphy, 2001 ; Festinger, 2002 ; Rushton, 2004 ; Coakley et Berrick, 2008 ; Cushing et Greenblatt, 2009 ; Quinton et Selwyn, 2009 ; Gleitman et Savaya, 2011). Selon Rushton (2004) et Dance, Rushton et Quinton (2002), le processus d’évaluation des caractéristiques des parents adoptifs devrait aussi se pencher sur les patterns relationnels positifs ou négatifs qui se développent entre les parents d’accueil et l’enfant immédiatement après le placement. Selon les auteurs, la nature de ces relations est plus déterminante sur la réussite du placement que les caractéristiques des parents.

Le développement et la dispensation de services spécialisés à toutes les étapes du processus d’adoption sont généralement considérés comme déterminants dans la réussite des procédures et du maintien de l’enfant dans sa nouvelle famille (Zosky et al., 2005 ; Atkinson et Gonet, 2007 ; Kelly et al, 2007 ; Sellick, 2007 ; Pecora et al., 2009 ; Ryan, Nelson et Siebert, 2009 ; Kenrick, 2010 ; Scott et al., 2013). Le soutien apporté aux familles d’accueil à vocation adoptive permet de réduire le risque de déplacement de l’enfant (Luckock et Hart, 2005), de préparer les parents d’accueil à l’arrivée de l’enfant en les informant sur les réalités de leur rôle et sur les complexités des contacts avec la famille biologique (Kelly et al., 2007) de façon à éviter qu’elles hésitent ou refusent de compléter le processus d’adoption, préférant s’en tenir au statut de famille d’accueil (Selwyn et Quinton, 2004).

Concernant les parents biologiques, ceux qui vivent ou ont vécu l’adoption de leur enfant présentent pour la plupart des difficultés psychologiques et sociales importantes et possèdent souvent un réseau social et familial d’un faible soutien. Ces parents vivent aussi beaucoup de culpabilité, d’impuissance, de colère ou d’humiliation en lien avec l’adoption de leur enfant (Neil, 2006 ; Cossar et Neil, 2010 ; Neil, 2013b). Différentes études ont discuté de l’importance de soutenir et d’accompagner les parents biologiques dans le processus d’adoption en mettant à leur disposition des services de soutien individualisés (Sellick, 2007 ; Cossar et Neil, 2010 ; Neil, 2013b). Les services sociaux doivent reconnaître ce que le parent vit en lien avec l’adoption et mettre l’accent sur l’empowerment des membres de la famille biologique de façon à valoriser la compréhension de leur rôle (Neil, 2013b). En dépit de l’existence de certains services, quelques auteurs observent que les parents biologiques sont peu enclins à utiliser les ressources en place (Neil, 2007 ; Sellick, 2007; Cossar et Neil, 2010) et qu’en ce sens, les agences doivent développer des stratégies pour inciter les parents à recourir aux services existants.

La planification concurrente : transparence, respect et communication

Le placement d’un enfant en famille d’accueil à vocation adoptive soulève des enjeux notables sur le plan relationnel et familial. Par conséquent, les principes d’ouverture, de respect et de transparence sont au coeur de la démarche de planification concurrente (D’Andrade, 2009). Dans une étude menée auprès d’intervenants et de familles d’accueil impliqués dans un projet de planification concurrente, Gerstenzang et Freundlich (2005) constatent qu’en dépit d’une connaissance adéquate de la planification concurrente, des lacunes importantes sont observées dans le support et la formation des familles d’accueil et des intervenants, mais aussi dans la communication des décisions relatives à l’enfant et à son placement. Considérant que la planification concurrente implique une part importante d’incertitude pour les parents d’accueil, ces derniers devraient être informés dès le début des différentes étapes à franchir dans le processus menant à l’adoption ainsi que du stress que cela peut engendrer (Carignan, 2007 ; Denuwelaere et Bracke, 2007 ; Goldberg et al., 2012).

Certaines études ont documenté que l’incertitude liée au placement en contexte de planification concurrente avait pour effet de compliquer le recrutement de familles d’accueil (Alcalay et al., 2002) ou encore d’occasionner chez les parents d’accueil un sentiment d’impuissance et d’insécurité (Edelstein, Burge et Waterman, 2002). Certaines frustrations sont aussi associées au fait que l’on demande aux familles d’accueil de s’investir auprès de ces enfants sans pour autant pouvoir leur garantir que l’adoption sera réalisée (Ouellette, Méthot et Paquette, 2003 ; Goldberg et al., 2012 ; Pagé, 2012). Les services sociaux doivent être sensibles au fait que les parents d’accueil impliqués dans un projet de planification concurrente peuvent hésiter à réclamer de l’aide par crainte d’être jugés par les intervenants et de nuire au processus d’adoption (Tollemache, 2006 ; Kenrick, 2010).

Les écrits qui portent sur les différents facteurs de réussite et d’échec du placement en contexte de planification concurrente soulignent l’importance de bien informer les parents d’accueil des caractéristiques de l’enfant, de son passé familial et de son état de santé (Gerstenzang et Freundlich, 2005 ; Coakley et Berrick, 2008 ; Pecora et al., 2009). Selon Coakley et Berrick (2008), ce type d’informations permet aux parents d’accueil d’être mieux outillés face aux défis pouvant survenir après l’adoption. La question de la transparence et de la communication sur la situation de l’enfant est aussi abordée par Gerstenzang et Freundlich (2005) qui constatent que les travailleurs sociaux refusent souvent de partager des informations avec les parents d’accueil, même si ces derniers en ont exprimé l’intérêt.

Par ailleurs, l’annonce du placement de l’enfant dans une famille d’accueil à vocation adoptive peut être mal accueillie par les parents biologiques et susciter chez ces derniers de vives réactions. La transparence des intervenants dans un tel contexte est essentielle puisque, selon Goubau et Ouellette (2006), le transfert d’un enfant vers une famille d’accueil Banque mixte change fondamentalement l’orientation de l’intervention dans la mesure où l’on passe d’une logique de placement à une logique d’adoption. Or, selon les auteurs, les différentes étapes du placement en Banque mixte et le processus clinique qui l’accompagne ne sont pas toujours clairement expliqués aux parents biologiques. D’Andrade (2009) convient qu’une discussion complète et transparente avec les parents d’un enfant placé dans une famille d’accueil à vocation adoptive peut sembler difficile à réaliser pour les travailleurs sociaux. Par contre, cette intervention peut aussi, selon l’auteure, motiver les parents d’origine à se mettre en action, soit en accélérant leur processus de reprise en main, ou en acceptant que leur enfant soit adopté via la signature d’un consentement à l’adoption (Maynard, 2005). Selon Katz, Robinson et Spoonemore (1994), le fait d’aborder avec les parents la possibilité de consentir à l’adoption de leur enfant permet à ces derniers de s’approprier un pouvoir d’agir (empowerment) et de diminuer leur sentiment de culpabilité.

Les contacts parents-enfant en contexte de planification concurrente

Souvent abordée comme une forme d’adoption, la planification concurrente doit d’abord et avant tout être comprise pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un placement pouvant mener à l’adoption. Par conséquent, la plupart des enfants placés en famille d’accueil à vocation adoptive entretiennent des contacts avec leur famille biologique. Dans certains cas, ces contacts durent seulement quelques mois, alors que pour d’autres enfants, ils persistent pendant plusieurs années (Noël, 2008 ; Pagé et al., 2008). Selon les situations et les contextes, les contacts entre l’enfant et ses parents d’origine sont vécus plus ou moins facilement par l’enfant, par les parents d’accueil, et par les intervenants chargés de les coordonner et de les évaluer (Chateauneuf, 2015).

Moins souvent objets de discussion, les intervenants impliqués dans la supervision et la coordination des contacts jouent tout de même un rôle déterminant dans le développement et la qualité des liens entre l’enfant, ses parents et sa famille d’accueil (Neil, 2008). Dans une étude britannique menée auprès de 26 familles ayant adopté un enfant dans le cadre d’un projet de planification concurrente, Kenrick (2009) constate que les intervenants chargés de superviser les contacts doivent aider les parents d’origine à répondre aux besoins de l’enfant et à reconnaître le langage non verbal de celui-ci. Ils doivent aussi apprendre aux parents biologiques à composer avec la difficulté vécue lorsque l’enfant leur préfère la famille d’accueil. Dans certains contextes, les contacts s’avèrent difficiles à vivre pour les parents d’origine qui prennent conscience de la difficulté à entretenir un lien significatif avec leur enfant et qui constatent le désengagement émotif de celui-ci au profit de sa famille d’accueil (Monck, Reynolds et Wigfall, 2006 ; Cossar et Neil, 2010). Même s’ils sont sensibles à l’attitude des familles d’accueil et qu’ils apprécient avoir des nouvelles de leur enfant, les parents biologiques qui vivent une situation de planification concurrente perçoivent les contacts comme « artificiels » et sont conscients que les familles d’accueil veulent avant tout adopter l’enfant (Monck, Reynolds et Wingfall, 2006). Selon Ouellette et Goubau (2009), les contacts supervisés entre les parents d’origine et l’enfant placé en famille d’accueil à vocation adoptive ne doivent pas devenir des moyens pour documenter les incapacités parentales et l’absence d’attachement entre le parent et l’enfant. Ces visites doivent s’inscrire dans l’offre de services mise en place pour évaluer les possibilités de retour de l’enfant avec ses parents.

Les auteurs qui ont réalisé des études empiriques sur la planification concurrente et qui se sont intéressés aux enjeux liés aux contacts mettent en évidence l’ambiguïté de la position des familles d’accueil (Monck, Reynolds et Wigfall, 2004, 2006 ; Kelly et al., 2007 ; Kenrick, 2009, 2010). Plusieurs familles d’accueil ont déclaré qu’elles se sentaient ambivalentes quant au succès et au déroulement des contacts de l’enfant avec ses parents d’origine : d’une part, elles souhaitaient que les parents de naissance « échouent » de sorte que l’enfant puisse rester avec eux, mais d’autre part, elles éprouvaient souvent de la sympathie pour les parents de naissance (Monck, Reynolds et Wigfall, 2004). Même si les parents d’accueil constataient certaines lacunes, voire une inadéquation des habiletés parentales des parents biologiques, ils souhaitaient quand même connaître les parents d’origine et comprendre leurs difficultés (Monck, Reynolds et Wingfall, 2006). Selon Kenrick (2010), les parents d’accueil qui bénéficient de contacts fréquents avec les parents biologiques sont ceux qui valorisent le plus cette relation. Ils peuvent aussi plus facilement être en mesure de répondre aux questions de l’enfant sur ses parents biologiques. Malgré qu’elles reconnaissent la pertinence des contacts, plusieurs familles d’accueil à vocation adoptive éprouvent tout de même la crainte que l’enfant puisse se positionner en faveur de ses parents biologiques et diminuer l’importance des parents d’accueil (Kelly et al., 2007). Comme le soulignent Ouellette, Méthot et Paquette (2003), le maintien des contacts entre l’enfant et sa famille d’origine ne permet pas aux postulants de conserver l’illusion d’exclusivité et cet aspect de la planification concurrente demeure, selon les auteures, un obstacle majeur au déploiement plus large de ce type de placement.

De façon générale, les impacts et effets des contacts sur les enfants demeurent difficiles à évaluer et dépendent de plusieurs facteurs, dont l’âge de l’enfant, les motifs de placement, le vécu de l’enfant avec le parent et les caractéristiques de l’enfant et du parent. En contexte de planification concurrente, il s’agit la plupart du temps d’enfants très jeunes, qui ont été placés en milieu substitut tôt au cours de leur vie et qui sont fortement enracinés dans leur milieu d’accueil (Chateauneuf et Trudelle, 2014). Selon Kenrick (2010), les contacts parents-enfant en contexte de planification concurrente permettent de dresser à l’enfant un portrait honnête de ses parents biologiques (selon son stade de développement) et constituent un élément bénéfique à la formation de son identité. Cependant, la tenue et le déroulement de ces visites peuvent aussi être une source de stress importante pour les enfants ; les visites sont souvent très chargées émotivement et cette situation peut entraîner des crises agressives, de la colère, de la détresse émotive, avant ou après les visites (Edelstein, Burge et Waterman, 2002 ; Kenrick, 2009 ; Chateauneuf et Trudelle, 2014). Selon Kenrick (2009), la planification concurrente engendre une tension complexe entre le maintien des liens d’attachement existants entre l’enfant et ses parents biologiques et le développement de nouveaux liens d’attachement entre l’enfant et ses parents d’accueil.

Discussion

Parce qu’elle implique l’intervention de l’État au sein de familles vulnérables et qu’elle nécessite un « remaniement » des liens filiatifs, l’adoption en contexte de protection de l’enfance demeure un sujet sensible. À ce titre, l’analyse des enjeux associés au modèle de la planification concurrente témoigne de la complexité de ce type de placement et des défis qu’il pose en termes d’interventions. Parallèlement aux enjeux cliniques, les discussions autour de la planification concurrente concernent également sa tendance à favoriser l’ouverture dans le processus adoptif. En ce sens, les enjeux soulevés par la planification concurrente sont régulièrement mis en parallèle avec ceux de l’adoption ouverte. Il est vrai que le placement d’un enfant dans une famille à vocation adoptive emprunte à l’adoption ouverte des principes de base, dont ceux d’ouverture, d’échange d’informations et du maintien des contacts entre l’enfant et ses parents. En ce sens, la planification concurrente concerne la phase préadoptive et représente en quelque sorte une première étape sur le continuum de l’ouverture (Townsend, 2003 ; Jones et Hackett, 2008). Par contre, les pratiques qu’elle met de l’avant se déroulent dans un contexte où l’adoption n’a pas encore été prononcée. Cette situation est intéressante à considérer en contexte québécois, car elle met en évidence certains des paradoxes de notre propre modèle. Au Québec, malgré la mise en place d’un programme préadoptif (Banque mixte) qui favorise certaines pratiques d’ouverture, l’adoption dite ouverte ne jouit à ce jour d’aucune reconnaissance juridique. Certaines familles (d’origine et adoptive) acceptent de signer une entente morale dans les semaines précédant le jugement d’adoption et conviennent des types de contacts qui seront entretenus, des informations qui pourront être échangées (lettres, photos, cadeaux, etc.) ainsi que de la fréquence de ces échanges. Cependant, ce type d’entente demeure peu fréquent et n’a pas d’existence juridique ; les parents adoptifs peuvent y mettre un terme au moment voulu, sans même obtenir au préalable le consentement des parents d’origine. De façon générale, les contacts entre la famille d’accueil et les parents biologiques (et ce, autant pendant le placement qu’une fois l’adoption prononcée) ne sont pas systématiquement envisagés, ni même encouragés par les services de protection de l’enfance. De plus, aucune structure n’assure ou n’encadre le suivi de ces ententes.

La situation au Québec pourrait cependant changer à court ou moyen terme puisque depuis la publication du rapport du « Groupe de travail interministériel sur le régime québécois de l’adoption » en 2007, une réflexion est en cours quant à la nécessité de moderniser la législation en matière d’adoption (Chateauneuf et Ouellette, 2010 ; Lavallée, 2013). La possibilité d’assortir l’adoption d’une reconnaissance formelle des liens préexistants de filiation lorsqu’il est dans l’intérêt de l’enfant de protéger une identification significative à ses parents d’origine a été suggérée. Une proposition a également été émise pour que les adoptants et les parents d’origine puissent faire approuver, modifier ou révoquer judiciairement une entente visant à faciliter la communication de renseignements concernant l’enfant ou visant leurs relations personnelles durant le placement ou après l’adoption. À ce jour, aucun changement officiel n’a été apporté à la législation québécoise, mais les modifications proposées pourraient éventuellement être un vecteur de transformation notable en regard des pratiques adoptives, non seulement pour les Centres jeunesse, mais pour tous les acteurs et instances sociales et juridiques concernés par l’adoption.